Audition de M. Gilbert BORNHAUSER, Courtier

(28 mars 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Je vous remercie d'être présent. Vous êtes Monsieur Gilbert Bornhauser, Courtier. Vous avez répondu à la convocation que nous vous avons envoyée. Vous êtes entendu ici dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire mise en place par le Sénat sur le problème de l'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage et les conséquences qui en résultent sur la santé des consommateurs. Comme dans toute commission d'enquête je suis obligé de vous faire prêter serment puisque vous êtes tenu de témoigner sous serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Bornhauser.

M. le Président - Dans un premier temps je vous donne la parole, vous nous ferez un exposé sur votre vision à partir de votre profession et en rapport avec ce problème des farines animales. Ensuite nous vous poserons les questions que nous jugerons utiles pour éclairer notre investigation.

M. Gilbert Bornhauser - Je vais vous expliquer en quoi consiste mon métier. Je suis courtier en matières premières. J'ai fait un petit dessin pour que les choses soient claires.

Je suis assis au centre du schéma. J'ai comme interlocuteurs des fabricants d'aliments du bétail qui ont un poste d'acheteur ; ces gens ont besoin d'approvisionner des matières premières pour nourrir les animaux. Comme pour nourrir les hommes, on mange du pain donc on met des céréales. On mange de la viande, on met de la farine de viande, on mange de la salade on met de la luzerne déshydratée. Les composants de l'alimentation animale ne sont pas loin de ressembler aux nôtres. Ces gens ont donc des matières premières à acheter. Pour ce faire ils peuvent s'adresser à une palette de fournisseurs existants. Pour se simplifier les choses, des courtiers existent. L'acheteur fabriquant les aliments de bétail appelle un courtier ce qui lui permet de connaître le marché des produits des vendeurs avec lesquels le courtier a l'habitude de travailler. Pour parler de farine de viande, puisque c'est la plus grande partie des produits que je vends, ce fabriquant d'aliments du bétail, quand il avait besoin d'acheter la farine de viande -ce qui n'est plus le cas aujourd'hui, mais on parle du passé- s'adressait à un courtier et , sur le marché des courtiers spécialisés en farines de viande, il y en avait peu. Je dois être un des seuls. Ils m'appelaient. En un coup de téléphone, ils connaissaient la valeur du marché des vendeurs français. Il y en avait une petite dizaine à l'époque, il en reste deux gros aujourd'hui environ. Cela leur permettait de savoir ce que cela valait, comment était le marché, quel était le marché sur les autres pays européens, Irlande, Angleterre, Belgique, Allemagne, Italie etc. En un coup de téléphone, cet acheteur est renseigné sur le marché. S'il veut acheter il peut le faire par mon intermédiaire. Il peut acheter seul car souvent il connaît tous les vendeurs. Il a une liberté totale.

Ce métier de courtier existe depuis très longtemps. Une ordonnance de Charles VII régit et interdit aux courtiers de faire du commerce pour leur propre compte. Nous sommes des intermédiaires du commerce. Ce métier existe depuis longtemps surtout pour les céréales ; historiquement le courtier vendait des céréales. Les fabricants d'aliments du bétail se sont développés, d'autres produits sont intervenus, donc il existe des courtiers, comme moi, qui étaient spécialisés dans les farines de viande.

Voilà pourquoi nous existons. Ce fabricant d'aliment du bétail mélange les matières premières, livre un éleveur avec son camion. Il livre des élevages. Dans cette filière un éleveur ne peut pas m'appeler pour acheter de la farine de viande. Il achète un aliment composé. Les gens ont souvent du mal à comprendre ; ils disent que des éleveurs ont fraudé et ont mis de manière frauduleuse des farines de viande dans l'alimentation ; ce n'est pas réaliste. Les farines de viandes se vendent par unité de camion de 25 tonnes, c'est un petit produit dans la ration. Au même titre qu'on ne mange pas que de la viande, dans les rations des animaux, vous avez dû entendre chez les fabricants d'aliments de bétail que les farines de viande s'incorporent à des doses de 2, 3, voire 5% dans les aliments. Jamais on ne peut voir un éleveur acheter de la farine de viande, cela n'existe pas. Dans la déontologie de notre métier, nous sommes à même de faire des affaires, de conclure des contrats. Nous avons une responsabilité de part la législation au moment où nous faisons des contrats. Si nous vendions des farines de viande dans une période où c'est interdit ou à des gens à qui ce ne serait pas autorisé, ce serait aussi grave que de vendre des armes. On doit y être attentif. Dans l'organisation de mon métier il existe une chambre arbitrale.

Ma spécialité, c'était les produits de l'équarrissage donc des farines de viande et des graisses animales essentiellement du marché français, avec un certain nombre de vendeurs, une petite dizaine, et des fabricants d'aliment du bétail du marché français. Je travaillais un peu avec tout le monde. Je suis un des seuls courtiers à avoir fait autant de farines de viande sur le marché français.

En matière d'import, mon frère possède un cabinet international à Genève. La connaissance des marchés irlandais, anglais, allemand et italien sont de sa compétence. Pour avoir des informations, j'avais le relais du cabinet de mon frère, qui me renseignait sur les produits d'import. J'ai été amené à faire quelques importations dans les années 1990, au moment où c'était autorisé, qui étaient des farines de viande venant d'Irlande. J'ai eu l'occasion de faire 3 ou 4 bateaux, le tonnage total étant de 3 800 tonnes. Les volumes mensuels que je traitais à l'époque étaient de 3000 tonnes par mois du marché français à des fabricants d'aliment du bétail français.

M. le Président - Je donne la parole à notre rapporteur.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Vous nous avez dit que vous aviez importé quelques farines venant d'Irlande. Y a-t-il eu évolution dans vos importations à partir de 1988-1989 ?

M. Gilbert Bornhauser - Je n'ai fait des importations que dans l'année 1990. A cette période le marché français devait être un peu déficitaire de farine de viande et il est probable que les prix à ce moment-là des farines de viande française étaient élevés, puisque nous en exportions aussi. Nous étions gros consommateurs en tant que fabricants d'aliments du bétail puisque notre filière volaille est performante et faisait des exportations en quantité. Les prix à ce moment-là des farines d'importation pouvaient être compétitifs. A cette période, c'était rare. Il y a probablement une raison de marché, puisqu'il y a avait déjà des troubles en Angleterre. Les Anglais n'utilisaient plus leur farine ; il est probable que cet élément avait fait baisser les prix des marchés européens et mondiaux.

M. le Rapporteur - Vous dites " probablement ". Auriez-vous conservé de cette époque le montant des cours ?

M. Gilbert Bornhauser - Quand un fabricant d'aliment du bétail importe un produit, c'est parce qu'il y trouve un intérêt nutritionnel et économique. On ne met pas un produit en alimentation s'il n'y a pas ces 2 raisons. Ces importations se sont faites parce qu'elles étaient moins chères que les produits du marché français.

M. le Rapporteur - Vous avez dit être un des principaux courtiers sur le plan national. Je suis surpris. Il y a eu décision de ne plus incorporer de farine animale en Angleterre en juillet 1988 puis interdiction en France en 1990 pour les bovins. Or il s'avère que, dans les années 1987-88 la France importait peu de farine anglaise, de l'ordre de 4 000 tonnes par an. On est monté à 15 000 tonnes par an en 1989 et 1990. Vous étiez le principal intervenant, et vous dites que vous n'avez pas importé de farine anglaise. Vous avez donc des concurrents qui l'ont fait.

M. Gilbert Bornhauser - En matière d'importation, 100% de ce qui a été importé l'a été par le cabinet de courtage de mon frère. C'est un concurrent. C'était sa spécialité de travailler avec le marché anglais, irlandais etc.

M. le Rapporteur - Vous pouviez ensuite vous adresser à lui pour vous fournir.

M. Gilbert Bornhauser - Quand des opportunités commerciales se sont produites, j'ai pu le faire et je l'ai fait. Avant, il n'y avait pas de possibilité car les prix ne pouvaient intéresser les acheteurs.

M. le Rapporteur - Donc il y a bien eu un prix intéressant à cette époque.

M. Gilbert Bornhauser - Il y a eu dans cette période, probablement entre juin et novembre de l'année 90, des conditions où ces produits d'importations se sont trouvés moins chers que nos productions.

M. le Rapporteur - Pourrions-nous avoir un éventail de ces prix ?

M. Gilbert Bornhauser - Oui.

M. le Président - C'est important pour nous. Je vous demande de nous les fournir. Cela nous permettra d'étayer certaines hypothèses qui pouvaient être lancées sans preuve formelle. Je vous demande de nous fournir dans les meilleurs délais ces montants de prix, avec les volumes importés, pour que nous puissions savoir exactement ce qu'il en est.

M. Gilbert Bornhauser - Les volumes totaux sont connus des douanes, qui peuvent vous les donner. Ils ont fait les contrôles chez moi. Mon frère s'est déplacé de Suisse pour leur apporter les contrats quand ils ont fait les contrôles. Ils ont dit " on regrette de ne pas vous avoir connus avant ". Cela leur a permis de toiser la totalité de ce qui s'est importé et d'avoir un résultat dans lequel il est mentionné qu'aucune fraude n'a été commise. 4,5 tonnes d'aliments ont été retirées suite à ces contrôles. Tout a été contrôlé. Sur le plan des fraudes vous avez là une certitude qu'il n'y a pas eu fraude réglementaire à l'importation des farines de viande. On trouve cela épouvantable aujourd'hui d'avoir importé des farines de viande ; à l'époque ça ne l'était pas. J'ai vendu cette semaine deux bateaux de luzernes à l'exportation. On a retrouvé des mites dans des foins de prairie en Islande, ces mites sont porteuses du Prion et ont contaminé des souris auxquelles on l'a inoculé. Les bateaux de luzerne que je vends en ce moment pourront sembler épouvantables dans 10 ans. On me montrera peut-être du doigt car j'aurai vendu de la luzerne déshydratée. Tout aujourd'hui vous semble horrible, mais il n'y a rien d'horrible à cela.

Cela n'avait rien d'extraordinaire à l'époque. Il est facile après coup de trouver les choses épouvantables.

M. le Rapporteur - Une chose semble plus controversée. Lors d'une audition devant la commission d'enquête sur l'ESB de l'assemblée nationale, Monsieur Gilbert Houins, inspecteur général de l'agriculture belge, a révélé qu'une inspection réalisée par les autorités belges en novembre et décembre 1996 dans le port d'Anvers avait permis de découvrir un trafic de farines carnées et a personnellement mis en cause Monsieur Youssef Chataoui, le courtier français dirigeant de l'entreprise EFI Euro feed Industries SA-, entreprise de négoce et de fabrication d'alimentation animale basée à Boulogne et possédant plusieurs usines dans l'Oise et la Somme qui aurait procédé à des réensachages, à des réétiquetages de farines importées illégalement d'Irlande et des Pays-Bas. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette affaire ?

M. Gilbert Bornhauser - J'ai rencontré une fois Monsieur Chataoui ; il fait ou faisait des concentrés protéiques à l'export. C'est une des spécialités européennes. Beaucoup de négociants le font. Ces gens vendaient dans des pays souvent du Golfe, pays arabes etc., des concentrés protéiques qui leur permettent sur place de faire de la volaille. Ils sont capables d'acheter des céréales sur le marché mondial. Les volailles qui sont des omnivores sont des animaux qui ont besoin de farine de viande, de graisses. C'est tout à fait nécessaire pour avoir une performance dans ce type d'alimentation. Monsieur Chataoui achète des farines de viande dans l'Europe entière, en Irlande et pourquoi pas en Belgique. Il les mélange avec ce qui est à haute teneur protéique, farine de viande, farine de sang, farine de plume et ils font un hyper concentré de protéines qui ensuite sert à faire la partie protéique d'un aliment volaille. Au lieu d'expédier un aliment composé complet, vous n'expédiez que la partie concentrée. Cela permet de faire du commerce alors que, peut-être, l'aliment complet n'aurait pas supporté les frais de transport.

L'Egypte était je crois gros acheteur de ce type de concentrés. Ils étaient capables d'acheter les céréales sur le marché mondial, de rentrer des bateaux de blé, de maïs et la partie concentrée était toute faite par des gens comme Monsieur Chataoui. Il a importé des farines de viande d'Irlande, de Belgique, il en a fait un mélange, les a réexpédiées sous son étiquette. Sous cet angle on dit que c'est un fraudeur car il a baptisé des farines. Mais c'est un métier normal de mélanges d'un quasi fabricant d'aliments du bétail.

C'est peut-être cela qui est interprété de manière peut-être anormale.

M. le Rapporteur - Ces concentrés étaient-ils plutôt destinés à l'alimentation des volailles d'après vous ?

M. Gilbert Bornhauser - Oui, mais il n'est pas le seul. Guyomarc'h est sur ce marché des concentrés et tous les fabricants d'aliments qui ont un service export. La SARB était assez fort là dedans. C'était le groupe COFNA etc. C'est un métier qui existe. Ils sont assez peu à le faire. C'est un métier qui existe. Cela mérite de se renseigner. Je ne suis pas formel car je n'ai pas fait d'affaire avec Monsieur Chataoui. Vous pourriez demander à mon frère ce qu'il lui a vendu comme farines de viandes et comme origine. Cela correspond à ce que je sais.

M. le Rapporteur - Donc la fabrication plutôt de concentrés destinés à l'export.

M. Gilbert Bornhauser - Dans lesquels il y a des farines de viande les plus riches possible. Il va chercher des 60 de protéines plutôt que des 50, de la farine de sang, de la farine de plumes et des oligo-éléments pour équilibrer les formules.

M. le Rapporteur - Pouvez-vous confirmer l'existence de circuits de blanchiment de la farine animale anglaise ?

Il y a eu une évolution importante après l'interdiction sur le territoire national anglo-saxon de la vente de ces farines. Par quels pays passaient ces farines ? La France était-elle concernée à votre avis et votre société y aurait-elle pris part ?

M. Gilbert Bornhauser - Non, et je doute qu'il y ait eu des opérations de blanchiment. C'est un produit dont les prix ne sont pas énormes. La moyenne est de 1600 francs la tonne. Ce n'est pas de l'or. Dès que le soja baisse, la farine de viande baisse aussi. Elle est toujours en compétition avec le soja. Cette protéine a un intérêt en alimentation un peu supérieur au soja car il y a des vitamines, des matières minérales. Pour remplacer ces protéines animales, il vous faut mettre du soja, du phosphate bicalcique et médicamenté pratiquement en vitamine etc. C'est faisable, puisque les fabricants d'aliments ont supprimé les farines de viande, en mélangeant d'autre chose. Mais c'est une matière première qui était toujours freinée par le soja. Les prix marchent ensemble. Il y a peu de marge. Si vous faites voyager un bateau de farines de viande et que vous l'envoyez en Belgique puis que vous faites un transport sur la France, le transport sur la France est de trop, elle ne sera plus compétitive. On ne met pas des farines de viande pour le plaisir. Il faut que cela vaille la peine économiquement. On ne peut pas tellement les faire voyager. Je ne vois pas l'intérêt de blanchir de la farine de viande et je ne crois pas que ce soit tellement possible.

M. le Rapporteur - Ce qui est troublant, c'est que quand on regarde les exportations de farines anglaises, on voit qu'ils en ont exporté jusqu'en Indonésie et au Sri Lanka. Vous dites que cela ne vaut pas le coup de transporter des farines jusqu'en France, mais ils l'ont fait jusque là-bas. A mon avis il devait y avoir un différentiel de prix relativement intéressant, même si l'incorporation n'a jamais dépassé les 5% dans une ration animale, je pense que les Anglais ont dû les brader et des sociétés telles que les vôtres ou des sociétés de courtier sur le marché international n'ont pas dû rester insensibles à cette baisse de prix, c'est inévitable.

M. Gilbert Bornhauser - Au même titre que je ne m'amuserais pas à vendre des pistolets mitrailleurs, je ne m'amuserais pas à vendre une farine anglaise interdite.

M. le Rapporteur - Vous avez eu raison de dire " il faut remettre cela dans les connaissances scientifiques de l'époque ". En 1988-89, lorsque les Anglais les ont interdites sur le territoire national, il n'y avait pas les connaissances que nous avons et la dangerosité qu'on leur accorde aujourd'hui.

M. Gilbert Bornhauser - Il les ont interdites en alimentation de bovins un an avant nous. Ils ne devaient pas les avoir interdites à ce moment dans l'alimentation porc et volaille. Leur attitude semble épouvantable aujourd'hui mais à l'époque l'état des connaissances probablement ne rendait pas cela épouvantable. Je ne pense pas que cela puisse induire un trafic. Que leurs prix se soient écroulés à un moment donné, c'est normal. Quand il y a eu les histoires de dioxines, le prix du poulet s'est écroulé. Ce sont des mécanismes de marché normaux.

M. le Rapporteur - Quand on passe de 4 000 à 15 000 tonnes, pour la seule partie française, il y a bien une raison.

M. Gilbert Bornhauser - Il y a eu un intérêt économique pendant cette période, mais il n'y a que cela.

M. le Rapporteur - Donc il y a eu utilisation en France et incorporation en France.

M. Gilbert Bornhauser - Oui, cela a été importé car cela faisait gagner de l'argent.

M. le Président - Avez-vous en tant que courtier la nécessité de repréciser aux personnes à qui vous vendez que les farines que vous importiez à l'époque pour les raisons que vous venez d'expliquer devaient être utilisées uniquement pour volaille etc.? Dans la déontologie votre métier, cela ne fait-il pas partie d'une obligation ?

M. Gilbert Bornhauser - Nous ne sommes pas l'utilisateur mais notre responsabilité serait engagée. Quand ces importations se sont faites, je m'en souviens, elles se sont faites au profit de gens qui étaient les volaillers, qui avaient des usines spécialisées, performants sur l'export, les Bourgoin, etc., qui avaient des usines qui ne faisaient que cela. Dans leurs usines, ils ne faisaient que du poulet de chair. C'était du poulet de chair pour l'exportation à 1,2 Kg en six semaines.

C'est une industrie de la volaille qui était à même d'acheter cela. C'étaient les seuls qui l'achetaient à cette époque.

M. le Président - Quand vous importiez les farines anglaises de manière légale, aviez-vous la responsabilité après de savoir si c'était utilisé exclusivement pour les volailles et pas pour les bovins ou n'est-ce pas votre problème ?

M. Gilbert Bornhauser - Si, derrière, un fabricant trichait en nous racontant des histoires ... Nous travaillons au téléphone. Derrière, nous n'avons pas d'action pour le savoir. Quand j'ai vendu de la farine de viande à une usine en Vendée par exemple, cette société ne fait que du poulet, pas de porc ni de bovin, j'avais une certitude sur les usines. D'autres fabricants qui ont de multiples usines les achetaient pour les usines dédiées. Je n'aurais pas vu si une fraude avait été faite.

Avez-vous vu des fabricants d'aliments du bétail ? Vous ont-ils semblé être des fraudeurs ? J'ai assez confiance dans leur mode de travail.

M. le Président - C'était pour savoir du point de vue déontologique.

M. Gilbert Bornhauser - Je ne pourrais pas le savoir.

M. Gérard César - Les statistiques s'arrêtent en octobre 2000. Depuis, où en êtes-vous par rapport au commerce et à votre chiffre d'affaires ?

Votre chiffre d'affaires a-t-il subi les conséquences de la crise que nous connaissons ?

M. Gilbert Bornhauser - Je suis assez sinistré par cette interdiction de commercialiser les farines de viandes et graisses animales car c'était le gros de mon activité. J'avais des produits annexes, les luzernes, pulpes de raisin etc., mais qui représentaient 30% environ de mon activité. J'ai perdu 70% du chiffre d'affaires que je faisais, et ceci suite à l'interdiction d'utilisation des farines de viande.

J'ai apporté de la graisse animale. C'est aujourd'hui interdit. On vend aujourd'hui des huiles végétales. Au lieu de vendre de l'animal, on vend du végétal. Les courtiers qui font des sojas en vendent plus qu'avant, puisqu'il n'y a plus de farines de viandes. Je ne suis pas capable de vendre du soja car ces courtiers sont dans leur marché depuis toute une vie. Je ne délogerais pas un courtier qui fait du soja de sa place. Je fais les choses que je peux faire, remplacer ces graisses animales aujourd'hui interdites par des huiles végétales. Je faisais en commissions autour de 200 000 francs par mois de chiffre d'affaires, donc 2,2 MF par an. Je suis tombé le mois dernier à 70 000 francs de chiffre d'affaires. C'est une chute d'au moins la moitié, parfois plus.

M. Bernard Cazeau - Vous dites qu'il y avait des opportunités économiques et que cela a conduit des gens à acheter plus de produits importés. Nous avons eu l'occasion de visiter une entreprise il y a quelques mois. Cette entreprise a dit " dès 1989 nous avons eu des doutes et nous avons refusé d'utiliser les farines animales importées d'Irlande ". D'autres, semble-t-il, ont continué à en acheter de plus en plus puisqu'on est passé à 15 000 tonnes par an. Avez-vous le sentiment que dans vos clients il y a eu des différences de comportement entre ceux qui ont appliqué le principe de précaution maximum, ayant des doutes, des interrogations, et ceux qui ont voulu faire le maximum de profit en tirant partie de ces opportunités économiques ?

M. Gilbert Bornhauser - C'est toujours vrai. Je me souviens d'un fabricant d'une coopérative bretonne à qui j'avais vendu un bateau ; la presse s'est déchaîné sur lui en disant qu'il importait des choses épouvantables. Il a cessé tout de suite, mais je pense que c'était plus une question médiatique, de peur des médias. Ce n'était pas réglementaire, c'était une précaution car les médias lui étaient " tombés sur le dos ". Il existe une graisse animale aujourd'hui, une graisse de couenne de porc, sous-produit de la gélatine, faite avec des peaux de porc, sans os. Elle est utilisable dans l'alimentation animale aujourd'hui, malgré l'interdiction des graisses animales. Pas un fabricant d'aliment du bétail ne la met. Il a trop peur qu'on lui tombe sur le dos.

Elle ne se vend pas à l'alimentation animale. Ces précautions supplémentaires que certaines entreprises prennent dépendent de médiatisation ou de précaution supplémentaire. Certains fabricants ont pu vous dire qu'avant même que certains règlements soient sortis, ils avaient anticipé un peu. Ils l'ont un peu tous fait, c'est un peu normal.

M. le Président - A quels contrôles étaient soumises les farines que vous importiez ? Etaient-ce des contrôles simplement sur pièce ou des contrôles sanitaires ?

Ces contrôles étaient-ils systématiques? De quelle administration ces contrôles émanaient-ils ?

M. Gilbert Bornhauser - Dans les années 90, pour importer un bateau, c'était sous contrôle vétérinaire du pays exportateur et du pays réceptionnaire. Il y avait un vétérinaire au chargement du bateau, un à la réception du bateau.

M. Jean Bernard - La traçabilité existait-elle ?

M. Gilbert Bornhauser - Pour l'Irlande, ils pouvaient être parfois 1 ou 2 fabricants à mettre de la marchandise sur un bateau. Pour un bateau de 700 tonnes, c'est le plus souvent un fabricant mais il n'est pas impossible d'en trouver 2. Donc une traçabilité moyenne.

M. le Président - Le contrôle à l'arrivée était-il fait par les services vétérinaires ?

M. Gilbert Bornhauser - Il y a toujours un contrôle vétérinaire pour vérifier l'absence de salmonelle. C'est ce qui était contrôlé à l'époque.

M. le Président - Savez-vous si, par rapport à vos clients, par ce que vous avez fait importer ou revendu à vos clients, il y a eu beaucoup de cas de vache folle déclarés en lien avec ce que vous avez importé ?

M. Gilbert Bornhauser - GLON est un gros volailler. Il n'a pas eu de vache folle dans sa clientèle, par rapport à d'autres qui n'ont pas importé de farines. Je ne pense pas qu'on puisse faire une relation.

M. Jean-François Humbert - Tout ce qui a pu être écrit et dit sur une éventuelle fraude n'a pas résisté à votre analyse, pour 2 raisons principales. Il ne peut y avoir eu fraude car ce sont des professionnels consciencieux qui travaillent dans ce secteur et ensuite une absence d'intérêt économique éventuelle en raison des cours supposés ou connus de ces farines animales.

Cela veut-il dire qu'on peut affirmer, et est-ce ce que vous faites, qu'il n'y a pas eu fraude, qu'il est impensable qu'il y ait eu fraude et que par conséquent ce qu'on a pu lire ou entendre n'est que pure invention de personnes qui n'avaient pas préalablement cherché à savoir ce qui s'était réellement passé ?

M. Gilbert Bornhauser - J'ai été soumis à une enquête de la répression des fraudes. Ils ont tout contrôlé. Avec les contrats qu'ils avaient chez moi, ils ont contrôlé les fabricants d'aliment du bétail. A cette époque, il leur a été rendu justice. Ce n'est pas très médiatique. Cela a été dit par Yves Galland. Il décrit les contrôles. Ils ont contrôlé tout le monde et ont trouvé 0 fraude. Il y avait un certain nombre d'erreurs.

Il y avait des farines de plumes qui se vendaient d'Angleterre et qui étaient autorisées à cette époque. Des farines de volaille allaient en aliment chiens et chats et étaient autorisées. Ils ont tout recoupé. Il y a eu quelques erreurs. Ils ont retrouvé 0 fraude. Ils ont trouvé 4,3 tonnes d'aliments retirés pour je ne sais quelle raison.

Un communiqué a été fait à l'époque que j'ai là est que je pourrai vous donner. Il a été fait le 23 juillet 1996.

Ces contrôles ont été faits et bien faits. Ces gens sont des contrôleurs très efficaces.

M. Jean-François Humbert - Je ne remets pas en cause la conscience professionnelle. Je ne vous mettais pas en cause, je m'interrogeais sur d'autres personnes qui travaillent dans cette filière. Votre réponse m'a semblé définitive : ce n'est pas possible et d'ailleurs un communiqué le démontre. Sera convaincu celui qui voudra bien l'être.

Sur l'intérêt économique, il est vrai que les farines animales avaient des cours qui suivaient le marché et aussi le marché du soja. Est-ce que je me trompe quand je pense que quand quelque chose est interdit il prend de la valeur ? Quand les farines animales ont été interdites, n'y a-t-il pas sur le plan économique, dans une économie non officielle, quelque intérêt à éventuellement les faire entrer sur un territoire qui n'en veut plus ?

M. Gilbert Bornhauser - Pour moi non. Le fait qu'il soit interdit ne lui donne pas de valeur. Pour qu'il ait une valeur il faut qu'il soit bon marché.

M. Jean-François Humbert - Ne pensez-vous pas que ceux qui utilisaient quand elles étaient autorisées ces farines animales pouvaient avoir intérêt à continuer à les utiliser quand elles étaient interdites car cela apportait en matière nutritionnelle soit disant des performances supplémentaires ?

M. Gilbert Bornhauser - Les farines de viande et les graisses animales sont interdites ; dans l'heure qui suit tous les fabricants d'aliments du bétail ont fait des formules végétariennes. Le dommage est un surcoût. On s'interdit de mettre des graisses animales. C'est un surcoût de la filière, mais le fabricant d'aliments du bétail achète ses matières premières et revend un aliment ; que son aliment coûte 5 ou 10 centimes de plus, tout le monde est à la même enseigne sur le marché français. Vis-à-vis de ses concurrents, il n'a pas de problème à ne pas mettre de farine de viande , il fait son métier de mélangeur avec les produits qui sont autorisés. Le dommage est ailleurs. Nos voisins européens ont le droit de mettre des graisses animales. C'est déclassé car comme nous n'en mettons plus et que nous les brûlons, il y a désaffection des graisses animales. Aujourd'hui sur le marché européen cette graisse animale vaut 150 francs le quintal. On achète des huiles végétales mélangées, qui viennent du monde entier, qui valent 230 francs. On met dans nos formules d'aliments en ce moment des huiles à 230 francs alors que nos voisins européens qui se conforment à la législation européenne, qui n'est pas notre législation particulière, mettent un produit à 150 francs, ils font du poulet moins cher. La filière va avoir une concurrence de volaille européenne moins chère que les nôtres. Bloque-t-on ces volailles à l'entrée ? On leur vend des Citroën et des Renault. Peut-on bloquer leurs volailles ? Non. On se met des liens coûteux et qui coûtent à notre économie. Professionnellement, cela ne change pas la vie du fabricant d'aliments.

Quand on se met des réglementations françaises qui ne sont pas les réglementations européennes, cela ne va pas.

On prend des précautions maximum mais je pense qu'on a tort de prendre des précautions différentes de celles de l'Europe. On importe des agneaux en pagaille. En France on ne fait pas beaucoup d'agneaux, ils viennent d'Angleterre. Je ne pensais pas que des bovins ou des agneaux venaient vivants d'Angleterre. On est en Europe et tout cela circule librement. On le découvre quand il y a épidémie etc. Ces farines de viandes qui sont choquantes sont européennes et avaient le droit de circuler.

M. Jean-François Humbert - On pourrait être choqué dans l'hypothèse où, une fois l'interdiction prononcée, il y aurait eu continuation de l'importation.

M. Gilbert Bornhauser - Les enquêtes sont bien faites. Appuyez-vous sur les contrôles qui ont été faits ; cela vous permettra de vous faire une opinion, ne vous appuyez pas sur des sous-entendus comme on le fait. Il n'y a rien d'abominable dans ce qui se passe dans le commerce.

En Angleterre, ils continuent à avoir des cas de vaches folles. Cela fait pourtant longtemps qu'ils ne mettent plus de farine de viande. Donc concernant la contamination aujourd'hui, on peut regarder ailleurs que vers la farine de viande. Il faut faire les contrôles, mais dès qu'il y a une vache folle, on dit " elle a probablement mangé de la farine de viande en douce ". C'est une hypothèse. Il est facile de se défausser.

M. Jean-François Humbert - Vous avez parlé de graisse animale. Avez-vous eu l'occasion de vendre ce type de produit à des fabricants de lacto-remplaceurs ?

M. Gilbert Bornhauser - Non. Ce n'est pas ma clientèle. Les fabricants de lacto-remplaceurs mettaient des suifs premier jus. Quand les suifs étaient chers, les graisses d'os ont été utilisées, qui sont des produits animaux très durs. Ils ont besoin d'un produit dur qui ressemble au suif de vache.

Ils achètent du Coprah ou du Palme raffiné. Ils auraient le droit de mettre des suifs premier jus. Il reste pratiquement un unique producteur, Minguet. Il y a projet de retirer dans les abattoirs le suif avant la vente des carcasses, qui fait que ces gens vont fermer la boutique.

Des produits vont disparaître, qui sont des suifs et des saindoux qu'on retrouvait en cuisine. Ces graisses probablement vont disparaître.

M. Jean-François Humbert - Ils ont remplacé des graisses animales ou de suif par du végétal. Donc cela a été utilisé.

M. Gilbert Bornhauser - Cela n'a pas été coûteux. Les suifs sont difficiles à trouver et coûteux ; aujourd'hui un suif pour l'aliment veau vaudrait autour de 300 francs. Ils ont payé un peu moins cher du végétal. Les prix fluctuent. Certains regardent s'ils ne sont pas obligés de revenir en arrière pour essayer de réutiliser des suifs ou des saindoux car ils peuvent avoir des problèmes de couleur. Le problème technique n'est pas réglé pour eux.

M. le Rapporteur - Confirmez-vous le fait que certains fabricants d'aliments d'allaitement ont incorporé à des doses infinitésimales des concentrés de protéines ?

M. Gilbert Bornhauser - Pas à ma connaissance.

M. le Rapporteur - Des farines de viande excessivement concentrées dans l'aliment d'allaitement ?

M. Gilbert Bornhauser - Cela peut faire référence au CPSP, Concentrés Protéines de Poissons par Évaporation ? C'est un produit de luxe. C'est possible.

M. le Rapporteur - On n'est pas sur du poisson mais sur du bovin.

M. Gilbert Bornhauser - Je ne connais pas ce produit.

M. le Rapporteur - Sur le marché hollandais, cela s'est fait. Pouvez-vous confirmer que cela s'est fait sur le marché français ?

M. Gilbert Bornhauser - Non, et je ne vends rien aux lacto-remplaceurs.

M. le Président - Merci pour tous ces renseignements.

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