N° 83

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 16 novembre 2000

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur les crédits d'aide publique au développement affectés aux pays du Maghreb,

Par M. Michel CHARASSE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, vice-présidents ; Jacques-Richard Delong, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier,Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri Torre, René Trégouët.

Aide au développement.

COMPTE-RENDU DE MISSION DE CONTRÔLE BUDGÉTAIRE

18 - 27 JUILLET 2000

(Achevé de rédiger en octobre 2000)

Conformément aux dispositions du dernier alinéa de l'article 164-IV de l'ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958, le compte rendu du contrôle soumis à la commission des finances et dont elle a décidé la publication, a été très largement expurgé de toutes les observations, même les plus justifiées, relatives à des " sujets de caractère secret concernant (...) les affaires étrangères " (art. 164-IV précité) et plus généralement de tous les éléments dont la publication serait de nature à compromettre les relations de la France avec les pays du Maghreb.

De même, ne sont pas rendues publiques les observations parfois très sévères mettant en cause des personnes physiques ou morales nommément désignées, et plus généralement, toutes les mentions susceptibles de nuire, par leur publication, aux intérêts français.

Dans sa version intégrale, le compte rendu du contrôle a été transmis, pour réponse éventuelle, aux autorités compétentes de l'Etat, -notamment au ministre des Affaires étrangères, au ministre délégué à la Coopération et au ministre de l'Economie, des finances et de l'industrie-, ainsi qu'au Président de la République, au Premier ministre, et au Premier président de la Cour des comptes.

Seul, le ministère des Affaires étrangères a renvoyé, le 8 mars 2001, une réponse détaillée aux différentes observations du rapporteur spécial.

Le présent rapport reproduit donc l'intégralité des réponses faites à la partie du rapport rendu public.

Le ministère de l'Economie, des finances et de l'industrie et l'Agence française de développement n'ont, à la mi-avril, fait part d'aucune observation.

I. PRINCIPALES OBSERVATIONS

Le 22 juin 2000, le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) s'est intéressé à la " rénovation de nos relations de coopération avec les pays du Maghreb ", pour considérer qu'il était " amplement justifié de repenser notre dispositif de coopération, non seulement entre Etats, mais aussi entre sociétés civiles, pour mieux répondre aux enjeux de cette région en pleine émergence "...

C'est dans cette optique que la présente mission de contrôle a été effectuée. Malgré sa brièveté, elle n'a pu que conforter la nécessité de remettre à plat un dispositif d'aide qui représente à lui seul près de 7 % du total de l'aide publique française, et 16 % du total de la seule aide publique bilatérale 1 ( * ) .

En préambule, il paraît nécessaire de relativiser la notion de " Grand Maghreb ", et, partant, le bien-fondé d'une politique globale à l'égard de ces trois pays, tant ils apparaissent, du moins en l'état actuel, divergents sur presque tous les plans. Sauf à considérer que l'aide publique au développement doit précisément viser à homogénéiser ces trois Etats, dans l'optique d'un grand " partenariat euroméditerranéen ".

Avec un territoire restreint (163.000 km²) et moins de dix millions d'habitants, la Tunisie se détache clairement des deux autres pays par son rythme de croissance et son niveau de développement économique et social, même si celui-ci se fait au prix d'une certaine rigidité démocratique. Des trois pays, elle est le seul à relever clairement de la catégorie des PRI (pays à revenu intermédiaire), avec des besoins prioritaires dans deux secteurs différents : la " mise à niveau " du secteur productif et le renforcement de l'état de droit.

Par comparaison, le Maroc, avec 450.000 km² et trente millions d'habitants, est plus proche d'un PMA (pays les moins avancés) d'Afrique subsaharienne, et sa population rurale figure parmi les plus pauvres du monde. Le règne de Mohammed VI est aujourd'hui confronté à un double défi démocratique et social : les besoins à ces deux titres sont considérables, alors que la dépense publique marocaine y est, pour l'instant, peu encline.

L'Algérie constitue un cas particulier, qui ne peut, en l'état actuel, être ni assimilé ni même associé aux deux autres pays : c'est un pays cinq fois grand comme le Maroc (2.380.000 km²), pour le même nombre d'habitants, qui fonde l'essentiel de ses revenus sur la seule ressource pétrolière, et au sein duquel la persistance d'une forte insécurité, dès que l'on sort d'Alger, handicape considérablement tous les projets de développement.

Entre ces trois pays, les relations sont encore limitées 2 ( * ) , parfois même conflictuelles 3 ( * ) . De fait, les perspectives de " grand marché régional " évoquées dans diverses enceintes internationales paraissent un peu utopiques et en tout cas prématurées.

Dans ce cadre, l'aide globale accordée à ces trois Etats par la France depuis une dizaine d'années atteint des montants considérables : cinq milliards de francs pour les crédits mis en oeuvre par le ministère des Affaires étrangères depuis 1995, plus d'une dizaine de milliards de francs par l'Agence française de développement depuis 1992, près d'une quinzaine pour l'enveloppe des protocoles financiers. Si l'enveloppe Affaires étrangères a été progressivement réduite depuis 1997, l'enveloppe économique et financière continue sur sa lancée, avec une multiplication de procédures nouvelles, complétées par un important dispositif de reconversion de dettes et l'octroi de " lignes céréalières ".

De fait, aujourd'hui, ces trois pays sont, avec le Vietnam, les seuls à bénéficier de la totalité des instruments français d'aide au développement.

Or, le bilan de ces moyens considérables, tel qu'il a pu être établi au terme d'une mission très brève, n'apparaît pas toujours positif.

Certes, un long usage a ancré dans ces trois pays des habitudes confortables de relations traditionnelles et d'autant plus bienveillantes et policées qu'elles se fondent peut-être, côté français, sur un sentiment de culpabilité mal résolu.

A des degrés divers, aucun de ces trois états ne semble prêt à modifier ses habitudes, tous paraissent peu enclins à mettre en oeuvre un véritable " partenariat ", à objectifs et contraintes partagés, et chacun est encore assez réticent à l'encontre des notions d'" état de droit " et de " lutte contre la pauvreté ", qui fondent en principe l'aide française.

Ceci, pour autant, ne remet pas en cause les principales observations suivantes, qui conduisent à souligner l'efficacité parfois limitée des résultats obtenus par l'aide française accordée à ces trois pays au regard de l'ampleur tout à fait exceptionnelle des moyens financiers et humains qui leur sont alloués, en tout cas au Maroc et en Tunisie. Le cas de l'Algérie est en effet plutôt inverse, dans la mesure où l'importance financière de notre aide semble actuellement difficilement compatible avec le très faible effectif des équipes chargées de la mettre en oeuvre sur place.

D'une manière générale, les moyens mis en oeuvre par le ministère des Affaires étrangères sur le titre IV apparaissent dans l'ensemble encore très traditionnels.

La " culture DG " (ex. Direction générale de la coopération culturelle scientifique et technique) reste prééminente, et le greffon " Coop ", certes d'implantation toute récente, ne semble pas avoir encore pris. Prédominent encore les actions de coopération culturelle, éducative et linguistique, de préférence en direction des élites, par le biais d'une politique de " guichets " assez classique, reconduite sans évaluation systématique, et privilégiant plutôt les relations bilatérales et cloisonnées au détriment d'une vision prospective, cohérente et coordonnée. Le recours aux subventions et aux achats à opérateurs prévaut encore largement sur la logique de projets, qui reste assez absente. La dispersion de nos actions conduit à une dissémination qui finit souvent par les rendre illisibles. Aucune " stratégie-pays ", n'est, à aucun moment, véritablement sensible, ni même simplement évoquée.

L'entrée récente de ces trois pays dans la zone de solidarité prioritaire s'est traduite par leur accessibilité au Fonds de solidarité prioritaire (ex FAC). Or l'utilisation de cet instrument paraît ici un peu détournée de son objectif initial : elle constitue en effet trop souvent une solution à la diminution des crédits du titre IV, au profit de crédits pluriannuels et d'une gestion sans doute plus confortable, sans pour autant que soit prise en compte la nature même du titre VI, en principe réservé à des dépenses d'investissement. En l'état actuel des textes, et notamment de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, elle risque donc rapidement de tomber sous le couperet du contrôle financier.

Les équipes en place semblent encore relativement handicapées par la conjonction de plusieurs éléments parfois incompatibles entre eux : mise en oeuvre de la grande réforme comptable du ministère des Affaires étrangères, mais maintien du système d'établissements à autonomie financière contradictoire avec ladite réforme (Institut français de Tunis), renforcement des procédures de déconcentration, enfin lente mise en place de la nouvelle Direction générale de la coopération internationale au développement (DGCID).

De fait, au vu des chiffres fournis, le taux de consommation des enveloppes programmées apparaît le plus souvent plutôt médiocre. En réalité, le sentiment d'une absence de lien entre programmation et réalisations contribue à nourrir l'impression qu'il y a trop d'argent, et - sauf en Algérie -trop de monde.

Le travail accompli par l'Agence française de développement paraît de bonne qualité. Il est le plus conforme à la notion d'aide au développement -notamment au Maroc- et le plus économe en moyens : -ainsi au Maroc, il n'y a pas plus d'agents à l'Agence française de développement qu'à la trésorerie de la Chancellerie et trois fois moins qu'au Service de coopération et d'action culturelle-. Le rythme de décaissement des projets apparaît toutefois encore faible, ce qui amène à rappeler, de manière générale, la nécessité de mieux évaluer les projets avant de les proposer à l'approbation définitive du Conseil de surveillance de l'Agence française de développement.

En revanche, l'intervention des différents services (Trésor, DREE) qui composent les Missions économiques et financières laisse un peu dubitatif. Richement dotés en hommes et en équipements bureautiques et informatiques, travaillant manifestement de façon autonome, se référant directement aux bureaux parisiens plutôt qu'à l'ambassadeur, pourtant seul chargé de coordonner l'action de tous nos agents locaux, ces services mettent en oeuvre des enveloppes conséquentes, qui se traduisent souvent par des reliquats considérables, notamment sur les protocoles d'aide projet, et des dispositifs toujours nouveaux qui ne semblent pas parfaitement maîtrisés, notamment pour ce qui concerne les procédures FASEP.

Enfin, on ne peut qu'être indigné de l'incroyable inefficacité de l'Europe, en particulier les crédits du programme Meda I, censé être clos depuis 1999. Sur une enveloppe globale de 1.242 Meuros 4 ( * ) , soit plus de huit milliards de francs, dont deux d'origine française, un quart seulement avait été décaissé 5 ( * ) à la date de la mission.

Ressort donc bien, en définitive, la nécessité d'une révision approfondie de notre dispositif, notamment de notre contribution européenne, face à la lisibilité parfois incertaine de notre politique et surtout à l'insuffisance des résultats obtenus au regard de l'ampleur considérable des moyens financiers et humains consacrés à ces pays depuis de nombreuses années.

Votre rapporteur estime que, avant tout et de façon générale, il serait opportun d'établir, pour chaque pays bénéficiant de différents instruments de l'aide publique française, une fiche synthétique , " normée ", et centralisée des différentes aides affectées à notre partenaire, réparties par instrument ou par " canal ".

L'absence de document de ce type oblige en effet à recouper ou à juxtaposer des informations de source différente, donc pas nécessairement comparables ou pas toujours compatibles, ce qui n'évite pas, de fait, le risque d'approximation ou d'erreur.

Surtout, elle est évidemment incompatible avec la définition et l'analyse d'une " stratégie-pays ", la hiérarchisation des priorités, le calibrage des moyens à leur affecter et la coordination des différents instruments mis en oeuvre .

* 1 Comité d'Aide au Développement de l'OCDE - Rapport 1999 (chiffres 1998).

* 2 Il est significatif de constater qu'entre chaque capitale, les devises des pays voisins sont non convertibles.

* 3 Cf. le dossier du Sahara occidental.

* 4 183 Meuros pour l'Algérie, 429 Meuros pour la Tunisie, 630 Meuros pour le Maroc.

* 5 0 % de l'enveloppe pour l'Algérie, 43 % pour la Tunisie et 20 % pour le Maroc.

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