Audition de M. Benoît ASSEMAT, Président du Syndicat national
des vétérinaires inspecteurs de l'administration (SNVIA)

(17 janvier 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Benoît Assemat, merci d'avoir répondu à notre convocation. Je rappelle que vous êtes ici en tant que président du Syndicat national des vétérinaires inspecteurs de l'administration.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Assemat.

M. le Président - Dans un premier temps, je vais vous demander d'exprimer, au cours d'une introduction liminaire, la position du syndicat que vous représentez par rapport à l'ensemble du problème qui est posé par les farines animales et le problème sous-jacent de l'ESB.

M. Benoît Assemat - J'ai prévu de faire cette intervention liminaire en trois temps : le premier pour rappeler rapidement le rôle des vétérinaires inspecteurs dans le contrôle sanitaire des filières animales ; le deuxième pour faire un bref rappel sur l'histoire récente des services vétérinaires et la place du contrôle des farines animales dans le dispositif administratif ; le troisième pour exprimer un point de vue sur les conséquences sanitaires de l'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage.

Sur le premier point, le rôle des vétérinaires inspecteurs dans le contrôle sanitaire des filières animales, vous savez que les vétérinaires assument cette fonction dans presque tous les pays du monde. C'est la formation initiale des vétérinaires, qui associe des compétences en matière de zootechnique et des connaissances des productions animales à des compétences médicales, qui prédispose particulièrement les vétérinaires à agir en matière de contrôle sanitaire des filières animales.

Je rappelle qu'en France, nous avons, en plus de cette formation initiale des vétérinaires, une formation spécialisée d'une ou deux années qui est effectuée à l'Ecole nationale des services vétérinaires et qui apporte surtout des connaissances en matière juridique et en matière de gestion des ressources humaines.

Enfin, je tiens à dire que les vétérinaires inspecteurs exercent, sur cette base d'une expertise technique vétérinaire et cette formation spécialisée, des fonctions d'expertise, de direction et d'encadrement qui, comme vous le savez, s'exercent principalement, dans la grande majorité, à la Direction générale de l'alimentation et dans les Directions des services vétérinaires qui existent dans chaque département.

Ces missions recouvrent toute une série d'éléments que je citerai rapidement : la sécurité sanitaire des aliments dans les filières animales, le bien-être des animaux, les mesures de prévention et de lutte contre les maladies animales ainsi que les mesures qui ont trait à la protection de l'environnement dans le rapport entre les animaux et les industries alimentaires. Toutes ces missions sont regroupées sous le concept de "santé publique vétérinaire" et concourent au bien-être de l'homme sous toutes ses formes : le bien-être physique, moral et social.

La sécurité sanitaire de l'alimentation n'est pas la seule concernée. Les autres aspects, notamment ceux qu'attend le citoyen en matière de bien-être animal et de protection de l'environnement, sont couverts par les services vétérinaires.

Cette présentation préliminaire me conduit à évoquer très rapidement l'histoire récente des services vétérinaires et la place du contrôle des farines animales dans le dispositif.

Je voudrais tout d'abord rappeler ici que c'est grâce à la loi du 8 juillet 1965, qui a créé un service d'Etat d'hygiène alimentaire, que nous sommes dans la situation actuelle. Cette loi avait une très grande ambition que l'on aurait presque eu tendance à oublier ensuite. Cette grande ambition existait dès le départ car elle ne limitait pas le service d'Etat à prendre en charge l'inspection qui existait dans les services municipaux. Cette loi a constitué un service d'Etat à partir des services municipaux d'inspection.

Il n'a pas été seulement question de l'inspection dans les abattoirs : dès le départ, le législateur a voulu organiser une inspection sanitaire sur toute la filière de la viande, depuis les marchés attenants aux abattoirs jusqu'à la remise des denrées aux consommateurs, et non pas seulement dans la filière viande, puisque le législateur a prévu que ce contrôle devait être effectué sur toutes les denrées alimentaires d'origine animale, quelles qu'elles soient.

C'est une très grande ambition qui a été fixée à l'époque --je le répète--avec un objectif très clair de protection de la santé publique. Ce sont les premiers mots de cette loi du 8 juillet 1965 : « dans l'intérêt de la protection de la santé publique, il doit être procédé à l'inspection sanitaire ».

Dès le départ, en 1965, parce qu'il s'agissait uniquement de la santé publique, des discussions ont eu lieu sur le ministère de tutelle qui devait être retenu.

Je terminerai l'évocation de cette loi, en vous indiquant qu'elle avait organisé (c'était la conception de l'époque ; personne ne l'avait imaginé) un contrôle unifié sur les filières animales, depuis l'animal vivant entrant dans l'abattoir jusqu'au consommateur, mais n'avait pas prévu le contrôle sanitaire en amont de l'abattoir, dans les élevages ou dans les usines d'alimentation animale. Le législateur, à l'époque, n'avait donc pas pensé que le contrôle sanitaire devait remonter si haut. En 1964, on a conçu un dispositif à partir des marchés attenants aux abattoirs de l'époque jusqu'au consommateur. C'était le but de cette loi.

J'ajouterai que le rattachement au ministère de l'agriculture, qui a finalement été retenu, a permis, dans les départements, de constituer les directions des services vétérinaires telles que nous les connaissons maintenant, en additionnant ce nouveau service d'Etat d'hygiène alimentaire au Service départemental des épizooties et aux laboratoires vétérinaires qui ont été créés à cette période. Nous avons eu, à cette période, au 1er janvier 1968, la constitution des directions des services vétérinaires que nous connaissons maintenant.

Cette loi était très ambitieuse. Ensuite, durant toutes les années 70, une réglementation sanitaire très importante a été élaborée. Elle portait sur tous les établissements agro-alimentaires et même sur la restauration commerciale par un arrêté de 1980, ce qui montre bien que l'esprit de cette loi était d'organiser un contrôle sanitaire sur toute la chaîne alimentaire. Cependant, je dois dire aujourd'hui que les moyens qui ont été consacrés par les pouvoirs publics pour organiser ce contrôle sanitaire n'ont pas été à la hauteur des ambitions qu'avait voulues le législateur en 1965.

L'organisation que je représente aujourd'hui a constamment dénoncé, en tout cas depuis plus de dix ans, l'insuffisance des moyens qui ont été consacrés par les pouvoirs publics pour réaliser cette grande ambition qui avait été celle du législateur dans les années 60.

A cette époque, une chose extrêmement positive a été obtenue : l'unification du contrôle sanitaire dans les filières animales, l'unification de l'animal vivant pour ce qui touche aux maladies animales jusqu'au consommateur, sauf pour le thème qui vous intéresse et qui est celui du secteur de l'alimentation animale.

Je dirai donc quelques mots sur ce secteur de l'alimentation animale. Jusqu'à la loi d'orientation agricole, qui a été votée il y a dix-huit mois, deux services administratifs avaient des fonctions complémentaires pour le contrôle de l'alimentation animale. Je veux dire par là que le Code rural et les services vétérinaires avaient en charge la partie liée à la transformation des déchets animaux, c'est-à-dire le contrôle sanitaire au niveau des équarrissages, et également le contrôle de l'importation de ces déchets animaux.

En revanche, le contrôle de l'utilisation des farines animales, terme qui est stipulé dans l'intitulé de la commission d'enquête, c'est-à-dire l'intervention dans les usines d'alimentation animale, n'a jamais été prévu puisqu'aucun pouvoir n'était prévu à ce titre pour les agents des services vétérinaires. C'est donc sur la base du code de la consommation que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a organisé le contrôle sanitaire de l'utilisation des farines animales.

Voilà ce que je devais dire sur ce cas tout à fait particulier de l'alimentation animale et la matière dont, jusqu'à la loi d'orientation agricole, les choses étaient organisées.

Cela me conduit à évoquer devant vous les relations entre les services vétérinaires et les services de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ainsi que l'articulation des activités de ces deux services.

Selon une idée reçue qui est largement partagée, puisqu'on lit cela très souvent, les services vétérinaires auraient en charge l'amont de la filière et la DGCCRF aurait en charge l'aval, c'est-à-dire la remise au consommateur. Cette idée reçue est une conception qui prévaut depuis de longues années et qui a conduit jusqu'à aujourd'hui à cette conception qui veut que l'on considère que le contrôle sanitaire est de la compétence de plusieurs ministères et qu'il faut donc organiser l'interministérialité au niveau local en mettant en place ces pôles de compétences qui se développent depuis quelques années.

Je tiens à exprimer aujourd'hui mon point de vue sur le fait que la réalité juridique est différente de cela, en tout cas sur ce qui touche les filières animales. En effet, il ne fait pas de doute --et je reviens sur la volonté du législateur de 1965-- que le rôle des services vétérinaires, en appliquant le code rural, est d'organiser un contrôle sanitaire du respect des règles tout au long des filières animales et que ce respect des règles sanitaires est assuré beaucoup plus par des mesures de police administrative qui ont un but préventif. En effet, pour assurer la sécurité de la population, il faut prendre des mesures préventives. Ces mesures de police administrative sont très développées dans les services vétérinaires qui l'appliquent prioritairement, car on dispose d'un code rural qui a élaboré une réglementation sanitaire spécifique.

Le rôle de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, sur la base du code de la consommation et, notamment, du titre I relatif à la conformité des produits, celui qui prévoit le délit de tromperie et de falsification, est un contrôle des règles en matière de loyauté des transactions commerciales. Ce rôle, qui a pour but de rechercher les tromperies, y compris en matière alimentaire, est essentiellement fondé sur la police judiciaire et a un but répressif mais, pour ce qui concerne les filières animales, du fait que, sur la base du code rural, une réglementation sanitaire a été élaborée pour toutes les filières animales, cela signifie, en droit administratif, que ce sont ces règles sanitaires d'un droit administratif spécial qui prévalent sur les règles générales qui sont celles du code de la consommation.

En matière de filières animales, il est faux de dire que les services vétérinaires ont en charge l'amont des aspects sanitaires et que la DGCCRF a en charge l'aval. Cette situation a été dénoncée à plusieurs reprises et j'ai prévu de citer deux extraits d'un rapport récent de l'Ecole nationale de l'administration qui a travaillé sur ce thème de l'interministérialité au niveau local :

« Le fait que la sécurité alimentaire se caractérise par un enchevêtrement des compétences est donc un obstacle considérable à sa gestion interministérielle ».

« L'interministérialité au niveau local devrait consister à mettre en oeuvre de manière coordonnée des compétences distinctes exercées par des services différents mais intervenant dans un même domaine, comme c'est le cas de la politique de la ville à celle de l'eau ».

Il serait beaucoup plus sain d'organiser le travail sur des bases d'objectifs complémentaires de chaque service plutôt que de continuer à dire que le respect des règles sanitaires est une fonction attribuée à plusieurs administrations et qu'elles n'ont qu'à se mettre ensemble pour l'organiser.

Je crois en réalité que la vraie politique interministérielle au niveau local qui pourrait être mise en place devrait porter sur l'alimentation et non pas sur le respect des règles sanitaires. Je veux dire par là que différents aspects doivent être arbitrés au niveau local : les aspects sanitaires, les aspects économiques, qui sont portés par l'administration de l'agriculture, la DDA, les aspects liés à la loyauté des transactions, les aspects liés à l'état de santé des populations, un domaine sur lequel la France rattrape son retard sur le plan de la surveillance des maladies humaines, et, enfin, les aspects nutritionnels.

On pourrait imaginer que, si on rassemblait des services qui ont des compétences distinctes (je veux dire par là très précisément que les services vétérinaires ont en charge le respect des règles sanitaires et que les services de la répression des fraudes pour les filières animales ont en charge d'abord le respect en matière de loyauté des transactions commerciales), on pourrait faire travailler de manière beaucoup plus profitable l'ensemble des services plutôt que d'organiser un genre de concurrence qui conduit soit à des doublons dans l'organisation du dispositif soit, plus grave, à des trous dans le dispositif. En effet, en disant que chacun organise le respect des règles sanitaires, cela permet à chacun d'organiser les choses comme il le veut, ce qui entraîne des trous dans le dispositif en matière de respect des règles sanitaires, dans les départements, compte tenu de l'insuffisance des moyens.

Voilà ce que je souhaitais dire sur l'organisation administrative et sur la partie liée au contrôle de l'utilisation des farines animales.

Je souhaite terminer cette présentation par un point de vue qui sera plus personnel que celui de l'organisation que je représente. Il s'agit d'un point de vue sur les conséquences sanitaires de l'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage. Je dis bien que c'est un point de vue plus personnel car notre organisation, le Syndicat des vétérinaires inspecteurs, n'a pas pour tradition de se positionner pour commenter les décisions qui sont prises par le pouvoir politique en matière de respect des règles sanitaires. Je veux dire par là que nous ne commentons pas l'opportunité ou non de telle ou telle mesure. Nous sommes sur un terrain où nous attirons l'attention de notre ministère de tutelle, lorsque qu'il le faut, sur l'insuffisance des moyens, par exemple, ou sur des problèmes d'ordre général, mais pas sur le contenu. Ce que je vais vous dire là est donc un point de vue personnel mais c'est aussi celui du professionnel puisqu'il est lié à mon activité professionnelle.

Je rappellerai que les mesures qui ont été arrêtées en avril 1996 puis à la fin du mois de juin sont tout à fait essentielles pour la protection du consommateur. D'ailleurs, quand on se replonge dans les missions d'information parlementaires de l'époque, on s'aperçoit que l'on jugeait ces mesures excessives et que les questions qui étaient posées portaient plutôt sur le côté excessif de ces mesures.

Je tiens donc à dire que les farines animales qui sont utilisées ou qui ont été utilisées récemment n'ont rien à voir avec celles qui étaient utilisées avant 1996, à savoir celles qui sont mises en cause dans l'évolution de l'encéphalopathie spongiforme bovine. En effet, vous savez que les animaux les plus jeunes confirmés actuellement -il y en a cinq ou six- sont nés en janvier 1996 et qu'il n'y a pas d'animaux plus jeunes confirmés. Cela fait donc cinq ans maintenant, de janvier 1996 à janvier 2001.

L'efficacité de ces mesures arrêtées en 1996, à mon avis, n'a jamais été remise en cause. Au contraire, il me semble que, plus le temps passe, plus il se confirme que ces mesures ont été efficaces. Je veux dire par là, sans être un expert du dossier, qu'au cours des années précédentes, bien qu'il y ait eu beaucoup moins de cas déclarés qu'en l'an 2000, au cours du dernier trimestre de chaque année civile, on a eu l'apparition des nouveaux cas d'ESB de la nouvelle génération d'animaux : des animaux âgés de 4 ans. Nous avons observé systématiquement, en 1997, 1998 et 1999, l'apparition d'une nouvelle génération d'animaux contaminés. Nous ne l'avons pas observée en l'an 2000 alors qu'il y a eu plus de 150 cas déclarés.

Je vous répète que les derniers cas remontent à des animaux qui sont nés en janvier 1996.

Cela me paraît extrêmement important. C'est pourquoi je pense que les mesures qui ont été arrêtées récemment par le gouvernement répondent d'abord à l'inquiétude et à la crise de confiance qui s'est déclenchée au sein de l'opinion publique. C'est une décision politique qui n'a d'ailleurs pas à répondre qu'à des considérations scientifiques. Il est parfaitement légitime que ces décisions répondent à des considérations socio-économiques et il est vrai que, si la société et les consommateurs ne veulent plus que les animaux qu'ils consomment soient eux-mêmes alimentés à partir des farines animales, on peut comprendre qu'on ait interdit ces farines animales, mais j'estime que la justification sanitaire est faible et ne peut apporter qu'une amélioration marginale à la sécurité sanitaire de l'alimentation des animaux d'élevage, compte tenu de l'importance considérable de ce qui a été arrêté en 1996.

Cependant, nous saurons mieux, dans quelques mois, si ces mesures se révèlent particulièrement efficaces, sachant que c'est au fil du temps que la sécurisation s'est améliorée. En effet, au début de 1998, on a franchi une nouvelle étape pour la sécurisation des farines animales, mais je pense que, dès l'année 1996 et la mise en place du service public d'équarrissage, on a divisé dans des proportions considérables le risque que représentait l'utilisation des farines animales dans les filières d'alimentation des porcs, des volailles et des poissons.

Je terminerai cette troisième partie en faisant une remarque sur la notion de « farines animales ».

Si on parle des farines animales qui étaient fabriquées avant le printemps 1996, c'est-à-dire celles qui sont mises en cause pour les cas d'ESB que nous connaissons maintenant et qui étaient élaborées à partir de cadavres d'animaux, j'attire votre attention sur le fait que la production qui était faite à partir de cette matière première contenant des cadavres d'animaux conduisait à produire un genre de produit brut que l'on appelle la « farine grasse », une farine contenant 20 à 30 % de matières grasses. Ce produit brut n'était pas utilisé en tant que tel dans l'alimentation : il faisait l'objet d'un traitement qui conduisait à avoir, d'une part, des farines dégraissées, qui sont les farines animales dont on parle couramment, des farines très riches en protéines et dégraissées à un certain taux et, d'autre part, des graisses d'équarrissage qui étaient normalement utilisées dans l'alimentation des animaux d'élevage et des ruminants jusqu'à la mise en place du service public d'équarrissage.

Il me semble qu'il y a parfois une confusion entre les farines animales et ces farines grasses. Le produit brut que sont les farines grasses conduit à deux produits : les farines et les graisses d'équarrissage. Je le dis parce que le prion, comme tout le monde le sait, je pense, est une protéine dont le caractère hydrophobe est très marqué. Comme les scientifiques le savent et comme l'indiquent tous les traités de biochimie, la protéine du prion est très hydrophobe, c'est-à-dire liposoluble, ce qui n'étonnera pas ceux qui savent où elle se trouve. En effet, elle se trouve dans le système nerveux central, une matière qui est d'abord constituée de lipides.

Je n'ai personnellement jamais vraiment pensé que l'on avait suffisamment approfondi le rôle qu'avait pu jouer cette protéine liposoluble dans l'apparition des cas que nous constatons maintenant et qui surviennent sur des animaux nés essentiellement en 1993, en 1994 et en 1995.

En guise de conclusion, je dirai qu'il me paraît tout à fait essentiel de préserver absolument l'unité du contrôle sanitaire dont nous avons la chance de bénéficier en France depuis 1968, depuis l'unité de la santé animale jusqu'à l'hygiène des denrées remises aux consommateurs. J'affirme qu'il n'y aurait rien de pire que de rattacher le contrôle sanitaire effectué sur les animaux, comme cela a été le cas dans beaucoup de pays d'Europe qui en paient les conséquences maintenant en découvrant très tardivement leurs cas d'encéphalopathie spongiforme bovine, à un ministère de tutelle, par exemple au ministère de l'agriculture, et le contrôle sanitaire effectué à partir de l'abattoir à un autre ministère de tutelle, car on romprait l'unité du contrôle sanitaire qui est ce que nous avons de plus précieux et de plus efficace dans l'organisation de notre dispositif.

Enfin, je tiens à répéter que le syndicat que je représente a toujours défendu l'organisation de ce contrôle sanitaire unifié indépendant des services chargés de l'appui économique aux filières animales. Le SNVIA défend depuis 1984 une conception du contrôle sanitaire qui conduit à ne pas se placer dans la situation d'être juge et partie. Ce combat, qui a été mené dès 1985 par l'organisation que je représente et qui a été difficile à mener et très long (nous sommes maintenant quinze ans après), a commencé à porter ses fruits après la première crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine de mars 1996.

Nous constatons que tous les ministres de l'agriculture successifs, depuis M. Philippe Vasseur jusqu'à M. Louis Le Pensec et M. Jean Glavany, se sont efforcés de préserver la qualité du contrôle sanitaire et son indépendance par rapport à l'appui économique aux filières. Cependant, je tiens à dire qu'il reste encore beaucoup d'efforts à faire pour arriver au bout de cette démarche.

M. le Président - Merci. Je vais demander à notre rapporteur, M. Bizet, de poser la première question.

M. Jean Bizet, Rapporteur - J'aurai trois questions à l'adresse du président du Syndicat national des vétérinaires inspecteurs.

La première m'amènera à revenir sur les derniers propos que vous venez de tenir, monsieur Assemat, concernant votre approche personnelle au sujet des conséquences de l'utilisation des farines sur la santé animale. J'aimerais savoir quelle est votre analyse personnelle sur les conséquences de cette utilisation sur la santé humaine. Vous n'êtes pas un épidémiologiste, certes, mais vous avez certainement une idée personnelle de la question.

J'ai une deuxième question. Nous avons bien compris que vous dénoncez (nous sommes d'accord avec vous et nous avons été plusieurs, sur ces bancs, à le dénoncer lors de l'examen du projet de loi de finances 2001 dans le budget de l'agriculture) l'insuffisance des moyens humains mis à disposition. On avait noté à l'époque cinquante créations de postes pour le secteur de la sécurité alimentaire contre 410 pour la gestion des aides agricoles et des contrats territoriaux d'exploitation. Etes-vous satisfait du projet de loi de finances 2000 dans sa version finale ?

Troisième question : pensez-vous que le retrait des matériels à risques spécifiés est aujourd'hui effectué correctement dans les différents abattoirs et quels sont vos moyens pour contrôler les carcasses importées ? C'est aussi un problème important. Nous avons noté au travers des différentes auditions que l'identification pérenne des animaux, en France, est d'une grande qualité et d'une grande fiabilité --il faut le dire--, surtout par rapport à certains pays, notamment le Royaume-Uni, où on ne faisait pas d'identification pérenne il y a encore quelques années. Nous pouvons donc nous vanter, en France, d'avoir été des pionniers sur ce point, notamment pour éradiquer un certain nombre de maladies réputées légalement contagieuses.

Cela étant, l'identification des carcasses, notamment quand on s'adresse, au fur et à mesure de l'aval, à la restauration collective et la restauration hors foyers, laisse à désirer. Quelles sont donc aujourd'hui vos analyses en matière d'importations et en matière d'identification et de traçabilité sur les carcasses importées ?

M. Benoît Assemat - Sur le premier point, à savoir les conséquences sur la santé humaine, je pense comme beaucoup d'experts que le risque sanitaire est derrière nous, qu'il s'est essentiellement produit avant 1996, avant que l'on retire de l'alimentation humaine les organes qui renferment le prion, principalement le système nerveux central et la liste des organes qui a été augmentée.

Je pense en revanche que les conséquences sont encore devant nous, ce qui est difficile à comprendre pour la population. Je pense que, depuis 1996, le risque qui existait auparavant fait l'objet de beaucoup d'incertitudes quant à son importance, mais j'ai vu récemment qu'une expertise française évoquait un ordre de grandeur de 10 à 300 cas au cours des soixante prochaines années. Ce sont les estimations qu'a livrées Mme Alpérovitch avec un groupe d'experts, soit une fourchette très large, avec une moyenne maximum de cinq cas par an au cours de chacune des soixante prochaines années.

Je pense en tout cas que c'est très probablement avant 1996 que la contamination s'est produite et que les mesures prises en 1996, quelle que soit l'importance du nombre de cas, ont à mon avis diminué dans des proportions considérables le risque d'exposition de la population. Je n'en connais pas les proportions. Est-ce un rapport de cent, de mille ou de dix mille ? Les proportions sont en tout cas considérables.

Je ne pense donc pas qu'il y ait de risques réels, même si le risque zéro est poursuivi, parce que c'est la nature humaine. A mon avis, il n'y a plus maintenant de nouveaux risques à prévoir. Il n'y a que les conséquences du risque passé.

Votre deuxième question concerne l'insuffisance des moyens humains. Effectivement, notre organisation avait décidé, au cours des derniers mois, de porter l'accent sur ce point. L'actualité a fait que le ministère de l'agriculture et le gouvernement ont apporté une réponse tout à fait concrète par la mise en place de ce plan pluriannuel de trois cents emplois dans les services vétérinaires. Il ne s'agit pas uniquement d'emplois de vétérinaires inspecteurs, car il faut aussi des techniciens, des agents administratifs et des ingénieurs. Ce plan de trois cents emplois sur deux ans prévus pour le plan ESB est important car il sature les capacités de formation du ministère de l'agriculture.

En revanche, nous demandons, même si nous savons que c'est difficile, que la réflexion ne soit pas limitée au dossier de l'ESB ni aux seules deux prochaines années. Nous estimons qu'il y a un véritable défi à relever pour organiser un contrôle sanitaire moderne. Il ne s'agit pas de mettre un gendarme derrière chaque entreprise, évidemment, mais nous pensons qu'il y a un défi important à relever et qu'il faut voir au-delà des deux ans qui viennent.

Nous souhaiterions que la réflexion soit menée au cours des cinq à dix ans qui viennent pour mettre en place un grand service public de contrôle de la sécurité alimentaire de l'alimentation et que l'on prévoie, sur un plan pluriannuel plus important, les moyens qui devraient correspondre à ce qu'attend la société et aux besoins du service public. Voilà ce que nous pensons sur ce dispositif.

Quant au retrait des matériels à risques spécifiés, de même que toutes les mesures de lutte contre l'ESB, c'est la priorité des services vétérinaires sur le terrain. Cependant, vous savez ce qu'est une moelle épinière qui se trouve dans le canal rachidien d'un bovin. Le fait même de fendre la carcasse à l'abattoir en passant par le canal médullaire et de retirer à la main les morceaux de moelle épinière pour les mettre dans un petit sac montre que tous les efforts sont faits pour retirer les matériels à risques spécifiés dans les meilleures conditions possible mais qu'il y a certainement encore des marges pour faire mieux.

Il s'agirait notamment de mettre en relief la nécessité d'un échelon intermédiaire de pilotage de l'activité des services qui n'existe pas actuellement. Entre la Direction générale de l'alimentation et les Directions départementales des services vétérinaires, il n'y a pas --et cela fait défaut-- un échelon intermédiaire de pilotage qui pourrait être une délégation interrégionale à la sécurité sanitaire des aliments et qui aurait pour but de réaliser une expertise afin de diriger les choses sur le plan technique. En effet, vous savez comment cela se passe : les personnels sont très sollicités et chacun est à son poste dans son abattoir ou dans son département alors qu'il serait souhaitable d'avoir une coordination plus effective pour améliorer encore le dispositif.

Cependant, je pense que tous les efforts sont faits, dans les conditions actuelles, pour retirer les matériels à risques spécifiés.

Enfin, sur votre dernière question relative au contrôle des carcasses importées, je tiens d'abord à dire que le terme "importées" peut avoir deux sens. En effet, en matière d'importations de pays tiers, un contrôle est organisé au niveau des postes d'inspection frontaliers. Il est systématique mais il ne concerne que ce qui rentre des pays tiers. En revanche, si on parle plutôt de ce qui se passe en pratique avec les échanges intracommunautaires, qui ne font pas l'objet de contrôles systématiques, comme vous le savez, il est vrai qu'il y a une attente de traçabilité.

Je tiens donc à revenir sur ce que j'ai dit dans ma présentation. Nous sommes en effet devant deux sujets différents.

Le premier porte sur la sécurité sanitaire des aliments. Il faut savoir que tous les produits qui sont proposés au consommateur, qu'ils soient labellisés ou non, qu'ils soient d'origine allemande, espagnole ou française, qu'ils soient proposés à un prix bas de gamme ou qu'il s'agisse de produits réservés à des gens plus aisés, doivent répondre à un degré élevé de sécurité.

Le deuxième sujet ne concerne pas la sécurité mais l'identification du produit. Il est légitime de demander qu'il y ait de la viande française dans une collectivité, mais autre chose est de le garantir. Lorsqu'il y a une tromperie, par exemple, sur une viande qui serait déclarée française alors qu'elle viendrait d'Allemagne, c'est évidemment un délit qui peut être poursuivi (il s'agit là de la loyauté des transactions commerciales), mais la viande qui vient d'un autre pays d'Europe, sauf si c'est celle de l'embargo dont fait l'objet le Royaume-Uni, répond aux critères de salubrité de la même manière que la viande française, car le principe, dans un marché unique, c'est la réciprocité et la confiance mutuelle entre les services de chaque Etat-membre.

Il y a sûrement des efforts à faire en ce moment car il y a peut-être des fraudes en matière d'importations de carcasses et je ne sais pas exactement à quoi vous faites référence, mais j'insiste bien sur le fait qu'à mon avis, il n'est pas bon de mélanger la segmentation qualitative des marchés à la sécurité sanitaire des denrées alimentaires. Cette confusion est faite de plus en plus souvent. Malheureusement, le consommateur croit de plus en plus que, pour avoir un produit de qualité qui soit sûr pour lui, il doit aller vers une filière de garantie qualitative, vers un label ou un produit de l'agriculture biologique, ce qui est à mon avis un défaut majeur dans la compréhension actuelle.

Je pense qu'il serait extrêmement important, à chaque fois qu'on le peut, de bien distinguer ce qui relève de la sécurité sanitaire de ce qui relève de la loyauté des transactions. On en revient à ce que j'ai dit tout à l'heure sur la confusion des genres entre les fonctions de deux administrations. Cette confusion existe à tous les niveaux, et même dans le code rural tel qu'il avait été voté en 1965. Je me permets cette digression car elle m'a beaucoup intéressé : le rapporteur du Sénat de cette loi qui, en 1965, avait créé le service d'Etat d'hygiène alimentaire, avait lourdement insisté pour supprimer le terme "qualitatif" des fonctions du service. Au lieu d'avoir la notion d'inspection sanitaire et qualitative, le Sénat, par la voix de M. Victor Golvan, avait demandé à plusieurs reprises que l'on retire le terme "qualitatif" car il entraînait une confusion par rapport à l'objectif de protection de la santé publique.

C'est l'Assemblée nationale qui a eu le dernier mot et c'est pourquoi on trouve aujourd'hui dans le texte cette notion d'inspection "sanitaire et qualitative" qui est désuète et qui n'a d'ailleurs plus de sens aujourd'hui. Cependant, il est assez intéressant de se rendre compte que ces débats ont eu lieu, il y a trente-cinq ans, entre l'Assemblée nationale et le Sénat à l'occasion de l'examen de cette loi.

M. le Rapporteur - Je voudrais revenir sur cette dernière question, que je vous reposerai à l'envers : êtes-vous satisfait, aujourd'hui, des contrôles des carcasses importées des pays tiers ?

M. Benoît Assemat - Sur les pays tiers, à mon avis, il n'y a pas de problème. Pour le peu que j'en connaisse, à partir du moment où, en 1993, on a ouvert les frontières internes du marché unique européen et où on a non seulement concentré les moyens existants auparavant pour le contrôle des pays tiers mais structuré de manière très importante le contrôle des pays tiers par le contrôle dans les postes d'inspection frontaliers, je pense que si un secteur est bien maîtrisé et parfaitement cadré (c'est le seul dans ce cas par rapport au niveau communautaire et au niveau national), c'est bien celui du contrôle par rapport aux pays tiers, ce qui ne veut pas dire qu'il ne puisse pas y avoir de fraudes.

En revanche, en ce qui concerne le système intracommunautaire, c'est un autre sujet.

M. le Rapporteur - Est-ce qu'il vous satisfait ou non ?

M. Benoît Assemat - Il me paraît satisfaisant, à la réserve près des moyens disponibles. En effet, quand on considère la répartition des moyens existant actuellement dans les services vétérinaires et les effectifs consacrés à ce contrôle en pays tiers --un peu plus de trente équivalents temps plein sur 3 850--, on se dit que cela fait très peu.

Cela dit, quand on a supprimé les contrôle intracommunautaires aux frontières, c'est une masse considérable de marchandises qui ne faisait plus l'objet d'un semblant de contrôle. En effet, avant 1965, on faisait semblant d'organiser le contrôle puisqu'on ne pouvait pas contrôler systématiquement les camions. Vous connaissez le nombre de camions qui passaient à « risquons tout », à la frontière de la Belgique ou dans d'autres lieux dont le nom est moins évocateur...

A partir du moment où on ne contrôle que ce qui vient des pays tiers, ce contrôle est beaucoup plus efficace. C'est un point sur lequel les services de l'Etat fonctionnent très bien.

Cependant, sur l'alimentation animale, ce n'est qu'en février 2000 que les marchandises venant des pays tiers ont fait l'objet de ce contrôle. En effet, avant la loi d'orientation agricole, l'alimentation animale en général, mises à part les farines animales, n'était pas soumise à la réglementation sanitaire vétérinaire. Seules les farines animales ont toujours été soumises à un contrôle sanitaire.

M. Paul Blanc - Si je comprends bien, les contrôles qui sont opérés chez les industriels de la nutrition animale afin d'examiner les risques de contamination croisée ne sont pas de votre ressort mais plutôt du ressort de la concurrence et des prix.

M. Benoît Assemat - En fait, c'est plus compliqué que cela car il y a des compétences croisées. Les agents des services vétérinaires sont également habilités à contrôler ce qui relève du code de la consommation. Ce sont des agents de la répression des fraudes au même titre que les agents de la DGCCRF, de même que les agents de la DGCCRF sont habilités à relever les infractions aux textes sanitaires.

Cela étant dit, on n'a parlé des contaminations croisées qu'à partir de 1997 et 1998. Avant 1996, à ma connaissance, personne n'évoquait les contaminations croisées. Il est très clair qu'aucun contrôle à l'usine d'alimentation animale n'était effectué avant 1996 par les services vétérinaires départementaux de terrain qui n'en avaient pas la compétence. C'était un contrôle qui relevait de la DGCCRF, qui l'organisait de la même manière, sachant que c'est un service dont le sérieux est reconnu de tout le monde. Simplement, on ne parlait pas, à cette époque, des contaminations croisées.

Depuis que les cas d'encéphalopathie spongiforme bovine se sont développés, des enquêtes épidémiologiques sont menées par les services vétérinaires, notamment par la Brigade nationale d'enquête vétérinaire et sanitaire, et ces contrôles amènent les agents des services vétérinaires à faire des contrôles en matière d'alimentation animale, mais c'est surtout la loi d'orientation agricole qui, depuis, a fait progresser les choses sur la base du code rural.

Quand on est dans les services vétérinaires, on a beau savoir qu'on est aussi agent de la répression des fraudes, en réalité, on a largement assez à faire en appliquant la réglementation sanitaire. Par conséquent, quand on est dans une direction des services vétérinaires, on applique d'abord les textes qui sont issus du code rural. Autrement dit, jusqu'à une période récente, on ne contrôlait pas l'alimentation animale mais l'équarrissage et l'importation des farines animales.

Cependant, les compétences croisées font que la réponse ne peut pas être aussi carrée. Il y avait des instructions internes entre le ministère de l'agriculture et le ministère de tutelle des fraudes qui prévoyaient que les contrôles en usine d'alimentation animale étaient du ressort de la DGCCRF, que les services vétérinaires pouvaient contrôler, dans les élevages, les étiquettes des sacs, par exemple, et qu'en cas de problème, ils pouvaient transmettre une étiquette à la DGCCRF, cette administration ayant alors la charge d'organiser le contrôle en usine.

Cela prouve bien qu'il n'était pas prévu que les services vétérinaires contrôlent les usines. De toute façon, ils n'avaient pas le droit d'y pénétrer. Si l'agent des services vétérinaires ne met pas sa casquette d'agent chargé d'appliquer le code de la consommation, il ne peut pas rentrer dans une usine d'alimentation animale pour faire un contrôle.

M. Paul Blanc - La DGCCRF vous demandait-elle d'aller contrôler ?

M. Benoît Assemat - Absolument pas. C'est un domaine qui était particulièrement clair. Nous avons souffert et nous souffrons encore, sur le terrain, de chevauchements de compétences. En matière de contrôle de la restauration, on peut en effet se demander qui contrôle, si cela ne concerne personne ou l'un et l'autre, si on doit séparer le département en deux, si on doit le faire selon ses compétences, etc. Toutes les hypothèses existent.

Cependant, dans ce domaine, les choses étaient parfaitement claires. Il n'est venu à l'idée de personne, à mon avis (en tout cas pas de moi, sachant que j'étais dans le département des Vosges puis dans celui de la Corrèze à cette époque), d'aller dans une usine d'alimentation animale pour cela. C'est un domaine qui était parfaitement clair.

M. Paul Blanc - Toujours dans le même esprit, des contrôles étaient-ils opérés sur les équarrisseurs concernant la sécurité des farines ?

M. Benoît Assemat - Les industries d'équarrissage étaient contrôlées tout d'abord au titre d'installations classées en matière de protection de l'environnement. Dans tous les départements, le directeur des services vétérinaires et ses services étaient chargés d'appliquer cette réglementation. Les dossiers passaient en conseil départemental d'hygiène après une enquête publique pour avoir une autorisation. Les moyens consacrés au contrôle des entreprises d'équarrissage n'étaient pas très importants mais on ne peut pas dire qu'il n'y avait pas de contrôle. Simplement, lorsque ce contrôle se pratiquait, il portait plutôt sur le respect des règles en matière de protection de l'environnement car il y avait un arrêté d'autorisation au titre des installations classées.

Il faut savoir qu'avant 1996, l'industrie de l'équarrissage n'était rien d'autre qu'une industrie de valorisation de déchets. Je ne sais pas si vous avez vu ce que récupéraient les entreprises d'équarrissage : parfois des cadavres d'animaux décomposés depuis huit jours, ce qui n'est pas particulièrement ragoûtant. Nous avions donc là une industrie qui récupérait des déchets, qui les transformait et qui les valorisait dans des produits vendus ensuite. Sur le plan hygiénique et sanitaire, il n'y avait pas grand-chose à faire. Il fallait notamment vérifier l'étanchéité des camions, par exemple.

M. Paul Blanc - Y avait-il des contrôles sur les températures, les conditions de cuisson et le retraits des abats à risques pour la sécurité des farines ?

M. Benoît Assemat - Avant 1996, nous n'étions pas dans ce contexte. Nous avions des équarrissages bruts avec des textes réglementaires. Le traitement des 133 degrés, vingt minutes et 3 bars n'était pas pratiqué et la question ne se posait donc pas de savoir si on pratiquait ce contrôle.

M. Paul Blanc - Que se passe-t-il depuis ?

M. Benoît Assemat - Depuis, bien évidemment, ce secteur a fait l'objet d'un contrôle renforcé. Cependant, si on regarde, là aussi, les moyens officiellement consacrés (je pense qu'ils sont de huit équivalents temps plein au niveau national), on se rend compte de la limite des effectifs consacrés à chaque secteur d'activité. Désormais, les services vétérinaires se sont beaucoup mieux organisés pour aller régulièrement dans les équarrissages et, en tout cas, pour accorder à ce dossier une attention beaucoup plus grande qu'avant 1996.

Cela dit, je suis mal placé pour répondre, monsieur le Sénateur, car je n'ai jamais eu, ni dans le département des Vosges, ni dans celui de la Corrèze, d'équarrissage dans mon département, ce qui fait que je n'ai jamais pratiqué cela.

M. Paul Blanc - Ne pensez-vous pas qu'il y a quand même une certaine opacité dans le secteur de la nutrition animale ?

M. Benoît Assemat - Vous voulez parler du contrôle ?

M. Paul Blanc - Je veux parler de l'ensemble de la filière.

M. Benoît Assemat - Non. Avant 1996, nous avions une industrie de la valorisation des déchets qui était ce qu'elle était et qui rendait bien service puisque, lorsqu'il y avait une grève de l'équarrissage dans les départements, le problème de santé publique que cela posait était important.

A partir de 1996, progressivement, on a mis en place une double activité : celle du service public d'équarrissage et celle de la valorisation des sous-produits avec des garanties sanitaires que je juge importantes car elles sont essentielles pour protéger la santé des consommateurs.

Quant à l'opacité sur les farines animales, il faut compter avec la presse, l'actualité et les enquêtes qui sont menées. Je n'ai pas plus d'informations que cela.

M. Paul Blanc - Je parle de l'ensemble de la nutrition animale.

M. Benoît Assemat - Je n'ai aucun a priori sur le secteur de la nutrition animale.

M. Paul Blanc - Enfin, je vous poserai une question personnelle : quel est votre sentiment sur le système du service public de l'équarrissage qui, en réalité, fait appel à deux monopoles ?

M. Benoît Assemat - C'est une situation très ancienne. Avant le service public tel que nous le connaissons maintenant, il y avait déjà des secteurs d'activité. Pour que cette activité fonctionne, j'imagine que le législateur a voulu dès le départ qu'il y ait des monopoles d'activité, sans quoi c'était un peu la foire. Je suis trop jeune pour avoir connu cette mise en place.

En ce qui concerne le service public d'équarrissage, le fait de faire appel à des sociétés privées qui sont chargées d'un service public ne me choque pas. Maintenant, l'aspect des monopoles n'est pas vraiment notre rayon. Nous n'avons pas vocation à évaluer, sur le plan économique, la pertinence de telle ou telle mesure. Y a-t-il une situation de concurrence qui n'est pas suffisamment bien assurée car le monopole est trop fort ? Je n'ai pas de compétence pour répondre à cette question.

M. Georges Gruillot - Je voudrais vous poser deux ou trois questions, si vous le permettez.

Vous avez répondu tout à l'heure au rapporteur, M. Bizet, si j'ai bien compris, que vous faisiez tout à fait confiance aux viandes importées des pays de l'Union européenne. Cela veut-il dire que vous faites absolument confiance aux services vétérinaires dans les pays de départ ?

M. Benoît Assemat - Non. Je veux dire par là que le principe de base du marché unique européen s'appuie sur la confiance mutuelle et la réciprocité de l'activité des différents services.

M. Georges Gruillot - A titre personnel, faites-vous totalement confiance aux vétérinaires allemands, espagnols, grecs ou italiens ?

M. Benoît Assemat - Voyant ce qui s'est passé sur le dépistage de l'ESB, notamment en Espagne et en Allemagne, je ne vais évidemment pas...

M. Georges Gruillot - Je ne parle pas seulement d'ESB. Je parle en général. Quand vous avez un papier d'un confrère d'Italie ou du Portugal, c'est tout bon ?

M. Benoît Assemat - Je pense qu'il n'y a pas suffisamment d'harmonisation. Au niveau communautaire, l'espace sanitaire européen n'est certainement pas encore fait. Un office alimentaire et vétérinaire intervient régulièrement et sa fonction est d'aller contrôler l'efficacité des services mis en place par chaque Etat-membre. Vous savez que lorsque l'office alimentaire et vétérinaire vient en France --il le fait régulièrement--, il fait souvent des observations critiques sur le fonctionnement de notre service national. Il a la même attitude avec d'autres services.

M. Georges Gruillot - Ce n'est pas la question que je vous pose. Je vous demande votre position personnelle. Faites-vous confiance les yeux fermés à vos collègues des autres pays ? Si c'est vrai, cela a bien changé... (Rires.)

M. Benoît Assemat - Je vous réponds à titre personnel. Je dis oui à partir du moment où des denrées d'origine animale sont remises aux consommateurs, qu'elles viennent de France, d'un élevage industriel qui a été nourri avec des facteurs de croissance ou autre chose ou que ce soit un poulet sous label, un poulet biologique ou un poulet qui vient d'Espagne ou d'ailleurs. J'estime que l'on ne peut pas fonctionner normalement s'il n'y a pas une reconnaissance de ce qu'est la garantie apportée par les services officiels, ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas l'améliorer.

Au sein de notre organisation, nous nous battons, dans notre pays, pour améliorer le service public. Je ne suis pas satisfait du service public tel qu'il fonctionne en France et je ne connais pas suffisamment le rôle de contrôle des autres Etats-Membres. C'est celui de l'Office alimentaire et vétérinaire. Simplement, en tant que consommateur, je ne me dis pas que je suis plus inquiet...

M. Georges Gruillot - Je parle au président du syndicat des vétérinaires inspecteurs et non pas au consommateur. Je comprends que vous ne puissiez pas me répondre.

M. Benoît Assemat - Je vous réponds.

M. Georges Gruillot - J'ai une deuxième question à vous poser. En 1992, on a interdit, en France, l'utilisation de cervelle importée majoritairement du Royaume-Uni qui entrait dans des aliments en France alors qu'elle était interdite depuis 1990 à la consommation en Angleterre. Vous savez cela. Comment pouvez-vous nous l'expliquer ? Jusqu'en 1992, en France, on a consommé des cervelles anglaises, en particulier dans les pots pour bébés.

M. Benoît Assemat - L'arrêté qui a été pris en 1992 n'a concerné à ma connaissance que les pots pour bébés et je ne pense pas qu'avant l'embargo du 21 ou 22 mars 1996, il y ait eu une mesure d'interdiction.

M. Georges Gruillot - Cette mesure a été prise en 1992 en France et en 1990 en Angleterre.

M. Benoît Assemat - Vous parlez des cervelles et moelles épinières ?

M. Paul Blanc - Les Anglais, en 1989, ont interdit la commercialisation des abats chez eux et il a fallu attendre plus de deux ans pour que ce soit interdit dans notre pays.

M. Benoît Assemat - Je l'ignorais car, à ma connaissance, c'est en août 1989 que l'on a interdit, sauf dérogations, l'importation des farines animales venant du Royaume-Uni. Quant à l'importation des cervelles ou autres abats à risques, je n'ai pas connaissance d'un tel texte. Je n'ai connaissance que d'un texte sur les petits pots pour bébés qui ne venait pas du ministère de l'agriculture et qui date de 1992 mais, à ma connaissance, c'est de l'embargo de mars 1996 que date l'acte réglementaire d'interdiction de l'importation des sous-produits que vous évoquez.

M. Georges Gruillot - Mais l'interdiction des cervelles dans les pots pour bébés date bien de 1992 ?

M. Benoît Assemat - Il ne s'agit pas des cervelles britanniques mais des cervelles en général.

M. Georges Gruillot - Il s'agit des cervelles dont la majorité étaient importées d'Angleterre alors qu'en Angleterre, elles étaient déjà interdites à la consommation depuis deux ans.

M. Benoît Assemat - Je n'ai pas la moindre information sur la provenance des cervelles qui entraient auparavant dans les petits pots pour bébés, mais je ne pense pas qu'une mesure ait été prise à ce sujet en France en 1992, à moins que cela m'ait échappé. Je n'en ai pas le souvenir.

M. Georges Gruillot - J'ai une troisième question. J'ai trouvé que vous étiez très affirmatif quand vous avez dit que le prion était une protéine liposoluble. En effet, le professeur Dormont qui, pour nous, est le nec plus ultra des connaissances en matière de prion, l'est beaucoup moins que vous. Est-ce lui qui est un peu rétro ou vous qui allez trop vite ?

M. Benoît Assemat - Vous pouvez consulter tous les traités de biochimie. Ils disent tous que le prion est une glycoprotéine dont le caractère hydrophobe est très marqué. Tous les experts le savent et il n'y a absolument aucun doute là-dessus. Je ne pense pas qu'un quelconque expert puisse le contester ; ce n'est pas la question.

M. Georges Gruillot - Je vous interroge simplement là-dessus.

M. Benoît Assemat - La présence du prion dans les farines animales n'a jamais été mise en cause. Elle est évidente. On a toujours mis en cause les farines animales et je ne veux pas contester leur rôle. Je dis simplement qu'avant 1996, les farines brutes d'équarrissage conduisaient à un produit qui s'appelle la graisse d'équarrissage, qui n'est plus utilisée aujourd'hui mais sur laquelle je n'ai jamais eu de réponse satisfaisante qui me permette de comprendre pourquoi on ne mettait pas en cause le rôle éventuel joué par ces graisses d'équarrissage.

M. Paul Blanc - Si je vous comprends bien, vous pensez que ce sont plus ces graisses d'équarrissage qui seraient en cause, puisque le prion est liposoluble, que les farines à base de protéines elles-mêmes ?

M. Benoît Assemat - Je ne vais pas si loin que cela. Je dis que la question ne me semble pas avoir été suffisamment creusée. En tout cas, lorsque je m'y suis intéressé, je n'ai jamais eu de réponse qui me paraisse satisfaisante.

M. Georges Gruillot - J'en viens à ma dernière question à laquelle vous me répondrez facilement en tant que président du syndicat : aujourd'hui, quel salaire horaire accorde l'Etat aux vétérinaires inspecteurs vacataires ? Je voudrais savoir si cela a beaucoup progressé.

M. Benoît Assemat - Nous avons eu le grand plaisir de voir que l'action que nos avions menée au titre du syndicat avait conduit M. Jean Glavany à demander une revalorisation de plus de 40 % du taux de la vacation horaire, qui est donc passé de 70 F nets à 100 F nets au 1er janvier 2001. L'arrêté n'est pas sorti mais il sera rétroactif au 1er janvier 2001.

Cette augmentation de 40 % conduit donc à rémunérer un vétérinaire qui est recruté par exemple à 135 vacations par mois, ce qui est un cas relativement fréquent qui correspond à 80 % de mes confrères, sur la base de 13 500 F, ce qui est beaucoup mieux que 9 200 F nets. Nous dénoncions cette situation qui nous paraissait tout à fait scandaleuse. Nous avions indiqué que, pour nous, c'était une insulte au rôle joué par les vétérinaires en matière de contrôle sanitaire.

M. Georges Gruillot - Nous allons y réfléchir.

M. le Rapporteur - Vous avez dit tout à l'heure que les risques en matière de contamination humaine étaient un problème qui relevait plutôt du passé qu'autre chose en relevant que la date fatidique de 1996 pour les retraits de matériels à risques spécifiés était importante, ce qui est vrai. Cela étant, je reste marqué par cette notion d'incorporation de cervelles dans les pots pour bébés jusqu'en 1992, ce qui m'amène à être moins rassurant, en termes de prospectives épidémiologiques, que Mme Alpérovitch. Je suis quand même assez inquiet.

Quand on écoute également Mme Jeanne Brugère-Picoux, qui souligne que, jusqu'en 1994-1995, nous avons importé des tonnages importants d'abats d'origine britannique, on peut peut-être se dire que le danger est derrière nous mais que de nombreux cas humains sont terriblement devant nous.

Je repose donc indirectement la question que vient de vous poser mon collègue Gruillot en ce qui concerne les mouvements intracommunautaires et, en particulier, sur les quantités d'abats et de carcasses provenant d'Angleterre en 1994-1995. Je crois avoir les chiffres précis en tête : il y avait à cette époque environ 220 000 tonnes de viandes anglaises exportées, dont environ 50 % étaient importées en France.

Je suis désolé, mais il faut bien admettre que les Anglais ont interdit unilatéralement, chez eux, les farines, les carcasses ou les matériels à risques spécifiés mais qu'ils ont tout fait pour les exporter. C'est un point fondamental que la commission va creuser. Quelle est votre analyse sur ce point ?

M. Benoît Assemat - Je la partage totalement. J'ajoute qu'à mon avis --je répète ce que j'ai dit tout à l'heure--, jusqu'en mars 1996, ont pu être incorporées dans certaines préparations à base de viande (et je ne parle pas de la viande hachée car, en France, la réglementation prévoit que la viande hachée ne contienne que de la viande) des éléments du système nerveux central. Je précise que je n'ai pas du tout le souvenir de cet arrêté de 1992.

M. le Président - Compte tenu du délai d'incubation dans l'espèce humaine, on peut se poser des questions.

M. Benoît Assemat - Il est possible --je n'en sais rien-- que le pic de contamination des humains, en France, se trouve entre 1993 et 1995 alors qu'au Royaume-Uni, il se retrouve avant, mais je n'ai pas de compétences pour l'affirmer et je n'ai pas plus d'éléments que ce qu'indique la presse.

M. le Président - En 1992, ce sont uniquement les MRS qui ont été retirés des compléments alimentaires et des produits destinés à l'alimentation infantile.

M. Benoît Assemat - A mon avis, des éléments des systèmes nerveux centraux britanniques ont pu rentrer en France jusqu'en mars 1996. Je ne dis pas qu'ils sont rentrés mais, réglementairement, ils ont pu le faire.

M. le Président - C'est le cas jusqu'à l'embargo, qui date de mars 1996.

M. Benoît Assemat - C'était mon analyse, jusqu'à présent, de l'évolution de la réglementation.

M. le Rapporteur - A mon avis, pour faire la moindre projection en ce qui concerne l'incidence sur la santé humaine et le nombre de cas que l'on pourrait malheureusement découvrir chez nos concitoyens, je pense qu'il faudra attendre encore quelques années en constatant cette incidence sur la population anglaise.

Cependant, je souscris totalement à ce que nous a dit ici Mme Brugère-Picoux : après la population anglaise, c'est la population française qui a été la plus soumise au risque entre 1993 et 1996.

M. Benoît Assemat - Je le pense aussi.

M. le Président - S'il n'y a plus de questions, nous vous remercions.

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