II. L'ACTION CIVILE INTERNATIONALE : UN TERRITOIRE SOUS ADMINISTRATION DIRECTE DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

Le retrait des forces et de l'administration serbes a laissé le Kosovo dépourvu de toute organisation politique et administrative. A travers la Mission intérimaire des Nations Unies pour le Kosovo (MINUK) et plusieurs centaines de fonctionnaires internationaux, les Nations unies assurent l'administration directe d'une province ainsi transformée en véritable protectorat international . Très rapidement toutefois, le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies a souhaité associer les Kosovars à l'exercice de ses responsabilités politiques et administratives, afin de hâter, autant que possible, le cheminement vers l'autonomie substantielle prévue par la résolution 1244. La Commission a pu constater l'importance de l'engagement personnel inlassable de M. Bernard Kouchner, auquel elle tient à rendre hommage à l'heure où s'achève son mandat. Cette démarche n'a pas toujours rencontré l'écho favorable qu'elle méritait auprès des communautés en présence alors que l'édification de l'état de droit et la reconstruction économique entreprises sous l'égide de la MINUK ne progressent que très lentement.

A. DU PROTECTORAT INTERNATIONAL A L'AUTONOMIE SUBSTANTIELLE

Aux termes de la résolution 1244, la MINUK s'est trouvée en charge de l'administration du territoire et de la population du Kosovo, investie de la totalité du pouvoir exécutif, législatif et judiciaire , situation sans précédent dans l'histoire des opérations de maintien de la paix.

1. Missions et organisation de la MINUK : un pouvoir absolu dans tous les domaines de l'administration du Kosovo

La résolution 1244 définit les principales responsabilités de la MINUK , à savoir :

- faciliter au Kosovo l'instauration d'une autonomie et d'une auto-administration substantielles,

- exercer les fonctions de l'administration de base,

- faciliter un processus politique visant à déterminer le statut futur du Kosovo,

- faciliter la reconstruction des infrastructures essentielles et l'acheminement de l'aide humanitaire,

- maintenir l'ordre public,

- promouvoir les droits de l'homme,

- veiller à ce que tous les réfugiés et personnes déplacées puissent rentrer chez eux en toute sécurité et sans entrave.

Ce mandat extrêmement vaste, le plus large jamais confié à une organisation internationale , justifie l'étendue des pouvoirs dévolus à la MINUK et à son chef, le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies, qui est investi de l'ensemble du pouvoir législatif et exécutif, exercé par des règlements et arrêtés. Ces missions sont de deux ordres :

- l'ensemble des fonctions relevant de l'administration de base, notamment la justice, la police, l'économie, les finances, les transports, l'éducation, la santé, les postes et télécommunications ;

- la conduite politique du processus menant vers l'autonomie substantielle de la province.

La MINUK supervise quatre secteurs principaux d'activité ou « piliers », confiés à quatre organisations internationales :

- l'assistance humanitaire , confiée au Haut Commissariat aux réfugiés, mission qui s'est achevée en juin 2000 compte tenu du retour au Kosovo de la plupart des réfugiés,

- l'administration civile , qui relève de l'ONU elle-même,

- la démocratisation et la création d'institutions, confiées à l'OSCE,

- et la reconstruction économique , prise en charge par l'Union européenne.

La résolution 1244 n'assigne aucune limitation dans le temps à l'action de la MINUK qui doit cependant se dérouler en trois phases essentielles :

- une première phase d'administration directe , durant laquelle l'autorité internationale doit créer les structures administratives, mettre en place une police internationale et restaurer les services publics,

- une phase de transfert progressif des responsabilités aux institutions provisoires d'un gouvernement autonome et démocratique du Kosovo, s'appuyant sur des représentants élus,

- enfin, le transfert des pouvoirs détenus par les institutions provisoires aux institutions qui auront été établies dans le cadre du règlement politique final du statut du Kosovo.

Dirigée par le chef de mission, assisté de quatre adjoints, la MINUK comporte 20 départements couvrant l'ensemble des secteurs intéressant l'administration de la province : agriculture, transports et infrastructures, éducation et sciences, services publics, santé et protection sociale, sécurité civile, administration locale, jeunesse, sports, culture, justice, postes et télécommunications, travail et emploi, environnement, non résidents, « gouvernance démocratique » et société civile, administration fiscale, commerce et industrie, entreprises publiques et reconstruction.

Au-delà des pouvoirs très étendus qui lui sont confiés, le poids de la présence internationale civile au Kosovo se ressent également par le nombre élevé d'agents internationaux présents dans la province. Au début de l'été, l'effectif international des quatre piliers s'élevait à un millier de personnes auxquelles s'ajoutent près de 4 000 policiers internationaux, portant à environ 5 000 agents le volume de la présence internationale civile au Kosovo. Ces effectifs n'incluent pas les nombreux intervenants étrangers relevant d'organisations non gouvernementales, ni les volontaires des Nations unies qui représentaient plus de 500 personnes.

Selon les informations fournies sur place à la délégation, les frais de fonctionnement de la MINUK s'élèveraient à près de 500 millions de dollars par an , soit un montant plus de deux fois supérieur au budget du Kosovo.

2. Une ferme volonté d'associer les Kosovars à l'action de la MINUK

Bien qu'énonçant l'objectif d'autonomie substantielle, la résolution 1244 confie paradoxalement un pouvoir absolu et sans partage au Secrétaire général des Nations Unies et à son représentant spécial. L'un des premiers soucis de M. Bernard Kouchner a été d'estomper cette apparente contradiction, en souhaitant hâter la prise de responsabilité par les kosovars.

La volonté d'associer aussi rapidement que possible les représentants de la population à l'action de la MINUK s'est traduite, dès décembre 1999, par l'instauration d'une structure administrative intérimaire commune consistant à établir aux différents échelons des modalités de participation des différents acteurs locaux.

Un Conseil administratif intérimaire associant quatre représentants de la MINUK et quatre représentants kosovars (les trois leaders albanais parties aux discussions de Rambouillet, MM. Rugova, Thaci et Qosja, et un représentant de la communauté kosovare serbe, Mme Trajkovic) est ainsi directement placé avec un rôle de conseil, auprès du représentant spécial.

Instance plus large, le Conseil transitoire du Kosovo comporte 35 membres : les quatre Kosovars membres du Conseil administratif intérimaire, 10 représentants des partis politiques, 3 représentants des communautés religieuses, 10 représentants de la société civile et 8 représentants des communautés nationales. Il se réunit chaque semaine en présence des principaux responsables de la MINUK et joue le rôle de conseil consultatif.

Enfin, les 20 départements de la MINUK sont codirigés par un administrateur international et un représentant local émanant des principaux partis politiques et des communautés nationales.

Le bilan de l'implication des Kosovars dans ces différentes instances est inégal mais néanmoins globalement encourageant.

Les représentants de la communauté serbe sont apparus divisés. Après une période marquée par un refus général de participer aux structures de la MINUK, les uns, plutôt représentatifs des enclaves serbes et regroupés au sein du Conseil national des Serbes de Gracanica, ont accepté, à partir d'avril 2000, de participer aux réunions, dans un premier temps en qualité de simples observateurs. Cette décision a été notamment inspirée par l'évêque de l'église orthodoxe serbe du Kosovo, Monseigneur Artemije, malgré les pressions de Belgrade et des éléments serbes radicaux. Les Serbes de la zone contiguë de la Serbie, qui ont formé un Conseil national des Serbes de Mitrovica, ont quant à eux maintenu leur opposition à ces structures conjointes.

Le degré d'engagement des différentes parties en cause avance au gré des évolutions de la conjoncture politique. Ainsi, les représentants serbes ont provisoirement suspendu leur participation aux structures administratives conjointes durant le mois de juin pour protester contre les actes de violence ethnique perpétrés à l'encontre de Kosovars serbes. Mais malgré ces difficultés, ces structures conjointes ont eu le mérite d'offrir rapidement un cadre au dialogue entre communautés et surtout d'inciter les Kosovars à s'impliquer davantage dans l'oeuvre de reconstruction.

3. Les élections municipales : la victoire de M. Rugova

Organisées le 28 octobre pour désigner les 30 municipalités de la province, les élections municipales ont été précédées par une opération de recensement et d'inscription sur les listes électorales.

Suivant très largement les consignes de Belgrade, parfois sous la pression d'éléments extrémistes, les Kosovars serbes ont refusé de se faire enregistrer . Il en est allé de même d'une large fraction de la minorité turque, pour des raisons essentiellement liées à des revendications portant sur le statut de la langue turque et les modalités de représentation de la communauté. Le représentant spécial doit néanmoins désigner les représentants de ces deux communautés dans les conseils municipaux où des sièges leur ont été réservés.

Malgré quelques incidents de campagne reflétant les rivalités entre formations politiques albanaises, les élections se sont déroulées dans le calme, et 79 % des 913 000 électeurs inscrits se sont déplacés.

Dans trois municipalités, à dominante serbe, les conseils municipaux seront intégralement nommés par le représentant spécial. Dans les 27 autres, l'élection a vu la très large victoire de la Ligue démocratique du Kosovo de M. Rugova , qui a remporté 58 % des suffrages , le Parti démocratique du Kosovo de M. Thaci ne recueillant que 27,3 % des voix et ne l'emportant que dans six municipalités.

Ces premières élections démocratiques représentaient, pour la communauté internationale, un enjeu important, dans la mesure où elles marquaient l'amorce d'un retour à un fonctionnement normal des institutions et devaient conduire les responsables politiques kosovars à prendre la responsabilité de domaines essentiels pour la vie quotidienne de la province, qu'il s'agisse des équipements et services publics locaux ou de leur financement par la mise en place d'une fiscalité locale.

De ce point de vue, les objectifs ne semblent que très partiellement atteints, la campagne électorale s'étant effectuée sur les thèmes politiques et, en premier lieu, la revendication de l'indépendance.

Les élections municipales du 28 octobre

Résultats dans 27 municipalités sur 30*

(Source : OSCE)

Inscrits

Votants

Exprimés

Ligue démocratique du Kosovo

Parti démocratique du Kosovo

Alliance pour l'avenir du Kosovo

Parti chrétien démocrate albanais

Parti d'action démocratique

Parti libéral du centre

Initiative citoyenne de Gora

Parti libéral

Parti bosniaque d'action démocratique

Parti républicain

Parti national démocratique albanais

Parti musulman de la réforme démocratique

Parti démocratique ashkali

Autres (11 partis et 15 candidats individuels)

913 179

721 260

687 332

398 872

187 821

53 074

8 533

3 653

5 329

1 789

4 138

4 068

2 377

1 980

1 769

1 552

12 377

58,0 %

27,3 %

7,7 %

1,2 %

0,5 %

0,8 %

0,3 %

0,6 %

0,6 %

0,3 %

0,3 %

0,3 %

0,2 %

1,8 %

504 sièges

267 sièges

71 sièges

8 sièges

4 sièges

3 sièges

3 sièges

2 sièges

2 sièges

1 siège

1 siège

1 siège

1 siège

1 siège

*Dans les trois autres, les conseils municipaux sont directement désignés par le représentant spécial.

Commentaires

Arrivée très largement en tête de scrutin, la Ligue démocratique du Kosovo (LDK) de M. Rugova emporte 21 des 27 municipalités et notamment les plus importantes : Pristina (avec 65,9 % des voix), Prizren (57,2 %), Pec (65,1 %), Dakovica (59,7 %) Urosevac (67,9 %), Gnjilane (62,6 %), Podujevo (65,2 %). Malgré une campagne discrète de son leader, la LDK bénéficie de la reconnaissance du travail accompli lors de la mise en place d'institutions parallèles après 1989.

Le Parti démocratique du Kosovo (PDK) de M. Thaci n'est en tête que dans 6 municipalités de moindre importance dont Glogovac (84,5 % des voix) et Srbica (84,0 %). Le PDK doit ainsi abandonner dans plusieurs municipalités l'autorité de fait qu'il exerçait depuis le retrait serbe.

Fondée par un ancien commandant de l'UCK, Ramush Haradinaj, l'Alliance pour l'avenir du Kosovo (AAK) s'impose comme la troisième formation politique de la province. Avec une totalisation de 7,7 % des voix, l'AAK ne remporte aucune municipalité mais parvient dans certains secteurs à se placer en deuxième position, après le LDK, notamment à Pec (17,8 %) et à Dakovica (16,8 %).

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