B. LE CHOIX ABOLITIONNISTE DE LA FRANCE

Comme d'autres pays, la France a expérimenté au cours de son histoire les trois régimes juridiques de la prostitution généralement recensés. On en donnera quelques exemples.

Comme Charlemagne qui l'avait été avant lui, Saint Louis fut d'abord " prohibitionniste ". Il ordonna par un édit royal de 1254 de fermer les " bors d'eau " dont le nom progressivement donnera " bordels ". Cet édit fut plus tard révoqué et la prostitution tolérée sous réserve du respect de certaines règles qui la cantonnaient notamment dans certains quartiers spécifiques. Un centre de réadaptation fut par ailleurs ouvert pour les prostituées. Louis XIV lui-même tenta en vain d'interdire la prostitution.

Une police des moeurs a été mise sur pied à partir de 1778 et officialisée sous Bonaparte ; un registre de la prostitution fut établi à Paris en 1796 ; en 1802, on institua une visite médicale obligatoire pour les prostituées et des dispensaires de salubrité.

Le recours aux maisons de tolérance trouva son principal artisan en la personne du Docteur Parent-Dûchatelet 2 ( * ) dont le nom est ainsi resté attaché à l'histoire de la prostitution en France. Membre du Conseil de salubrité de la Ville de Paris, de l'Académie royale de médecine, médecin de La Pitié, il considérait les prostituées " aussi inévitables dans une agglomération d'hommes que les égouts, les usines et les dépôts d'immondices " et conseillait de les concentrer et de les surveiller dans des lieux rigoureusement fermés.

Les maisons de tolérance se multiplièrent au cours du XIX ème siècle et de la première moitié du XX ème siècle, établissements de luxe, comme les célèbres One Two Two ou Chabanais , mais aussi maisons d' " abattage " sordides.

L'argument sanitaire, la crainte de la syphilis en particulier, servait de paravent à des intérêts nombreux -ceux des tenanciers mais aussi de la police pour qui les maisons closes furent des mines de renseignements... Le système était nettement moins favorable pour celles qui se trouvaient ainsi enfermées...

La croisade internationale contre les établissements de tolérance fut soutenue en France par les figures les plus célèbres de l'histoire des droits de l'Homme, comme Victor Hugo ou Victor Schoelcher qui, rappelons le, furent tous deux sénateurs. Mais il fallut, pour leur suppression, attendre la loi " Marthe Richard " du 13 avril 1946 3 ( * ) qui abrogea aussi les dispositions qui prévoyaient l'inscription des prostituées sur des registres spéciaux de police et l'obligation de se présenter aux services de police. Un contrôle sanitaire et social fut maintenu et organisé sous la direction du ministère de la Santé publique dans le but de " dépister les prostituées vénériennes voulant se dérober au traitement ". On comptait officiellement, à l'époque où intervint leur suppression, quelque 1.500 " maisons ", dont 177 à Paris.

Mais la France n'est devenue réellement abolitionniste qu'en 1960 lorsqu'elle a ratifié, le 28 juillet 1960 , la Convention de l'ONU du 2 décembre 1949 4 ( * ) dont la traduction dans notre législation est très vite intervenue par voie d'ordonnances, le Parlement ayant, le 30 juillet 5 ( * ) , autorisé le Gouvernement à utiliser cette procédure pour prendre " les mesures nécessaires pour lutter contre certains fléaux sociaux ", au rang desquels le législateur avait classé la prostitution.

Ce sont les ordonnances n° 60-1245 et n° 60-1246 du 25 novembre 1960 qui ont traduit les engagements que la France avaient pris quatre mois plus tôt. Depuis leur intervention et la suppression du fichier sanitaire maintenu en 1946, la prostitution n'est plus réglementée en France, c'est une activité libre.

Conformément aux principes posés par la Convention de 1949, ces textes font de la lutte contre le proxénétisme une priorité et comportent, dans le même temps, un volet social.

Quarante ans plus tard un constat s'impose : si l'objectif répressif a été tenu -notre arsenal législatif est jugé l'un des meilleurs-, si la France apparaît sur la scène internationale comme un des pays leaders de la défense de l'abolitionnisme, le désengagement des pouvoirs publics est patent en matière de prévention de la prostitution et de réinsertion des personnes prostituées .

* 2 " De la prostitution dans la Ville de Paris considérée sous le rapport de l'hygiène publique, de la morale et de l'administration ", 1837.

* 3 Loi n° 46-685 sur la fermeture des maisons de tolérance et le renforcement de la lutte contre le proxénétisme.

* 4 Publiée par le décret n° 60-1251 du 25 novembre 1960.

* 5 Loi n° 60-773.

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