D. LES REFORMES INDISPENSABLES
1. Le principe : des ressources locales reposant sur une fiscalité vivante et sur des dotations péréquatrices
Les
nombreux travaux réalisés depuis deux ans ont permis de
dégager un consensus sur les objectifs de la réforme des finances
locales. Il s'agit en premier lieu de réformer la fiscalité
locale et en deuxième lieu d'accroître la
péréquation.
La réforme de la fiscalité locale
est un chantier d'une
telle ampleur que toutes les pistes méritent d'être
étudiées. Aucun clivage tranché n'est apparu à ce
jour.
Il convient cependant de souligner que, si elle constitue un objectif en soi,
la réforme de la fiscalité locale est également un
élément essentiel de la politique en matière de
péréquation
. Les critères permettant de mesurer la
richesse des collectivités locales, utilisés pour
déterminer l'éligibilité à une dotation
péréquatrice ou le montant des attributions au titre de cette
dotation, sont élaborés à partir de bases d'impositions
obsolètes, ce qui interdit de véritablement
« cibler » les collectivités les plus
défavorisées.
En outre,
les évolutions récentes de la fiscalité
locale, et notamment la suppression progressive de la part
« salaires » de l'assiette de la taxe professionnelle,
contribuent à dégrader la fiabilité des indicateurs, et en
particulier du potentiel fiscal
. Les conséquences de celle-ci sur ce
dernier sont corrigées au coup par coup par le biais de divers textes
législatifs, si bien qu'il existe aujourd'hui dans le code
général des collectivités territoriales quatre
définitions du potentiel fiscal.
S'agissant de la
péréquation
, le développement de
celle-ci passe :
- par une meilleure modulation de la participation de l'Etat au financement des
contrats de plan Etat-région en fonction de la richesse des
régions ;
- par
une réforme de la DGF des communes
.
Aujourd'hui, 85 % de celle-ci est consacrée à la dotation
forfaitaire, qui n'est non seulement pas péréquatrice, mais
contre-péréquatrice, puisqu'elle fige des
inégalités issues du gel des attributions de DGF auquel a
procédé la réforme de 1993.
La dotation forfaitaire
constitue le principal facteur explicatif des inégalités de
ressources entre communes au titre de la DGF.
La dotation d'aménagement de la DGF est péréquatrice
puisqu'elle comprend la DSU, la DSR, et la dotation d'intercommunalité,
dont 85 % des crédits sont répartis en fonction du potentiel
fiscal.
Il serait envisageable de mettre fin au jeu de « vases
communiquants » entre, d'une part, la dotation
d'intercommunalité et, d'autre part, la DSU et la DSR non pas en
créant une troisième enveloppe au sein de la DGF, qui aurait pour
effet de supprimer le caractère d'enveloppe fermée de la DGF et
donc d'être source de dérapage budgétaire, mais
en
remplaçant le lien entre dotation d'intercommunalité/DSU-DSR par
un lien dotation d'intercommunalité/dotation forfaitaire.
Ce lien est logique puisque ces deux dotations servent à financer les
mêmes compétences.
En matière de péréquation, la question la plus
controversée est celle de la péréquation dite
« horizontale »
, entre collectivités locales. En
cette matière, il convient d'arbitrer entre la volonté de
corriger les écarts de richesse en bases fiscales et le principe de
libre administration des collectivités locales, qui ne serait pas
compatible avec une « nationalisation » de la
fiscalité locale au sein de ce qui pourrait s'apparenter à un
vaste fonds de péréquation.
Par ailleurs, la péréquation horizontale est peu compatible avec
l'attachement du Sénat au principe d'autonomie fiscale des
collectivités locales, qui permet la responsabilisation des élus
locaux et repose sur la possibilité pour les collectivités
locales de s'administrer librement à partir de ressources fiscales dont
elles votent le taux et dont, par leur action, elles orientent
l'évolution des bases.
2. Accroître la stabilité de la DGF des structures intercommunales
Depuis
l'entrée en vigueur de la loi du 12 juillet 1999 relative au
renforcement et à la simplification de la coopération
intercommunale, l'intercommunalité a connu une
accélération de son développement.
Au 1
er
janvier 2001, 2.000 EPCI étaient constitués,
regroupant 23.485 communes et 40 millions d'habitants. Ces structures
intercommunales exercent des compétences de plus en plus lourdes.
Les modalités de répartition de la DGF des EPCI,
conçues au début des années 90 pour encourager le
développement de l'intercommunalité, ne sont plus adaptées
à un paysage intercommunal stabilisé ou en voie de
l'être.
Ces modalités reposent sur l'émulation entre les EPCI. Le
mécanisme du coefficient d'intégration fiscale (CIF) oblige les
EPCI à toujours s'intégrer davantage, sous peine de voir leurs
attributions individuelles de DGF diminuer.
Une répartition basée sur la comparaison entre le degré
d'intégration des EPCI appartenant à une même
catégorie conduit à une
forte volatilité du montant des
attributions individuelles de DGF
, qui interdit aux EPCI d'avoir une
visibilité convenable de l'évolution de celle-ci. Cette situation
devient particulièrement préjudiciable lorsque des EPCI exercent
des compétences lourdes.
A l'initiative du Sénat, les communautés urbaines, la
catégorie la plus intégrée, ont obtenu la mise en place
d'un régime qui leur garantit la stabilité de l'évolution
de leurs recettes. Il convient de réfléchir aux conditions dans
lesquelles une plus grande stabilité pourrait être procurée
aux autres catégories de structures intercommunales à
fiscalité propre.
Cette réflexion est d'autant plus urgente que
la modification de la
définition du CIF
à laquelle a procédé, en
excluant de celui-ci les dépenses de transfert à concurrence de
10 % par an pendant dix ans, la loi du 12 juillet 1999
vient encore
renforcer l'influence perturbatrice de ce critère de
répartition.
Elle se traduit également par une charge de travail considérable
pour les services de l'Etat puisque les transferts à exclure du CIF ne
sont pas identifiés dans la comptabilité M14, ce qui les oblige
à examiner dans le détail, et au cas par cas, les comptes des
EPCI.
3. Revoir les modalités de compensation des charges nouvelles
Les
transferts de charges de l'Etat aux collectivités locales sont de deux
types :
- les transferts de compétences, pour lesquels le code
général des collectivités territoriales définit les
modalités de la compensation financière ;
- les charges résultants de décisions de l'Etat,
législatives ou réglementaires, dans les domaines autres que les
compétences transférées.
La compensation des charges résultant de transferts de
compétences
Les articles L. 1614-1 à L. 1614-5 du code général des
collectivités territoriales fixent les modalités de la
compensation financière aux collectivités locales, par la voie de
transferts de fiscalité ou de la dotation générale de
décentralisation.
Dans le cadre de ses activités de contrôle, votre rapporteur a
adressé au ministre de l'intérieur un questionnaire relatif
à ces dispositions. Les réponses qu'il a reçues seront
reproduites dans le rapport spécial.
Leur contenu contribue à mettre en évidence la
nécessité de modifier les règles héritées
des lois de décentralisations sur certains aspects, et d'en retrouver
l'esprit sur d'autres.
Il convient d'en retrouver l'esprit s'agissant du principe selon lequel les
transferts de compétence sont compensés principalement par des
transferts de fiscalité plutôt que par des dotations
budgétaires. Or, ces dernières années ont
été marquées essentiellement par la suppression de
ressources fiscales transférées.
Il convient d'en modifier certains aspects tout d'abord parce que, à
l'usage, on constate que les différents textes prévoyant des
transferts de compétences comportent presque toujours des dispositions
relatives à la compensation alors que, en principe, celle-ci est
automatique. Ce besoin de rappel met en évidence le fait que le
système qui existe aujourd'hui n'est pas encore entré dans les
moeurs.
Dans les mêmes textes, on constate aussi parfois des dérogations
au mode de calcul de la compensation. Leur multiplication conduit à
s'interroger sur l'utilité de conserver une règle
générale souvent jugée inadaptée, et qu'il faudrait
peut être revoir.
On constate enfin que certains cas de figure (par exemple les transferts de
compétence des collectivités locales vers l'Etat) ne sont pas
prévus.
Il serait également utile :
- d'harmoniser les procédures applicables en matière de
détermination des charges transférées, et notamment l'avis
de la commission consultative d'évaluation des charges (CCEC), et la
procédure budgétaire. En général, l'avis de la CCEC
intervient après le dépôt du projet de loi de finances
comportant les crédits correspondants.
- que cette commission respecte son obligation légale de remettre
chaque année un rapport au Parlement, d'autant que les rares rapports
existant se sont révélés d'une grande qualité.
Il faut se féliciter que l'article 15
quatervicies
du
projet de loi relatif à la démocratie de proximité
étende le champ de compétence de la CCEC aux transferts de charge
entre les collectivités locales et les organismes de
sécurité sociale.
La compensations des autres charges
Le principe selon lequel l'autorité qui décide d'une
dépense doit également en assumer le coût financier est
autant un sain principe démocratique qu'un gage de responsabilité
politique.
Ce principe est aujourd'hui souvent battu en brèche. Ces derniers mois,
il l'a été tant par le Parlement qui, en adoptant la loi relative
à l'allocation personnalisée d'autonomie, a autorisé
l'Etat à créer une prestation sociale dont le coût reposera
essentiellement sur les départements, que par l'exécutif, comme
en témoignent les récents accords entre le gouvernement et les
syndicats représentatifs sur les rémunérations des agents
de la fonction publique.
Ce contexte conduit votre rapporteur à formuler à nouveau les
recommandations qui figuraient dans son rapport au nom de la mission commune
d'information chargée de dresser le bilan de la décentralisation
et de proposer les améliorations de nature à faciliter l'exercice
des compétences locales
5(
*
)
:
Propositions de la mission commune d'information pour associer les collectivités locales aux décisions ayant une incidence financière sur leurs budgets
«
- les collectivités locales devront
désormais être associées à la négociation des
accords salariaux dans la fonction publique.
Les décisions
prises par l'Etat dans ce domaine ont des conséquences très
lourdes pour les budgets locaux. Entre 1990 et 1997, les dépenses de
personnel de l'Etat ont progressé de 32 % tandis que celles des
administrations publiques locales ont augmenté de 46 %. Ce taux de
progression supérieur n'est pas due uniquement aux recrutements, qui
n'expliqueraient que un cinquième de l'augmentation des dépenses
locales, mais aussi à la structure de la fonction publique territoriale
qui compte une proportion plus élevée d'agent de catégorie
C. En 2000, l'accord salarial du 10 février 1998 se traduit par un
surcoût de 41,3 milliards de francs, dont 23,3 %, soit 10 milliards
de francs, à la charge des collectivités locales. Pourtant, les
collectivités n'ont pas été associées à la
négociation de cet accord.
- en matière de
normes techniques
, votre rapporteur souscrit aux
conclusions du groupe de travail, présidé par notre
collègue Philippe Adnot, constitué sur ce thème au sein du
comité des finances locales et qui préconise notamment
d'accroître la participation des représentants des élus
dans les instances où sont étudiées et
décidées les normes ; de préciser l'étude
d'impact afin d'évaluer le coût des normes sur les budgets ;
d'établir un lien juridique entre la durée de validité des
normes respectées lors de la réalisation d'un équipement
et la durée d'amortissement comptable de cet équipement.
Les dispositions ayant une incidence sur les budgets locaux, qu'elles
donnent lieu ou non à compensation financière, devraient
systématiquement et
préalablement à leur
entrée en vigueur être soumises à l'avis d'instances
telles que le comité des finances locales, à qui le gouvernement
a pris l'habitude de soumettre certains textes, mais surtout la commission
consultative sur l'évaluation des charges (CCEC).
L'article L. 1614-3 du code général des collectivités
territoriales prévoit déjà une procédure de
consultation de la CCEC dans le cadre des compétences
transférées. Cette disposition n'est pas toujours
respectée puisque la commission ne s'est pas réunie entre 1996 et
1999, et que cela n'a pas empêchée la publication de textes
législatifs et réglementaires relatifs aux dépenses et aux
recettes transférées.
Depuis 1995, le bilan des transferts de charges réalisé par la
commission, dans le cadre d'un rapport au Parlement, comprend également
un bilan des charges qui ne s'inscrivent pas dans le cadre des
compétences transférées. Cet apport pourrait être
complété en prévoyant que la commission émet un
avis sur tous les textes qui ont un impact financier sur les
collectivités locales, et pas seulement sur les transferts de
compétence au sens strict. L'avis de la commission devrait comprendre
une évaluation précise des conséquences des dispositions
proposées sur les budgets locaux.
Dans les deux cas, la consultation de la CCEC devrait être
préalable à l'examen de la disposition concernée par le
Parlement s'il s'agit d'une mesure législative ou de la publication du
texte au journal officiel s'il s'agit d'une disposition
réglementaire
. »