C. LES AMBIGUÏTÉS

La politique de la France à l'égard du proxénétisme est claire : il s'agit d'une politique de répression sévère, fidèle aux engagements pris en 1960 avec la ratification de la Convention de l'ONU du 2 décembre 1949. Les incriminations ont été multipliées par le législateur pour faciliter au cas par cas l'établissement de la preuve du proxénétisme, le Code pénal reconnaît aujourd'hui l'existence d'un crime dans certains cas et définit pas moins de dix circonstances aggravantes.

Elle est beaucoup plus ambiguë en ce qui concerne la prostitution .

L'ambiguïté apparaît tout d'abord dans l'application même de la loi. Sous réserve que l'ordre public soit préservé, rien, dans celle-ci, n'interdit la prostitution, qui, encore une fois, est une activité libre. Mais la pratique des textes fait ressortir un régime de liberté surveillée, aléatoire et le cas échéant contrariée .

Tout d'abord, la prostitution étant la condition préalable du proxénétisme -le Code pénal d'ailleurs définit celui-ci uniquement par référence à celle-là-, elle est étroitement surveillée car il faut la démontrer pour pouvoir inquiéter les proxénètes.

La police se défend de tenir un quelconque fichier ; elle en a d'ailleurs reçu officiellement l'interdiction en 1946 (loi " Marthe Richard) ; on ne peut cependant que s'interroger lorsqu'on entend les associations témoigner que le premier souci de certaines prostituées qui quittent la prostitution est de se faire " déficher ".

Certains, ensuite, soulignent l'existence d'ambiguïtés, de paradoxes, au sujet du racolage : par son biais, on réprime la prostitution sans la déclarer pour autant illégale, et on poursuit les prostituées que l'on considère pourtant comme des victimes (du proxénétisme). A la controverse " intellectuelle " s'ajoute le problème de l'imprécision des textes.

Le libre exercice de la prostitution est en effet rendu aléatoire par la définition même que le Code pénal donne du racolage. En recourant à l'expression " par tout moyen ", l'article R.625-8 laisse aux services de police une marge d'appréciation, même si l'interprétation jurisprudentielle de l'infraction est assez restrictive, et si, en pratique, la contravention de 5 ème classe étant lourde et impliquant de passer devant le juge d'instance, peu de procès-verbaux pour racolage seraient en définitive dressés.

Enfin, la politique abolitionniste interdisant d'appliquer à la prostitution des réglementations spécifiques, c'est par le biais de leur pouvoir de police que certains maires, pressés par les plaintes de riverains, commencent à intervenir pour contrarier l'exercice de l'activité prostitutionnelle.

Ainsi, confrontée aux pétitions et autres manifestations d'exaspération de la population, la municipalité de Strasbourg a pris, à partir du printemps 2000 et surtout depuis l'été dernier, un certain nombre d'arrêtés relatifs au stationnement et à la circulation pour gêner autant que possible la pratique de la prostitution et donner une base juridique à l'intervention des forces de police 15 ( * ) .

Le stationnement et l'arrêt des véhicules ont été interdits à certains endroits entre 20 heures et 6 heures du matin pour mettre un terme aux nuisances sonores que subissaient les riverains et garantir la sûreté et les commodités de passage.

Depuis le mois d'août, les passages et les verbalisations de la police sont quotidiens et une centaine de contraventions ont été dressées sur les secteurs concernés ; la représentante de la Ville de Strasbourg au colloque du 15 novembre 2000 a indiqué que des résultats commençaient à être perceptibles : la prostitution certes n'a pas disparu, mais elle a été repoussée à l'extérieur, ce qui était le but de la démarche. Quoiqu'on pense par ailleurs d'une telle stratégie, force est de constater qu'elle pose, sur le plan juridique, un problème de cohérence avec l'attitude générale du droit français visant à considérer la prostitution comme une activité parfaitement légale.

On trouve ainsi renforcé un paradoxe de l'abolitionnisme : dans ce système, la prostitution est libre. Mais les prostituées, déjà dans l'impossibilité d'exercer leur activité dans les hôtels ou les studios en raison de la législation sur le proxénétisme, sont progressivement refoulées de certaines voies publiques vers des lieux plus clandestins -parkings, aires de stationnement, terrains vagues...- où leur condition est plus dégradante encore et leur sécurité particulièrement mal assurée.

* 15 La Ville de Strasbourg n'intervient pas que pour renforcer l'arsenal répressif, elle est aussi présente dans l'action sanitaire et sociale. On se reportera à l'intervention de Mme Assina Charrier lors du colloque du 15 novembre 2000 (annexe 3).

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