B. DES LIBERTÉS INAVOUÉES AVEC L'AUTORISATION BUDGÉTAIRE

Plutôt que d'annuler les crédits ouvertement, plutôt que d'accepter les amendements d'ajustement des crédits comme ceux proposés par la commission des finances du Sénat, au risque alors de faire apparaître une moindre croissance, voire une diminution des dotations budgétaires, il est plus commode de recourir à l'autocensure budgétaire, voire à la « mobilisation » de moyens qui peut s'analyser comme des redéploiements de moyens, sinon occ ultes, du moins mal explicités.

1. Le contrat de gestion : l'institutionnalisation d'un nouveau mode de régulation budgétaire clandestine

Un premier contrat de gestion avait été conclu au printemps 1999 entre les ministères des finances et de la culture afin d'assurer le respect d'un objectif de progression de 1 % des dépenses en volume.

La Cour des comptes observe dans son rapport sur l'exécution de la loi de finances pour 1999 : « une telle mesure de régulation, moins directement visible qu'une pure et simple annulation de crédits, conduit de facto à accroître la tendance à la sous-consommation déjà accentuée sur les chapitres d'investissement, à rendre en partie artificielle la définition des prévisions budgétaires, et à détériorer les relations de l'État avec ses partenaires, notamment en ce qui concerne la restauration du patrimoine monumental... »

Le « contrat de gestion » 2000 n'a été conclu que tardivement. Les engagements pris par le ministère de la Culture pour contribuer à l'exercice se sont traduits par :

- un montant de reports prévisible fixé à 165 M€ (1080 MF), ce montant ayant été calibré par référence au pourcentage moyen de reports observé de 1995-96 à 1999-2000 ;

- une mise en réserve de crédits, au-delà du montant de reports prévisibles, à hauteur de 23 M€ (150 MF) de crédits de paiement, dont 19 M€ (125 MF) de crédits de paiement sur le chapitre 56-20 et 4 M€ (25 MF) de crédits sur le chapitre 36-60.

Ces crédits devaient être reportés sur l'exercice 2001, à l'exception de 1,2 M€ (7,8 MF) de crédits du chapitre 36-60, qui ont permis - d'une part de financer les besoins de fonctionnement du secrétariat d'État au patrimoine et à la décentralisation culturelle pour l'année 2000 [0,27 M€ (1,8 MF)] et, d'autre part, de compléter les crédits indemnitaires [0,9 M€ (6 MF)].

Amorcé plus tôt dans l'année, le contrat de gestion 2001 comporte les engagements suivants :

- un montant de reports prévisible fixé à 259 M€ (1700 MF), dont on remarque qu'il est supérieur de quelque 100M€ (700 MF) au montant prévu par le précédent contrat de gestion ;

- une mise en réserve de crédits, au-delà du montant de reports prévisible, à hauteur de 93 M€ (610 MF) de crédits de paiement, elle aussi très supérieure à celle de l'exercice 2000 : 7,6 M€ (50 MF) de crédits de paiement sur le chapitre 36-60, 22,9 M€ (15 MF) sur le titre IV, 48,8 M€ (320 MF) sur le chapitre 56-20, 16,8 M€ (110 MF) sur le chapitre 56-91 et 17,5 M€ (115 MF) sur le titre VI.

On note que sur le montant de crédits mis en réserve, 7,6 M€ (50 MF) feront l'objet d'une annulation en collectif de fin d'année 8( * ) .

En fait, ces informations fournies par le ministère de la Culture témoignent de l'imbrication de la procédure des contrats de gestion avec celle, plus traditionnelle, des annulations de crédits, dont elle n'est dans certains cas que l'anticipation inavouée .

La procédure classique par voie réglementaire ou législative avait le mérite de la clarté. Les méthodes de régulation budgétaire contractualisées ont l'inconvénient de brouiller le jeu. A peine le budget est-il voté, que l'on s'empresse de prévoir des reports de crédits, sans tenir compte du vote du Parlement , au risque d'augmenter encore des reports déjà importants pour les raisons techniques et administratives mentionnées plus haut.

Ces reports sont plus ou moins « indolores », selon la nature des crédits concernés. Mais on peut s'interroger sur le sens de la procédure budgétaire où l'on vote des crédits dont on sait pertinemment qu'ils ne pourront être engagés dans l'année et qu'ils feront l'objet d'un accord interne à l'exécutif pour être reportés sur les exercices suivants.

2. Les crédits de paiement du patrimoine comme variable d'ajustement

Mais, à ces pratiques, d'autant plus pernicieuses qu'elles sont insidieuses - de ce point de vue, les décrets d'annulation ne sont que la partie émergée de l'iceberg -, s'ajoute et c'est largement inédit, des libertés avec les règles d'ouverture des crédits de paiement d'investissement .

La meilleure utilisation des crédits de paiement disponibles dont il est fait état dans le dossier de presse de façon trop triomphaliste, a attiré l'attention de votre rapporteur spécial peu enclin à croire que l'on pouvait dégager des « moyens nouveaux » sensiblement supérieurs aux « mesures nouvelles », bref qu'il existait des fonds dormants dans lesquels il suffirait de puiser.

Il s'agit, ni plus ni moins, que d'une nouvelle forme de régulation budgétaire, même si elle s'avance derrière le masque de la rationalité et de la mobilisation de tous les moyens disponibles.

Au départ, on a une situation paradoxale et dont on comprend qu'elle puisse engendrer des frustrations, voire des démangeaisons : l'accumulation de crédits de paiement inutilisés notamment aux titres V et VI par suite de raisons structurelles déjà évoquées, s'agissant des dépenses de restaurations des monuments historiques, mais, également, en raison de la volonté, largement délibérée selon votre rapporteur spécial, de lancer des opérations par anticipation ou, du moins, trop tôt eu égard à l'état d'avancement technique et politique du dossier. Des opérations comme celles de l'aménagement de l'immeuble des « Bons enfants » ou la remise en état du grand Palais ont été financées en quasi-totalité, alors même qu'elles n'entrent que maintenant dans leur phase active.

Or, la clé de consommation actuelle servant à traduire automatiquement en crédits de paiement les autorisations de programme , qui est de - 25/30/30/15 -, concerne une période de temps trop brève et aboutit à l'accumulation de crédits de paiement services votés « CPSV » inutilisables dans l'immédiat. D'où l'idée née au sein du ministère de la culture, de mobiliser une partie de ces crédits de paiement « dormants » pour financer des actions de nature à satisfaire des besoins immédiats...

En fait, le ministère de la culture a obtenu la possibilité de réutiliser une fraction des « CPSV » en stock pour financer ses priorités. Au delà de la prétendue rationalité d'une telle attitude, il y a les réalités budgétaires : les « moyens nouveaux » ainsi dégagés ont été pris sur les crédits de paiement d'opérations qui restent programmées, et dont, a priori , on n'a pas de raisons de penser que leurs besoins ont été surévalués. Tôt ou tard, les crédits ainsi rééchelonnés devront être inscrits .

En fait, le ministère aurait ainsi « mobilisé » 238,84 MF sur le chapitre 56-20 patrimoine monumental pour lequel la capacité d'absorption des crédits est structurellement limitée, et 140 MF sur le chapitre 66-91 « Autres équipements », qui aurait été doté de façon excessive par suite des tensions sur les crédits de paiement notamment au niveau des Directions régionales des affaires culturelles.

Certes, chercher à dégonfler les reliquats de crédits sur les titres V et VI, n'est pas un objectif illégitime, mais faut-il le faire, au moins pour partie, par le moyen d'un changement de la clé de conversion des autorisations de programme en crédits de paiement ? En fait, on revient sur des décisions d'ouvertures déjà prises, alors qu'on aurait pu se contenter d'étaler la traduction en crédits de paiement de nouvelles autorisations de programme mais cela n'aurait pas eu le même impact.

Car, l'affaire se double, selon votre rapporteur spécial, de ce qui pourrait bien s'analyser comme un redéploiement de crédits occulte. Même si les règles de l'ordonnance organique empêchent les mouvements de crédits entre titres par voie administrative, tout se passe comme si l'on avait réservé les moyens nouveaux, « l'argent frais », aux titres III et IV et financé une partie des besoins liés aux nouvelles autorisations de programme, par ces redéploiements.

On peut en effet défendre le point de vue selon lequel les quelque 379 millions de francs de crédits de paiement ainsi dégagés, ont permis d'éviter que les besoins nés des nouvelles autorisations de programme, ne viennent absorber une part trop importante des moyens nouveaux alloués au ministère de la culture, libérant de ce fait des crédits supplémentaires pour l'emploi et le spectacle vivant.

C'est d'ailleurs bien ce qu'indique le dossier de presse, « Au-delà des mesures nouvelles obtenues (58,69  millions d'euros, soit 385,68 millions de francs) affectées principalement au titre IV et aux subventions aux établissements publics, le ministère de la Culture a obtenu la possibilité de redéployer près de 380 millions de francs de crédits de paiement non mobilisés qui permettent de financer la progression des dépenses de personnel, le fonctionnement et les dépenses d'investissement. »