B. LES RÉSULTATS OBTENUS PAR LA KFOR : LE POIDS DES MISSIONS DE PACIFICATION INTÉRIEURE

La mission première de la KFOR -prévenir toute velléité de retour des forces serbes- n'a sans doute pas été la plus prenante depuis 18 mois, la KFOR ayant été largement mobilisée par une « pacification » intérieure visant à prévenir ou contenir les affrontements entre communautés , protéger les minorités des actes de représailles ou d'intimidation et veiller, là où la police civile ne pouvait le faire, à la sécurité intérieure d'une région en proie à la criminalité organisée.

1. La sécurité intérieure et extérieure

De juin 1999 à octobre 2000, date de départ de Slobodan Milosevic, la KFOR n'a pas eu de difficultés à faire respecter les termes de l'accord militaro-technique conclu avec les autorités yougoslaves, les forces serbes n'ayant pas tenté de pénétrer à l'intérieur de la zone démilitarisée ni, a fortiori, à l'intérieur du Kosovo même.

Il faut cependant rappeler que la résolution 1244 (paragraphe 4) a prévu qu'un « nombre convenu de militaires et de fonctionnaires de police yougoslaves et serbes seront autorisés à retourner au Kosovo » pour accomplir certaines tâches précisément définies : liaisons avec la MINUK et la KFOR, déminage, présence dans les lieux du patrimoine serbe, présence aux principaux postes frontière. Ce retour, dont le principe a été rappelé par les nouvelles autorités fédérales yougoslaves, ne semble pas aujourd'hui d'actualité.

Les problèmes de sécurité se sont concentrés sur deux difficultés : le maintien de la sécurité intérieure, et notamment la prévention des violences interethniques, d'une part et les actions menées dans la vallée de Presevo, hors du Kosovo, d'autre part.

. La reprise des actions dans la vallée de Presevo

La vallée de Presevo se situe au sud de la République de Serbie, aux confins de la Macédoine et de la limite administrative du Kosovo. Elle est peuplée de 70 000 albanophones, la population d'origine serbe représentant entre 10 et 30 % des habitants selon les parties de la vallée.

Depuis le début de l'année, une armée de libération de Presevo , Medvedja et Bujanovac (UCPMB) , qui revendique la séparation d'avec la Serbie, mène des actions violentes à l'encontre des forces de la police locale serbe présentes dans la zone démilitarisée de 5 km bordant le Kosovo.

Ces affrontements se produisent à la limite de la zone de responsabilité américaine (brigade multinationale est), et se développent à la faveur de l'impossibilité tant pour la KFOR que pour les forces militaires yougoslaves de pénétrer dans la zone démilitarisée. Ils se sont multipliés depuis l'élection de M. Kostunica, révélant une radicalisation de l'UCPMB, mouvement lui-même assez hétérogène mais pouvant entretenir des liens avec certaines organisations du Kosovo. Ces dernières pourraient exploiter devant l'opinion albanaise d'éventuelles actions de sécurisation de la zone entreprises par la KFOR. Pour autant, la KFOR ne peut laisser se développer des actes susceptibles de mobiliser l'opinion publique de Serbie, de raviver les tensions sur la question du Kosovo voire d'entraîner une réaction des forces armées et de police serbes. De surcroît, il serait dangereux de laisser s'ancrer l'idée d'un échange de territoires, le Kosovo abandonnant à la Serbie la région nord de Mitrovica et récupérant la vallée de Presevo, car cette solution ouvrirait la voie, dans toute la région, à une remise en cause des frontières.

Les nouvelles autorités de Belgrade se sont vivement inquiétées de ce regain d'activisme sans répondre toutefois à la provocation et en respectant les accords conclus avec la KFOR qui excluent l'envoi de troupes yougoslaves dans la zone démilitarisée. A la fin du mois de novembre, un cessez-le-feu était conclu sous l'égide de la KFOR qui renforce sa surveillance de la zone afin de prévenir les risques d'extension du conflit. La vallée de Presevo demeure néanmoins un point sensible de nature, à tout moment, à raviver les tensions.

. La sécurité intérieure

En matière de sécurité intérieure, la KFOR se trouve devoir suppléer la police de la MINUK dans plusieurs zones où cette dernière n'a pu prendre la relève, comme le prévoyait la résolution 1244. Il s'agit là de l'un des points faibles de l'action internationale dans la mesure où la force militaire ne devrait pas aller au-delà d'un soutien aux forces de police spécialisées dans la répression du crime organisé.

Les soldats de la KFOR effectuent chaque jour 500 à 750 patrouilles, montent la garde sur plus de 500 sites stratégiques et surveillent plus de 200 postes de contrôle des véhicules.

Mais la KFOR se trouve surtout confrontée aux violences interethniques qui concernent principalement la communauté serbe, victime de représailles de la part d'éléments extrémistes albanais, mais également les minorités rom, turque et bosniaque.

La KFOR assure ainsi la protection de la quinzaine d'enclaves serbes, telle celle de Gracanica dans laquelle la délégation s'est rendue, cette protection s'étendant à l'escorte des kosovars serbes lors des déplacements hors des enclaves.

La zone nord, sous responsabilité de la France, constitue le point le plus tendu puisque une communauté serbe nombreuse (40 000 personnes) y fait directement face à la communauté albanaise. La ville de Mitrovica symbolise cette coupure, matérialisée par la rivière Ibar et l'un des ponts qui l'enjambe, véritable abcès de fixation de toutes les revendications. La ville a été le théâtre d'affrontements violents au cours desquels les soldats français se sont interposés.

Votre délégation a constaté au contact des unités de la brigade multinationale nord les difficultés particulières posées par ce type d'actions, qui nécessite une préparation et un équipement spécifique. Elle a surtout constaté l'engagement considérable que représente la prévention de ces affrontements. Les unités françaises se sont ainsi efforcées d'identifier, logement par logement, les ressortissants minoritaires -albanais, turcs ou bosniaques en zone serbe au nord de l'Ibar, et serbes en zone albanaise au sud-, afin de garantir leur sécurité et celle de leurs déplacements. La sécurisation des zones de contacts entre communautés doit permettre de créer des « zones de confiance » au sein desquelles les populations pourraient progressivement reprendre une vie courante sans risque d'agression.

2. La démilitarisation de l'UCK et la création du Corps de protection du Kosovo

L'une des tâches principales de la KFOR était également de superviser le désarmement de l'UCK qui, à son apogée, comptait jusqu'à 20 000 hommes.

La KFOR a ainsi rassemblé et détruit 3 800 armes de petit calibre et 8 500 armes supplémentaires lui ont été remises. Il est néanmoins probable que malgré les remises spontanées et les saisies ultérieures de matériels, qui se poursuivent plusieurs mois après la fin des hostilités, beaucoup d'armes et de munitions demeurent dissimulées sur le territoire de la province . Pour autant, on peut constater que sans doute pour la première fois dans l'histoire, une armée de libération nationale s'est laissée très largement désarmer en quelques semaines.

Le second volet de cette action consistait à reconvertir les
ex-combattants de l'UCK dans la vie civile. L'UCK a ainsi été transformée en unité de sécurité civile -le Corps de protection du Kosovo (KPC) - destinée à l'aide aux populations et à la reconstruction. Cette unité compte aujourd'hui 5 000 hommes, mais au début de l'année 2001, l'effectif devrait être ramené à 3 000 hommes et les 2 000 autres devraient être versés dans la réserve, ce qui pose le problème de leur reconversion.

Les missions du KPC ne comportent pas le maintien de l'ordre public et n'impliquent pas la possession d'armements. Toutefois, environ 200 membres du KPC sont pourvus d'une autorisation de port d'armes et près de 1 800 armes ont été entreposées dans des lieux de stockage. Le KPC est dirigé par d' anciens commandants de l'UCK . Il est divisé en 6 groupements régionaux, eux-mêmes formés de 4 détachements. La délimitation des groupements régionaux ne coïncide pas avec le découpage des brigades et correspond en réalité aux zones d'influence des différents maquis durant les opérations contre les serbes.

Le maintien de l'emprise des chefs de maquis sur un organisme voué à des missions civiles crée une difficulté que les autorités internationales ont tenté de résoudre en imposant une rotation des commandants de groupement.

La délégation a recueilli une impression mitigée de la constitution du KPC, qui ne semble guère motivé par les missions de protection civile où l'on entend le cantonner et se considère plutôt, semble-t-il, comme l'amorce d'une future garde nationale d'un Kosovo autonome. Par ailleurs, l'intégration de kosovars non albanais dans cette unité s'avère difficile.

3. Les difficultés spécifiques liées au « contrôle de foules »

L'expérience des premiers mois de l'opération Joint Guardian démontre que les forces de maintien de la paix se trouvent confrontées à des situations d'engagement atypiques , totalement différentes de l'affrontement militaire classique, mais non assimilables à de simples opérations de maintien de l'ordre.

La foule apparaît en effet comme un acteur principal dans ce type d'opération, mais à la différence des manifestations habituelles dans nos pays occidentaux, elle peut comporter des éléments violents voire fortement armés, un attroupement pouvant en quelques minutes dégénérer en combat de rue.

Face à cette situation complexe, la brigade multinationale-nord a mis en place un dispositif axé sur l'intervention d'un escadron de gendarmerie mobile et d'une unité d'infanterie spécialement formée au contrôle de foules. Le principe est de faire intervenir en priorité l'escadron de gendarmerie mobile, afin de maintenir le degré de violence à son niveau le plus bas possible, et de tenir en réserve l'unité d'infanterie spécialisée. Cette compagnie de réserve opérationnelle est constituée à partir d'une unité d'infanterie formée, avant son envoi au Kosovo, dans un centre spécialisé de la gendarmerie mobile à Saint-Astier. Cette unité est équipée de matériels spécifiques, notamment de casques à visières, de boucliers et de protections.

Le bataillon danois, rattaché à la brigade multinationale nord, dispose d'une unité analogue.

Au vu de ces éléments, votre commission a effectué trois constatations.

Tout d'abord, il apparaît que dans une opération multinationale comme celle du Kosovo, les règles d'engagement varient considérablement selon les contingents . Plusieurs pays ont édicté des restrictions d'emploi interdisant la participation de leurs troupes à des actions de contrôle de foules pour lesquelles elles ne sont pas formées. Nous touchons là une limite de la multinationalité dans des opérations comportant des risques élevés. Pour parer ces difficultés, il est important que la nation-cadre, en l'occurrence, au Kosovo, celle qui commande la brigade, dispose d'un volume de forces suffisant pour faire face éventuellement seule à une situation critique dans laquelle elle ne pourrait compter de manière ferme sur la participation des autres nations.

Deuxièmement, on peut s'interroger sur l'implication de militaires dans des types d'engagement auxquels ils ne semblent que peu préparés. On doit pourtant constater qu'une situation de combat urbain peut, en quelques instants, émerger d'une manifestation qui dégénère, et dans un tel cas, une simple force de police est largement dépassée. Aussi est-il nécessaire de former et d'équiper des unités militaires capables de passer sans préavis du contrôle de foules au combat urbain , quitte à faire appel, dans un second temps, à des unités plus spécialisées.

Enfin, les particularités de ces crises qui se développent en milieu urbain rendent nécessaire un renforcement de la présence de forces de police à statut militaire , telles qu'en fournissent la gendarmerie française, les carabiniers italiens, la garde civile espagnole ou la garde nationale portugaise. Il est à cet égard important de mettre en oeuvre l'objectif de force européenne de police, évoqué au sommet européen de Feira au mois de juin dernier.

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