TABLE RONDE VI : Avantages et risques en matière de santé

Allergies, résistance aux antibiotiques, métabolites, aliments fonctionnels... TABLE RONDE VI : AVANTAGES ET RISQUES EN TERME DE SANTE (allergies, résistance aux antibiotiques, métabolites, aliments fonctionnels...)

M. le Président -
Nous allons reprendre la dernière des quatre demi-journées d'audition en vous remerciant, Madame et Messieurs, d'être venus participer à cette sixième table ronde.

Hier M. Bernard Kouchner a été auditionné avant la table ronde et ce sera l'inverse pour la recherche ; ce sont un peu les hasards des calendriers.

Je voudrais vous dire que les risques éventuels en matière de santé sont bien entendu ceux qui, potentiellement, inquiètent le plus nos concitoyens.

Trois grandes catégories de questions sont posées ici :

- le problème des constructions génétiques faisant appel à un gène marqueur de résistance à un antibiotique, c'est le cas du maïs Bt de Novartis dont la culture a été autorisée en France ; la question de l'avenir concernera l'utilisation de virus ou de rétrovirus dans ces constructions ;

- le problème de l'éventuelle allergénicité des aliments produits à partir des plantes génétiquement modifiées ;

- l'éventualité de possibilités de mutations génétiques.

De même qu'en matière d'environnement les opinions sont très divergentes, cette table ronde nous permettra peut-être de nous faire une idée un peu plus précise de la réponse à apporter à cette interrogation.

Il ne faut certainement pas oublier qu'un aliment peut être allergénique pour certaines personnes sans être le moins du monde transgénique.

Nous l'avons vu notamment en visitant Pioneer aux Etats-Unis qui avait inséré le gène d'une protéine de noix du Brésil dans le soja. A la suite de cette opération, le soja était devenu allergisant. Il peut en être de même des arachides, du kiwi, d'un certain nombre d'autres plantes.

Il n'y a pas que des risques dans ce domaine, nous pouvons tout à fait penser que la transgénèse pourrait permettre de créer des aliments meilleurs pour la santé humaine. Cela a déjà été discuté ce matin.

En ce qui concerne les avantages éventuels nutritionnels des plantes transgéniques, nous pouvons évoquer des huiles à haute teneur en acide oléique fabriquées à partir de colza transgénique et déjà étudiées par Du Pont de Nemours aux Etats-Unis ou par Monsanto.

Lorsque nous assistons aux conférences d'un certain nombre de firmes, c'est la deuxième génération des produits qu'ils veulent sortir.

Enfin un problème qui inquiète également et dont Monsieur Séralini a déjà parlé, est celui de la toxicité d'un certain nombre de métabolites avec des modifications de métabolisme à partir du moment où des gènes ont été insérés dans certaines plantes.

Pour ce débat nous avons réuni autour de cette table un certain nombre d'experts qui connaissent tous ces problèmes, ces avantages et ces risques en matière de santé, que ce soit les problèmes de résistance aux antibiotiques, de métabolites, d'allergies ou encore d'aliments fonctionnels.

Sur votre droite, c'est-à-dire à ma gauche vous avez :

- Monsieur Patrice Courvalin, directeur de l'unité des agents antibactériens à l'Institut Pasteur, qui vient d'écrire un article dans "La Recherche" à ce sujet et que vous avez dû lire. Cet article est paru entre l'audition dans mon bureau à l'Assemblée Nationale et cette audition publique ouverte à la presse ;

- Monsieur Philippe Gay, directeur des biotechnologies de Novartis ;

- Monsieur Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'université de Caen, qui a signé un appel des scientifiques pour un moratoire ;

- Madame Anne Moneret-Vautrin, professeur à la faculté de médecine de Nancy qui est une spécialiste reconnue des allergies en France ;

- Monsieur André Rico, président de la Commission d'Etude de la Toxicité des Produits antiparasitaires à usage agricole et substances assimilées.

Ce sont nos intervenants, je vais leur demander comme dans toutes les tables rondes que nous puissions avoir un temps après pour le débat.

Un certain nombre de questions m'ont déjà été indiquées dans ces domaines lors des 200 heures d'auditions privées sur le sujet.

Je vais vous demander d'être assez concis dans vos exposés liminaires, étant entendu que vous pourrez reprendre la parole lors du débat qui s'instaurera.

La parole est à Monsieur Gay.

M. Gay - Parmi les avancées permises par les plantes transgéniques, la résistance aux insectes est essentielle dans la mesure où il n'existe pas de gènes de résistance efficaces dans le génome de nombreuses plantes cultivées.

Les insectes posent deux types de problèmes au niveau de la santé publique.

Le premier est qu'ils prélèvent une part non négligeable des ressources alimentaires et qu'à un terme relativement proche ces ressources pourraient manquer.

Le deuxième est que les insectes sont vecteurs de maladies et plus particulièrement de maladies fongiques. Or les plus fréquents de ces pathogènes ( Aspergillus, Fusarium ) sécrètent des mycotoxines (nous connaissons l'aflatoxine, les zéaralénones, les patulines), toutes responsables de pathologies variées allant de l'induction de cancers à des troubles de croissance et de fertilité chez les animaux.

Les premières études conduites aux Etats-Unis sur le maïs transgénique montrent clairement que la présence des ces mycotoxines est diminuée de façon très significative chez les plantes rendues résistantes aux insectes par transgénèse.

Il est important de dire qu'avant l'avènement des plantes transgéniques, il n'est de denrée alimentaire qui n'ait été soumise à des enquêtes aussi approfondies quant à leurs conséquences sur le plan de la santé des hommes et des animaux domestiques.

Pour ce qui est du maïs de Novartis, plus de trente comités d'experts dans le monde se sont penchés sur le dossier et ont conclu à l'innocuité du produit. Cette constatation a été logiquement suivie d'une autorisation de mise sur le marché.

Ces comités se sont prononcés clairement sur des questions reprises aujourd'hui par les média. Les principaux points traités concernent deux domaines principaux :

- toxicologie et allergologie d'une part,

- transferts horizontaux de gènes d'autre part.

Dans le premier domaine, celui de la toxicologie et de l'allergologie, il s'agit des effets directs des nouvelles protéines synthétisées et des effets indirects sur le métabolisme.

L'analyse des plantes a été facilitée par le fait que les protéines en question sont empruntées à des organismes déjà présents dans notre environnement.

Nous pouvons citer deux exemples à ce sujet.

Les delta endotoxines de Bacillus thuringiensis qui sont la base de certaines préparations insecticides utilisées depuis plus de trente ans.

Tant les agriculteurs qui les épandent que les employés des usines qui les fabriquent ont été exposés à de très fortes doses de ces protéines. A notre connaissance, aucune pathologie n'a été détectée dans ces groupes, qui puisse être attribuée aux protéines Bt.

A l'inverse, les investigations associées à une tentative d'amélioration de la composition protéique du soja - il y a été fait référence il y a une minute par Monsieur Le Déaut - ont permis d'identifier l'allergène jusqu'alors inconnu de ce fruit.

Le produit n'a pas été développé, n'a pas dépassé le stade expérimental. Ceci montre que les garde-fous dans ce domaine sont efficaces.

Le deuxième domaine soumis aux investigations est celui des gènes marqueurs et leur éventuelle dissémination horizontale, c'est-à-dire leur transfert à d'autres espèces par des voies non sexuées.

Les gènes marqueurs sont des gènes dont la présence dans le produit final est une trace de la technologie employée tant pour les étapes de clonage que pour celle de la transformation des plantes. Ils ne sont pas forcément nécessaires au produit fini.

Parmi eux, vous avez des gènes de résistance à certains antibiotiques dont le gène bla (bêta lactamase) TEM1 présent dans le maïs de Novartis.

Il serait hors de propos de juger à ce sujet du bien fondé de la technique mise en oeuvre pour créer ce maïs, je m'explique.

Toute semence transgénique commercialisée aujourd'hui est le fruit de techniques qui l'ont précédée de dix ans. En ce sens la technologie présente dans un produit sera toujours en retard sur l'état présent des connaissances.

A l'inverse, il faut souligner que l'évaluation de la sécurité biologique bénéficie, elle, des développements les plus récents des connaissances. C'est ce que nous allons faire aujourd'hui.

Pour en revenir au gène bla TEM1 , la question a été posée de la contribution éventuelle du maïs à la dissémination de la résistance à l'ampicilline dans des micro-organismes tant du sol que du tube digestif.

Je suppose que nous reviendrons sur ce thème dans la discussion et je voudrais simplement le résumer.

D'abord aucun transfert de ce gène de la plante vers les micro-organismes n'a été démontré expérimentalement.

Ensuite, pour autant qu'elle soit possible, la fréquence de ce transfert potentiel serait au moins des dizaines de milliards de fois inférieur à celle des transferts naturels qui, eux, sont bien connus.

Ce sont là des arguments retenus par les comités scientifiques de la Communauté Européenne pour conclure que le transfert en retour du gène bla du maïs vers des micro-organismes est virtuellement impossible et ne serait, s'il se produisait, pas significatif sur le plan clinique.

La résistance aux antibiotiques est aujourd'hui un grave problème de santé publique. Il serait regrettable qu'à ce sujet, le public soit troublé par des amalgames ou des assertions trop spectaculaires.

Néanmoins les progrès de la technologie font que ce type de marqueur ne sera probablement plus présent dans les nouvelles générations de plantes transgéniques. Ceci contribuera certainement à éliminer le trouble que ces marqueurs ont causé dans l'opinion.

Je vous remercie de votre attention.

M. le Président - Merci beaucoup. La parole est à Monsieur Séralini.

M. Séralini - Ma conviction est que les OGM peuvent contribuer à l'amélioration de la santé de l'humanité, mais qu'aujourd'hui, par bien des aspects, nous fonçons dans le brouillard.

Bien que nous soyons dans un aspect analytique rapide de chaque groupe de questions, j'insiste dès le départ sur le fait que la synthèse des zones de non accord sur chaque question pose un réel problème pour la mise en place des OGM sans avoir un moratoire de recherche pour favoriser encore un certain nombre de contrôles et de mises en place des filières.

L'innocuité à long terme ne repose sur aucune base scientifique suffisamment sérieuse à notre avis comme à celui d'un certain nombre de scientifiques qui ont signé cette demande de moratoire.

Sur les points non résolus, je voudrais dire que dans la majorité des plantes génétiquement modifiées cultivées aujourd'hui ou en instance de culture et à visées alimentaires, trois groupes de gènes étrangers à leurs espèces hôtes ont été insérés.

Tout d'abord, comme vient de vous le rappeler Monsieur Gay, les gènes de résistance aux antibiotiques, puis ceux de résistance aux insectes et enfin ceux de tolérance aux herbicides. Chacun de ces points comporte des certitudes et des incertitudes.

Pour les gènes de résistance aux antibiotiques, les certitudes sont qu'il n'y a pas d'utilité agronomique dans le champ de l'agriculteur et que nous pourrions nous en passer, nous venons de l'entendre.

Ils pourront aussi sans doute se transférer dans le milieu. En tout cas ils seront déposés dans le sol à la dégradation de chaque plante qui comporte des dizaines de milliards de cellules. Il peut donc y avoir une rémanence de ces gènes dans le sol.

Le débat porte sur l'impact de ce transfert soit aux bactéries soit dans le tube digestif des mammifères qui consomment ces plantes.

Une autre certitude est que la résistance aux antibiotiques est devenue un problème important de santé publique.

Les incertitudes sont l'impact du transfert, c'est en cours d'étude par les comités qui ont été formés. A notre avis, ce point est suffisant pour avoir un moratoire de manière à ce que nous ayons le temps de développer des variétés sans ce gène.

En ce qui concerne les gènes de résistance aux insectes, il y a des certitudes.

Une certitude est qu'un insecticide est produit dans une plante alimentaire. Une autre certitude est que les dérivés de ces plantes ne sont pas étiquetés aujourd'hui en France.

Les incertitudes portent aussi sur l'impact sur la santé humaine et l'écosystème non évaluable à long terme. Si ces dérivés ne sont pas étiquetés, n'y aura-t-il pas d'effets secondaires imprévus ?

Dans ce cas, nous ne pourrons ni tracer ni retirer les lots du marché si bien que des filières entières de maïs et de soja auraient des problèmes.

Pour les gènes de tolérance aux herbicides, en disant cela je ne nie pas le bénéfice de l'utilisation des insecticides, mais je dis qu'il y a encore des problèmes et que ceux-ci justifient un moratoire.

Pour les gènes de tolérance aux herbicides, il y a des certitudes : nous allons augmenter la consommation des herbicides auxquels les plantes ont été rendues tolérantes. Il faut donc être très prudent dans les affirmations disant que nous aurons un bénéfice environnemental. Apparemment en effet ces herbicides ont une rémanence moins grande.

Une autre certitude cependant est que des effets secondaires sur la santé ont été publiés tant pour les deux principaux herbicides dit totaux, qui ne le sont plus maintenant puisque ces plantes y sont tolérantes. Il s'agit du glyphosate, principe actif du Roundup et du glufosinate, principe actif du Basta ou du Liberty .

Ces effets ont été publiés pour le Roundup avec des effets négatifs sur la fertilité, la mutagenèse. Récemment des dérivés du Roundup ont été trouvés liés sur l'ADN de foie d'animaux en ayant consommé.

Vous avez également la neurotoxicité pour les embryons et les bébés de mammifères.

Les incertitudes portent sur les métabolites de ces herbicides, pas seulement de leur principe actif, mais des adjuvants utilisés avec dans l'herbicide, qui pourraient s'accumuler dans la chaîne alimentaire comme nous l'avons déjà vu pour d'autres insecticides comme le DDT ou l'atrazine.

Même si ces herbicides sont moins rémanents, il peut y avoir des adjuvants ou des dérivés de ces herbicides qui peuvent être toxiques alors que nous ne l'avions pas prévu.

Il faut être prudent en donnant l'information que c'est un bénéfice environnemental. Il y a un bénéfice partiel, mais il faut, à notre avis, que le public soit informé qu'il y a aussi des inconvénients partiels et que nous ne pouvons pas dire que c'est tout beau.

A priori, il faut à notre avis, davantage de recherche pour étudier cela sur les mammifères.

Pour lever ces incertitudes et favoriser à long terme toutes les parties concernées, y compris les contrôles de qualité des entreprises qui pourront ensuite exporter des produits de qualité contrôlée et dûment vérifiée, il faut leur donner du temps.

Nous faisons évidemment des contrôles aujourd'hui et nous faisons toute confiance aux commissions qui les ont réalisés. Nous disons que c'est pour cette raison que nous voulons leur donner du temps, pour qu'elles puissent faire des contrôles sur le long terme.

Je suis donc favorable à un moratoire de cinq ans sur la commercialisation dans l'alimentation des OGM et des dérivés. Cela permettrait d'apporter des réponses plus précises à ces questions.

Merci.

M. le Président - La parole est à Monsieur Courvalin.

M. Courvalin - Je vais me concentrer sur les gènes de résistance aux antibiotiques puisque je suis là en tant que chef d'une unité à l'Institut Pasteur de Paris. Nous travaillons maintenant depuis plus de vingt ans sur les transferts de gènes dans les conditions naturelles ce qui est exactement le problème du jour.

Je suis également responsable du Centre national de Référence des Antibiotiques qui dépend du Ministère de la Santé, de la DGS et qui étudie les mécanismes de résistance aux antibiotiques.

Le problème tel que posé par les deux orateurs précédents est la possibilité d'un retour vers les bactéries des gènes de résistance utilisés au cours de la transgénèse puisque ce sont les gènes bactériens qui ont été introduits dans les plantes.

Comme il a déjà été dit, ce sont des gènes parfaitement inutiles dans les plantes, ils ne s'expriment pas. Comme l'a dit Philippe Gay, ce sont des vestiges des constructions intermédiaires qui sont vraiment tout à fait inutiles.

Les critères de choix, car il y a de très nombreux gènes de résistance aux antibiotiques, utilisés par les scientifiques pour les sélectionner c'est d'une part leur incidence élevée dans la nature et d'autre part le fait qu'ils conféraient de la résistance à de vieux antibiotiques qui ne sont plus utilisés en clinique humaine.

En fait il faut bien comprendre qu'il n'y a pas de gènes de résistance anodins ou ubiquistes et, à mon avis, ces choix ont été assez malheureux.

En ce qui concerne le gène bla qui confère la résistance à l'ampicilline, mentionné par Philippe Gay, il faut se souvenir que ce gène confère la résistance aux pénicillines et que celles-ci sont une des familles majeures d'antibiotiques utilisés tant en thérapeutique humaine qu'animale.

Ce qui est extrêmement important c'est que des mutations ponctuelles dans ce gène, c'est-à-dire le plus petit événement génétique que vous puissiez imaginer, le changement d'une seule paire de base, convertit ces pénicillinases en des céphalosporinases.

Une enzyme va non seulement inactiver toutes les pénicillines mais toutes les céphalosporines, c'est-à-dire les molécules les plus récentes. Une seule mutation va abolir quinze ans de recherche de toute l'industrie pharmaceutique.

Un autre type de mutation confère la résistance à un autre type de produit qui sont des inhibiteurs de pénicillinases. Dans l'arsenal thérapeutique, nous avons des molécules qui inhibent ces pénicillinases, qui rendent les bactéries à nouveau sensibles aux pénicillines et si nous les associons avec des pénicillines, nous pouvons traiter les bactéries.

Là encore une mutation ponctuelle peut conférer la résistance aux inhibiteurs de pénicillinases. Ce gène qui, apparemment, est banal, peut évoluer très facilement vers la résistance aux molécules humaines.

La deuxième chose est sa prévalence chez les bactéries pathogènes responsables de diarrhées. Nous avons dit que c'était un gène abondant, en fait c'est tout à fait erroné car s'il est présent dans les bactéries saprophytes, dans les bactéries commensales du tube digestif, il est beaucoup moins fréquent dans les pathogènes qui sont responsables de diarrhées comme les salmonelles, les shigelles, Escherichia coli ou les Vibriae cholerae .

La fréquence varie selon les espèces, mais elle est seulement de quelques pour-cent. C'est notamment un gène absent chez l'entérocoque, bactérie opportuniste qui donne des infections nosocomiales, c'est-à-dire acquises à l'hôpital. Ce gène est totalement absent chez cette bactérie qui est de plus en plus fréquente en clinique.

Un autre gène, le gène aph3'-2 confère la résistance à la kanamycine, à la néomycine. Il est vrai que ce sont des antibiotiques très peu utilisés, mais là encore une mutation ponctuelle peut conférer la résistance à l'amikacine.

L'amikacine est l'antibiotique le plus utilisé dans les unités de soins intensifs pour le traitement des infections acquises à l'hôpital. C'est également un antibiotique qui connaît un regain d'intérêt dans le traitement de la tuberculose du fait de la multirésistance aux antibiotiques de cette maladie.

Un troisième gène confère la résistance à la streptomycine, là encore un vieil antibiotique qui, lui aussi, connaît un regain d'intérêt car les bactéries sont devenues résistantes à la gentamicine et aux antibiotiques apparentés.

La streptomycine est le seul antibiotique de cette famille qui n'a pas de résistance croisée avec la gentamicine. Cela veut dire que les souches résistantes à la gentamicine restent sensibles à la streptomycine.

Là encore la streptomycine, en dépit de ses actions secondaires (sa douleur au point d'injection, sa toxicité), est de plus en plus utilisée dans le traitement des infections sévères chez l'homme, notamment l'endocardite, ceci à cause de la multirésistance.

Je crois que ces choix de gènes ne sont pas bons et de toute façon il n'y a pas de gènes anodins de résistance aux antibiotiques.

Maintenant il y a le problème du rétrotransfert, ce que Philippe Gay appelait le transfert horizontal d'informations génétiques, c'est-à-dire le retransfert du gène chez la bactérie.

C'est un domaine où nos notions sont extrêmement fluctuantes et cela rejoint les préoccupations de l'orateur précédent. C'est un domaine dans lequel nous nous apercevons qu'il y a des transferts de gènes qui se produisent dans la nature entre des règnes - non plus des espèces ou des genres - qui ont divergé il y a très longtemps.

Nous nous sommes notamment aperçus qu'il y avait des transferts des bactéries aux cellules de mammifères, des mammifères aux bactéries. Dans le dernier numéro de Current Biology , il y a un très bel article sur un gène de résistance aux antibiotiques chez une bactérie qui proviendrait des cellules de mammifères.

C'est un domaine extrêmement fluctuant dans lequel il faut être très prudent.

Nous arrivons vers cette notion de transfert horizontal d'informations génétiques entre des organismes qui ont divergé il y a des milliards d'années. Il faut donc être extrêmement humble et prudent en ce qui concerne ces transferts de gènes.

Comme je l'ai dit, il y a deux exemples très bien documentés : celui qui vient d'arriver de transfert des cellules de mammifères aux bactéries.

Comme l'a dit Philippe Gay, des plantes aux bactéries, le transfert n'a pas encore été démontré, mais il faut bien savoir que ce domaine a été très peu étudié. Ce n'est pas en faisant ce genre de manipulation que vous aurez le prix Nobel, il y a très peu de chercheurs.

Comme cela n'a pas été démontré et pas non plus été tellement étudié, ce n'est pas très probant et de toute façon, en ce qui concerne un résultat négatif en recherche, ce n'est pas parce que cela n'a pas été observé que cela n'existe pas.

Encore une fois il y a une évolution de la notion sur les transferts horizontaux de gènes parce que très récemment nous avons eu des démonstrations que ces transferts se produisaient dans la nature.

Les constructions réalisées jusqu'ici - ce que dit Philippe Gay est vrai, la technologie à cette époque n'est pas du tout celle de maintenant -, de mon point de vue comme de celui de nombreux collègues, sont des constructions génétiques extrêmement grossières qui accumulent toutes les structures pour que le gène puisse revenir chez les bactéries.

Les gènes ne s'expriment pas chez la plante, mais sont sous le contrôle de signaux d'expression qui seront d'emblée opérationnels chez les bactéries. Et ils sont flanqués de grandes portions d'ADN bactérien qui facilite sa réintégration dans la bactérie. S'il est retransféré dans la bactérie, il pourra se restabiliser beaucoup plus facilement parce qu'il est entouré de régions flanquantes.

Comme il a également été dit, les techniques actuelles permettent de se passer de résistance. Des constructions de ce type sont d'ailleurs déjà soumises pour approbation.

Enfin il faut bien penser que la propagation à de très nombreuses copies de ces gènes favorisera leur dissémination et leur évolution par mutation ponctuelle vers des résistances encore plus grandes.

Nous pourrions penser qu'il aurait été de bon sens d'appliquer le principe de précaution à des constructions qui, comme l'a dit Philippe Gay, sont de première génération. Elles ont certainement fait progresser la technologie et nos notions dans ce domaine, mais nous pouvons penser qu'elles sont inadéquates pour être utilisées sur le terrain.

En plus, il faut bien réaliser que le système de biovigilance sera incapable d'évaluer la contribution de ces gènes de résistance à l'évolution vers la multirésistance des bactéries. Ces gènes n'ont pas été marqués, aucun signe spécifique ne leur est associé.

Si ces gènes repassent vers les bactéries, nous ne pourrons jamais les détecter, les différencier des gènes dont Philippe Gay a dit à juste titre, qu'ils se transféraient à très haute fréquence entre bactéries.

Nous avons donc créé délibérément un risque parfaitement inutile que nous sommes incapables d'évaluer ce qui, d'un point de vue intellectuel, est quand même extrêmement impressionnant.

Enfin je voudrais dire qu'en autorisant un gène nous créons un précédent qui risque fort de faire jurisprudence et après nous nous empêtrerons dans les demandes concernant d'autres gènes de résistance.

Pour terminer je voudrais dire qu'il faut garder présent à l'esprit que depuis plus de vingt ans maintenant, aucune nouvelle famille d'antibiotiques n'a été introduite en thérapeutique nouvelle.

D'un côté les bactéries évoluent vers la résistance, de l'autre nous n'avons aucun antibiotique nouveau et sans vouloir être alarmiste, le problème de la multirésistance aux antibiotiques chez les bactéries est un authentique problème de santé publique.

M. le Président - La parole est à Monsieur Rico.

M. Rico - Je suis vétérinaire et toxicologue. Je me suis plus particulièrement intéressé aux problèmes de pesticides puisque je préside une commission qui donne un avis au Ministre de l'Agriculture pour éventuellement les enregistrer.

Je vais surtout m'attacher à ces problèmes toxicologiques.

Comme cela a été signalé, il existe des OGM qui ont la propriété de tolérer certains herbicides, en l'occurrence deux ont été cités et sont effectivement sur la sellette.

S'ils les tolèrent ce n'est pas parce qu'ils sont capables de les accumuler, mais parce que la construction génétique mise en place leur permet de les détoxiquer, c'est-à-dire de les dégrader de façon à les rendre inoffensifs tout au moins pour la plante.

En particulier pour les deux précédents, ce sont des phénomènes d'acétylation faisant qu'ils deviennent pratiquement tolérants, donc plus toxiques pour la plante.

Or ces processus d'acétylation qui sont des processus de détoxication ne sont pas spécifiques à la plante, ils sont connus chez les mammifères, chez l'homme. L'acétylation est un processus de biotransformation tout à fait classique.

Nous parlons de pesticides et, en lisant un certain nombre de papiers, j'ai l'impression qu'on ne sait pas très bien comment sont enregistrés les pesticides en France.

L'enregistrement des pesticides en France est une affaire sérieuse qui repose sur des textes et des structures.

Le texte actuellement en vigueur est un texte européen, la directive n° 91-414 de 1991, qui est amendée au fur et mesure du développement. Ce texte est très précis. Il demande toute une série d'informations très complètes sur le produit lui-même et sur ses formulations.

Nous avons toute une série d'informations à notre disposition, des toxicités à court terme, à long terme, des mutagenèses, des cancérogenèses, des tératogenèses. Nous avons des informations sur le métabolisme de la plante, sur le métabolisme du produit dans la plante, dans le sol, chez les animaux.

Nous avons des informations éventuellement sur l'allergénicité.

Je pense qu'il ne faut pas laisser dire que nous ne connaissons rien sur les pesticides, que nous enregistrons et laissons passer des pesticides sans avoir d'informations sur leur toxicité à long terme ou disons sur d'autres aspects.

D'autre part les tests réalisés actuellement le sont dans des conditions extrêmement précises, dans des laboratoires avec des techniques parfaitement codifiées aux niveaux européen et mondial. En fait nous avons une foule d'informations à notre disposition pour pouvoir juger.

Quel est l'objectif de cette commission ?

Il est de préciser la sécurité d'emploi des pesticides comme de préciser éventuellement la sécurité d'emploi d'utilisation de plantes transgéniques, c'est-à-dire de définir les risques et nous essayons de les définir dans trois domaines :

- pour le consommateur au travers des résidus,

- pour le manipulateur, il ne faut pas oublier que des personnes manipulent ces produits, les paysans,

- pour l'environnement.

Le deuxième point que je voudrais développer est la notion de risque. Il ne faut pas confondre risque et danger. Ce sont deux concepts qui sont forcément associés, mais pas totalement.

Le danger sont les caractéristiques toxicologiques d'un composé. Vous analysez un produit, vous caractérisez sa toxicité, s'il est toxique à long terme, s'il a une toxicité aiguë, etc. C'est le danger et vous avez des substances plus ou moins dangereuses.

Le risque intègre un autre élément très important qui est l'exposition, c'est-à-dire la quantité de substance à laquelle vous risquez d'être soumis. Il ne faut pas oublier qu'en toxicologie, il existe une règle qui a été confirmée depuis fort longtemps : la dose fait le poison.

Par conséquent il existe pratiquement dans tous les domaines des doses sous lesquelles les effets toxiques ne se manifestent pas.

La notion de risque est donc une notion qui doit tenir compte de la notion d'exposition. Une substance peut être à haut danger, mais si l'exposition est quasiment nulle, le risque est quasiment nul. En revanche une substance peut être à faible danger, mais si son exposition est importante vous avez des accidents.

Comme je suis vétérinaire je connais bien les intoxications par le chlorure de sodium, c'est-à-dire le sel chez les porcs et les poussins.

Lorsque l'on donne une alimentation un peu riche en chlorure de sodium à ces animaux, surtout s'ils n'ont pas à leur disposition un abreuvement suffisant, les porcs meurent très facilement de méningite toxique, le chlorure de sodium passera dans le cerveau, y entraînera des oedèmes et les fera mourir. Les poussins, eux, mourront de diarrhées extrêmement profuses et très rapidement.

Le chlorure de sodium est toxique pour ces animaux, il le serait de même pour l'homme s'il en ingérait des quantités importantes.

Lorsque nous parlons de dose, nous parlons aussi de concentration. Je voudrais rappeler qu'en ce qui concerne les pesticides, ceux-ci ne sont présents dans l'alimentation ou dans l'eau qu'à des doses quand même extrêmement faibles. Il ne faut quand même pas penser que nous avons dans l'alimentation des quantités absolument astronomiques de ces composés.

Nous utilisons des unités tout à fait classiques, tout au moins pour les toxicologues, qui sont des unités de concentration :

- la PPM est une très grosse unité, c'est le milligramme par kilo,

- la PPB est mille fois plus petite, c'est le microgramme par kilo,

- la PPT est mille fois encore plus petite, c'est le nanogramme par kilo,

- la PPQ dont nous parlons maintenant, c'est-à-dire le picogramme par kilo ; un picogramme c'est mille milliardième de gramme, c'est-à-dire quelque chose d'extrêmement faible.

Pour illustrer un peu mon propos, je dirais que, par exemple, la PPT est une pièce de 50 centimes perdue dans la ville de Paris. Il se trouve qu'effectivement les chimistes sont maintenant capables de la trouver. Je disais à mes étudiants que ce n'est pas parce que je trouve une pièce de 50 centimes que je serai riche.

Nous identifions une substance dans un milieu, elle présente forcément un caractère toxique. Comme il y a toujours des petits astucieux, un jour un étudiant m'a dit : "Mais si c'était un diamant ?" Je lui ai dit que c'était une très bonne remarque et que dans ces conditions je serais extrêmement riche.

La probabilité que je trouve un diamant comme une pièce de 50 centimes dans la ville de Paris est très différente. D'autre part, cela montre bien que le risque nul n'existe pas car le risque nul est une utopie.

Je pense que vivre est risquer sa vie et je suis persuadé d'ailleurs que, pour mes enfants et petits-enfants, je ne voudrais pas une vie sans risque. D'abord cela n'existe pas et le risque c'est un peu le sel, c'est le piment, le miel, les bulles de l'existence. Imaginez une existence sans risque, elle serait absolument invivable.

Je viens de vous dire que le risque, c'est effectivement risquer sa vie, la preuve est que de toute manière nous finirons tous par mourir. Ceci pour une raison fort simple, c'est que nous pouvons définir la vie d'une manière un peu anecdotique, mais quand même avec un certain fond de vérité.

Qu'est-ce que la vie ?

C'est une maladie universelle, une maladie inguérissable, une maladie toujours mortelle. Le seul avantage qu'elle a pour les hommes et les femmes c'est qu'elle est sexuellement transmissible. Merci.

M. le Président - Madame Moneret-Vautrin va nous ramener à des problèmes d'allergénicité. C'est un des sujets évoqués en matière de santé. Vous avez quelques minutes pour le présenter.

Mme Moneret-Vautrin - La préoccupation des risques allergiques des OGM vient de deux types de données :

- la prévalence des allergies alimentaires a considérablement augmenté depuis quinze ans, c'est donc une préoccupation du grand public ;

- cette augmentation de prévalence est partiellement liée aux modifications de l'alimentation et les OGM étant le dernier avatar de ces modifications, il est légitime de s'intéresser à ce risque.

En 1992 la FDA a avalisé toute une série de recommandations pour l'étude du risque allergique qui venait de l'Organisme des Biotechnologies alimentaires américain et de l'Institut d'Allergologie et d'Immunologie.

Ces directives sont parfaitement claires et intéressantes à connaître. Elles font la part des choses entre un transfert de protéines d'une plante déjà connue comme ayant donné des allergies alimentaires. Le deuxième cas de figure est celui de protéines venant d'un organisme qui, jusqu'ici, n'a pas provoqué d'allergies alimentaires.

Dans le premier cas, il faudra disposer de patients ayant l'allergie alimentaire à la plante donneuse de façon qu'avec leur sérum et leur peau, par le biais de tests cutanés, nous puissions rechercher si la protéine une fois transférée dans la plante accueil présente effectivement des risques allergiques particuliers.

Tout à l'heure nous avons fait allusion à cette albumine 2S de la noix du Brésil qui s'est révélée parfaitement capable de donner des allergies dans le soja modifié si le sujet allergique à la noix du Brésil consommait ce soja.

Par ailleurs il ne faut pas oublier que lorsque nous avons transféré une protéine, nous connaissons par définition parfaitement sa séquence linéaire d'acides aminés. Il est donc possible de regarder dans les banques de données des séquences de tous les allergènes connus s'il y a une homologie, une ressemblance et de savoir s'il y a un risque quelconque d'allergénicité.

Cela dit, soyons humbles, il y a certainement des dizaines de milliers d'allergènes et nous n'en connaissons parfaitement actuellement dans les banques de données qu'environ 2 à 300.

Si la plante d'origine de la protéine n'est pas connue comme donnant une allergénicité ou si cette protéine vient d'une bactérie - nous avons évoqué le problème de la protéine de résistance aux herbicides, elle vient d'une bactérie - dans ce cas, nous limiterons surtout les études d'abord à la recherche éventuelle d'une homologie, mais nous nous intéresserons également à sa fragilité dans des milieux de digestion artificielle.

Il est certain que les allergènes majeurs que nous connaissons résistent 30 mn à 1 h 30 dans des modèles de digestion artificielle. Jusqu'ici les protéines transférées dans des OGM ne résistent pas plus de 15 secondes. Il est certain que cet argument paraît très intéressant même si pour des raisons que je ne peux pas développer, il est tout de même un peu insuffisant.

Lorsque nous avons fait ainsi le tour de toutes ces évaluations avant en quelque sorte commercialisation, nous ne pouvons qu'être frappés d'une chose. Si chaque élément choisi n'offre pas une sécurité à 100 % ce qui est impossible, l'ensemble, la conjonction de tous ces tests permet déjà de serrer une sécurité sanitaire importante.

Toutefois la seconde chose que nous devons absolument dire est que nous ne pouvons nous référer qu'aux allergènes connus. Nous ne pouvons pas assurer que cette protéine introduite dans l'alimentation humaine n'aura pas un jour ou l'autre ce qu'on appelle une caractéristique d'immunogénicité, c'est-à-dire qu'elle ne sera pas capable de faire se développer une sensibilisation qui n'avait jamais existé.

Dans la mesure où ces aliments nouveaux, ces OGM, sont soumis à des études de l'ordre de celles que l'on impose aux médicaments, il paraît tout à fait logique de transposer ce que nous faisons dans le domaine du médicament.

Lorsque nous commercialisons un médicament, nous savons parfaitement qu'il y a tout de même un risque qui ne peut pas être détecté avant commercialisation et nous faisons ce qu'on appelle une surveillance post-marketing . C'est un système que tout le monde connaît qui s'appelle un système de pharmacovigilance.

Pour cette raison, je pense que si réellement les OGM envahissent l'alimentation, il faut qu'il y ait une surveillance post-marketing .

Ceci veut dire qu'il faut un réseau national d'allergo-vigilance et que ce réseau doit être structuré et coordonné par un bureau de veille sanitaire du risque allergique qui serait, en somme, une sous-direction de la prochaine agence de sécurité sanitaire de l'alimentation.

Moyennant ceci, nous pouvons espérer, non pas atteindre un risque zéro, mais en tout cas le contrôler efficacement.

Je voudrais faire remarquer qu'autrefois, nous ne nous préoccupions pas de ces problèmes. Lorsque nous avons introduit le riz en Camargue, nous ne nous sommes pas préoccupés de savoir si la variété de riz était hypo- ou hyperallergénique. L'expérience montre que, par chance, nous avons choisi une variété hypoallergénique par rapport au riz japonais qui est très allergisant, mais cela aurait pu être le contraire.

Il ne faut pas en quelque sorte imputer aux nouvelles technologies des risques nouveaux dont nous nous serions occupés auparavant. En fait ce sont les connaissances qui font naître la préoccupation de risques.

A mon avis, il est possible, grâce à une surveillance d'allergo-vigilance post-marketing , de pouvoir veiller au risque. Restent à fixer les transmissions, les nécessités d'informations des allergologues et de dispositions pour les centres d'allergologies spécialisés de ces fameuses protéines transgéniques de façon à pouvoir éventuellement un jour ou l'autre dépister un risque de sensibilisation.

Je suis persuadée qu'avec ce système il doit être possible d'envisager tout de même à mon point de vue d'allergologue alimentaire, les OGM avec une relative confiance.

M. le Président - Merci beaucoup, Madame.

Comme dans le débat sur l'environnement ce matin, en-dehors de ce que vous venez de dire sur l'allergénicité et son risque et sur les autres dangers éventuels en matière de santé, nous avons des positions très opposées.

Là encore, le travail politique sera de prendre des décisions politiquement dures sur des certitudes scientifiques molles.

Lorsque je vous entends, c'est comme pour l'environnement, j'ai l'impression de voir - pas sur l'allergie, mais sur les autres sujets - ou tout blanc ou tout noir, il faut essayer de clarifier cela.

Si Monsieur Séralini dit qu'il y a des risques de génotoxicité, un certain nombre de risques en matière de cancérisation - nous parlerons des antibiotiques tout à l'heure - et de toxicité, cela veut dire que les commissions chargées d'examiner cela, ne font pas leur travail.

Nous avions une commission et comme nous en avons discuté hier dans la partie réglementaire, je crois que tout le monde est convenu de dire qu'il fallait faire évoluer les choses. Avoir pour la Commission du Génie Biomoléculaire, un système d'experts techniques qui font le contrôle ce n'est pas bon.

Nous arrivons pratiquement tous à une unanimité de la décision, à côté de ce système de ceux qui feront l'expertise technique, il faudra un système de vigilance ou de veille et de contrôle du risque de personnes venant de la société civile, des associations, du milieu de la recherche. Il faut que ces personnes viennent de différents milieux et qu'elles puissent effectivement donner un autre avis que l'avis scientifique pur.

Ce matin, lors de la table ronde sur la consommation, nous avons parlé de la notion de seuil comme si les OGM avaient déjà envahi nos étalages. Michel Edouard-Leclerc ne nous disait que cela et il demandait qu'il n'y ait pas de seuil car s'il y en avait un il étiquetterait tout OGM, ainsi ce serait classique et classé.

Ce matin nous n'étions pas du tout dans le débat qui est celui de cet après-midi, nous avions l'impression que tout ceci était déjà classé. Or il y a des décisions à prendre en matière de santé, qu'il y ait seuil ou pas. Si un produit OGM présente un risque sérieux en matière de santé, il faut l'interdire.

Si j'entends Monsieur Séralini sur un certain nombre de points sur lesquels nous reviendrons, il faut interdire un certain nombre d'OGM. Si j'entends Monsieur Gay ou Monsieur Rico, au contraire, il faut aller plus vite ou développer la totalité des OGM car il n'y a pas de risques.

Il faut donc cerner cette question et puisque les OGM se sont développés dans un certain nombre de pays du monde, je vais vous poser une première question. Je rappelais hier les chiffres qui sont impressionnants :

- 26 millions d'hectares dans le monde,

- 16 millions d'hectares aux Etats-Unis en 1998,

- 10 millions d'hectares dans trois pays principaux (Canada, Argentine, Chine),

- cela se développe un peu en Australie et c'est en train de se développer dans d'autres pays.

Ces études n'ont-elles pas été faites de manière sérieuse ?

Les risques potentiels indiqués par Monsieur Courvalin - je suis très sensible à la partie " antibiotiques " dont nous avions déjà eu l'occasion de parler lorsque j'ai auditionné Monsieur Courvalin - présentent-ils un réel danger ? Cette possibilité est-elle réelle ?

Monsieur Séralini je vous pose aussi cette question.

Pour vous, en l'état actuel des choses, faut-il tout interdire, y compris les OGM qui existent déjà, puisque vous dites qu'il y a risque en matière de santé ?

Au contraire, les probabilités de risque sont-elles si faibles qu'il n'est pas plus fort que pour des aliments classiques ?

Madame Moneret-Vautrin vient de dire qu'en matière d'allergies finalement les connaissances de la science faisaient qu'il y avait sans doute des risques nouveaux à étudier, ceux-ci n'étant cependant pas supérieurs à ceux que nous aurions eus sans l'existence des plantes OGM.

Faisons-nous supporter aux OGM tous les risques de l'alimentation ou faut-il aussi faire porter la suspicion sur la totalité des aliments ? C'est en quelque sorte ce que disait Monsieur Courvalin tout à l'heure.

Finalement est-ce la gestion des antibiotiques aujourd'hui qui est en cause ou les OGM en tant que tels ?

Je dis ceci en sachant qu'il faudra supprimer les constructions dont vous parliez tout à l'heure, Bernard Kouchner en étant d'accord comme il l'a dit hier soir ici.

Il faudra supprimer les constructions qui ont eu des résistances à des antibiotiques. Comme nous sommes capables de faire autrement, nous ne sommes pas obligés de les avoir et d'ajouter un risque supplémentaire à cette mauvaise gestion des antibiotiques que nous avons depuis 50 ans.

Je souhaiterais que vous puissiez vous exprimer sur ces sujets, avec des pour, des contre comme ce matin, que vous essayiez d'avancer dans le débat, non pas en parlant du risque potentiel, mais en parlant du risque pour les OGM.

Y a-t-il un risque nouveau du fait de l'apparition des OGM ?

M. Courvalin - Je n'ai pu venir ni hier ni ce matin, mais d'après ce que vous dites, le problème des gènes de résistance aux antibiotiques a l'air à peu près réglé dans les esprits.

Lorsque nous entendons Philippe Gay, finalement il n'y a pas tellement de différence. Evidemment les approches sont distinctes, mais nous sommes d'accord tous les deux pour dire que ces gènes sont parfaitement inutiles dans les constructions, ne serait-ce que parce qu'ils ne s'expriment pas dans la plante.

Nous sommes également d'accord sur le fait qu'il y a un risque potentiel de retour vers les bactéries. Il est sans doute faible, mais j'attire votre attention sur le fait que nous sommes incapables de l'évaluer. Encore une fois nous l'avons délibérément créé, il est inutile et nous sommes totalement incapable de l'évaluer ce qui est extrêmement gênant.

Nous sommes d'accord tous les deux sur le fait que ce sont des gènes inutiles, que c'est un danger potentiel.

Le fait qu'il n'ait pas été démontré est un argument très faible pour moi. Comme je l'ai dit cela n'a pas été beaucoup étudié et en plus, d'avoir travaillé pendant vingt ans sur les transferts de gènes dans les conditions naturelles, nous a appris beaucoup d'humilité.

Il est en effet extrêmement difficile de faire des expériences de reconstruction. Nous avons observé des transferts sur certains critères, nous étions sûrs qu'ils s'étaient produits dans la nature et nous avons eu beaucoup de mal à les reproduire en laboratoire alors que nous nous mettions dans les conditions que nous estimions les plus favorables.

En fait c'est sous-estimer les très nombreuses occasions d'échange d'ADN dans la nature. Dans le tube digestif, il y a des milliards de bactéries qui peuvent être en état de compétence, c'est-à-dire d'incorporer de l'ADN, d'autres lyses le relarguant.

Il y a en fait beaucoup plus d'occasions dans la nature de transferts de gènes que ce que nous arrivons à reproduire en laboratoire. Il y a même des manipulations que nous sommes encore incapables de refaire.

Comme je l'ai dit, ces notions évoluent très rapidement et les échéances au laboratoire, surtout lorsqu'elles sont négatives, ne sont absolument pas informatives. Le fait de ne pas avoir réussi à le refaire ne prouve pas que cela n'existe pas, il faut se méfier de ce genre d'argument que j'ai lu dans un papier en France : "Comme on ne l'a pas démontré, cela n'existe pas !". C'est en effet tout à fait anti-scientifique.

Je crois qu'il y a moins de divergences à ce niveau et qu'apparemment le problème a l'air réglé, les personnes ont compris quand même que...

M. le Président - ... Sauf que les personnes que j'ai vues après vous à qui je donnais vos arguments, me disaient que vous aviez raison au niveau scientifique, mais que la probabilité la plus forte de transfert de gènes est la conjugaison entre des bactéries.

Il est évident - et vous l'avez dit dans votre exposé liminaire - que même s'il y a peu de gènes de résistance dans des bactéries pathogènes du tube digestif qui sont en faible nombre, c'est là qu'existe déjà la probabilité de transfert.

Ceci est malheureusement dû au fait que de nombreuses bactéries, y compris des bactéries non pathogènes existent déjà avec des gènes de résistances multiples dans le tube digestif. Ne parlons pas des staphylocoques dorés pour lesquels certains citaient ce matin le chiffre de 10 000 morts dues aux infections hospitalières nosocomiales en France du fait de bactéries qui ont la totalité des gènes de résistance.

Le contre-argument donné sur un problème sur lequel personnellement je me suis fait une religion en tout cas pour l'avenir, la vraie question est : quand ?

Bernard Kouchner l'a dit hier soir, là-dessus je ferai cette proposition, mais quand faut-il la faire ?

Un certain nombre de constructions existent aujourd'hui dans notre pays. D'après toutes les auditions effectuées, si la probabilité d'acquisition de la résistance aux antibiotiques est faible, elle existe déjà malheureusement aujourd'hui du fait non pas des plantes transgéniques, mais de la mauvaise gestion de ces produits.

Il n'est pas du tout impossible qu'il y ait effectivement un jour un certain nombre de problèmes supplémentaires en termes de résistance à des antibiotiques.

Nous sommes d'accord là-dessus, mais que répondez-vous à l'argument scientifique qui m'a été rapporté ?

M. Courvalin - Encore une fois je l'ai écrit et rappelé au début de mon exposé et j'ai confirmé ce qu'avait dit Philippe Gay.

Il est vrai que les mécanismes développés par les bactéries pour transférer les gènes de résistance sont extrêmement efficaces dans la nature, très opérationnels, notamment dans le tube digestif. Il faut bien comprendre que le tube digestif est un écosystème extrêmement favorable aux échanges génétiques.

M. le Président - Combien de bactéries y a-t-il dans un tube digestif ?

M. Courvalin - Comme plus de 90 % ne sont pas cultivables, c'est difficile à quantifier, mais il y a des milliards de bactéries dans le tube digestif. Cependant l'immense majorité des espèces ne sont pas connues parce que nous n'arrivons pas à les cultiver.

Nous sommes tous d'accord sur le fait que la résistance aux antibiotiques est un problème majeur à l'heure actuelle.

Comme je l'ai dit, il n'y a absolument aucun nouvel antibiotique en perspective actuellement. Comme il faut dix à quinze ans pour en développer un, nous pouvons anticiper le fait que dans les dix prochaines années, la situation ne fera que se détériorer puisque les bactéries évoluent constamment vers la résistance, c'est un cas particulier de leur évolution.

Encore une fois, les systèmes développés par les bactéries pour transférer les gènes de résistance sont extrêmement efficaces.

Compte tenu de l'ampleur du problème, du fait que nous n'avons pas d'antibiotiques nouveaux, je crois qu'il n'est pas nécessaire d'ajouter un risque potentiel que nous sommes incapables d'évaluer, ceci même si sa fréquence est faible.

Pour moi ce n'est pas une excuse de dire que parce que les gènes sont là, qu'ils transfèrent etc., que nous ne pouvons en ajouter. Pour moi c'est un argument extrêmement faible. Cet argument est tenu par des personnes partisanes de mettre des antibiotiques comme suppléments dans l'alimentation animale. Elles le font en disant :

"Vous avez vu dans les unités de soins intensifs, c'est tragique, les hôpitaux, les infections nosocomiales et tout, qu'est-ce que cela peut faire de rajouter des antibiotiques dans l'alimentation animale ?"

C'est également un facteur d'évolution vers la dissémination de la résistance qui doit être pris en compte, qui est certainement plus important que ce que nous discutons aujourd'hui dans la dissémination de la résistance.

Là encore, en considérant le problème de santé publique posé, je crois qu'il ne faut pas surajouter à la mauvaise utilisation des antibiotiques en médecine humaine mentionnée par le président au début de cette session, des gènes de résistance dans les plantes transgéniques et ne pas utiliser d'antibiotiques comme suppléments dans l'alimentation animale.

M. Gay - Je voudrais éviter l'association "antibiotiques dans la nourriture animale et plantes transgéniques" et je vais me limiter à ces dernières.

Je suis un peu gêné d'entendre parler de risques que nous sommes incapables d'évaluer. Est-ce qu'un risque que nous sommes incapables d'évaluer en est un ?

Il faut faire très attention car il y a une sorte de dérive de la notion de risque. Tout d'un coup nous ne savons plus de quoi nous parlons, je prie Monsieur Courvalin de m'excuser, mais je n'aime pas cette faute logique qui, à la limite, va conduire les personnes un peu nulle part.

C'est introduire dans le public, une angoisse épouvantable : " il y a des risques que nous sommes incapables d'évaluer ", franchement qu'est-ce que cela veut dire ?

Le deuxième point sera plus technique. Comme j'ai déjà posé la question à Monsieur Courvalin, il pourra éventuellement revenir dessus.

Le généticien que je suis s'est posé la question de la résistance des bactéries d'une autre façon. A la limite, étant donné le taux de mutation très élevé des bactéries vers la résistance, un taux de mutation de l'ordre de 10 puissance moins 7 à 10 puissance moins 9 est un taux très élevé puisque la moindre population bactérienne atteint 10 puissance 9 par millilitres de culture où une colonie bactérienne représente déjà un nombre important de bactéries.

Pourquoi étant donné ce taux de mutation élevé, étant donné ces taux de transferts extrêmement élevés par conjugaison, c'est-à-dire par contact direct dans le milieu intestinal, toutes les bactéries ne sont pas résistantes ?

Que voyons-nous ? Nous nous apercevons en fait que les populations - je tiens l'information de Monsieur Courvalin, si jamais je me trompe, il me démentira immédiatement - tendent vers une sorte d'équilibre.

Qui dit équilibre dit que la proportion de ce qui cesse d'être résistant et de ce qui le devient, s'équilibre. Ces équilibres sont fonction non pas de la fréquence de mutation ou de transfert, mais essentiellement de la pression de sélection à laquelle sont soumises ces populations bactériennes, c'est-à-dire l'utilisation ou non d'antibiotiques dans le milieu.

Je crois que c'est très important car il est impossible de comprendre le phénomène de résistance aux antibiotiques si nous n'allons pas plus loin dans l'analyse que simplement une analyse ponctuelle des phénomènes de transfert. A mon avis arguer de possibles phénomènes de transferts n'est pas pertinent.

Le troisième point est qu'il y a des ordres de grandeur, on a cité des milliards de cellules de maïs. Je me suis livré à un petit calcul, si tout le maïs du monde était le maïs 176 de Novartis, il y aurait 10 puissance 24 copies du gène " ampicilline " de plus sur la planète.

Nous avons essayé de transférer ces copies qui sont présentes dans l'ADN de maïs, par transformation du colibacille et nous n'avons pas réussi. A l'inverse lorsque nous avons pris les plasmides entiers, nous sommes arrivés à des taux de transformation de 20 %.

Cela veut dire que des plasmides entiers tels ceux présents dans les corps bactériens dans les fèces, dans les bactéries cultivées dans les laboratoires, ces plasmides ont des taux de transfert, des taux potentiels de dissémination dans le système de transformation de colibacille, 10 puissance 10 fois au moins supérieurs à celui du maïs.

Cela veut dire que 10 ml de culture faits par un étudiant classique à l'université voisine a probablement un pouvoir de dissémination de résistance aux antibiotiques dans les colibacilles ou coliformes supérieur à l'ensemble de la culture du maïs si nous arrivions à prendre la totalité du marché mondial.

Je crois qu'il importe que nous fassions attention à ces ordres de grandeur pour ne pas, encore une fois, tromper l'opinion et transformer une souris voire un microbe en une montagne. C'est très important car le jour où la montagne arrivera, il s'agira de la voir, mais on la manquera peut-être car nous nous serons occupés par autre chose.

M. le Président - Nous allons peut-être juste terminer sur une question encore là-dessus car nous évoluons quand même vers un système où, y compris des fabricants jusqu'aux chercheurs, tout le monde dit que ce n'est pas souhaitable d'avoir ce type de construction.

La discussion est pour les plantes qui ont déjà été faites et l'argument qui consiste à dire qu'il ne faut pas en rajouter, même s'il y a des échelles de risques entre le risque par OGM avec le risque dans l'alimentation animale et l'utilisation des antibiotiques dans les hôpitaux.

Aux Etats-Unis j'ai vu Madame Saliers qui est une des grandes spécialistes de microbiologie et je lui ai posé la même question. Elle a organisé un colloque à Talloires - dont j'ai le compte rendu - et finalement la plupart des chercheurs ont conclu un peu sur l'opinion qui vient d'être indiquée.

Ils disent que le risque est pratiquement nul et elle m'a développé cela. Madame Saliers est professeur à l'université de l'Illinois et fait référence au niveau international.

Elle m'a dit qu'à son avis il faut les retirer - c'est la même position - mais que le risque potentiel est très faible dans la mesure où finalement les passages du végétal vers des bactéries du sol sont certes possibles, mais que la fréquence en est peut-être de 10 puissance moins 15.

Elle m'a également indiqué que les passages éventuels de cette bactérie du sol vers des bactéries intestinales bovines, puis humaines se font également à la même fréquence. Celle-ci est très faible par rapport à toutes les autres possibilités de conjugaison qui existent dans la nature.

Nous allons peut-être clore cette partie qui est plus scientifique que décisionnelle. Un certain nombre d'arguments ont été donnés et il y a également eu des arguments politiques. Il faut bien entendu essayer d'éviter au maximum les risques potentiels.

Nous allons aborder les toxiques.

Même si cela a été dit de façon plaisante, même si cela a été le plus tranché possible des deux côtés, il y a eu des arguments opposés les uns aux autres. Je souhaiterais que nous allions un peu plus avant.

Après votre audition, Monsieur Séralini, j'ai interrogé un certain nombre de chercheurs qui m'ont exprimé leur point de vue sur ce que vous indiquiez.

Non seulement la CGB, mais aussi le Comité supérieur d'hygiène française et la Commission des toxiques, ont étudié ces questions. Les accumulations - vous compariez au DDT - ne peuvent pas se faire, de nombreux pesticides ne s'accumulant pas. Un certain nombre de risques que vous indiquez avec des plantes transgéniques n'existent pas réellement.

Je souhaiterais que d'un côté et de l'autre vous puissiez éventuellement apporter des précisions en vous appuyant sur des travaux de recherche pour nous indiquer à tous ce qui est réel et que vous puissiez dire, Monsieur Rico, puisque vous êtes président de la Commission des Toxiques, si vous travaillez bien ou non.

Comme vous avez des avis opposés, cela signifie-t-il que toutes ces commissions travaillent mal ?

M. Séralini - Je voudrais dire un mot sur les faibles risques de transferts de gènes.

Il est vrai que le risque peut être faible, mais cela ne veut pas dire grand chose s'il y a une pression de sélection derrière. Nous pouvons travailler avec de faibles risques de transferts et réussir à cloner des choses très rares au laboratoire de cette manière.

Aujourd'hui, pour moi, le problème de la résistance aux antibiotiques n'est pas résolu dans la mesure où la variété cultivée en ce moment ou en train d'être plantée a ce gène de résistance.

M. le Président - J'ai posé la question importante : quand ? Le problème est là.

M. Courvalin - Comme vous l'avez dit, nous ne pouvons être experts et décideurs, ce n'est pas le genre de question à nous poser. Nous pouvons dire ce que nous pensons, mais c'est à vous de décider.

M. Séralini - Aujourd'hui le problème se pose, même si dans les intentions, il ne se posera plus dans l'avenir.

J'ai bien apprécié ce qu'a dit Madame Moneret-Vautrin sur la mise en place d'un réseau. Cela me semble tout à fait judicieux pour surveiller les allergénicités possibles de certains produits. Pour aider ce réseau, il serait absolument nécessaire qu'il y ait une traçabilité et un étiquetage des produits.

Aujourd'hui encore, les produits importés, ne sont pas clairement identifiés. En ce moment le problème se pose, cela me permettant de rebondir sur votre dernière question : les commissions travaillent-elles mal ?

Je crois que la question est très mal posée. Il me semble que les commissions travaillent bien, je leur fais confiance a priori. Mais, à ma connaissance, elles n'ont pas été sollicitées pour homologuer des herbicides aujourd'hui sur des plantes transgéniques puisque celles-ci nous arrivent par l'importation.

Monsieur Rico ne peut donc être mis en cause à ce niveau et je ne vois pas pourquoi vous posez la question en ces termes.

Monsieur Rico nous a parlé de dégradation d'un herbicide par la plante, c'est vrai. Il faut savoir aussi que les produits de dégradation des cancérogènes sont des cancérogènes activés.

Les enzymes qui, justement, dégradent les acétylations, les hydroxylations qui font partie des activités des enzymes cytochromes P450 que nous étudions au laboratoire et qui sont impliqués dans les dégradations de certains procancérogènes, les transforment aussi quelquefois en cancérogènes activés.

Ensuite nous avons parlé de seuil au-dessous duquel une exposition ou un effet ne se manifeste pas. Evidemment c'est lié là au problème du long terme. Monsieur Rico et moi-même avons parlé de long terme.

Le long terme pour les commissions est de 30 et 90 jours, de quelques mois pour les rats et de 20 à 40 ans pour un homme. A ce moment-là il est exposé non pas à un dérivé d'herbicide ou de pesticide de manière bien contrôlée, mais à une foule de substances qui viennent sur les mêmes enzymes de détoxication dans son foie.

Je crois qu'il faut être très prudent dans la mesure où un cancérogène peut ne pas avoir de seuil, être actif et conférer une mutagénécité. A ce moment-là il n'y a pas de seuil admissible qui puisse être pris en compte sinon au niveau statistique. Le fait est cependant que la statistique ne représente rien pour un individu vivant.

Je crois que le problème est le même pour les herbicides et les résistances aux antibiotiques. Vous me demandez de m'appuyer sur des références, je l'ai fait dans un texte que je vous ai envoyé.

Effectivement il y a des risques qui ne sont pas évaluables en l'état actuel de nos connaissances, Monsieur Gay, parce que tout simplement dire qu'il n'y a pas de publication sur un sujet ne veut pas dire que le risque est éliminé. Comme l'a dit Monsieur Courvalin, je crois qu'il est anti-scientifique d'estimer que c'est alors vrai, un risque pouvant ne pas être évaluable en l'état actuel des connaissances.

D'autre part je crois que ce serait un leurre de ne pas se servir de l'amélioration des connaissances sur les contrôles, y compris, puisque nous voulons être techniques, de la mesure du poste des adduits, du Roundup par exemple sur l'ADN des foies des animaux consommant ce produit à travers les plantes ou leur alimentation.

Ce genre de test évolue assez vite, mais les commissions ne changent pas leurs tests tous les jours. Lorsqu'un produit nouveau arrive, il est bon de réaliser de nouveaux tests.

Ces produits nouveaux sont susceptibles d'accumuler des herbicides dans leurs cellules puisque cela avait même empêché un soja de bien pousser, si je me réfère au rapport des dix ans d'expérience de la Commission du Génie Biomoléculaire. Ce soja accumulait du Roundup dans ses méristèmes, dans les parties de la plante en développement.

A mon avis le problème des faibles doses est tout à fait important surtout lorsqu'elles sont combinées entre plusieurs herbicides ou pesticides. Il ne peut être balayé d'un revers de main et il faut faire ces expériences.

Pour cette raison, nous demandons un moratoire et je fais tout à fait confiance aux commissions pour faire ces expériences ou les faire faire à condition qu'elles soient saisies du problème et qu'elles aient le temps de travailler dessus.

Il ne s'agit pas pour moi de mettre en cause les commissions, mais de dire qu'il faut faire de nouveaux contrôles. Nous ne pouvons pas dire qu'il y a des publications sur ces nouveaux contrôles puisqu'ils ne sont pas faits. Toute une série de contrôles est faite, mais il y en a aussi qui ne sont pas faits.

Cela dit, je ne considère pas que la vie est une maladie, mais que la vie c'est la santé et quelque chose de merveilleux. Il faut la maintenir et, pour cela, apporter au public le degré de sécurité que nous avons dans nos connaissances.

M. le Président - Je voudrais poser une question à Monsieur Rico. Il y a une Commission des Toxiques et Monsieur Séralini vient de dire qu'un certain nombre de contrôles nouveaux ne sont pas faits.

Quels sont les contrôles réalisés aujourd'hui dans notre pays ?

Est-ce qu'on étudie les problèmes de toxicité posés par de nouveaux produits dans la mesure il y a effectivement des métabolismes qui sont changés du fait de l'apparition d'un gène de résistance ?

Madame Moneret-Vautrin a dit que les produits des plantes transgéniques sont étudiés de la même manière que des médicaments. Ces études sont-elles effectivement faites ou non ?

M. Rico - Le glufosinate et le glyphosate ne sont pas des herbicides récents. Ils sont sur le marché, en particulier le glyphosate, depuis fort longtemps.

Effectivement dans le papier de Monsieur Séralini il est fait état pour le glyphosate de la formation d'adduits dans le foie du rat. D'abord la technique utilisée, le postmarquage au phosphore 32, est très difficile d'application et surtout d'interprétation.

C'est une technique que j'ai utilisée moi-même dans mon laboratoire à une certaine période. La difficulté est que lorsque vous prenez des animaux qui n'ont pas été traités, c'est-à-dire qui n'ont rien reçu, et que vous faites une recherche d'adduits sur un foie d'animal, il y en a toute une série qui apparaissent.

Vous avez un bruit de fond d'adduits dus aux produits que nous pouvons consommer et il est particulièrement difficile de faire la différence. Cette technique n'a d'ailleurs pas encore été validée.

Vous avez dit que les longs termes c'était disons trois mois. Je ne suis pas d'accord car nous avons des longs termes maintenant systématiquement de deux ans pour le rat, de dix-huit mois chez la souris, soit la période complète de vie pour les pesticides.

Contrairement à ce qui se dit, cela veut dire que nous avons des informations sur la toxicité à long terme.

La génotoxicité est étudiée au travers de toute une série de tests. C'est un ensemble de manifestations : mutation, aberrations chromosomiques, modifications de transfert de l'ADN, etc. Les tests sont maintenant codifiés au niveau de la Commission européenne. Ils ont été validés avec des protocoles parfaitement décrits.

Il ne faut pas dire que nous n'avons pas d'informations, ce n'est pas vrai.

M. Séralini - Je n'ai pas dit cela.

M. Rico - Nous avons ce type d'informations et nous l'analysons en toute bonne foi.

Contrairement à ce que vous avez dit, Monsieur le Président, je ne suis pas pour une libéralisation de tous les OGM, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Si vous avez compris mon intervention comme cela, c'est une erreur.

Je dis simplement que nous avons des estimations de risques à faire et que celles-ci dépendent d'un certain nombre de facteurs. Dans la commission que je préside depuis huit ans et qui l'était avant par Monsieur Truaud, également bon toxicologue, nous travaillons depuis de nombreuses années.

Cette commission sera renouvelée. Elle comprendra 50 personnes dont 36 toxicologues de spécialités différentes. Il y aura des toxicologues de l'environnement, des spécialistes de la génotoxicité, de la cancérogenèse, etc. Aussi lorsque nous donnons des avis, je pense que ce sont des avis.

M. le Président - Le glyphosate et le glufosinate ont-ils été étudiés avec leurs produits de dégradation par votre commission ?

M. Rico - Le glyphosate ne l'a pas été pour l'instant, puisqu'il n'a pas été enregistré pour être utilisé sur les plantes transgéniques.

Le glufosinate vient d'être autorisé, contrairement à ce que dit M. Séralini, il n'y a pas longtemps et nous l'avons examiné. Le métabolisme du glufosinate a été étudié au niveau des plantes.

Il y a un métabolite qui n'est pas particulier mais en plus grande quantité d'acétylation qui est connu. Ce métabolite a été testé au plan toxicologique, c'est-à-dire en toxicité et nous avons tous ces types d'informations.

Le glufosinate est utilisé dans des conditions bien précises avec des quantités bien données pour traiter le maïs transgénique. C'est une décision que nous avons prise très récemment.

M. le Président - Vous avez indiqué que les aliments qui viennent de l'étranger n'ont pas pu avoir été étudiés.

Les aliments qui proviennent de plantes transgéniques sont soumis à autorisation et nous savons éventuellement quel a été le transgène. Les avez-vous étudiés ?

M. Rico - Non, nous ne nous occupons pas de transgènes.

M. le Président - Avez-vous étudié l'effet du toxique qui correspond à ce transgène ? Lorsque vous avez un gène de résistance à un herbicide, étudiez-vous celui-ci ?

M. Rico - Oui, lorsque le gène de résistance a pour objectif de transformer le métabolisme de la plante, pour en fait transformer le produit.

Nous avons déjà fait les évaluations de toxicologie pour le glyphosate. Il y a longtemps qu'il est enregistré aux Etats-Unis. En France il a été étudié au niveau de l'OMS, etc.

Nous avons étudié les produits de transformation du produit sur la plante non modifiée, fait des évaluations, donné des limites maximales de résidus dans les denrées en fonction de toutes les informations que nous avions.

Si nous avons une plante nouvelle qui entraîne des modifications, c'est-à-dire une plante transgénique, le métabolisme de la plante nouvelle est étudié avec le produit.

M. le Président - Y compris si elle a été fabriquée à l'étranger ?

M. Rico - Un maïs transgénique a été fabriqué de la même façon en France ou aux Etats-Unis, c'est la même construction. Nous avons les études qui sont réalisées en France.

M. le Président - Le glyphosate n'est pas forcément construit de la même façon, est-ce cela que vous vouliez dire, Monsieur Séralini ?

M. Séralini - Nous parlons du Roundup, le glyphosate est un des composants du Roundup. Il y a peut-être des composants non identifiés.

En plus il est vrai qu'il peut y avoir des métabolites majoritaires, mais aussi des métabolites qui se lient à l'ADN et qui sont difficiles à extraire. Cela complique le travail des commissions et le long terme pour l'homme, c'est de 20 à 40 ans avec des expositions multiples.

Une chose qui peut être préoccupante est le fait que nous développons une politique d'utilisation de ces herbicides au besoin sur des plantes alimentaires. Le Roundup a-t-il été homologué pour le soja ?

M. Rico - Pour l'instant le Roundup n'a pas encore été autorisé en France.

M. Séralini - Mais nous importons du soja qui est traité au Roundup. Ce type de question peut se poser.

Nous sommes dans le même cas pour les allergies, pour les herbicides ou les antibiotiques. Il est difficile d'estimer le risque et il faut prendre des avis.

Pour les antibiotiques étant donné que c'est un problème de santé publique, nous disons non. Pour les herbicides le problème est différent puisque nous avons un bénéfice sur d'autres herbicides que nous utilisons moins. Il vaut mieux surveiller les herbicides qui seront davantage vendus. Il faut donc faire également un réseau de biovigilance, cela veut dire une traçabilité.

Par exemple pouvons-nous mesurer les résidus du Roundup dans le soja transgénique importé ? Non parce qu'il est mélangé au reste. Cela complique donc les études que nous pourrions faire a priori.

M. le Président - Cela veut-il dire que les études de toxicologie ayant été faites par les Américains et lorsqu'il y a importation, en aucun cas ces études ne sont faites au niveau européen ?

M. Rico - Lorsque nous avons des dossiers d'enregistrement de produits, ce sont des produits internationaux.

Nous avons effectivement les firmes Novartis, Bayer ou autres qui nous fournissent un dossier toxicologique comprenant toute une série d'éléments ; la liste est longue. Tous les tests réalisés l'ont été dans des laboratoires qui peuvent être américains, suisses, éventuellement français si c'est par exemple Rhône-Poulenc.

Tous ces tests réalisés l'ont été dans différents pays. Si l'EPA a donné une autorisation pour du soja qui est en fait du soja transgénique, il est évident qu'en termes de résidus, l'EPA a étudié les problèmes de résidus de soja.

Je suis tout à fait sûr que l'EPA - je la connais bien, elle fonctionne comme nous - a demandé ce type d'information. Par conséquent si cela a été autorisé, c'est que les conclusions des toxicologues qui se sont penchés sur ce dossier ont donné une définition de risques faisant que nous connaissons les métabolites et que nous pouvons les apprécier.

On me dit que nous ne connaissons pas tous les métabolites. Effectivement, nous ne les connaissons pas tous, mais certains sont quand même mineurs.

D'autre part nous avons dit aussi qu'il fallait faire attention, les enzymes étaient sollicités. Il faut faire très attention lorsque nous parlons de sollicitation d'enzymes là aussi en fonction des doses.

Les systèmes mis en place au niveau hépatique sont des systèmes qui ne s'appliquent pas aux substances hydrosolubles. Les systèmes P450 sont des substances fixant tout ce qui est liposoluble, il n'y a pas de spécificité.

Les capacités de biotransformation peuvent être dépassées si vous donnez des doses considérablement importantes. Si vous donnez des doses trop importantes, les processus de détoxication sont saturés et vous n'obtenez pas les mêmes résultats expérimentaux que ceux que vous avez.

La notion de dose est une notion très importante. Il faut savoir que nous ingérons journellement une quantité astronomique de xénobiotiques. Il ne faut pas croire que dans notre alimentation il n'y en a pas. On nous dit que ce sont des xénobiotiques naturels.

Je suis désolé mais ces xénobiotiques naturels ont les mêmes caractéristiques toxicologiques que ceux de synthèse. Une publication d'un certain Monsieur Hems vient de sortir, il est une référence en matière toxicologique, c'est lui qui a mis au point le test d'Hems pour faire la recherche.

Il vous dit que si vous mesurez dans une tasse de café la quantité de xénobiotiques qui s'y trouve, dont 19 produits naturels ont montré des propriétés cancérogènes sur la souris ou le rat et se sont donc révélés cancérogènes dans des tests à long terme, cette quantité correspond à un an d'ingestion de résidus de pesticides aux Etats-Unis.

J'ai la publication ici, je peux vous la montrer.

Il ne faut pas faire le distinguo entre naturel et non naturel. Les cytochromes P450 sont là pour trier voir ce qui vient, ce qui est naturel et ce qui ne l'est pas.

L'alimentation des individus comme celle des animaux varie avec le temps. C'est pour cette raison que ce système s'est progressivement adapté. L'alimentation de nos ancêtres n'était pas la même que celle que nous avons aujourd'hui.

Les bovins consomment des quantités de plantes dans lesquelles se trouvent de nombreux produits toxiques. Ils ont mis au point un certain nombre de systèmes de défense. Il ne faut pas oublier que les processus de détoxication sont quand même faits pour défendre les individus contre les toxiques qu'ils peuvent trouver dans leur alimentation.

M. le Président - C'est un cours de toxicologie très intéressant, néanmoins il est intéressant d'avoir de temps en temps des discussions techniques.

Monsieur Gay voulait dire un mot à ce sujet, je voudrais ensuite donner la parole à Madame Moneret-Vautrin qui a eu beaucoup de patience et puis peut-être poser une question complémentaire.

M. Gay - Je pensais pendant un moment que Monsieur Rico était un peu humble dans sa façon de présenter sa compétence et ce qu'il sait sur la toxicologie et concernant entre autres tous les processus sur lesquels j'ai pris un cours interne chez Novartis.

Pour tout ce qui est des propriétés cancérogènes, des métabolites secondaires, tout un travail est réalisé par les commissions des toxiques. Des études de carcinogenèse sont faites sur ces substances et sur ces substances activées, ce que Monsieur Séralini ignore ou ne citait pas.

A part cela, nous avons eu un petit cours de toxicologie et je vais arrêter, merci.

M. le Président - Madame Moneret-Vautrin vous avez tout à l'heure fait une proposition d'un système de biovigilance en matière d'allergie qui pourrait être relié au système de veille.

Le ministre est-il favorable à cela ? Nous l'avons auditionné hier soir et il n'en a pas parlé. Qu'en savez-vous ? Etes-vous soutenue dans ce projet ?

Pensez-vous de manière plus générale, cela a été le débat - et Monsieur Séralini, Monsieur Courvalin et Monsieur Rico en ont parlé - que tout le système de biovigilance en matière de plantes transgéniques par rapport à la santé humaine est bien organisé en France ? Comment faudrait-il l'organiser ?

Mme Moneret-Vautrin - Je pense que cette idée d'allergo-vigilance est effectivement une idée que je lance après réflexion.

Je vois en effet l'intérêt d'un système bien organisé comme le réseau "grippe" qui fait remonter des informations sur un laboratoire spécialisé, comme celui de pharmacovigilance qui, à mon avis, est moins bien organisé sur le territoire national avec cette fois une structure centrale de pharmacovigilance qui l'est parfaitement.

Dans une structure centrale d'agence de sécurité sanitaire, il faudra prévoir un bureau de risques allergiques qui sera fondé sur un réseau d'allergo-vigilance qui, lui-même, comportera aussi bien des laboratoires que des allergologues des centres spécialisés éventuellement en allergologie élémentaire, mais également des allergologues tous azimuts qui pourront dépister les nouveaux risques.

Non, le système n'est absolument pas organisé actuellement et je crois qu'en matière d'allergo-vigilance, nous n'avons pas de leçon à prendre de la FDA et nous n'avons pas à avaler leurs modèles tout crus.

Il faut vous dire que Monsanto a envoyé des experts, - ceux qui écrivent tous les articles sur le risque allergique et le dépistage de ce risque et de l'allergénicité - à de nombreux allergologues un peu spécialisés comme moi il y a un an. Il y a eu un véritable tour de démarchage psychologique de ce que nous sommes en droit d'appeler des "leaders d'opinion".

C'est très intéressant de voir, il faut le savoir, que toutes les personnes qui ont publié là-dessus sont des scientifiques affiliés à Monsanto. Mes collègues renommés pédiatres, allergologues comme Sampson, etc., ont tous fait partie justement à la fois des discussions du schéma de base de la surveillance et également ensuite des résultats.

Ce qui m'a frappée en étudiant de très près ce qui a été fait, est d'une part le caractère extrêmement satisfaisant théorique du modèle, mais en même temps les questions qui se posent à chaque moyen d'étude proposé.

Ce qui attire mon attention, et je trouve honnête de le dire, c'est que dans les articles toutes les questions qu'ils se sont forcément posées comme j'ai pu me les poser, sont éludées. C'est un magnifique schéma où nous avons l'impression que chaque moyen est suffisant pour parfaitement voir le problème.

Je n'ai pas grand chose à dire sur l'état actuel des OGM de première génération où nous sommes en train de nous battre beaucoup sur le problème des gènes de résistance aux antibiotiques et évidemment des gènes de résistance qui codent pour la protéine résistante à l'herbicide.

La raison en est très simple, ce sont des protéines exprimées de façon très faible, 0,4 % de l'ensemble des protéines du soja pour le soja résistant au Roundup. Il est vrai que 0,4 % de l'ensemble des protéines du soja, c'est infinitésimal pour un allergologue. C'est déjà un argument puissant de dire que le risque de sensibilisation pourrait être faible.

Ils ont également démontré que c'était détruit par un modèle de digestion gastrique en 15 secondes. Il faut savoir que certains allergènes majeurs des aliments sont parfaitement détruits par la digestion gastrique, mais que lorsque nous avons la curiosité d'analyser des fragments de ces allergènes majeurs, curieusement ils ne le sont pas.

Il faudrait peut-être avoir des modèles un peu plus étudiés de digestion intestinale. Dans les articles ils développent beaucoup les modèles de digestion gastrique et pratiquement pas les modèles de digestion intestinale.

Nous voyons bien qu'à chaque point du modèle américain, il y a une réflexion supplémentaire à apporter. Je pense qu'avaler tout cru le modèle américain risque tout de même d'être un peu dangereux pour les OGM de deuxième génération.

Ne nous faisons pas d'illusions, ces OGM de deuxième génération sont surtout les OGM à visée nutritionnelle. Lorsque nous parlons d'enrichir un aliment à visée nutritionnelle, ce ne sera pas du 0,4 % de protéines, mais du 4 à 6 %.

Lorsque nous savons qu'actuellement en Australie, nous avons un lupin transgénique qui, paraît-il marche admirablement bien pour la croissance des veaux avec une albumine d'une autre espèce et que bientôt dans l'alimentation humaine, la farine de lupin arrivera couramment, nous nous disons que dans dix ans cette fameuse farine de lupin transgénique des veaux risque bien d'être proposée à l'homme.

Indéniablement il faut prendre des précautions et je trouve qu'il doit y avoir une discussion sur un modèle européen ou français, je n'en sais rien, je ne suis pas du tout dans les sphères dirigeantes. En tant qu'allergologue clinicienne, je représente un point de vue qui manifestement peut être utile dans la réflexion sur les moyens d'étude à appliquer.

En ce qui concerne le modèle américain, à chaque niveau, des questions sont posées.

M. le Président - Merci, Madame, je crois que votre suggestion est importante.

M. Rico - Je partage tout à fait l'avis de Madame Moneret-Vautrin en ce qui concerne les deuxièmes générations car un problème majeur se posera vraiment.

Je partage tout à fait son avis, nous ne suivons pas nous, systématiquement les visions de l'EPA. Il m'est arrivé de "jeter" violemment des toxicologues américains il y a quelques années.

Ces toxicologues venaient me dire que comme l'EPA leur avait donné cette autorisation, ils ne comprenaient pas qu'en France nous ne la leur donnions pas. Je leur ai dit que nous n'étions pas Américains et que nous avions des techniques différentes.

Je voudrais dire qu'il existe une toxico-vigilance agricole qui s'est mise en place dans différentes régions, qui vise à surveiller en particulier les agriculteurs.

Dans le fond si nous réfléchissions bien, quelles sont les personnes véritablement exposées aux pesticides ?

Est-ce que ce sont les consommateurs ? Personnellement je ne le pense pas, car les concentrations sont faibles et que toutes les études faites aussi bien aux Etats-Unis qu'en France sur les mesures de résidus dans les denrées montrent que les limites maximales de résidus ne sont pratiquement jamais dépassées.

D'autre part c'est fait sur des produits frais, c'est-à-dire qui n'ont été ni lavés, ni épluchés. Lorsque nous dosons les pesticides sur une banane, nous les dosons sur la banane entière, donc lorsque vous enlevez la peau, certains partent, etc.

En revanche je pense et suis persuadé que les agriculteurs sont soumis à des agressions importantes par les pesticides. Par conséquent ce sont des témoins, des cibles qu'il faut particulièrement surveiller pour pouvoir mettre en évidence des effets toxiques qui ne sont pratiquement pas apparus sur les consommateurs.

M. le Président - Monsieur Séralini, vous souhaitiez répondre à ce qu'avait dit Monsieur Rico tout à l'heure.

M. Séralini - Aux Etats-Unis on admet que le Roundup est toxique pour les agriculteurs, c'est la troisième cause de maladie liée aux pesticides pour une université américaine.

Encore une fois je dis que tous les problèmes ne sont pas résolus. Parler du problème des faibles doses en disant que c'est la millionième ou milliardième partie d'un kilo, c'est aussi à ces doses qu'une hormone agit dans l'organisme. Parler d'une pièce de 50 centimes dans la ville de Paris, il est vrai que c'est également à cette dose qu'une hormone peut agir dans l'organisme.

Je comprends le souci du réseau de toxico-vigilance agricole auquel fait allusion Monsieur Rico et je crois que c'est très bien. Des consommateurs peuvent être cependant aussi exposés aux pesticides.

Nier le fait que les pesticides aient un effet sur la santé est une chose à laquelle je n'adhère pas. Les pesticides, surtout les liposolubles, peuvent également s'accumuler dans la chaîne alimentaire et il y a des pesticides homologués qui ont été ensuite interdits, y compris dans certains pays comme l'Allemagne.

Je crois qu'il faut être prudent et mettre en place un réseau de surveillance pour, une fois que nous avons fait les cultures, une fois que les produits sont là, doser de toute manière les résidus de tous ces produits que nous avons aujourd'hui à notre disposition dans les plantes et aussi dans les animaux qui les ont consommées.

Il me semble que c'est quelque chose qui pourrait très bien être mis en place, ne serait-ce qu'à travers le Comité de Biovigilance, le matériel est là pour le faire.

Il y a des précautions à prendre et je suis favorable à ce qu'on les prenne.

M. Courvalin - A propos de la biovigilance, je voulais indiquer l'expérience que nous avons eue de l'émergence de la résistance aux antibiotiques chez les bactéries.

Chaque fois qu'un nouveau mécanisme de résistance émerge, c'est ce qu'on appelle la théorie du périscope. Lorsque vous voyez un périscope c'est qu'en général il y a un sous-marin dessous. Lorsque nous détectons un gène de résistance c'est qu'il est déjà extrêmement répandu dans la nature.

Depuis vingt ans cela a toujours été le cas. Lorsque nous l'avons décrit, il l'était souvent aux Etats-Unis quelques mois plus tard. Le système de surveillance biologique est donc toujours extrêmement en retard sur ce qui se passe, c'est souvent beaucoup trop tard.

Par ailleurs à propos de la réunion de Talloires, vous avez cité Abigaël Saliers, cette réunion était organisée par l'université à Boston et était financée par Novartis ou Roche, entreprise suisse qui fait des transgènes. Ceci ne veut pas dire que les conclusions sont fausses, mais je crois qu'il faut le dire.

M. le Président - C'était Antoine Danchin qui la présidait.

M. Courvalin - Oui, il était là.

Enfin Philippe Gay disait qu'un étudiant qui fait une culture de 20 ml au laboratoire générait plus de gènes que...

M. Gay - ...de potentiel de dissémination.

M. Courvalin - ...plus de potentiel de dissémination que le maïs.

Il faut bien savoir que dans les laboratoires nous sommes tenus de stériliser nos cultures avant de les jeter. Tout passe à l'autoclave alors que là ce sont des gènes qui sont disséminés dans la nature. Il y a donc gènes et gènes et il faut absolument comparer l'environnement et l'utilisation que nous faisons des gènes.

Je voudrais poser une question au président.

Je ne suis pas député de l'actuelle majorité, personne n'est parfait, je ne suis pas non plus député de l'opposition, personne n'est totalement imparfait...

M. le Président - Cela peut venir.

M. Courvalin - Je ne sais pas comment je dois le prendre.

Il est strictement interdit aux chercheurs académiques de mettre un gène de résistance dans une espèce qui ne le possède pas. Je voudrais savoir pourquoi les chercheurs de l'industrie étrangère ont le droit de faire ce genre de manipulation et pourquoi les lois de la République ne s'appliquent pas également aux chercheurs académiques et à ceux de l'industrie.

M. Gay - J'ai lu une référence dans l'article de Monsieur Courvalin dans "La Recherche" que je vous conseille de lire car il contient toute l'argumentation pour et contre. Il suffit de le lire vraiment sérieusement car cet article contient beaucoup d'informations.

Dans cet article, il est fait référence à une publication sur un acinetobacter . J'ai mis mon nez dans cette publication et j'ai vu que nous avions construit une souche d' acinetobacter contenant le gène de résistance à la kanamycine par conjugaison avec un plasmide d'une autre bactérie.

Attention, certaines personnes enfreignent la loi, Monsieur Courvalin !

M. Courvalin - La résistance à la kanamycine a été décrite chez un acinetobacter , ce n'est donc pas un nouveau gène que nous mettons dans une bactérie qui était toujours sensible.

Par exemple, nous n'avons absolument pas le droit de mettre une pénicillinase chez le pneumocoque ou d'autres choses du même genre car l'espèce est toujours sensible. Dans le cas de l' acinetobacter , la résistance à la kanamycine est banale, il n'y a donc pas eu introduction d'un gène nouveau dans une espèce qui était constamment sensible.

La question que je pose est la suivante : comment se fait-il que les chercheurs industriels aient le droit d'introduire un gène dans une espèce qui ne l'a jamais possédé ?

M. le Président - L'introduction se fait suivant la loi des différents pays où cela a été introduit. L'introduction de ces gènes ensuite se fait après avis de commissions nationales.

M. Courvalin - La loi n'est pas la même !

M. le Président - Là l'introduction était déjà faite et ensuite la Commission du Génie Biomoléculaire a autorisé effectivement l'introduction de ces gènes.

M. Courvalin - C'est une loi à deux vitesses.

M. le Président - Pour toute introduction, vous êtes soumis à autorisation.

M. Courvalin - J'ai été dans la Commission de Génie Génétique pendant plus de dix ans, pour nous c'est strictement codifié. Par exemple je ne peux pas mettre la résistance à la vancomycine chez le pneumocoque. C'est très codifié.

D'un point de vue conceptuel, mettre un gène de résistance à l'ampicilline dans le maïs ou à la kanamycine dans la tomate ou le coton, c'est pareil, c'est introduire un gène de résistance dans une espèce qui en a toujours été dépourvue.

C'est en ceci que je dis encore une fois ce n'est pas de la bactériologie et c'est pour cela que je plaisantais sur le fait que je ne suis pas député de la majorité, je sors de mon domaine, mais cela a attiré mon attention en tant que chercheur.

M. le Président - C'est une bonne question mais nous n'allons peut-être pas la poser maintenant car M. Claude Allègre est déjà là.

Merci beaucoup en tout cas, Madame et Messieurs, pour cette table ronde, après les auditions des ministres tout à l'heure nous essayerons de faire le bilan de ces six tables rondes, je crois que cela a été très intéressant.

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