II. AIDER TOUTES LES FEMMES À MAÎTRISER LEUR FÉCONDITÉ

La maîtrise de la fécondité n'est pas nécessairement l'apanage exclusif des femmes : dès lors qu'un couple est constitué, elle doit autant que possible faire partie intégrante du projet commun et impliquer, de manière positive, autant l'homme que la femme . Cependant, la sexualité est loin de n'être qu'une affaire de couple, et l'on ne saurait ignorer ni celle des adolescents et des jeunes adultes, qui ne s'inscrit pas dans un tel projet, ni le fait que de nombreuses femmes vivent seules. Enfin, même dans les couples stables, la décision peut parfois reposer sur les seules épaules des femmes. Aussi, en dernière analyse, ce sont bien les femmes qui doivent être en priorité aidées, informées, accompagnées et protégées, pour qu'elles puissent toutes user de l'intégralité de leurs droits dans les meilleures conditions.

A cet égard, s'il semble aujourd'hui nécessaire d'adapter les lois de 1967 et de 1975 pour élargir l'accès à la contraception et le recours éventuel à l'IVG, il s'avère tout autant indispensable d'accompagner l'évolution du dispositif normatif par d'autres mesures propres à favoriser la diminution du nombre des IVG en France.

A. ADAPTER LA LOI NEUWIRTH ET LA LOI VEIL

Quelque vingt-cinq ou trente années après leur adoption, les lois Neuwirth et Veil ont fait la preuve de leur utilité, mais aussi de leurs limites au regard de l'évolution tant des mentalités de la société française que des techniques médicales. Certaines de leurs dispositions constituent des freins qu'il convient d'ôter pour atteindre mieux les objectifs qu'elles s'étaient fixés et répondre à des difficultés qu'il paraît légitime de vouloir supprimer.

1. Faciliter l'accès à la contraception

Cet élargissement s'entend de l'offre de contraception comme de la demande : il s'agit de favoriser l'une et l'autre, tout en tenant compte, par ailleurs, de modifications normatives intervenues à l'échelon européen.

a) La stérilisation

Le projet de loi a été amendé par l'Assemblée nationale, à l'instigation de sa Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes et de sa Commission des affaires culturelles, familiales et sociales, pour autoriser la stérilisation volontaire des hommes et des femmes.

La stérilisation consiste, pour les femmes, en une opération, lourde, de section, ligature ou obstruction des trompes utérines réalisée sous anesthésie générale et, pour les hommes, en une intervention plus légère pratiquée sous anesthésie locale, la vasectomie (ligature ou section des canaux excréteurs des testicules).

Cette méthode de régulation des naissances est aujourd'hui peu développée en France (entre 25 000 et 30 000 personnes y ont recours chaque année, pour l'essentiel des femmes pour qui d'autres méthodes de contraception sont contre-indiquées), contrairement aux pays anglo-saxons, où les taux de stérilisation masculine et féminine dans les couples en âge de procréer vont de 25 % en Grande-Bretagne à près de 45 % au Canada.

Certes, les traditions culturelles latines de notre société l'expliquent. En outre, il s'agit d'un choix réellement délicat à prendre puisque si les techniques médicales autorisent théoriquement la réversibilité, celle-ci est en réalité très aléatoire et ne peut donc être garantie. Dès lors, cette méthode participe le plus souvent d'une décision à caractère définitif, que prennent des individus ou des couples ayant réalisé leur projet parental, donc tardivement dans leur vie féconde.

Enfin et surtout, nul texte dans notre droit n'autorise ou n'interdit explicitement la stérilisation. Les seules références juridiques actuelles sont l'article 222-9 du code pénal qui sanctionne les "violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente" et l'article 16-3 du code civil qui ne permet "de porter atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne" . La lecture même de ces dispositions permet de constater qu'elles ne sont guère adaptées à une démarche volontaire qui, si elle répond à ce que les intéressés considèrent comme une nécessité personnelle, ne saurait en revanche s'inscrire, la plupart du temps, dans le cadre d'une nécessité médicale.

C'est pourquoi, donnant suite aux prises de position exprimées en 1996 par le Conseil national de l'Ordre des médecins et par le Comité consultatif national d'éthique en faveur de la stérilisation volontaire comme méthode contraceptive, encadrée par une procédure déontologique visant à garantir la réflexion et le libre choix des patients , l'Assemblée nationale a inséré dans le code de la santé publique un chapitre nouveau autorisant la stérilisation à visée contraceptive par ligature des trompes ou des canaux déférents.

Les précautions prises pour encadrer cette pratique sont nombreuses et s'apparentent à celles qui entourent l'IVG :

- elle ne peut être mise en oeuvre "que si la personne intéressée a exprimé une volonté libre, motivée et délibérée en considération d'une information claire et complète sur ses conséquences" ;

- l'acte chirurgical ne peut être pratiqué que dans un établissement de santé ;

- une consultation obligatoire auprès d'un médecin doit permettre à celui-ci d'informer la personne des risques médicaux qu'elle encourt et des conséquences de l'intervention, et de lui remettre un dossier d'information écrit ;

- l'intervention ne peut avoir lieu qu'après un délai de réflexion de deux mois après cette consultation et qu'après que la personne concernée a confirmé par écrit sa volonté de la subir ;

- un médecin n'est jamais tenu de pratiquer cet acte à visée contraceptive (mais il doit informer l'intéressé(e) de son refus dès la première consultation).

Outre ce dispositif, qui figurerait sous l'article L. 2123-1 nouveau du code de la santé publique, les députés ont inséré un nouvel article L. 2123-2 qui, quant à lui, prohibe la stérilisation à visée contraceptive sur les personnes mineures et soumet le recours à cette méthode en faveur des personnes handicapées mentales, majeures sous tutelle, à des règles très sévères quant à son opportunité ( "contre-indication médicale absolue aux méthodes de contraception ou impossibilité avérée de les mettre en oeuvre efficacement" ) et au processus de décision (le consentement de la personne concernée doit être systématiquement recherché ; la décision est prise par le juge des tutelles qui se prononce après avoir entendu les parents ou le représentant légal de l'intéressé(e) ainsi que toute personne dont l'audition lui paraît utile ; un comité d'experts, composé notamment de personnes qualifiées et de représentants d'associations de handicapés, doit en outre donner au juge un avis sur la justification médicale de l'intervention, sur ses risques et sur ses conséquences normalement prévisibles sur les plans physique et psychologique).

Votre Délégation approuve ces dispositions comblant un vide juridique qui était préjudiciable au développement d'une technique sûre, susceptible de se substituer à d'autres méthodes contraceptives plus contraignantes et dont les taux d'échec ne sont pas négligeables. Elle considère en outre que cette clarification du droit est importante dans la perspective européenne puisque, jusqu'à présent, la France demeurait l'un des seuls pays au monde à ne pas autoriser la stérilisation volontaire contraceptive. Or, ce décalage avec les législations de nos voisins pouvait conduire à des mouvements comparables à ceux qui préexistaient à la loi Veil en matière d'IVG, parfaitement inégalitaires puisque seuls les plus informés et les plus aisés de nos concitoyens sont en mesure de faire le voyage de Londres ou d'Amsterdam pour y subir une opération. A cet égard, la campagne publicitaire provocatrice lancée au mois d'août dernier par une fondation britannique pour inciter les Français à franchir la Manche afin de bénéficier d'une vasectomie ( ( * )1) n'était pas qu'anecdotique et témoignait que la situation actuelle ne pouvait perdurer.

En tout état de cause, votre Délégation estime que le protocole qui devrait être institué par l'article L. 2123-1 du code de la santé publique est de nature à garantir le choix éclairé des personnes intéressées, tandis que les procédures envisagées à l'article L. 2123-2 paraissent correctement protectrices des droits des personnes handicapées, et de nature à répondre aux préoccupations de responsabilité des médecins. Toutefois, elle s'interroge sur la prise en charge par la sécurité sociale de cette méthode contraceptive, qui n'est pas abordée par le texte voté par l'Assemblée nationale mais qui s'avérerait pourtant utile.

b) Le consentement parental

S'agissant de la demande de contraception, l'évolution de notre société semble aujourd'hui pouvoir permettre le "bouclage" de la loi Neuwirth en ce qui concerne la situation des jeunes filles mineures. Dès 1974, celles d'entre elles qui désiraient garder le secret se sont vu ouvrir la possibilité de se faire délivrer dans les centres de planification ou d'éducation familiale, gratuitement et sans accord des parents ou du représentant légal, des moyens ou des produits contraceptifs. Cette dérogation au principe du consentement parental posé par l'article 371-2 du code civil témoignait déjà de la prise de conscience du législateur que la majorité sexuelle peut être antérieure à la majorité civile.

Depuis vingt-cinq ans, cet état de fait s'est naturellement confirmé et il ne paraît plus possible désormais de continuer à subordonner la délivrance par les médecins de contraceptifs hormonaux ou intra-utérins à des mineures au consentement des parents. Paradoxalement, notre droit exonère de ce consentement des actes bien plus lourds de conséquences auxquels se trouvent parfois confrontées des adolescentes, qui en supportent seules toute la responsabilité, tels l'accouchement sous X et l'abandon de l'enfant ou, au contraire, la reconnaissance de celui-ci et le plein exercice de l'autorité parentale. Quelles justifications avancer pour, dans le même temps, reconnaître la capacité juridique d'une mineure à choisir d'élever ou non son enfant et la lui refuser pour maîtriser sa fécondité ? Au reste, chacun sait, et de nombreux témoignages en ce sens ont été apportés au cours des auditions, que beaucoup de médecins prescrivent des traitements contraceptifs à des mineures sans autorisation parentale ou au vu d'une "autorisation" qu'ils savent pertinemment falsifiée.

En outre, afin de prévenir une IVG, la loi n° 2000-1209 du 13 décembre 2000 relative à la contraception d'urgence autorise la prescription de médicaments ayant ce but aux mineures désirant garder le secret. Alors même que votre Délégation a souligné, dans son rapport d'information, la nécessité de faire comprendre que "la contraception d'urgence ne peut en aucun cas faire office de contraception permanente" , il lui paraît essentiel et logique de donner aux jeunes filles, et particulièrement à celles dont la situation de détresse avait justifié le dépôt de la proposition de loi, la possibilité de recourir plus facilement à une contraception permanente.

Dans un tel contexte, la disposition du projet de loi qui, sous l'article L. 5134-1 du code de la santé publique, prévoit explicitement que "le consentement des titulaires de l'autorité parentale ou, le cas échéant, du représentant légal, n'est pas requis pour la prescription, la délivrance ou l'administration de contraceptifs aux personnes mineures" constitue, pour votre Délégation, une mesure importante et bienvenue. Au-delà de son caractère symbolique pour l'émancipation et la responsabilisation des jeunes filles, elle devrait avoir des conséquences favorables pour la prévention des grossesses non désirées chez les adolescentes, ce à quoi votre Délégation est particulièrement attachée .

Reste que, là encore, les réalités économiques sont susceptibles d'atténuer la portée pratique de cet achèvement juridique de la loi Neuwirth. Sauf à être délivrés dans des centres de planification, les contraceptifs ne sont en effet pas gratuits et le souci de garder le secret peut priver des adolescentes de voir leur traitement contraceptif pris en charge par le régime de sécurité sociale de leurs parents. Aussi, à l'instar de ce que le Sénat a fait adopter pour la contraception d'urgence, votre Délégation serait favorable à ce que la délivrance aux mineures des contraceptifs hormonaux et intra-utérins s'effectue également à titre gratuit dans les pharmacies .

c) La prescription médicale

A la faveur de ce projet de loi, le Gouvernement a décidé de rendre la partie du code de la santé publique relative à la contraception conforme à la directive CEE n° 92-26 du 31 mars 1992 concernant la classification en matière de délivrance de médicaments à usage humain. Cette directive exonère de prescription médicale les médicaments qui, notamment, ne sont pas susceptibles de présenter un danger, directement ou indirectement, même dans des conditions normales d'emploi, s'ils sont utilisés sans surveillance médicale. C'est sur son fondement que, par un arrêté du 27 mai 1999, M. Bernard Kouchner, alors secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale, avait, sur proposition du directeur de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et après avis tant de la commission compétente siégeant auprès de l'Agence que de l'Académie de pharmacie, autorisé la vente libre du NorLevo en pharmacie.

Toutefois, les articles L. 2311-4 et L. 5134-1 du code de la santé publique, directement issus de la loi Neuwirth, soumettent toujours à prescription médicale obligatoire la délivrance de contraceptifs hormonaux. Or, les dosages et conditions d'utilisation des pilules contraceptives ayant considérablement évolué depuis les années soixante, ces produits répondent aujourd'hui à la définition de l'article 3 de la directive : en conséquence, les articles L. 2311-4 et L. 5134-1 du code de la santé publique dérogent au texte européen et doivent être adaptés afin de limiter l'obligation de prescription médicale à la délivrance des seuls contraceptifs intra-utérins qui, eux, ne sont pas visés par la directive européenne.

Ainsi, dans l'immédiat, ce "toilettage" législatif ne change en rien les conditions de délivrance des contraceptifs hormonaux qui, à l'exception du NorLevo, demeurent tous inscrits sur la liste II des substances vénéneuses par l'Agence du médicament et soumis, à ce titre, à l'obligation de prescription médicale. Il n'est cependant pas interdit de penser qu'à l'avenir, certains traitements hormonaux nouveaux pourraient être, du fait de leur innocuité constatée par l'Agence du médicament, inscrits sur la liste I et, dès lors, proposés en vente libre (comme cela existe déjà, par exemple, au Japon).

Or, la rencontre régulière du médecin pour la prescription du traitement contraceptif présente pour la femme de nombreux avantages en matière sanitaire. Les visites médicales sont, en effet, autant d'occasions d'auscultations, de conseils, d'actions de prévention, le praticien devant normalement effectuer les gestes de précaution simples et nécessaires de dépistage de certains cancers (du sein et du col de l'utérus, notamment), informer en matière de prévention (tabac, cholestérol, etc.) ou proposer l'adaptation du traitement à l'évolution de la situation de sa cliente (choix d'une nouvelle pilule, de la pose d'un stérilet, voire désormais de la stérilisation). Ainsi, la perspective d'une suppression, ou à tout le moins d'un espacement, des visites médicales pourrait s'avérer préjudiciable pour la santé des femmes sous traitement contraceptif.

Toutefois, l'absence de prescription médicale signifiant la suppression du remboursement du traitement contraceptif par la sécurité sociale, votre Délégation estime que les femmes ne seraient finalement pas si nombreuses à s'affranchir de l'ordonnance médicale pour se faire délivrer des traitements hormonaux si cela leur devenait juridiquement possible. Dans ces conditions, estimant que ce toilettage juridique du code de la santé publique ne devrait pas faire craindre de conséquences redoutables pour les femmes tant que les contraceptifs hormonaux ne seront pas, tout à la fois, exemptés de prescription médicale et délivrés gratuitement, votre Délégation n'y émet pas d'avis défavorable.

S'agissant des mineures, la délivrance gratuite des contraceptifs recommandée par votre Délégation n'est pas contradictoire avec cette position. En effet, les contraceptifs hormonaux et intra-utérins étant aujourd'hui toujours soumis à prescription médicale, ils ne pourraient éventuellement être délivrés gratuitement par les pharmaciens que sur la production d'une ordonnance.

2. Elargir l'accès à l'IVG

En matière d'IVG également, l'évolution des techniques a sensiblement modifié la situation depuis vingt-cinq ans. Aussi, à la lumière de ce qui se pratique dans de nombreux pays voisins, il semble possible d'adapter le droit pour faciliter certaines interruptions ou pour diminuer le nombre de celles qui doivent être pratiquées à l'étranger.

a) Le délai légal

Actuellement, le délai légal autorisé pour pratiquer une IVG est fixé à dix semaines de grossesse, soit douze semaines d'aménorrhée, par l'article L. 2212-1 du code de la santé publique. Ce délai est, on l'a vu, l'un des plus courts en Europe, et ceci s'explique sans doute par l'antériorité de la loi française sur la plupart des législations européennes relatives à l'IVG.

Au-delà de ce délai, l'interruption de grossesse peut être pratiquée pour un motif thérapeutique (ITG), c'est-à-dire soit lorsque la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme, soit lorsqu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic. Dans ces hypothèses, deux médecins doivent participer à la décision de pratiquer l'intervention (3 000 ITG ont été pratiquées en 1998).

De manière à faire diminuer, d'environ 80 % selon l'exposé des motifs du projet de loi, le nombre des femmes qui dépassent le délai légal de dix semaines et se voient contraintes d'aller avorter à l'étranger ou de poursuivre leur grossesse alors qu'elles ne le désirent pas, le texte soumis à l'examen du Sénat propose d'augmenter le délai de l'IVG de deux semaines. Par ailleurs, l'interruption thérapeutique de grossesse est requalifiée en interruption médicale de grossesse (IMG), sa procédure de prise de décision étant en outre modifiée à cette occasion. Pour votre Délégation, ces deux mesures importantes, qui modifient substantiellement le dispositif actuel, sont étroitement liées.

La fixation du délai de l'IVG à douze semaines de grossesse

Le passage du délai légal de l'IVG à douze semaines de grossesse a suscité beaucoup de controverses et c'est l'un des points sur lesquels les experts et praticiens entendus, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, se sont le plus exprimés. Les interventions ont essentiellement abordé la nature de l'acte médical selon le moment où il est pratiqué, l'engagement des équipes médicales et le risque d'eugénisme.

S'agissant de l'acte médical, nombre des personnalités auditionnées ont considéré que sa nature changeait au terme de dix semaines de grossesse. Le développement du foetus, et notamment son ossification commençante, impliquerait alors, la plupart du temps, la substitution d'une méthode chirurgicale à la technique traditionnelle d'aspiration. Dès lors, l'intervention serait plus délicate et rendrait indispensable une formation spécifique des intervenants ainsi qu'un environnement technique plus complet, propre à parer rapidement à d'éventuelles complications. Ainsi, les IVG effectuées entre dix et douze semaines ne pourraient être abordées de la même manière que les IVG plus précoces, ni par des personnels identiques (sauf à ce qu'ils aient suivi une formation adaptée), ni dans tous les établissements réalisant aujourd'hui des IVG (seules les structures d'accueil intégrées dans des centres hospitaliers étant en mesure de satisfaire aux conditions techniques nécessaires).

Cependant, beaucoup d'experts et de praticiens entendus au cours des auditions ont également soutenu un point de vue rigoureusement contraire, estimant qu'en réalité, peu de différences distinguaient les foetus entre dix et douze semaines, ni, par conséquent, les manières d'aborder l'interruption de grossesse. Ils ont fait état, à ce sujet, des pratiques étrangères, qui ne révèlent pas des taux de complication sensiblement supérieurs, ce qu'a confirmé pour la France le professeur Michel Tournaire, président du groupe de travail de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES) sur l'IVG. Ils ont également insisté sur le fait, reconnu d'ailleurs par l'ensemble des praticiens auditionnés, même les plus réticents à l'allongement du délai, qu'un certain nombre d'IVG étaient d'ores et déjà pratiquées entre dix et douze semaines lorsque les circonstances de détresse de la femme le nécessitaient.

Face à cette controverse d'experts, votre Délégation se trouve démunie : il lui aurait été à l'évidence plus facile de disposer d'une opinion unanime, dans un sens ou dans l'autre. Il lui semble toutefois que, dès lors que notre pays dispose d'équipes et de structures autorisant, dans de bonnes conditions de sécurité, l'interruption de grossesse entre dix et douze semaines, cette discussion technique ne saurait en réalité interférer sur la question de savoir si le dispositif de l'IVG, qui s'appuie sur le postulat d'une décision libre et personnelle de la femme en situation de détresse, peut être étendu jusqu'à la douzième semaine de grossesse. Abordée dans cette optique, la question appelle alors, selon votre Délégation, une réponse nécessairement positive, propre à supprimer les discriminations qui existent actuellement entre les femmes selon qu'elles ont affaire à des praticiens disposés ou non à contourner la loi ou qu'elles bénéficient ou non de relations et de moyens financiers leur permettant de subir leur IVG à l'étranger.

Au-delà des considérations techniques, l'allongement du délai paraît également susciter des difficultés d'ordre psychologique, voire moral, pour un nombre important de praticiens, qui estiment qu'au-delà de dix semaines, le développement d'un foetus rend l'interruption de grossesse humainement plus lourde à pratiquer. Plusieurs responsables de centres d'accueil, peu suspects de prise de position "idéologique" compte tenu de leur expérience passée et présente, ont évoqué leurs propres réticences comme celles de leurs collaborateurs, faisant peser la menace d'une diminution accrue du nombre des médecins et personnels volontaires pour effectuer des IVG.

Cette opinion doit être entendue. Elle s'inscrit au demeurant dans le contexte plus large de lassitude et de difficultés professionnelles que rencontrent les équipes médicales des structures d'accueil, notamment dans le secteur public, et qui devraient appeler des réponses adaptées. Pour autant, elle ne saurait non plus condamner l'extension envisagée. D'une part, dans la mesure où cette dernière devrait conduire, selon l'étude d'impact du projet de loi, à environ 4 000 IVG supplémentaires par an pratiquées entre la dixième et la douzième semaine de grossesse, ce qui représente moins de 2 % du nombre total des interruptions effectuées actuellement en France, on peut supposer que cette proportion ne serait pas de nature à décourager les praticiens. D'autre part, on doit rappeler que la loi de 1975 a suscité en son temps des affirmations tout aussi alarmistes, et bien davantage encore passionnelles, qui n'ont en réalité, et heureusement, pas été confirmées dans les faits. Ainsi, le 26 novembre 1974, le jour même où l'Assemblée nationale engageait la discussion du projet de loi défendu par Simone Veil, le Conseil de l'Ordre des médecins avait fait remettre aux députés une lettre par laquelle il les enjoignait, pour "sauver l'éthique" , de recruter des médecins volontaires dans le cas où la loi serait votée.

Pour éviter ce que le professeur Israël Nisand a qualifié de "clause de conscience à géométrie variable" , à laquelle seraient susceptibles de recourir certains médecins et personnels médicaux selon que l'intervention aurait lieu avant ou après la dixième semaine, il a été suggéré d'élargir la possibilité de recourir à l'IMG plutôt que d'étendre le délai de l'IVG à douze semaines. Cette solution ouvrirait ainsi au praticien la possibilité de décider, après une expertise et une discussion avec des confrères et des personnalités qualifiées, si l'interruption peut ou non être pratiquée. En elle-même, cette suggestion n'est pas sans intérêt, et votre Délégation sera favorable (voir infra ) à ce que l'IMG soit désormais abordée dans une perspective plus ouverte, permettant de tenir compte de la situation psychologique et personnelle de la femme comme critère d'évaluation de son état de santé. Cette proposition souffre toutefois de l'inconvénient majeur, que votre Délégation considère comme dirimant, de ne pas ouvrir aux femmes enceintes de dix à douze semaines le bénéfice de la procédure de l'IVG qui, comme l'indique le terme "volontaire", résulte d'une décision qui leur est exclusivement personnelle, et de les maintenir sous l'emprise d'un pouvoir médical qui, tout bienveillant qu'il soit le plus souvent, n'en est pas moins susceptible de contrarier leur choix.

Certains craignent enfin que, compte tenu des conditions actuelles de surveillance médicale des femmes enceintes, l'allongement du délai ne favorise des comportements "eugénistes". La connaissance du sexe ou la découverte d'anomalies mineures, plus aisées à partir de la dixième semaine de développement du foetus, seraient susceptibles de conduire des femmes ou des couples à demander une IVG qu'actuellement ils ne peuvent solliciter.

Interrogé à ce sujet par les présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a clairement répondu, le 23 novembre dernier, que le risque d'une dérive eugénique, entendue comme "pratique collective institutionnalisée qui vise à favoriser l'apparition de certains caractères ou à en éliminer d'autres jugés négatifs" était inexistant. Quant aux comportements individuels, après avoir rappelé que diverses méthodes de diagnostic prénatal permettaient d'ores et déjà, avant la dixième semaine de grossesse, d'avoir connaissance de certaines caractéristiques du foetus (et notamment de son sexe), le CCNE estime qu'invoquer cette connaissance facilitée ou banalisée pour empêcher la prolongation du délai légal apparaîtrait "excessif et d'une certaine façon attentatoire à la dignité des femmes et des couples" et que "ce serait en effet leur faire injure, et les placer en situation d'accusés potentiels, que de penser que la grossesse est vécue de façon si opportuniste que sa poursuite ou son arrêt ne tiendrait qu'à cette connaissance" .

Cette opinion a été partagée par l'immense majorité des personnes entendues par les délégations et commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat, certaines ayant en outre relevé que les progrès techniques étaient rapidement susceptibles de déplacer la question avant même le terme de dix semaines de grossesse. Dès lors, votre Délégation considère que celle-ci ne saurait être utilement abordée dans le cadre du présent projet de loi, et qu'en tout état de cause, elle ne peut conduire à rejeter le principe de l'extension du délai légal de l'IVG à la douzième semaine de grossesse.

Le passage à l'interruption "médicale" de grossesse

Parallèlement, le projet de loi modifie à la fois la dénomination et la procédure de l'actuelle interruption "thérapeutique" de grossesse, qui peut être pratiquée à toute époque.

S'agissant de la terminologie, le remplacement de "thérapeutique" par "médicale" a pour intérêt d'adapter précisément la qualification de l'intervention à sa nature réelle, conformément d'ailleurs aux termes actuellement utilisés par les gynécologues obstétriciens.

Quant à la nouvelle procédure, elle renforce la collégialité du processus de décision et prévoit doublement l'intervention de la femme. Ainsi, la décision de pratiquer une IMG ne pourra être prise qu'après que la réalité du péril grave pour la santé de la femme, ou de la forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic, aura été appréciée par une commission pluridisciplinaire, composée au moins d'une personne qualifiée, d'un médecin choisi par l'intéressée et d'un médecin responsable de service de gynécologie obstétrique. En outre, la femme concernée ou le couple pourra, à sa demande, être entendu par la commission.

Pour votre Délégation, cette double modification, sémantique et procédurale, n'est pas neutre car elle autorise, s'agissant de l'état de santé de la femme, une appréciation du motif médical beaucoup plus large qu'aujourd'hui, qui serait d'ailleurs davantage conforme aux prescriptions de l'Organisation mondiale de la santé, laquelle définit la santé comme un "état de bien-être physique, mental et social" . Entendre la demande de la femme, apprécier sa situation dans sa globalité, tenir compte de réalités personnelles, notamment psychologiques et sociales, qui font de chaque cas individuel un cas d'espèce appelant une réponse particulière, sont autant d'attitudes qu'adoptent régulièrement de nombreux gynécologues obstétriciens sollicités pour une ITG. Votre Délégation est convaincue que ces attitudes positives, profon-dément humaines, devraient pouvoir être généralisées grâce à l'IMG .

Du reste, une telle évolution serait de nature à conforter la décision de prolonger le délai de l'IVG à douze semaines de grossesse. Une des critiques faites à cette mesure consiste à souligner, à juste titre au demeurant, qu'elle ne résout pas la situation de toutes les femmes qui dépassent actuellement le délai de dix semaines puisqu'en effet, elles sont plusieurs centaines chaque année à se faire avorter à l'étranger au-delà de la douzième semaine. Qu'en sera-t-il de ces femmes une fois le projet de loi adopté ? Certains ont suggéré qu'à l'instar de certains pays voisins, aucune limite ne soit imposée jusqu'au seuil de viabilité du foetus, estimé aujourd'hui à entre vingt-deux et vingt-quatre semaines d'aménorrhée. Si cette proposition parachèverait l'application du concept même de droit à l'IVG, il n'est toutefois pas douteux qu'elle susciterait des réticences telles qu'elle aurait peu de chances d'aboutir. D'autres ont estimé, parfois pour le regretter, parfois pour s'en féliciter, que cette loi n'était qu'une étape, et que l'évolution des mentalités comme celle des techniques médicales appelleraient un jour un nouvel allongement du délai légal.

Votre Délégation, quant à elle, se reporte aux propos tenus par le professeur Israël Nisand lors de son audition, le 20 décembre 2000, par la commission des affaires sociales du Sénat, selon lesquels la fixation du délai légal procédait d'un arbitrage entre le droit des femmes, le droit des médecins et le droit des foetus : elle estime qu'avec ce texte, et pour autant que le corps médical saura, grâce à une utilisation attentionnée de l'IMG, apporter une solution adaptée aux femmes qui resteront hors du nouveau délai de douze semaines de grossesse, l'arbitrage paraît équitable et conforme à l'état actuel de la société. C'est pourquoi elle y est favorable, même si, comme tout compromis, il n'est pas absolument satisfaisant au plan des principes. Il ne l'est ni pour les défenseurs les plus ardents du droit des femmes à recourir librement, à tout moment, à l'IVG, ni pour les personnes convaincues que l'achèvement de la dixième semaine de grossesse constitue une étape particulière qui justifie que l'avis du corps médical conditionne la mise en oeuvre du choix des intéressées.

b) La situation des mineures

La seconde modification majeure apportée par le projet de loi au dispositif actuel de la loi Veil concerne la situation des mineures. Actuellement, pour permettre à une mineure célibataire de bénéficier de l'IVG, l'article L. 2212-7 du code de la santé publique exige le consentement de l'une des personnes qui exercent l'autorité parentale ou, le cas échéant, du représentant légal. Cette disposition trouve sa légitimité dans la nécessité de favoriser un dialogue entre l'adolescente et ses parents à l'occasion de sa grossesse : si ce dialogue existe heureusement dans la plupart des cas, il peut aussi être noué pour la première fois dans cette circonstance, et déboucher sur l'acceptation de la sexualité de la jeune fille, et de sa contraception.

Ainsi, le principe de l'assentiment parental ne saurait être remis en cause, tant il est vrai que la responsabilité de la poursuite de la grossesse, ou de son interruption, sera plus aisément assumée par l'adolescente si elle reçoit le soutien de ses parents. Cependant, la législation actuelle présuppose que ce soutien est toujours acquis. Elle ne prévoit en effet aucune alternative à l'impossibilité d'obtenir, voire simplement de solliciter, le consentement parental. Cette rigidité peut être dramatique pour les jeunes filles issues de familles déniant, notamment pour des raisons culturelles, leur sexualité, voire victimes de violences familiales, ou dont les parents sont absents.

Pour y parer, les médecins, dans certains cas, se contentent d'un accord parental à l'authenticité douteuse, engageant alors leur propre responsabilité. Dans d'autres, ils sollicitent l'accord du juge des enfants qui, aux termes de l'article 375 du code civil, peut intervenir lorsqu'il existe un danger pour la santé, la sécurité et la moralité d'un mineur non émancipé. Cette solution, toutefois, n'est pas toujours satisfaisante, puisque les juges eux-mêmes sont réticents à se substituer directement aux parents pour autoriser l'IVG, que leur décision dépend de leurs principes moraux personnels et est donc très variable, et qu'en tout état de cause, ils sont juridiquement tenus, avant de la prendre, d'entendre les parents de la jeune fille : or, c'est précisément l'information des parents qui est parfois susceptible de mettre l'adolescente en situation de crise familiale grave. Il est enfin des praticiens qui adressent l'intéressée à une association ou l'orientent directement vers une clinique étrangère : mais là encore, le problème de fond n'est pas correctement résolu.

Aussi, pour régler de manière satisfaisante les quelques centaines de cas dramatiques qui se posent chaque année, il paraît aujourd'hui indispensable d'aménager le principe de l'autorisation parentale en lui faisant perdre son caractère absolu dès lors que la jeune fille mineure confirme le souhait de conserver le secret. Outre son intérêt pratique, une telle modification présenterait l'avantage de la cohérence juridique puisqu'actuellement, une mineure non émancipée peut déjà décider seule d'accoucher sous X, d'abandonner son enfant ou de le reconnaître. Tout en maintenant le principe du consentement parental, préférable en toute hypothèse, la procédure envisagée par le projet de loi garantit une écoute approfondie de l'adolescente, un accompagnement attentif par des professionnels, la recherche active d'une solution dans le cadre familial et, à défaut, le soutien personnalisé par un adulte référent choisi par la jeune fille, afin qu'elle ne soit pas laissée seule face à sa décision .

Ainsi, l'intéressée devra obligatoirement consulter une personne ayant satisfait à une formation qualifiante en conseil conjugal ou toute autre personne qualifiée dans un établissement d'information, de consultation ou de conseil familial, un centre de planification ou d'éducation familiale, un service social ou un organisme agréé. Cette consultation comportera un entretien particulier au cours duquel une assistance ou des conseils appropriés à sa situation lui seront apportés. A cette occasion, il est présumé qu'en l'absence de consentement parental, le professionnel devra s'efforcer d'obtenir l'accord de la mineure pour que le ou les titulaires de l'autorité parentale ou le représentant légal soient consultés. Mais si la jeune fille exprime le désir de garder le secret à l'égard de ces personnes, elle devra être conseillée sur le choix d'une personne majeure susceptible de l'accompagner dans sa démarche. En tout état de cause, l'organisme dans lequel aura eu lieu la consultation devra lui délivrer une attestation, afin que le médecin soit assuré que la consultation a bien eu lieu.

Le médecin ne pourra pratiquer l'intervention que sur la production du consentement de l'un des titulaires de l'autorité parentale ou du représentant légal, joint à la demande qui lui sera présentée, en dehors de la présence de toute autre personne, par l'adolescente. Si celle-ci désire garder le secret, le médecin devra s'efforcer d'obtenir son consentement pour que le ou les titulaires de l'autorité parentale ou le représentant légal soient consultés, ou vérifier que cette démarche a été faite lors de l'entretien visé ci-dessus. Si la mineure confirme alors sa volonté de maintenir le secret, ou si le consentement n'est pas obtenu, elle devra se faire accompagner dans sa démarche par une personne majeure de son choix. Enfin, après l'intervention, une seconde consultation, ayant notamment pour but une nouvelle information sur la contraception, lui sera obligatoirement proposée.

Pour votre Délégation, un tel dispositif semble de nature, dans l'intérêt même des adolescentes qui ne bénéficient pas de l'écoute naturelle de leur milieu familial, à continuer de leur permettre de rechercher activement, avec l'aide de professionnels, l'établissement d'un dialogue avec leurs parents. Mais lorsque celui-ci est réellement impossible, et pour ne pas aggraver leur détresse, alors le nouveau texte leur offre désormais la possibilité, dans une responsabilité qui leur est propre mais avec l'aide d'un adulte qui les soutiendra, de bénéficier d'une IVG. Cette solution évite également de placer les médecins devant des responsabilités qu'ils n'ont aucune raison d'assumer, ou de faire appel à l'institution judiciaire, dont l'intervention n'est pas nécessairement la plus adaptée en ce genre de circonstance.

Cette procédure, cependant, n'est pas exempte de lacunes, et votre Délégation estime nécessaire d'en préciser deux termes pour en garantir l'efficacité. Tout d'abord, comme plusieurs personnalités entendues par la commission des affaires sociales du Sénat l'ont relevé, la suppression de l'autorisation parentale rendrait hasardeuse la possibilité de pratiquer une IVG sous anesthésie, cet acte médical exigeant un tel accord préalable. Certes, la rédaction du nouvel article L. 2212-7 du code de la santé publique a été précisée au cours de la discussion à l'Assemblée nationale par une formule prévoyant que les soins qui sont liés à l'IVG pourront être pratiqués à la demande de la mineure ayant désiré garder le secret. Il n'est toutefois pas certain que cette formule soit suffisante, si un problème survenait à l'occasion de l'interruption de grossesse, pour exonérer de leur responsabilité à l'égard des parents les médecins anesthésistes, les praticiens et les responsables de l'établissement d'intervention. Aussi semblerait-il souhaitable d'approfondir davantage cette question d'une grande complexité juridique.

Il serait aussi nécessaire de le faire en ce qui concerne l'adulte référent. Le problème de sa responsabilité a également été abordé par les députés lors de leurs débats, et il a été convenu avec le Gouvernement que la navette parlementaire devrait conduire à préciser juridiquement que cet adulte, qui accompagne la mineure mais ne partage pas avec elle la décision de demander une IVG, ne saurait en aucun cas voir sa responsabilité civile ou pénale susceptible d'être engagée en quelque façon. En outre, certains se sont interrogés sur la qualité de cet adulte, observant qu'il serait préférable d'éviter d'impliquer les professionnels accueillant, à un titre ou à un autre, la mineure : le médecin, la conseillère conjugale, l'infirmière, etc.

Ces deux précisions paraissent indispensables à votre Délégation pour que le dispositif puisse être mis en oeuvre correctement au bénéfice des jeunes filles les plus vulnérables.

On doit enfin ajouter que l'article 15 du projet de loi permet de garantir leur anonymat en ce qui concerne la prise en charge financière de leur IVG. Il aurait en effet été irrationnel que le régime de sécurité sociale des parents, dont dépend en principe la mineure non émancipée, soit sollicité à cette occasion, au risque d'attenter au secret que celle-ci a pourtant expressément souhaité. C'est pourquoi l'intégralité des dépenses exposées à l'occasion de telles IVG sera prise en charge par l'Etat et les procédures de prise en charge devront respecter l'anonymat de ces jeunes filles.

c) Les autres modifications apportées à la loi Veil

Au-delà de ces deux modifications essentielles de la loi Veil -allongement du délai légal et assouplissement de l'exigence du consentement parental pour les mineures -, le projet de loi apporte trois autres séries d'améliorations à la procédure actuelle, que votre Délégation approuve.

La première série participe d'une logique de responsabilité et de dignité des femmes à laquelle votre Délégation est particulièrement attachée, et concerne l'entretien médical et la consultation sociale. Pour que les choix de la femme soient éclairés, il est évidemment nécessaire qu'elle soit correctement informée par un praticien sur l'IVG, sur les méthodes d'intervention, sur les risques éventuels et les effets secondaires potentiels : mais elle doit l'être comme la patiente majeure qu'elle est, libre d'user d'un droit qui lui est reconnu en propre par la loi, dans une relation d'équilibre et de respect confiants avec le médecin. De même, s'il n'est pas contestable qu'un certain nombre de femmes peuvent avoir tout intérêt, compte tenu de leur situation personnelle, à bénéficier d'une consultation sociale avec une personne compétente pour les assister, il est tout aussi incontestable qu'une majorité d'entre elles sont parfaitement en mesure de s'en dispenser : il est par conséquent nécessaire de substituer en la matière un principe de liberté à un principe de contrainte.

S'agissant de l'entretien médical, prévu par l'article L. 2212-3 du code de la santé publique, le projet de loi s'attache à ne prévoir que la délivrance, par le praticien, d'informations médicales pratiques, objectives et neutres, insusceptibles d'être assorties de connotations morales culpabilisantes pour la femme. Ainsi, l'accent n'est plus délibérément mis sur des "risques médicaux encourus pour elle-même ou pour ses maternités futures ", ni sur la "gravité biologique" de l'intervention qu'elle sollicite : le médecin doit simplement informer sa patiente des méthodes médicales et chirurgicales d'interruption de grossesse et des risques et des effets secondaires potentiels. De même, le dossier-guide remis à la femme ne doit plus comporter, puisqu'il ne s'agit en aucune façon d'informations à caractère médical, ni l'énumération des droits, aides et avantages garantis par la loi aux familles, aux mères, célibataires ou non, et à leurs enfants, ainsi que des possibilités offertes par l'adoption d'un enfant à naître, ni la liste et les adresses des organismes susceptibles d'apporter une aide morale ou matérielle aux intéressées.

Quant à la consultation sociale, le texte en supprime tout d'abord le caractère obligatoire pour les femmes majeures (mais, on l'a vu, pas pour les femmes mineures non émancipées), reconnaissant ainsi qu'elles peuvent parfaitement ne pas avoir toutes besoin d'une assistance. Cette disposition devrait ainsi éviter à nombre d'entre elles d'être contraintes, comme aujourd'hui, à subir une formalité qu'elles considèrent comme inutile, et qui présente en outre souvent l'inconvénient, compte tenu des nécessités d'obtenir un rendez-vous, d'allonger la procédure au risque de dépasser certains délais. On peut de plus observer qu'en limitant l'entretien social aux seules femmes qui en éprouvent le besoin, les professionnels concernés disposeront de davantage de temps à leur consacrer.

Par ailleurs, le nouveau texte de l'article L. 2212-4 du code de la santé publique abroge toutes les dispositions qui conféraient à l'entretien la mission particulière d'encourager la femme à garder son enfant. Votre Délégation est naturellement favorable à ce que cette hypothèse soit abordée, par les professionnels concernés, dans le cadre des "conseils appropriés à sa situation" qu'ils délivrent à l'intéressée, mais elle considère qu'il ne s'agit pas d'un objectif prioritaire que la loi doit mentionner. La conscience professionnelle des conseillères conjugales et des personnes qualifiées qui oeuvrent dans les établissements d'information, de consultation ou de conseil familial, dans les centres de planification ou d'éducation familiale, dans les services sociaux ou dans les autres centres agréés, doit suffire à apprécier, au cas par cas, dans quelle mesure il paraît judicieux d'explorer cette voie avec une attention particulière.

Votre Délégation tient à souligner, à ce propos, l'extraordinaire travail accompli par ces professionnels, qui devrait davantage être soutenu par les pouvoirs publics . Tout en se félicitant de la reconnaissance de jure apportée par la loi à l'existence et à l'implication des conseillères conjugales, elle estime qu'elle devrait être accompagnée de facto par un réel statut et par un renforcement de leurs moyens.

La deuxième série d'améliorations législatives concerne les médecins, et plus spécifiquement la clause de conscience qui leur est reconnue par l'article L. 2212-8 du code de la santé publique.

Si le projet de loi confirme naturellement ce droit personnel, inaliénable et absolu des médecins - et de l'ensemble du personnel médical -, il s'attache à ce que son exercice ne pénalise pas les femmes qui demandent à bénéficier d'une IVG. Ainsi, les praticiens qui entendent l'invoquer devront en avertir "sans délai" leur patiente et "lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention" .

En outre, il ne sera désormais plus possible pour le chef du service d'un hôpital public auquel le conseil d'administration aura décidé de confier l'organisation de la pratique de l'IVG d'exciper de sa clause de conscience pour refuser d'assumer ses responsabilités administratives et s'opposer à ce que ses collaborateurs effectuent des interruptions. Sans les pratiquer lui-même, il devra concourir au bon exercice de cette mission de service public en exerçant sa fonction de chef de service.

La troisième série prend acte des évolutions récentes et à venir de la pratique de l'IVG afin de favoriser, dès que cela est possible, les alternatives à l'hospitalisation.

Actuellement, l'article L. 2212-2 du code de la santé publique prévoit que l'IVG ne peut avoir lieu que dans un établissement de santé, public ou privé, satisfaisant à certaines conditions administratives et médicales. Cette disposition avait naturellement pour objet, à une époque où l'avortement médicamenteux n'existait pas, de garantir une prise en charge médicale des femmes assortie du maximum de sécurité sanitaire. Mais, depuis vingt ans, des progrès considérables ont été accomplis en la matière, avec notamment, depuis quelques années, l'utilisation régulière et parfaitement maîtrisée du RU 486 et d'autres molécules.

Dans une recommandation d'experts publiée en février 2000, l'ANAES détaille les protocoles habituellement applicables selon les périodes gestationnelles. L'agence indique ainsi que jusqu'à cinq semaines de grossesse, la méthode médicale, c'est-à-dire médicamenteuse, constitue la référence, recommandant même de ne pas pratiquer d'aspiration utérine avant le premier mois. Ultérieurement, l'usage de médicaments pour favoriser la dilatation du col de l'utérus, et faciliter ainsi l'intervention chirurgicale, est également prescrit. En tout état de cause, cette évolution des procédés médicaux rend désormais techniquement possible l'IVG en médecine ambulatoire au cours des cinq premières semaines de grossesse, ce qui présenterait, sous réserve qu'un certain nombre de précautions soient prises pour les cas, extrêmement rares, de complications, de nombreux avantages pour les femmes. Eviter l'hospitalisation systématique permettrait en effet d'accélérer les procédures et, davantage encore qu'aujourd'hui, de pratiquer des IVG précoces, qui sont moins pénibles physiquement et psychologiquement et qui minimisent les risques sanitaires. Cela renforcerait également la personnalisation du contact entre le praticien et sa patiente, et donc la prise en charge de celle-ci. Enfin, le désengorgement de certains services et centres d'accueil qui en résulterait favoriserait à l'évidence un accueil plus rapide des femmes dont la grossesse dépasse cinq semaines, ce qui contribuerait à diminuer le nombre de celles subissant leur intervention entre la dixième et la douzième semaine faute d'avoir pu être accueillies plus tôt.

C'est pourquoi le projet de loi fixe un cadre légal à l'IVG pratiquée en médecine ambulatoire en prévoyant qu'une convention devra être conclue entre le praticien et un établissement autorisé à pratiquer les IVG, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat pour que des dispositions de sécurité maximale entourent cette pratique nouvelle. Selon les avis autorisés, et compte tenu de l'état actuel des techniques, celle-ci pourrait d'ores et déjà concerner près du tiers des IVG. C'est pourquoi votre Délégation est favorable à sa mise en oeuvre et à son développement .

A cet égard, elle s'inquiète de la rédaction du nouvel article L. 2222-4 du code de la santé publique, créé par l'article 11 bis du projet de loi qui procède, dans le même temps, à l'abrogation de l'article 223-12 du code pénal. En effet, le simple transfert du code pénal au code de la santé publique des dispositions punissant le fait de fournir à la femme les moyens matériels de pratiquer une interruption de grossesse sur elle-même risque, en l'état, d'interdire le recours aux techniques ambulatoires d'IVG. Aussi paraît-il absolument indispensable de préciser que ne sont pas visés par cet article L. 2222-4 les traitements délivrés par des praticiens dans le cadre des conventions qu'ils concluent avec les établissements d'IVG.

Pour achever cet examen des dispositions du projet de loi relatives à l'IVG, votre Délégation souhaite mentionner les trois mesures à caractère pénal qui lui paraissent les plus importantes.

La première consiste en l'abrogation des dispositions qui prohibent l'incitation à l'IVG. Bien que tombées en désuétude, ces dispositions, qui figuraient dans le code de la santé publique et dans un décret-loi du 29 juillet 1939 relatif à la famille et à la natalité française, constituent une menace pour l'action des structures et associations accompagnant les femmes dans leurs démarches d'IVG. Il n'est pas rationnel de prévoir que celles-ci peuvent être entendues et conseillées, notamment sur les méthodes utilisées et sur les lieux dans lesquels sont réalisées les interventions, par des professionnels et des militants compétents et, dans le même temps, conserver dans notre arsenal législatif des dispositions qui incriminent cette information. En outre, sur le plan des principes, de telles mesures sont choquantes en ce qu'elles suggèrent que l'IVG est répréhensible, ou à tout le moins tout juste tolérée, puisqu'il est interdit d'en parler. Or, l'IVG est un droit des femmes, reconnu par la loi. C'est à ce double titre que votre Délégation se félicite que soient supprimées les sanctions pénales ci-dessus évoquées .

Dans le même ordre d'idée, et pour des raisons strictement identiques, elle approuve pleinement les dispositions tendant à renforcer le délit d'entrave à la pratique légale des IVG. Outre l'aggravation du quantum de l'amende maximale, qui passe à 200 000 francs, les députés ont apporté au texte actuel de l'article 2223-2 du code de la santé publique plusieurs précisions qui devraient interdire aux personnes coupables de tels actes d'échapper aux sanctions qu'elles encourent. Sont ainsi incriminés le fait de perturber "de quelque manière que ce soit" , donc même sans violence apparente, l'accès aux établissements où sont pratiquées des IVG, le fait de perturber "les conditions de travail des personnels médicaux et non médicaux" , le fait "d'exercer des pressions morales et psychologiques" à l'encontre des personnels médicaux et non médicaux des établissements et des femmes venues y subir une IVG, et enfin le fait d'exercer ces pressions, des menaces ou tout actes d'intimidation à l'encontre "de l'entourage" de ces femmes. Votre Délégation se demande si, pour parfaire le dispositif, il ne serait pas également nécessaire de sanctionner l'exercice de pressions, menaces et actes d'intimidation à l'encontre de l'entourage des personnels médicaux et non médicaux.

Enfin, de manière salutaire, l'Assemblée nationale a adopté un amendement rendant impossible la condamnation de la femme pour complicité de son auto-avortement. Les conditions de détresse extrême qui, aujourd'hui, dans notre pays, peuvent éventuellement donner lieu à cet acte, parfaitement regrettable au demeurant, sont telles qu'il ne paraît pas possible d'y ajouter par des sanctions. Au contraire, c'est une prise en charge de ces femmes, une aide psychologique et sociale, qu'il conviendrait d'envisager, pour à la fois réparer ce qui a nécessairement été brisé et perm ettre d'éviter d'autres drames.

* (1) Voir l'article de M. Jean-Yves Nau, in "Le Monde" du mercredi 16 août 2000.

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