Audition de M. Jean GLAVANY, ministre de l'agriculture et de la pêche

(28 mars 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Mes chers collègues, nous pouvons reprendre nos travaux.

Monsieur le Ministre, merci d'avoir répondu à notre invitation. Je vous rappelle que vous êtes entendu dans le cadre de la commission d'enquête parlementaire mise en place par le Sénat sur les problèmes posés par l'utilisation des farines animales et les conséquences qui en résultent pour la santé des consommateurs et que, comme vous le savez, ces témoignages doivent se faire après avoir prêté serment. Je vais donc vous rappeler la formule consacrée et vous demander, ainsi qu'à vos collaborateurs, si vous leur passez la parole, de bien vouloir prêter serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Glavany.

M. Jean Glavany - Je le jure. Je vous présente les collaborateurs qui m'entourent : Mme Geslain-Lanéelle, directrice générale de l'alimentation, que vous avez déjà auditionnée, ainsi que Bénédicte Herbinet et Loïc Evain, qui sont tous les deux membres de mon cabinet.

M. le Président - Nous avons eu également la chance de voir Mme Herbinet.

M. Jean Glavany - Quand vous l'avez auditionnée, elle était fonctionnaire des services alors qu'elle est maintenant dans mon cabinet.

M. le Président - Tout est donc changé...

M. Jean Glavany - Quand j'ai vu la qualité de sa déposition devant vous, je me suis dit qu'il fallait absolument l'amener.

M. le Président - Très bien. Je me permets de vous faire prêter serment les uns et les autres.

Mme Geslain-Lanéelle - Je le jure.

Mme Bénédicte Herbinet - Je le jure.

M. Loïc Evain - Je le jure.

M. le Président - Merci. Si vous le permettez, monsieur le Ministre, je vais vous donner la parole pour que, dans un premier temps, vous nous donniez votre opinion et votre position sur ce phénomène, après quoi, avec l'ensemble de nos collègues, nous nous permettrons de vous poser les questions qu'il nous semble important de vous poser.

M. Jean Glavany - Je vous remercie, monsieur le Président. Je suis très heureux d'être là, devant vous, un peu intimidé, même s'il m'est déjà arrivé de présider des commissions d'enquête parlementaires et d'être à votre place. C'est la première fois que je suis de ce côté de la barrière, mais il faut de tout pour forger une expérience. Je suis heureux d'avoir l'occasion de parler devant vous aussi librement que possible d'un sujet qui, à bien des égards, est passionnant et difficile en même temps.

J'ai choisi de le faire en commençant évidemment par la problématique du risque en général et du risque alimentaire en particulier. Je crois que la France avait, de ce point de vue, beaucoup de progrès à faire et qu'elle en a encore beaucoup à faire, mais que ces dernières années ont permis à notre organisation publique de faire des progrès considérables, notamment avec la création de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, en 1999, Agence, dont, d'une certaine manière, je voudrais remercier le Sénat, puisque c'est une proposition de loi d'initiative parlementaire, notamment du Sénat, qui en est à l'origine. Elle marque à mon avis un bouleversement extrêmement positif et constructif pour l'approche du problème des risques, en particulier alimentaires.

Dans une démocratie moderne, transparente et qui se veut efficace, il était indispensable de séparer les fonctions d'évaluation et de gestion du risque. L'évaluation du risque relève de la compétence de l'autorité des scientifiques, si possible indépendants, alors que la gestion du risque ne peut relever que des autorités publiques démocratiquement élues et responsables devant le peuple.

Le mélange des genres est dommageable à bien des égards, aussi bien quand les responsables politiques et publics se targuent de pouvoir évaluer le risque mieux que les scientifiques que lorsque des scientifiques veulent sortir de leur rôle pour entrer dans la gestion du risque, ce qui n'est pas forcément meilleur, parce qu'ils ne sont pas responsables, eux, devant le peuple et qu'ils ne sont pas forcément non plus détenteurs de ce sens de l'intérêt général qui doit animer tous ceux qui gèrent la chose publique.

En tout cas, pour avoir vécu cette mise en place, puisque j'ai été nommé ministre à la fin de 1998, alors que l'initiative parlementaire était en pleine gestation, mais aussi parce que l'essentiel des moyens accordés à l'AFSSA sont d'anciens moyens du ministère de l'agriculture et que nous suivons la montée en puissance de l'AFSSA avec les moyens budgétaires du ministère de l'agriculture, je considère que l'AFSSA est l'une des plus belles réussites de création d'agences ou de nouvelles entités administratives depuis ces dix ou vingt dernières années.

J'ajoute même que, lorsque, après un an et demi à peine, on fait le bilan de son action, on est assez émerveillé de la place qu'elle a prise dans le dispositif d'évaluation des risques, de sa respectabilité et de son indépendance. Pour une entité administrative aussi neuve et aussi jeune, la réussite est assez exemplaire.

En tout cas, je veux dire ici que, maintenant qu'on s'appuie sur ce dialogue public entre les gestionnaires du risque que sont les gouvernements, le gouvernement français en l'occurrence, et les évaluateurs du risque que représente l'AFSSA, j'imagine bien ce que cela devait être avant, quand on avait une espèce de confusion des genres et un manque de visibilité entre l'évaluation et la gestion.

J'ajoute, pour finir sur ce point, que ce que nous avons réussi à faire dans notre pays, il est indispensable de le faire maintenant au plan européen. La nécessaire mise en place de l'Autorité alimentaire européenne, qui est une proposition faite par la France, me paraît plus que jamais urgente parce que, là aussi, il y a eu et il y a toujours des dysfonctionnements au niveau européen --j'en dirai un mot tout à l'heure-- entre l'évaluation et la gestion du risque. Là aussi, nous avons besoin d'une autorité indépendante qui puisse animer le débat entre les autorités nationales, éclaircir un certain nombre d'évaluations et conseiller les gestionnaires des risques au niveau européen.

C'était mon premier point.

Le deuxième, c'est que, dans cette gestion du risque, j'ai souhaité moi-même, quand je suis devenu ministre, procéder à une réforme de l'administration, et en particulier de la Direction générale de l'alimentation, qui m'était apparue comme héritant d'une sorte de vice constitutif, dans la mesure où la Direction générale de l'alimentation exerçait la tutelle des industries agro-alimentaires et, en même temps, assurait les tâches de sécurité alimentaire, notamment la gestion des services vétérinaires et toutes les tâches de contrôle de ces industries agro-alimentaires.

J'ai considéré que le procès qui pouvait être fait, et qui était d'ailleurs fait ça et là, à la Direction générale de l'alimentation d'être juge et partie vis-à-vis des industries agro-alimentaires devait nous amener à la réformer. J'ai donc transféré la tutelle des industries agro-alimentaires à la Direction de la production, la DPEI, de sorte que la Direction générale de l'alimentation, dont la directrice générale est à mes côtés, est devenue la Direction de la sécurité alimentaire à part entière.

C'était une sorte de gageure ou de révolution culturelle, je dois le dire, parce que, y compris pour les fonctionnaires de cette administration, cela n'allait pas de soi. J'ai souhaité que ce ministère, trop souvent perçu comme le ministère des agriculteurs, des producteurs, devienne aussi à part entière le ministère de la sécurité alimentaire. J'ai donné des consignes extrêmement rigoureuses en ce sens parce que je pensais que c'était à la fois une nécessité de la société moderne et une attente de l'opinion et surtout, pour tout vous dire, que si nous ne le faisions pas, d'autres le feraient à notre place et que cette direction serait peu ou prou rayée de la carte, puisque telle était l'attente centrale que l'opinion affichait ou exprimait à l'égard de l'administration en matière d'alimentation.

Je l'ai fait et, en même temps --j'en dirai aussi un mot plus tard--, j'ai souhaité qu'avec les autres ministres en charge de ces problèmes, nous franchissions un cap dans la fluidité, la transparence et l'harmonie du travail interministériel en matière de sécurité alimentaire.

Traditionnellement, les territoires de sécurité alimentaire sont traités par trois ministères : le ministère de l'économie et des finances, avec l'administration de la consommation, la DGCCRF, le ministère chargé de la santé, par le biais de la Direction générale de la santé, et le ministère de l'agriculture et de la pêche, à travers la Direction générale de l'alimentation.

Reconnaissons que des décennies de travail de ces trois directions ont été émaillées de bien des rivalités, de bien des difficultés, de bien des heurts et de bien des incidents. Nous avons donc pensé, depuis la réforme de la Direction générale de l'alimentation, qu'il fallait forcer le pas sur l'interministérialité et qu'au fond, loin d'être un handicap, cette interministérialité touchant les consommateurs, la santé et la Direction générale de l'alimentation pouvait être une chance à condition qu'on arrive à harmoniser totalement les travaux de ces trois directions.

C'est ce que, peu ou prou, nous sommes en train de réussir. Cela n'a pas été simple compte tenu des histoires de ces trois administrations. Je n'en dirai pas plus car vous connaissez ces histoires, qui sont traditionnelles, avec leur autonomie, leurs identités et leurs histoires propres, mais nous sommes en train de réussir cela, les trois directeurs généraux apprenant à travailler ensemble sur la base d'une régularité de rencontres et de protocoles de communication communs. Nous avons essayé de forcer le pas à toute cette interministérialité et nous sommes même en train de réussir la mise en place des pôles de compétence de sécurité alimentaire dans des départements, auprès des préfets, ceux-ci ayant reçu une circulaire des trois ministres concernés, plus le ministre de l'intérieur, il y a un an et demi, les incitant à mettre en place, au plan départemental, des pôles de sécurité alimentaire réunissant les services vétérinaires, les services de la DGCCRF et les DDASS pour les forcer à travailler ensemble et nommant un animateur de ces pôles de compétence. Dans un certain nombre de préfectures, ce sont les DSV, dans d'autres, ce sont les DDASS, dans d'autres encore, ce sont les directeurs départementaux de la concurrence.

Cela marche bien et, en cas de crise, cela permet de faire face de manière commune, harmonieuse et efficace, sur le terrain. Aujourd'hui, plus d'une vingtaine de départements ont mis en place ces pôles de compétence et une autre vingtaine sont en train de se mettre en place. Nous aurons ainsi une quarantaine de pôles de compétence d'ici la fin de l'année.

Le troisième point que je voulais évoquer avec vous, après avoir parlé de cette problématique du risque et du positionnement de l'administration que j'ai l'honneur de diriger, concerne le problème des farines animales, qui vous préoccupe, en essayant d'aller droit au but sur ce qui m'est apparu être le déficit d'Europe dont je parlais tout à l'heure.

À partir du moment où on a interdit, en 1990, les farines animales pour les bovins, toute la problématique de la gestion des farines animales a tourné autour des matériaux à risques spécifiés (MRS). Il s'agissait de savoir si, bien qu'on les ait interdites pour les bovins, puisqu'elles restaient autorisées pour les porcs, les volailles et les autres bétails, on arrivait à les sécuriser non seulement par les conditions de cuisson que vous connaissez comme moi (133 degrés pendant 20 minutes et à 3 bars de pression), mais aussi en en retirant tous les matériaux à risques spécifiés.

D'où les décisions qui ont été prises en 1996 et auxquelles je rends toujours hommage. Je pense en effet qu'Alain Juppé et Philippe Vasseur, à l'époque, ont pris des décisions courageuses qui sont la base même du dispositif de sécurité que nous avons mis en place. Je ne sais pas si c'est à 80, 85 ou 90 % que le dispositif a été arrêté à cette époque ; ensuite, nous avons sophistiqué les choses, mais les dispositions ont été prises à ce moment-là.

D'où les dispositions qui ont été prises en France en 1996, mais aussi d'où les difficultés que nous n'avons cessé de connaître depuis.

Nous avons continué à connaître ces difficultés tout simplement parce que, jusqu'à l'automne dernier, certains pays que vous connaissez comme moi, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, l'Autriche et même le Danemark jusqu'à l'année dernière (il a viré six mois avant les autres), considérant qu'il n'y avait pas d'ESB chez eux, au nom d'une certaine forme --je ne sais pas comment le dire-- d'aveuglement, d'autisme ou de surdité, estimaient qu'il n'y avait donc pas de prion. Ces pays disaient : "circulez, il n'y a rien à voir, vous nous embêtez avec tout ce que vous nous proposez !", alors que, d'évidence, ils ne pouvaient pas ne pas en avoir, tout simplement parce qu'on leur disait quotidiennement, hebdomadairement ou mensuellement, à chaque fois qu'on les rencontrait à Bruxelles : "vous ne pouvez pas ne pas en avoir puisque vous avez importé des farines animales anglaises entre 1985 et 1995, comme nous, dans cette période où elles étaient contaminées et dangereuses".

Simplement, ils ne voulaient pas regarder les choses en face et ils s'opposaient donc à toute mesure européenne de restriction ou de sécurisation de la fabrication des farines animales.

D'où cette attitude qui est finalement parmi les plus choquantes et sur laquelle je pense que les historiens, et peut-être même les juristes ou les juges, devront s'interroger un jour : certains pays ont continué à mettre non seulement des matériaux à risques spécifiées mais des cadavres d'animaux dans les farines animales pour nourrir leur bétail jusqu'à il y a encore quelques mois ! Devant nos protestations, nous étions face à des murs d'obstination et de refus de toute évolution sur le sujet.

Pour moi, c'est un problème central.

Il aura fallu que se produise cette espèce de miracle et cette concordance des temps étonnante, au moment de la crise de l'ESB, en novembre et décembre derniers, entre deux Conseils de l'agriculture, dont l'un s'était très mal passé, avec une crise larvée, et le suivant s'était mieux passé. Ce miracle, c'étaient les cas d'ESB qui s'étaient déclarés en Allemagne et en Espagne, bousculant tout sur leur passage et permettant, au mois de décembre, que toutes les propositions soient adoptées, non seulement l'interdiction des farines animales, l'allongement et l'harmonisation de la liste des matériaux à risques spécifiés, mais aussi la mise en place des tests systématiques.

Il aura fallu des années, de 1996 à fin 2000, pour que cette évidence que représentait le danger des MRS dans l'alimentation animale et dans les farines qui continuaient à être distribuées aux porcs et aux volailles soit enfin admise par les pays qui gardaient se pouvoir de blocage et nous empêchaient d'harmoniser le dispositif sur le plan européen.

L'Europe, à cet égard, a montré des défaillances évidentes qui, en matière de gestion du risque, doivent nous amener à nous poser des questions et, surtout, à trouver des solutions.

J'en viens au quatrième point de mon exposé quant à l'interdiction elle-même des farines animales en France. En Europe, il s'agit d'une suspension pour six mois, mais je dis tout de suite à votre commission d'enquête, comme je l'ai dit devant le Conseil européen, que je ne crois pas qu'une disposition de ce type puisse marquer quelque retour en arrière que ce soit. A partir du moment où nous avons pris ce pli de l'interdiction, je ne vois pas le Conseil européen ou quelque gouvernement que ce soit retourner devant son opinion en disant : "compte tenu de tout ce que nous savons depuis, nous allons nous permettre de les réutiliser". Je crois que la page est tournée et bien tournée. Tant mieux.

Cela dit, je voudrais distinguer deux choses : tout d'abord l'évaluation du risque par les scientifiques et, ensuite, la gestion de ce risque par les politiques.

En l'occurrence, vous aurez noté que l'actualité politique, nationale et européenne nous aura amené à prendre la décision de l'interdiction des farines animales avant l'avis des scientifiques, qui était demandé à l'AFSSA à la fin du mois de novembre et que nous aurons peut-être la semaine prochaine, quand les scientifiques auront terminé leur travail. Peut-être pourrez-vous vous nourrir de cet avis vous-mêmes pour le rapport de la commission d'enquête.

D'une certaine manière, je pourrais presque vous dire mon intuition de ce que sera cet avis. Je ne dis pas que je suis un scientifique et que je peux me mettre à leur place, car je ferai ainsi une faute par rapport à ce que j'ai dit tout à l'heure, mais je pense que les scientifiques nous diront quelque chose du genre : "si vous pouviez nous donner des garanties absolues sur les conditions de fabrication de ces farines, sur la sécurisation des filières, sur l'hermétisme les lignes de production et de transport et si vous pouvez nous donner des garanties absolues sur le fait qu'il n'y a pas d'alimentation croisée, y compris dans les exploitations mixtes, celles qui ont à la fois des bovins, des porcs ou des volailles, si vous pouvez nous donner, sur tous ce points, des garanties, y compris sur les conditions de fabrication (sur les 133 degrés, 20 minutes et 3 bars dont on parlait tout à l'heure) et sur le retrait absolu de tous les MRS, si vous pouvez nous garantir tout cela, alors il n'est pas nécessaire d'interdire les farines animales. Mais comme nous subodorons que vous ne pouvez pas nous donner ces garanties et que, d'une certaine manière, aucun gouvernement ne pourrait jamais donner des garanties absolues qu'il n'y a pas de fraude, de légèreté ou quoi que ce soit, la décision d'interdiction ne manque pas de sagesse".

Je respecte l'indépendance des scientifiques et nous verrons si c'est ce qu'ils disent, mais cela ne devrait pas être très différent.

Nous avons donc été amenés, pour des raisons que vous connaissez bien et que je n'ai pas tellement envie de commenter, parce que cela n'apporte rien, à les interdire d'abord en France et, aussitôt après, au niveau européen.

Je vais vous dire pourquoi j'ai plaidé dans ce sens et vous rappeler que j'ai été le premier ministre de l'agriculture, en Europe, à dire qu'il faudrait interdire les farines animales. Je l'ai fait quelques semaines après ma nomination, à la fin de 1998, dans un Conseil de l'agriculture au niveau européen.

Je l'ai fait d'abord pour des raisons européennes, en dénonçant la faiblesse que j'indiquais tout à l'heure. Je l'ai fait en disant très clairement que, puisque certains pays ne veulent pas harmoniser les conditions de fabrication des graisses animales et ne veulent pas entendre raison, tôt ou tard, nous serions amenés à interdire ces farines.

J'avais retiré cette conviction d'une conversation que j'avais eue avec un certain nombre de scientifiques, notamment avec le professeur Dormont, qui me disait que la faille du dispositif en matière de farines animales était européenne, avec cette possibilité d'harmoniser les conditions de fabrication. Il m'avait dit : "si vous n'obtenez pas cette harmonisation, tôt ou tard, les scientifiques français vont vous demander de prendre une décision d'interdiction parce que la faiblesse se trouve là".

Très vite, entre fin 1998 et fin 1999, je me suis engagé dans cette voie en fixant l'objectif d'une interdiction, avant tout pour des raisons européennes.

Je l'ai fait aussi pour des raisons d'ordre pratique, je dirai presque pragmatique, en pensant à la charge de travail et aux missions des services du ministère, en particulier ceux de la Direction générale de l'alimentation et des Directions départementales des services vétérinaires.

En effet, la sécurisation des filières de fabrication et tout ce que je citais tout à l'heure, c'est-à-dire "l'hermétisation", si je puis dire, des lignes de fabrication et de transport, la vérification des conditions de cuisson et du retrait effectif des MRS ainsi que la lutte contre les alimentations croisées dans les exploitations, étaient autant d'éléments qui imposaient des tâches de contrôle tellement importantes que je me suis vite fait l'idée qu'au fond, le plus simple était de décharger l'administration de ces tâches en interdisant purement et simplement les farines animales.

Je me suis dit que le jour où je les interdisais, je libérais l'administration d'un gros problème, sachant qu'elle a bien d'autres tâches au moins aussi utiles à faire. J'ai trouvé que, sur le plan pragmatique, il était plus utile d'aller dans ce sens.

Je l'ai fait aussi pour des raisons que je qualifierai de politiques --c'est d'ailleurs ce qui a mené à la décision politique qui a été prise--, parce que l'opinion avait focalisé son attention sur les farines animales. On a vu à quel point le débat était devenu public sur le sujet. Au fond, je sentais depuis longtemps qu'il fallait en finir avec ce feuilleton douloureux des farines animales en disant : "basta ! C'est fini, il n'y a plus de farines".

L'opinion nous a amenés à le faire, y compris, reconnaissons-le et soyons francs, avec cette forme d'irrationalité dont elle est capable. Je vous renvoie à la crise de la filière bovine du mois de novembre, cette deuxième crise de l'ESB que vous connaissez. On a vu l'opinion, dans son irrationalité, dire que, premièrement, il fallait absolument interdire les farines animales (les sondages le montraient de manière massive), que, deuxièmement, elle consommait beaucoup moins de viande bovine (la chute de la consommation de viande bovine a atteint presque 50 % au pire de la crise), alors que les bovins n'étaient plus du tout produits avec des farines animales depuis 1990, et que, troisièmement, elle transférait sa consommation sur les porcs ou les volailles alors qu'ils étaient encore nourris avec des farines animales.

Il y a donc une forme d'irrationalité. L'opinion est comme cela. Il faut la prendre comme elle est et gérer cette irrationalité comme une donnée de la difficulté de notre tâche.

J'ai un dernier point sur lequel je souhaite insister. Je pense que l'on a bien fait de prendre cette décision à la fois au plan national et au plan européen et que l'on a clos ainsi un feuilleton qui a été difficile et douloureux et qui a duré trop longtemps, mais il reste --c'est ma responsabilité de le dire ici comme je l'ai dit devant le Conseil des ministres du gouvernement français ainsi que devant le Conseil des ministres de l'agriculture-- que c'était simple à dire mais, en même temps, très difficile à faire.

On a mis, en France, quelques semaines à étudier ce dispositif et reconnaissons que, alors qu'on nous a accusés de tarder, même quand on l'a fait, on a été encore très vite. C'est le débat politique. Cependant, nous n'étions pas encore tout à fait prêt --reconnaissons-le pour la filière elle-même (avec les entreprises, on a frisé la correctionnelle du point de vue de leur équilibre économique) mais, surtout, pour le problème considérable que posait le stockage de ces montagnes de farine qu'il fallait gérer.

De ce point de vue, je tiens vraiment à rendre hommage au préfet Proust pour le travail effectué par sa mission. Il quitte aujourd'hui sa mission pour devenir préfet de police de Paris, ce qui est une juste récompense de la qualité du travail qu'il a exercé au moins pendant ces six derniers mois, sachant qu'il a d'autres titres qui méritent cette récompense. Le travail qu'il a fait avec son équipe a été remarquable. En effet, improviser dans l'urgence une quinzaine de sites de stockage sécurisés, se mettre en disposition de stocker cette année, à la fin de 2001, près de 400 000 tonnes de farines animales et, à la fin de 2002, près de 600 000 tonnes avant que le dispositif mis en place permette de résorber le stock, de repartir à la baisse et de lancer des appels d'offres et des contrats pour l'incinération de ces sites, le tout dans des conditions d'urgence et de sécurité écologique et environnementale maximum, est une véritable prouesse.

Je tiens à dire ici que ce travail qui a été fait par cette équipe limitée mais très efficace a été remarquablement bien fait et que nous avons ainsi pu étaler la difficulté sans grand drame, même si je sais que, ça et là, il reste quelques tensions locales que je ne veux pas minimiser... Je vois certains d'entre vous grimacer, mais mettez-vous, quelques mois en arrière, devant la difficulté de la tâche. Si on m'avait dit à l'époque que, venant ici devant vous au mois de mars, je dirais que les choses se sont bien passées, j'aurais signé tout de suite, même avec ces difficultés. C'était un problème considérable et la capacité que nous avons eue, grâce à cette équipe interministérielle, de faire face à ce dossier est globalement très satisfaisante.

Voilà l'exposé que je voulais faire de manière liminaire. J'ai sûrement oublié beaucoup de choses, surtout compte tenu de vos connaissances du dossier, mais je vais essayer de me rattraper en répondant à vos questions.

M. le Président - Merci, monsieur le Ministre. Vous nous avez rappelé au début de votre propos que vous aviez réorganisé l'ensemble des services, pensant en cela, sans doute avec juste raison, que le cloisonnement pouvait engendrer des difficultés dans les prises de décision. Avez-vous le sentiment qu'auparavant, le fait que ces services soient séparés et non pas coordonnés ait pu entraîner, par exemple dans le cas de la crise de l'ESB, des retards de prise de décision à une époque où des décisions n'ont peut-être pas été prises de façon suffisamment ferme pour éviter quelques propagations ?

M. Jean Glavany - Je ne peux vraiment parler que de ce que je connais et donc de ce que j'ai vécu. Dans tout ce que j'ai eu à connaître depuis que je suis ministre de l'agriculture et de la pêche, je n'ai pas le souvenir de cas spécifiques, de retards ou d'incidents particuliers. Ce que je sais, c'est que j'ai vécu, dans les premiers mois du ministère, avec les autres ministres qui sont en charge de ces problèmes, qui ont d'ailleurs changé les uns et les autres à plusieurs reprises, les restes ou les suites de dysfonctionnements interministériels qui n'avaient pas lieu d'être.

J'ai toujours dit, et je le répète ici devant vous, qu'avant d'être fonctionnaire d'une direction, on est fonctionnaire de l'Etat et qu'il ne peut pas y avoir de concurrence entre les administrations, surtout quand on traite un problème de sécurité et de santé publique.

Trop longtemps, ces administrations ont vécu une sorte de concurrence que je n'hésite pas à qualifier de malsaine et je suis--je le dis en pesant mes mots--assez fier du travail que l'on a fait pour forcer le passage de l'interministérialité, qui est beaucoup plus harmonieuse maintenant.

M. le Président - Merci. Je passe la parole au rapporteur, M. Bizet.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Monsieur le Ministre, j'ai une série de questions à vous poser, dont la première concerne les farines, mais vous y avez déjà en partie répondu. Je note, comme vous l'avez souligné, que l'interdiction totale des farines fait l'objet aujourd'hui d'un moratoire qui prendra fin dans quelques semaines et que la position que vous semblez prendre aujourd'hui, qui est très rationnelle et médiatiquement incontournable et qui consiste à continuer à les interdire pour l'ensemble des animaux d'élevage ne semble pas correspondre, malheureusement, à l'approche que le commissaire européen, David Byrne, a présentée lorsque nous l'avons rencontré à Bruxelles, il y a quelques semaines.

Cela veut-il dire que, lorsque la question sera posée lors d'un prochain Conseil agricole européen, vous aurez une position très ferme au nom de la France ?

M. Jean Glavany - Bien sûr. Je ne suis pas inquiet, pour tout vous dire, monsieur le Rapporteur. En effet, la position que je viens d'exprimer devant vous et que j'ai exprimée devant le Conseil de l'agriculture est quasi unanimement partagée. Il ne reste qu'un ou deux pays qui, dans leur rationalité protestante anglo-saxonne, se demandent pourquoi on ne pourrait pas y revenir si on prouve que ce n'est vraiment pas dangereux, mais une immense majorité a une position inverse dans le Conseil de l'agriculture.

Je sais que David Byrne est plus prudent et je le regrette, mais c'est le Conseil qui décidera.

M. le Rapporteur - En termes d'image, je pense qu'il est impensable que l'on puisse revenir en arrière, même si, scientifiquement, pour les porcs et les volailles, cela pourrait s'appréhender correctement. Ce n'est pas vendable.

M. Jean Glavany - Je le pense aussi.

M. le Rapporteur - Ma deuxième série de questions sur les farines a trait au laps de temps, que vous avez également souligné (a posteriori, on trouve que cela a été long, mais vous avez aussi souligné l'excellent travail qu'a fait le préfet Proust), qui s'est écoulé entre 1997 et la date d'interdiction totale des farines, c'est-à-dire novembre 2000, alors que vous dites que les services de votre ministère --vous n'étiez pas encore en place-- étaient au courant, à partir de la fin 1997, d'une contamination croisée qui était inévitable en matière de farines. Pourquoi ce laps de temps aussi long ?

J'ai une deuxième question, toujours en ce qui concerne les farines. Pourquoi, dans ce laps de temps qui nous paraît a posteriori assez long entre la directive européenne fixant les conditions d'attribution des farines, les fameuses trois règles que vous connaissez (température, pression et temps de cuisson), et sa transcription dans le droit national qui a eu lieu en février 1998, c'est-à-dire quasiment 18 mois après, ce process --on le sait aussi-- n'est-il pas parfait à 100 % ?

Ce laps de temps, sur ces deux points --je le dis toujours avec précaution--, a posteriori, nous semble assez long.

M. Jean Glavany - L'hypothèse des contaminations croisées n'est pas une hypothèse des services mais des scientifiques, c'est-à-dire du Comité Dormont et de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments. Elle ne mettait en rien en cause le dispositif tel qu'il était arrêté parce qu'elle portait sur un dispositif datant d'avant 1996. Il faut bien le comprendre.

Nous sommes dans une situation où nous gérons un risque qui est incertain et toujours décalé. Le risque de l'ESB est incertain, à l'inverse de la fièvre aphteuse, qui n'est ni un problème de santé publique ni même, quasiment, un problème de santé animale et qui n'est qu'un problème économique. C'est surtout un problème bien maîtrisé : il s'agit d'un virus que l'on connaît et que l'on sait traiter.

Avec l'ESB, on gère une incertitude, et je vous assure que, dans la gestion des risques, c'est une difficulté majeure, ne serait-ce que parce que nous sommes obligés d'adapter en permanence le dispositif à l'évolution de la connaissance scientifique, qui a encore de considérables zones d'ombre sur l'ESB, et que la succession de décisions que nous sommes amenés à prendre pour tenir compte de l'évolution de la connaissance scientifique désoriente l'opinion. Elle a le sentiment qu'on en rajoute et qu'à chaque fois, on recommence tout à zéro.

C'est donc une difficulté majeure, mais nous avions aussi des points de repère. Dans ces points de repère, l'année 1996 est essentielle. Je vous ai dit ma conviction de quelqu'un qui a passé quelques dizaines ou centaines d'heures sur ces dossiers : le coeur du dispositif de sécurisation vis-à-vis de l'ESB, c'est 1996, avec à la fois le retrait des MRS et ces conditions de fabrication des farines.

Or les alimentations croisées portent sur des événements entre 1990 et 1996. Ce sont des alimentations croisées dans des élevages ou des exploitations après interdiction, d'où l'expression "NAIF" ("né après l'interdiction des farines"), c'est-à-dire après 1990 mais avant 1996, c'est-à-dire avant la sécurisation sur les farines animales. Ce sont donc des bovins qui, bien que ne s'alimentant plus avec des farines animales depuis 1990, pouvaient être nourris avec des farines animales destinées aux porcs ou aux volailles entre 1990 et 1996 alors que ces farines n'étaient pas encore totalement sécurisées. La difficulté est là.

Le fait de donner cette explication sans en tirer de conséquences n'était en rien dommageable, puisque les conséquences avaient été prises en 1996. Simplement, l'effet de ces conséquences tirées en 1996 intervient cinq ans après l'incubation moyenne, après 2001.

Il est donc normal, compte tenu de cette connaissance scientifique --et je le dis avec prudence-- que nous ayons eu une croissance (d'ailleurs, les scientifiques l'ont toujours dit) du nombre de cas NAIF jusqu'en 2001. Théoriquement, nous sommes dans la dernière année de montée de la courbe. Les décisions de 1996 produisant leurs effets, nous devrions avoir une baisse à la fin de cette année et l'année prochaine et, très sincèrement, je n'ai pas de raison de ne pas le croire à ce stade.

Donc le fait que nous fassions l'hypothèse que les cas d'ESB qui étaient révélés étaient des cas NAIF avec des alimentations croisées, qui était l'hypothèse la plus scientifiquement vraisemblable, ne changeait en rien le dispositif, puisque les conséquences avaient été tirées en 1996. Suis-je assez clair ?

M. le Rapporteur - Oui.

M. Jean Bernard - Monsieur le Ministre, vous avez parlé du problème des stockages et vous avez rendu hommage au préfet Proust, qui fait effectivement preuve d'une pugnacité et d'un engagement formidables. Cependant, je suis au coeur du problème dans mon département parce que, à 300 mètres d'un village, on va entreposer 50 000 tonnes de farines. Il y a des peurs irrationnelles, dont vous avez parlé et vous avez raison, mais il y a aussi des résistances.

M. Jean Glavany - Dans quel département êtes-vous ?

M. Jean Bernard - La Marne. On mobilise l'opinion publique pour moins que cela et vous le savez.

Cela dit, dans notre secteur, des espaces militaires extrêmement importants sont désactivés depuis la réorganisation de nos forces, avec des locaux immenses, et j'ai donc j'ai interrogé le ministre de la défense, par l'intermédiaire de M. de Villepin, président de la Commission de la défense, pour savoir s'il y avait d'autres possibilités. Je souhaiterais vivement avoir une réponse pour pouvoir informer la population, qui est alarmée par cette affaire, qu'il n'y a pas d'autre possibilité, mais on ne me répond pas. Cela crée une espèce de réticence dans cette commune.

Il y a la proximité des usines Calcia, l'une des plus grandes cimenteries d'Europe, qui brûlent déjà de la farine et il y a donc une opportunité à situer ce stockage dans ce secteur, mais, grand Dieu, qu'on me dise que les militaires n'en veulent pas ou ne peuvent pas les stocker.

M. Jean Glavany - Je ne peux pas vous répondre sur ce point mais je pourrai vous donner des éléments le moment venu. Je peux simplement vous indiquer la manière dont nous avons fonctionné sur le plan méthodologique. Nous avons sollicité le ministère de la défense, qui a fait des propositions à la mission Proust sur un certain nombre de sites qui ont été recensés par les préfets. Je le sais puisque l'un deux a été proposé dans mon département.

Le ministère de la défense a donc fait ses propositions et celles-ci ont ensuite été évaluées par la mission Proust, soit à l'aune d'un certain nombre de critères de protection (ce n'est pas parce que c'est un site de la défense que, pour autant, il est sécurisé), soit en fonction des besoins, c'est-à-dire d'une répartition géographique aussi harmonieuse que possible.

La démarche a été faite. Maintenant, je peux prendre des dispositions pour qu'on vous donne les réponses précises.

M. Jean Bernard - Cela me permettrait de répercuter cela auprès de la population locale.

M. Jean Glavany - Bien entendu. Très sincèrement, si, dans la même zone, il y a un site de la défense et un autre site civil qui a été préféré, c'est sûrement que, soit le site de la défense n'était pas disponible compte tenu des besoins des forces armées, soit, s'il l'était, qu'il ne répondait pas aux critères de la mission Proust. C'est une réponse que je fais a priori et que je vais faire vérifier pour vous apporter la réponse.

M. Jean Bernard - J'y serai très intéressé. Merci.

M. Gérard César - Monsieur le Ministre, nous avons vu tout le secteur des farines animales, mais la question que je veux vous poser concerne les éleveurs eux-mêmes. Où en êtes-vous par rapport aux indemnités et aux problèmes qui entraînent le surcoût lié au fait que l'on doit garder les animaux beaucoup plus longtemps à la ferme ? Les agriculteurs, dans certaines régions, ont aujourd'hui des problèmes de fourrage et aussi de surcoût.

Tant que j'y suis, je vais vous poser une autre question, avec votre autorisation, monsieur le Président, concernant la substitution des farines animales par les protéines végétales et sur la position que vous pouvez avoir au niveau du Conseil de l'agriculture européen, en particulier, par rapport à la PAC et aux accords de Berlin. C'est un problème qui nous est posé aujourd'hui au sujet des aides qui pourraient intervenir de la part de Bruxelles.

Enfin, sachant que cela pourra être fait, avec l'autorisation du président, en fin d'audition, je souhaiterais que vous nous fassiez un point sur le problème de la fièvre aphteuse, ce dossier douloureux entre tous.

Voilà quelques questions très précises, monsieur le Ministre.

M. Jean Glavany - Sur le premier point, dans la gestion de la crise de l'ESB, nous avons deux grands volets : le volet sanitaire et le volet économique.

Je dirai ici non pas que le volet sanitaire est réglé mais que l'on est au mieux de ce que nous pouvons faire. Avec l'interdiction des farines, avec l'allongement de la liste des MRS et son harmonisation au plan européen et avec la mise en oeuvre des tests systématiques sur les bovins de plus de trente mois depuis le début du mois de janvier, je pense que nous avons un dispositif qui, du point de vue de la sécurité sanitaire de la filière bovine, est bon. Il était temps. On a mis du temps et on a beaucoup traîné, mais on y est et je ne peux que m'en féliciter. Ce dispositif ne devrait plus beaucoup bouger, sauf découverte particulière des scientifiques.

Il est possible que la première décision sera d'abaisser l'âge des bovins pour les tests, en passant de 30 à 24 mois dans quelques semaines ou quelques mois, mais cela ne va pas changer l'essence du dispositif.

Par ailleurs, il y a le traitement économique. A ce sujet, je veux distinguer deux choses : les éleveurs touchés par l'ESB et la crise économique.

Pour ce qui est des éleveurs, il y a deux éléments : le problème de l'abattage total du troupeau et le problème de l'indemnisation.

Nous n'avons pas de problème d'indemnisation. Nous avons choisi, il y a plusieurs années --cela a été fait par un gouvernement précédent--, de bien indemniser les éleveurs au-dessus de la valeur du marché pour les inciter à ne pas cacher la maladie, pour qu'ils sachent que, s'ils ont un cas d'ESB, ils vont avoir une bonne indemnisation. Il n'y a donc pas de problème d'indemnisation pour ces éleveurs.

En revanche, il y a un problème d'abattage total des troupeaux qui provoque, reconnaissons-le, un traumatisme croissant et une difficulté croissante pour les services vétérinaires à faire appliquer la mesure. Comme je l'ai dit publiquement, ainsi que devant le Sénat et l'Assemblée nationale : dès que je peux revenir à un abattage sélectif, je le ferai tout de suite. D'abord, ce sera économique pour les deniers de l'Etat et, ensuite, cela fera une charge de travail moins importante pour les services vétérinaires.

Simplement, je pense qu'il faut le faire avec un signal à l'opinion qui soit positif, c'est-à-dire avec un prétexte. Si je prends cette décision aujourd'hui, en pleine défiance à l'égard de la consommation de la viande bovine, je pense que l'opinion serait désorientée. Il faut donc que j'aie l'occasion de le faire.

Evidemment, j'interroge l'AFSSA et je la presse de me dire s'il n'y a pas des données nouvelles qui nous permettent de ne faire qu'un abattage sélectif. En particulier, je lui demande si le test systématique sur les bovins de plus de 30 mois ne nous donne pas l'occasion de lever un peu le dispositif. J'espère avoir, en avril, mai ou juin, un avis de l'AFSSA qui nous permettra d'aller dans ce sens.

Les scientifiques de l'AFSSA, à vrai dire, se fondent moins sur le dispositif de mise en place des tests systématiques que sur des études épidémiologiques, c'est-à-dire qu'ils font des tests sur les animaux à risques et sur tous les troupeaux abattus et qu'ils se font une idée épidémiologique pour voir si, effectivement, l'abattage sélectif ne présente aucun danger. Ils veulent que leurs séries statistiques soient suffisamment nourries pour que leur avis soit éclairé.

Par ailleurs, il y a la crise économique, dont il faut bien mesurer le poids dans la mesure où, aujourd'hui encore, quatre mois après, même si la consommation a quelque peu repris, le niveau de consommation de viande bovine se situe entre - 20 et - 25 % en ce qui concerne la consommation des ménages, - 40 % pour ce qui concerne la restauration collective (beaucoup de collectivités locales n'ont toujours pas rétabli la consommation de viande bovine dans leurs cantines) et entre - 90 % et - 100 % pour l'exportation, puisque la fièvre aphteuse nous a mis un verrou supplémentaire.

Nous sommes donc dans une situation de sous-consommation considérable qui provoque évidemment cette surproduction. Autrement dit, nous avons des problèmes à la fois physiques et financiers.

Le problème physique, c'est que cette surproduction fait que l'amont de la filière, dans les exploitations, garde des bêtes qui s'engraissent et qui représentent un poids et un surcoût considérables pour les éleveurs. Il nous faut absolument purger cet amont. Si nous ne trouvons pas les moyens de le faire, nous ne retrouverons pas les équilibres de marché qui, eux seuls, seront le signe de la sortie de crise en termes économiques.

L'abattage destruction a été mis en place. Cependant, aujourd'hui, sur quinze pays en Europe, quatre ou cinq le font, dont seulement deux le font sérieusement : l'Irlande et la France. Tous les autres pays répugnent à le faire parce qu'ils nous expliquent, de manière tout à fait convaincante, que cela pose des problèmes à leur opinion que de détruire des bêtes. Moi aussi, cela me pose des problèmes, de même qu'à l'opinion française et, surtout, aux éleveurs français qui doivent envoyer leurs bêtes à la destruction alors qu'ils ont mis des années à produire de la qualité. C'est évidemment un crève-coeur et un déchirement. Simplement, si on ne le fait pas, on va traîner cette crise pendant des mois.

La problématique qui nous est posée est donc de convaincre l'Union européenne de passer à la vitesse supérieure pour purger cet amont que nous n'arrivons pas à purger, loin de là. C'est un problème fondamental.

Le deuxième problème est économique et financier. Nous avons effectivement des éleveurs, quoique de manière inégalitaire, qui sont dans une situation économique et financière déplorable, sachant que la crise de la fièvre aphteuse rajoute là-dessus une difficulté considérable.

Nous avons mis en place un plan de 1,400 milliard de francs d'aides directes pour les éleveurs, que j'ai annoncé il y a environ un mois. Les enveloppes départementales ont été définies et elles sont dans les départements. Elles ont été débattues ou sont en train de l'être devant les CDOA, parce que j'ai fixé des critères nationaux mais laissé des marges d'appréciation pour tenir compte des réalités départementales ou locales.

Maintenant, il faut que les éleveurs déposent leurs dossiers, le plus vite étant le mieux. Je suis en train de prendre des mesures pour que cela aille le plus vite possible. Je souhaite que, lorsqu'on a donné la date limite de fin avril pour le dépôt des dossiers, on puisse faire remonter cela au 15 avril si possible et que, pour instruire ces dossiers et pour aller plus vite, on verse les crédits de telle sorte que, fin avril ou début mai, les premières avances arrivent, même si on régularise après, parce que je pense qu'il y a urgence et que cette solidarité doit se traduire le plus vite possible. En tout cas, je suis très préoccupé par cette urgence.

La deuxième grande question que vous me posiez concerne la substitution végétale des farines animales et les plans protéines.

Je suis très choqué de la manière dont la Commission a pris le problème. Dans un premier temps, elle a arrêté une "mesurette" sur le bio et les oléoprotéagineux ou les protéagineux bio sur la jachère, une mesure qui n'est pas mauvaise en soi mais qui n'est pas du tout à la hauteur du problème, en nous promettant, pour le dernier Conseil de l'agriculture, un plan digne d'intérêt parce qu'elle reconnaissait que cette mesure n'était qu'une mesurette, sachant qu'in fine, le dernier Conseil de l'agriculture nous a dit : "on a bien tout compté : cela n'a pas de sens de faire un plan protéines ; mieux vaut importer".

Pourquoi est-ce choquant ? Parce que, pour moi c'est la négation de la Politique agricole commune. On dit : "on est dans une telle situation qu'il vaut mieux acheter à l'extérieur". C'est l'absence totale de volontarisme, de régulation, de solidarité et d'action.

Le gouvernement français ne peut pas se satisfaire de cette situation et de cette proposition ; il l'a fait savoir et le refera savoir avec force.

Reconnaissons honnêtement que nous sommes devant une difficulté majeure : le fait que les caisses de l'Europe agricole sont vides, notamment du fait de la crise bovine, et que, pour faire un plan protéines, il faut trouver des incitations à l'hectare dignes de ce nom. Or il est difficile de le faire sans moyens financiers nouveaux. C'est donc un peu la quadrature du cercle.

Votre troisième question concerne la fièvre aphteuse...

M. Gérard César - ...qui nous intéresse tous.

M. Jean Glavany - Evidemment, j'ai scrupule à en parler devant votre commission d'enquête, mais évidemment, je vais m'y prêter de bonne grâce...

M. le Président - Vous comprenez bien que cela intéresse tout le monde.

M. Jean Glavany - J'avais l'intention de venir demain après-midi, mais je crains que le fait que nous en parlions ce soir ne me dispense pas de venir demain... (rires.)

M. le Président - Je le pense aussi.

M. Jean Glavany - Sinon, je vous aurais demandé l'autorisation.

J'ai donc des scrupules à en parler ici parce que je pense que nous avons vraiment tous intérêt à ne pas faire d'amalgame entre l'ESB et la fièvre aphteuse. L'ESB est un problème de santé publique incertain et difficile alors que la fièvre aphteuse n'est vraiment pas un problème de santé publique. Moi aussi, je suis très irrité et choqué de la multiplication de ces images télévisées qui, en montrant ces charniers et ces bûchers, participent du traumatisme de la campagne anti-viande, avec des effets sur l'opinion qui sont sûrement détestables.

On n'a pas besoin de cela. Je ne vois pas pourquoi on se délecterait de passer ces images. Quel besoin avons-nous de le faire ? C'est l'actualité, certes, mais je ne sais pas pourquoi on a besoin de montrer ces cadavres d'animaux par centaines ou milliers, en prenant une espèce de plaisir malsain à le faire, alors que les conséquences économiques sont sûrement beaucoup plus grandes qu'on ne le croit.

Ce n'est pas un problème de santé publique, ni même, quasiment, de santé animale. C'est un problème économique.

Aujourd'hui, le point que je peux vous faire, c'est que, premièrement, c'est un virus clairement importé du Royaume-Uni --cela ne fait pas de doute--, que, deuxièmement, nous avons pris des dispositions qui ont été qualifiées de drastiques, de draconiennes ou de brutales autour du premier foyer de la Mayenne et de l'Orne mais que mon sentiment, c'est qu'on a bien fait de le faire et que de cette brutalité dépendait la suite et notre capacité à juguler l'épizootie au moment où elle naissait en France.

Au fond, nous sommes en train de faire la démonstration qu'à l'inverse des Britanniques, nous sommes plutôt dans une logique de prévention que dans une logique curative. Les Anglais courent après l'épizootie alors que nous l'avons, semble-t-il, maîtrisée, même si je reste très prudent et si je touche du bois avec vous.

Nous avons donc eu deux foyers. Honnêtement --je vous parle sous le sceau du serment--on aurait pu éviter le deuxième si nous avions eu toutes les coopérations. Je ne veux montrer personne du doigt, mais si nous avions eu tout de suite la transparence sur les mouvements d'animaux, nous aurions pu éviter le deuxième. Il est survenu parce qu'on ne nous a pas tout dit alors que nous aurions vraiment pu nous en passer.

Je ne montre pas quelqu'un du doigt et je ne veux pas faire de polémique ; je parle sous le sceau du serment et, de toute façon, je l'ai déjà dit. Quand je parle de pratiques frauduleuses, je ne parle pas du tout des éleveurs. Il y a peut-être des éleveurs qui fraudent, comme c'est le cas chez les Français : la proportion d'éleveurs qui fraudent doit être la même. En revanche, dans la filière du commerce, du transport et de l'import-export, il y a beaucoup de fraudes. On les tolère parce que c'est la souplesse de l'économie de marché, mais enfin...

Commençons par la fraude à l'import-export. La directive de 1992 sur l'identification des traçabilités n'est pas du tout respectée en matière ovine. Elle est très bien respectée en matière bovine grâce à la crise de l'ESB (maintenant, toutes les vaches ont leurs boucles aux deux oreilles ; c'est impeccable), de même qu'en matière porcine, parce que c'est par lots que se fait l'identification. En revanche, en matière ovine, il n'y a quasiment aucune identification.

Comme nous sommes un pays fortement importateur, cela veut dire que nous importons des lots entiers d'ovins sur lesquels nous n'avons aucune espèce de véritable information en matière de traçabilité et d'identification. C'est un premier problème. Quand ils ne respectent pas ces réglementations de 1992, les exportateurs prennent une responsabilité lourde.

En matière de transport, vous savez que des réglementations sanitaires font que chaque transporteur, après avoir transporté du bétail, doit désinfecter son camion. On ne peut pas mettre des gendarmes derrière chaque transporteur pour vérifier s'il a bien désinfecté sa bétaillère.

En matière de ventes, les ventes "au cul de camion" ou sur les parkings sont des pratiques assez courantes. Cela permet de faire un peu de fraude à la TVA. C'est la souplesse de l'économie de marché ; on ne va pas mettre des gendarmes derrière chaque parking non plus.

Simplement, le jour où on a une crise comme celle-là à gérer, toutes ces petites fraudes deviennent un énorme handicap, parce qu'on ne sait pas retrouver les lots. La lutte contre l'épizootie de fièvre aphteuse est une course contre la montre considérable pour rattraper tous les lots qui ont été au contact et qui sont donc susceptibles d'avoir été contaminés avant que la maladie éclate. Les services vétérinaires, ces dernières semaines, ont passé des week-ends entiers à rechercher des adresses et à faire des enquêtes pour essayer de retrouver, notamment en région parisienne, où était passé tel ou tel lot.

Ces fraudes deviennent un véritable handicap. Malgré tout --je touche du bois--, il semble que nous maîtrisions à peu près la situation.

Il reste le problème de la vaccination. Honnêtement, pour moi, c'est un faux débat. Tout d'abord, il faut distinguer la vaccination préventive ou la vaccination curative. La vaccination préventive a été arrêtée en 1991 sur un raisonnement parfaitement mûri de l'Union européenne, qui est à la fois --c'est vrai-- économique et sanitaire. On peut toujours reprendre ce débat, mais, en l'occurrence, ce n'est pas le moment.

Il s'agit aujourd'hui de savoir si on doit faire de la vaccination curative. Elle peut être nécessaire (j'espère qu'elle ne le sera pas, mais je touche encore du bois) le jour où on ne fait pas face et où on n'arrive plus à maîtriser la situation. Dans ce cas, il faut effectuer une vaccination curative notamment périfocale pour empêcher la dissémination des foyers.

Aujourd'hui, nous ne sommes pas dans cette situation et j'espère franchement que nous ne le serons pas. Il faut savoir que, si on fait de la vaccination curative (certains d'entre vous le savent sans doute), cela ne nous dispenserait nullement de faire, malgré tout, de l'abattage. C'est de la vaccination curative périfocale dans l'attente de l'abattage des troupeaux. Si on les abat assez vite, il n'y a pas besoin de faire de la vaccination curative.

Personnellement, j'ai le souci de la filière de l'élevage en France, qui représente une richesse considérable pour notre agriculture et le secteur agroalimentaire. Je citais les chiffres suivants hier, à l'Assemblée : le commerce extérieur de la filière bovine en France représente 8 à 8,5 milliards pour le bétail vivant, 10 à 10,5 milliards pour les viandes transformées, 25 ou 26 milliards sur les produits laitiers et produits transformés. Cela fait 44 à 45 milliards potentiels. Tout ne serait pas sous embargo, y compris parce que des pays, dans le monde, consomment ouvertement des produits qui sont eux-mêmes touchés par l'épizootie de fièvre aphteuse (je pense à des pays d'Afrique ou d'autres pays de ce type), mais ce serait une handicap considérable à l'exportation pour une filière difficile qui a déjà suffisamment de mal.

Il faut donc garder à tout prix notre statut de pays indemne de fièvre aphteuse. C'est ce que j'essaie de faire. J'espère y arriver. Je ne peux pas vous donner l'assurance que j'y arriverai, mais toutes nos forces sont tendues vers cela. Là aussi, je touche du bois, je croise des doigts et je fais tout ce que vous voulez, mais je pense que l'on est plutôt dans une logique de maîtrise. Cependant, compte tenu de ce que j'ai dit tout à l'heure sur ces pratiques, je ne peux pas en avoir la certitude.

M. Georges Gruillot - Monsieur le Ministre, je voudrais m'adresser au ministre des consommateurs. Chacun sait --vous plus que quiconque-- combien les consommateurs français sont attachés maintenant à la qualité de l'alimentation. Ils l'ont démontré dans toutes les crises. Cela a été le cas de la crise de la dioxine mais, avec l'ESB, on a vu le paroxysme de la crise, qui nous a provoqué une baisse de 50 % la consommation de viande bovine.

Dans cet esprit, les médias ont, à mon avis, trop joué leur rôle puisqu'on était en face d'une véritable psychose du consommateur, qui demeure aujourd'hui et qui fait que, dans l'esprit du consommateur français --je schématise un peu-- les produits de qualité sont forcément ceux qui sont produits localement, en petite quantité et avec des certifications d'origine. C'est ainsi que l'on exclut les produits de masse et tout ce qui est passé par les grandes surfaces. C'est un peu ce qui est dans l'esprit des consommateurs actuellement et je pense qu'on a été beaucoup trop loin dans ce sens, au point que l'on en arrive à une espèce de désinformation.

Je crois que c'est particulièrement vrai quand on pense à l'agriculture biologique. Dans l'esprit des Français, non informés, le "biologique" signifie qu'ils peuvent manger en toute sécurité. C'est peut-être vrai sur le plan de la qualité gustative, mais cela ne l'est pas du tout en matière de qualité et de sécurité sanitaires. C'est un ancien vétérinaire qui vous parle et qui a vu cela professionnellement, toute la journée, pendant une vingtaine d'années.

Si je vous interroge, c'est que je viens d'avoir, dans ma région, en Franche-Comté, deux cas d'ESB dans une exploitation biologique. Le premier s'est produit en Haute-Saône, il y a quelques semaines (nous avons le président de la région ici), dans un troupeau qui avait fait sa conversion en "bio" depuis seize ou dix-sept années, c'est-à-dire depuis longtemps. La presse, même la presse locale, n'en a pas parlé. C'était le black-out total, ce qui nous a un peu surpris quand on l'a appris quelque temps après.

Or nous venons d'avoir récemment, il y a huit ou dix jours, puisque le troupeau n'est pas encore abattu, un nouveau cas d'ESB, cette fois dans le Jura, également sur un troupeau en agriculture biologique mais, lui, depuis seulement deux ans. Là aussi, il nous semble qu'il y a une espèce de black-out (qui, finalement, a éclaté quelque peu puisqu'on le sait quand même) dû essentiellement à tous les gens de la filière bio et non pas tellement à nos fonctionnaires qui ont fait leur travail normalement.

En tout cas, je voudrais profiter de cette occasion, monsieur le Ministre, pour que vous puissiez officiellement clarifier les choses. Je n'ai rien et nous n'avons rien contre l'agriculture biologique, mais essayons d'être honnêtes avec nos consommateurs français et de leur faire comprendre qu'avec des produits d'origine biologique, ils n'ont pas une sécurité sanitaire supérieure à ce qu'ils peuvent trouver ailleurs, bien au contraire, malheureusement.

De plus, je voudrais vous interroger sur ce que l'AFSSA en pense. Je sais que l'AFSSA a été saisie, sur ce thème, d'une enquête ou d'une étude dont nous n'avons pas aujourd'hui les résultats. Je ne sais pas si vous connaissez déjà peu ou prou ces résultats, mais pourriez-vous nous les communiquer ?

M. Jean Glavany - Je vais vous parler franchement. Il y a eu ces deux cas, en effet, sur lesquels il n'y a pas de lock-out particulier. Simplement, l'un des deux éleveurs ne veut pas y croire et demande des vérifications à n'en plus finir, notamment en matière d'ADN.

M. Georges Gruillot - C'est surtout pour faire monter les enchères financières.

M. Jean Glavany - Je ne ferai pas ce procès d'intention, monsieur le Sénateur. Je n'imagine pas que cela puisse arriver. En tout cas, je ne crois pas que ce sont les premiers cas bio. Il me semble bien qu'il y en a déjà eu un l'année dernière.

M. Georges Gruillot - Peut-être, mais je vous parle des deux que l'on connaît.

M. Jean Glavany - La difficulté dans laquelle on est, c'est que, compte tenu de la durée d'incubation de la maladie, le problème n'est pas de savoir s'ils sont bio maintenant mais s'ils l'étaient au moment de la naissance de l'animal. Les derniers cas dont on parle sont des cas nés en 1993 et donc tout à fait dans le cadre de la période critique, entre 1990 et 1996, des alimentations croisées dont on parlait tout à l'heure. Si l'exploitation s'est convertie au bio en 1994, en 1996 ou en 1998, le bio n'est nullement à l'abri de désagréments.

En règle générale, je suis très favorable au développement de l'agriculture bio, mais je ne considère pas que ce soit la solution de l'agriculture française ou européenne. Il faut la développer parce qu'il y a une vraie demande, que, là aussi, nous ne sommes pas autosuffisants et que nous importons du bio qui est souvent de moins bonne qualité que le bio français. Il vaut donc mieux développer notre bio à nous, si j'ose dire. En tout cas, ce n'est pas du tout l'antidote à la problématique de l'ESB. Je pense simplement qu'il faut prendre des mesures de précaution pour tous les modes d'élevage, bio ou non. Je vous dis les choses très clairement.

M. Georges Gruillot - Ma question concerne le consommateur, monsieur le Ministre. Je pense que le consommateur français est leurré dans cette affaire et qu'il faudrait vraiment que l'on arrive à lui faire comprendre que le bio a des qualités mais que ce n'est pas là qu'il va trouver la sécurité sanitaire.

M. Jean Glavany - Le cahier des charges sur le bio est exigeant, encore plus en France qu'au niveau européen. Ce n'est pas seulement en termes de sécurité sanitaire que se pose le problème, mais aussi en termes de sécurité environnementale. De toute façon, le label bio n'est pas estampillé "sécurité sanitaire des aliments". A aucun moment il n'y a une publicité autorisée sur ce thème.

M. le Rapporteur - Si ma mémoire est bonne, monsieur le Ministre, sur le plan du cahier des charges, la filière bio est soumise à une obligation de moyens mais non pas à une obligation de résultat. Donc j'appuie totalement l'interrogation de mon collègue Gruillot. Je pense qu'il faut faire très attention en la matière. L'agriculture biologique représente 1,1 % de la surface agricole utile nationale, ce qui est très bien, mais si elle est multipliée par cinq ou par dix, il ne faudra pas oublier les 95 ou les 90 % du restant de l'agriculture française.

Nous n'avons aucune aversion envers cette forme d'agriculture, mais je crois qu'il faut faire attention. En France --vous le savez mieux que quiconque--, on mute souvent par coups de balancier assez amples. On risque donc d'avoir des déconvenues et de nuire à l'agriculture biologique si on ne l'encadre pas davantage.

M. Jean Glavany - Je vous rejoins. En même temps, je ne voudrais pas qu'à l'inverse, de manière paradoxale, on fasse le procès de l'agriculture bio, qui donne des garanties sur les modes de production mais qui n'a pas une obligation de résultat.

M. Paul Blanc - Monsieur le Ministre, j'ai une série de questions à vous poser.

Si vous le permettez, je voudrais vous faire une remarque sur les derniers propos que vous nous avez tenus concernant l'Europe et le développement des cultures de substitution aux oléoprotéagineux, auxquels il faut prêter attention. J'ai lu récemment un article de presse dans lequel on dit que, finalement, l'Europe n'est pas mécontente de cette crise, car si l'élevage européen disparaît, cela coûtera moins cher à l'Europe. C'est extrêmement grave, parce que si jamais cela venait à se produire, cela voudrait dire que nous serions totalement dépendants de l'Amérique ou de l'Afrique du sud.

Je pense qu'en tant que ministre de l'agriculture de la France, vous avez une position très ferme à défendre à cet égard par rapport aux autres pays européens. Vous m'excuserez de faire cette remarque mais, compte tenu de ce qu'on commence à entendre, je dirai qu'un homme averti en vaut deux.

Je voudrais ensuite vous poser une série de questions, dont la première est très simple : quand avez-vous pris la décision d'interdire les farines ? Je sais que cette décision a été prise au mois de novembre, mais vous nous avez dit tout à l'heure que vous aviez déjà pensé le faire avant. Pouvez-vous dire quand, exactement, vous avez pensé le faire ?

J'ai une deuxième question. Actuellement, les farines à haut risque, qui sont destinées à l'incinération, ne font pas l'objet d'une sécurisation par la température à la sortie de l'équarrissage. Cela veut dire que les 133 degrés à 3 bars et pendant vingt minutes ne sont pas respectés. Il y a donc là, à mon sens, un risque, dans la mesure où ces farines vont être transportées et stockées. Quelle est votre position là-dessus ?

Sur le problème de l'équarrissage, dans le cadre de notre mission, nous avons entendu à plusieurs reprises que le secteur de l'équarrissage et de la production de farine valorisable était insuffisamment contrôlé. Les industriels nous disent que c'est hyper contrôlé, mais on nous dit ailleurs que ce n'est pas aussi sûr. Quelle est votre position là-dessus ?

Troisièmement, que pensez-vous de la réintroduction des farines animales dans l'alimentation des animaux domestiques ? Pour l'instant, c'est interdit, mais on parle de les autoriser à nouveau. Compte tenu des cas d'ESB chez les chats, en particulier en Angleterre, que pensez-vous de ce problème ?

Ma dernière question concerne les importations de farines animales depuis des pays dans lesquels les matériaux à risques n'étaient pas exclus. Ne pensez-vous pas qu'entre 1996 et 2000, il a pu y avoir une faille dans le système de sécurisation des produits et des farines produites en France ? Dans cette hypothèse, pensez-vous, comme nous le souhaitons tous, bien entendu, que la décrue de l'épidémie d'ESB puisse intervenir très rapidement ?

M. Jean Glavany - Je vais répondre à votre première réflexion sur l'Union européenne, qui ne serait pas mécontente qu'après tout, cela fasse disparaître tout ou partie de l'élevage. C'est un discours que l'on entend y compris au niveau national, compte tenu du système d'aide que l'on met en place.

Je vous dis les choses comme je le pense : je n'ai aucune raison de suspecter cela de la part de la Commission. Aujourd'hui, elle met en oeuvre des dispositions contre l'avis d'un certain nombre de gouvernements ; je pense au groupe de Londres, réformé groupe de Capri, c'est-à-dire à ces quelques gouvernements très libéraux qui mettent en cause la notion même de PAC et qui accusent aujourd'hui la Commission d'intervenir dans la gestion de la crise bovine en disant : "de quel droit vous mêlez-vous de cette crise ? Laissez faire le marché". Je vois la Commission clairement résister et, par son intervention publique, défendre la notion même de Politique agricole commune et défendre donc l'existence des éleveurs de bovins. Je n'ai donc aucune raison de suspecter la Commission, dans la gestion de la crise, d'avoir cette mauvaise pensée.

Quant au gouvernement français, c'est une question de jugement politique. On peut toujours considérer que le gouvernement français "ne serait pas fâché de cela", mais je peux vous dire que je ne mobiliserais pas 1,4 milliard de francs d'aides ciblées sur les plus petites exploitations si je souhaitais les voir disparaître. Les choses, de ce point de vue, sont assez claires pour moi.

Quand ai-je commencé à envisager l'interdiction des farines ? Au premier semestre de 1999. J'ai été nommé ministre le 20 octobre 1998 et c'est au premier semestre 1999 que j'ai dit au Conseil de l'agriculture européen que je ne voyais pas d'autre moyen que de se préparer à aller vers l'interdiction. Je n'ai pas fait un franc tabac à ce moment-là, je dois le dire, mais je précise qu'alors qu'elles ont été suspendues en décembre, quand j'en parlais en novembre, j'étais quasiment le seul à le faire. Cela a donc basculé entre fin novembre et début décembre.

M. Paul Blanc - Si vous me le permettez, j'exprimerai un petit regret devant vous : lorsque je vous ai posé cette question écrite en juin 2000, vous ne m'avez pas répondu.

M. Jean Glavany - J'en suis absolument navré. C'est contraire à tous les usages et, en tout cas, à toutes les règles que je souhaite appliquer à mon propre travail.

J'en viens au service public d'équarrissage. C'est une vraie difficulté. Je ne vais pas fuir votre question qui consiste à demander s'il est assez contrôlé. On suit, dans le service public d'équarrissage, la procédure équivalant au traitement à 133 degrés, 20 minutes et 3 bars pour les farines destinées à la destruction et on a des contrôles avec deux visites par mois par les DSV.

Cela dit, mon angoisse ou mon inquiétude n'est pas là. Le problème, c'est qu'on a un service public de l'équarrissage qui est saturé et à la limite de l'explosion compte tenu de ce qu'on lui met sur la tête actuellement. Il a son travail normal, plus les farines, plus le retrait et la destruction. Cela explose de partout. Si, en plus, je devais multiplier les visites de contrôle, que se passerait-il ?

On a donc un vrai problème de capacité d'agir du service public de l'équarrissage, qui est aujourd'hui saturé par la succession des crises et les dispositions nouvelles que nous avons prises en termes de destruction. A cet égard, j'ai une vraie inquiétude.

Quant au pet food, c'est-à-dire à l'alimentation pour les animaux domestiques, nous envisageons effectivement, au niveau européen, un retour en arrière, c'est-à-dire une libéralisation, mais avec des conditions beaucoup plus strictes qu'auparavant, en n'autorisant notamment que des produits propres à la consommation humaine, dans des conditions de fabrication qui seront draconiennes.

Sur les importations qui se passaient avant, que voulez-vous que je vous dise en un jour où, actualité oblige, la séparation des pouvoirs fait l'objet d'un grand débat public ? À partir du moment où des plaintes ont été déposées sur cette période, je suis obligé de me référer à ce que fera la justice. Je suis comme vous : je trouve que cela pourrait aller plus vite. Alors que nous avons recensé environ seize plaintes, concernant ces années-là, sur les importations illicites, très sincèrement, je souhaiterais non seulement que cela aille plus vite mais que, si c'est avéré, les condamnations soient fermes et exemplaires et qu'il y ait là une base d'appui pour une réaction du pouvoir législatif, du pouvoir exécutif et de l'opinion devant de telles pratiques. Cela dit, je ne peux pas faire autrement que de me référer à l'action de la justice et de regretter que cela n'aille pas plus vite.

M. Jean-François Humbert - Pour prolonger ce que vous venez de dire, monsieur le Ministre, sans vouloir à mon tour mettre à mal la séparation des pouvoirs, au-delà de l'information sur les seize plaintes, en savez-vous un peu plus sur les procédures judiciaires qui sont conduites contre des fabricants de farine et, si oui, que pouvez-vous nous dire sur ce point ?

M. Jean Glavany - Je ne peux que vous donner mon sentiment, car j'ai vécu une chose très étonnante. Un expert mandaté par le tribunal de Besançon, M. Mouton, je crois, a interpellé le ministère par voie publique en le mettant en demeure de fournir des éléments sous huitaine sous peine d'astreinte d'un million de francs par jour. Je peux simplement vous dire --et je suis prêt à corriger mes propos si cela est démenti-- que cet expert avait été nommé depuis quatre ans.

M. Jean-Marc Pastor - Monsieur le Ministre, je vous poserai une question double. Vous nous avez dit tout à l'heure que l'une des difficultés, c'est qu'il y avait de la fraude par rapport aux problèmes évoqués, en particulier, dans la filière ovine.

M. Jean Glavany - Je le dis pour l'import-export. Certaines pratiques s'affranchissent de la directive de 1992 en matière ovine, mais, pour tout ce qui est négoce et transport de bestiaux, cela ne concerne pas que la filière ovine. Cela concerne les intervenants commerciaux du transport ou du négoce de bestiaux au sens large.

M. Jean-Marc Pastor - Ma première question est de savoir ce que vous comptez faire sur ce problème particulier.

Deuxièmement, dans un problème aussi complexe que celui que nous vivons depuis maintenant plusieurs mois entre, d'un côté, l'ESB et, de l'autre côté, le problème nouveau qui est arrivé avec la fièvre aphteuse, comment les choses se passent-elles entre, d'un côté, vous qui représentez le gouvernement et, d'un autre côté, les partenaires professionnels et, particulièrement, la profession ? Comment les uns s'impliquent-ils sur cette voie et comment y a-t-il un soutien réciproque du gouvernement par rapport à la profession et de la profession par rapport au gouvernement ?

S'il n'y a pas d'échange, on risque de buter contre un mur. Pouvez-vous nous en dire deux mots ?

M. Jean Glavany - Je vais vous dire ce que je pense. En matière d'identification et de traçabilité, les éleveurs ont fait beaucoup d'efforts, pour ce qui est des bovins, sur le plan européen. L'ESB nous y a aidés. Il y a maintenant une identification de traçabilité quasi parfaite en matière bovine, à la fraude près, bien sûr, mais il est évident que, dans aucun secteur d'activité, aucun gouvernement, même le plus totalitaire (je dois dire d'ailleurs que c'est sous les gouvernements les plus totalitaires qu'il y a le plus de fraude et que ce n'est donc pas cela qu'il faut souligner), ne peut garantir 0 % de fraude chez lui. Il y a donc un système, en matière bovine, qui est satisfaisant au niveau européen.

En matière ovine, la France est sûrement en avance. Nous avons une bonne coopération avec la fédération nationale ovine, qui a fait des efforts et qui fait des progrès, mais nous sommes victimes de notre dépendance à l'égard de l'extérieur. En Europe, nous avons des efforts considérables à faire. Je pense (nous pourrons l'exiger d'autant plus facilement de nos partenaires européens) qu'en France, nous sommes plutôt en avance. Les éleveurs français, en matière ovine, sont plutôt en avance en matière d'identification et de traçabilité.

Cela ne veut pas dire que tout est parfait chez nous, loin de là, mais nous n'en exportons quasiment pas alors que nous en importons beaucoup. De ce point de vue, honnêtement (et j'ai eu, ces derniers jours, beaucoup de conversations avec certains de mes collègues), pour traiter le problème de la fièvre aphteuse, je pense que ce besoin de progrès en matière d'identification et de traçabilité pour ce qui est du secteur ovin est bien identifié en Europe. C'est l'une des principales leçons que nous tirerons de cette crise très vite

M. le Rapporteur - Monsieur le Ministre, je voudrais rebondir sur deux ou trois points en ce qui concerne la problématique de l'abattage total ou sélectif. Nous avons bien compris que vous attendiez l'avis de l'AFSSA, mais également...

M. Jean Glavany - Vous me permettrez de vous interrompre. J'attends l'avis de l'AFSSA, bien sûr, mais j'attends aussi tout élément qui me permettrait d'expliquer à l'opinion que cette mesure n'affaiblit pas le dispositif de sécurité sanitaire. Si j'en avais un autre, je le prendrais, tout simplement parce que je pense qu'il est urgent de le faire pour les raisons que j'ai expliquées tout à l'heure. Cela dit, pour l'instant, celui qui s'annonce le plus proche, c'est l'avis de l'AFSSA.

M. le Rapporteur - C'est ce que j'allais vous dire. Vous recherchez donc également une fenêtre de tir qui n'est pas facile vis-à-vis de l'opinion publique.

M. Jean Glavany - Méfiez-vous de l'expression "fenêtre de tir"... (Rires.)

M. le Rapporteur - Je le dis tout à fait à dessein. Aujourd'hui, la législation fait que, si ma mémoire est bonne, l'agriculteur chez qui un cas d'ESB a été décelé et confirmé par analyse a un mois pour abattre son cheptel. C'est bien cela ?

M. Jean Glavany - Absolument, mais on le fait le plus vite possible et cela se passe d'un commun accord et de manière harmonieuse. Ce n'est pas lui qui, tout seul dans son coin, procède à l'abattage, qui se fait avec les services vétérinaires qui sont présents. Dans le cadre de cette disposition, le préfet met parfois des moyens de force publique pour que cela se fasse dans la discrétion, avec les DSV. Cela se fait donc le plus vite possible, en coopération avec l'éleveur.

M. le Rapporteur - J'ai eu l'occasion de le constater, malheureusement, dans mon département, et je peux dire que cela se fait "correctement".

M. Jean Glavany - Je vous arrête. Cela se fait de plus en plus difficilement, c'est-à-dire que l'on rencontre de plus en plus de difficultés.

M. le Rapporteur - Cela étant, tant que vous n'avez pas pris un autre arrêté, la législation, qui prévoit l'abattage dans un délai aux alentours d'un mois, doit s'appliquer. Or nous avons, dans nos départements, surtout ceux du grand ouest, de plus en plus de difficultés, et j'avoue que je suis inquiet, parce que le cas auquel je fais référence sans le nommer et que vous connaissez nous pose un énorme problème.

M. Jean Glavany - Tout à fait. A moi aussi.

M. le Rapporteur - Je voulais le souligner.

M. Jean Glavany - En même temps, monsieur le Sénateur, au total, depuis le début de la crise de l'ESB en France, nous sommes aujourd'hui, je crois, à un total de 292 cas (je vérifierai ce nombre pour vous le donner très précisément) et nous n'avons qu'une difficulté d'application concrète avec un éleveur. Donc ce n'est pas un phénomène très important, mais je reconnais que c'est de plus en plus difficile. L'abattage total est de moins en moins accepté. Par conséquent, plus vite je m'en affranchirai, mieux cela vaudra.

M. le Rapporteur - Par ailleurs, je voudrais revenir sur les propos de mon collègue César concernant la filière protéique. Nous avons eu l'occasion de rencontrer M. Franz Fischler, qui ne nous a pas non plus satisfaits en ce qui concerne ses réponses. Au-delà de l'indispensable accompagnement financier des agriculteurs qui s'orienteraient vers ce type de culture, compte tenu du statut de l'INRA et de vos rapports avec cet institut, l'avez-vous mandaté pour la recherche de variétés correspondant aux spécificités climatologiques nationales ? Suite à diverses auditions, il apparaît que les agriculteurs restent habitués aux performances techniques de variétés qui ne sont peut-être plus à l'ordre du jour.

Avez-vous demandé à l'INRA de travailler sur de nouvelles variétés ? Je pense que ce serait important.

M. Jean Glavany - Tout d'abord, j'ai retrouvé le chiffre et je peux vous dire qu'il s'agit bien de 292 cas (dernier cri hier soir).

Ensuite, il se trouve que nous avons eu une rencontre de travail avec l'ensemble des dirigeants des organismes de recherche nationaux et que nous avons parlé de cela, sachant que l'INRA s'était mis spontanément sur l'affaire et sur ce dossier. Je pense donc qu'effectivement, l'INRA va nous aider très vite à faire cette prospective de solutions alternatives. Il s'y était mis spontanément.

M. le Rapporteur - Vous nous le confirmez ?

M. Jean Glavany - Tout à fait.

M. le Rapporteur - Ma troisième question concerne la problématique de la fièvre aphteuse. Je suis d'accord avec vous sur l'approche qui est celle de votre ministère et de l'ensemble de vos services. Il est évident que tant qu'on peut tenir sans procéder à une vaccination, cela permet une classification de la France par rapport aux autres pays de l'Union européenne. A contrario, à partir du moment où un pays de l'Union européenne, en l'occurrence la Grande-Bretagne, dont on connaît, sans être méchant, les carences en matière de réseau épidémiologique, ne peut pas contenir une infection de ce type, dans quelle mesure, au niveau de l'Union européenne, un ou plusieurs pays parmi les Quinze peut obliger précisément la Grande-Bretagne à procéder à une vaccination systématique, soit périfocale, soit générale, de son cheptel ?

Il y a là, sans attendre la mise en place de l'autorité alimentaire européenne, si je puis dire, des dérives inacceptables. C'est le fruit, à mon avis, d'un laxisme très ancien et très fort de la Grande-Bretagne sur ce point. Dans quelle mesure la France peut-elle obliger nos amis anglais, par le biais de l'Union européenne, à vacciner ?

M. Jean Glavany - Pour ce qui concerne l'opportunité de la vaccination au Royaume-Uni, le débat est en cours et les Britanniques sont, en ce moment même, en train d'en discuter avec les autorités vétérinaires européennes. Ils y viennent enfin, mais, dans leur incapacité à maîtriser les choses --je le dis devant vous même si ce n'est pas le sujet de votre commission d'enquête--, il est tout à fait probable qu'ils ont eu "du retard à l'allumage".

Ce qui a fait notre chance, c'est que nous avons démarré vite et fort, avant le premier foyer alors que, pour ce qui les concerne, on doute qu'il aient démarré vite et fort ; on subodore même qu'ils ont eu du retard à l'allumage, y compris pour nous informer, mais avant tout parce qu'ils n'étaient pas informés eux-mêmes. Ils courent donc après l'épizootie et ils ne la maîtrisent pas.

Comme ils ne la maîtrisent pas, ils ont le débat sur la vaccination. Ils vont donc y être amenés tôt ou tard. C'est d'ailleurs presque acquis au niveau du Royaume-Uni.

Deuxièmement, il est bien évident que, dans ces conditions, nous ne pouvons obtenir des pays tiers qu'un traitement régionalisé de l'Union européenne, dans la mesure où il n'y a pas de raison que l'Union européenne tout entière subisse le contrecoup. On peut régionaliser les mesures à l'export. Si je puis dire, c'est encore plus facile quand c'est une île. La régionalisation fondée sur un blocus à l'égard d'une île facilite les choses. Il faut bien que les Anglais aient aussi, de temps en temps, les inconvénients de leur insularité.

M. Paul Blanc - On va refaire le blocus continental... (Rires.)

M. Jean Glavany - Pour eux, ils ont fait le blocus sur le continent et non pas l'inverse.

Donc je vous réponds que l'on doit régionaliser.

M. le Rapporteur - Il faudrait que cela serve, en quelque sorte, de jurisprudence pour une malheureuse prochaine fois, même si c'est triste à dire.

Mon dernier point n'appelle pas, de votre part, une réponse qui serait trop longue mais que vous pourriez peut-être formaliser au travers d'un document que vous pourriez nous transmettre d'ici quelque temps. Toute la problématique de l'ESB et de la fièvre aphteuse, mais surtout de l'ESB, pose le problème de la réorientation, à terme, de la PAC, pour laquelle on est arrivé à un tournant. Dans quelle mesure pourrez-vous concilier (l'exercice est particulièrement difficile mais, à mon avis, vous êtes tout à fait habilité à le faire) la réorientation de la PAC, d'un côté, et les exigences d'un grand pays agricole comme la France, d'un autre côté, notamment au travers de la production de produits agro-alimentaires, qui est le fleuron de l'industrie française ?

Nous serions très satisfaits si vous pouviez produire un document pour la commission. Ce serait d'autant plus intéressant, monsieur le Ministre, que les chambres d'agriculture viennent d'être réinstallées. Je ne parlerai pas des contrats territoriaux d'exploitation, parce que c'est le dossier de notre ami César...

M. Gérard César - Il n'y a pas de chasse gardée.

M. le Rapporteur - ..., mais on sent poindre à l'horizon une forme de "renationalisation" de la PAC. Pourriez-vous donc nous livrer (mais pas ce soir, parce qu'il sera trop tard) vos réflexions en la matière ?

M. Jean Glavany - J'ai souri quand vous disiez : "vous êtes habilité à le faire", parce que les mots sont précis et lourds de sens, en l'occurrence. Disons que j'en serais peut-être capable ou que, à défaut, j'ai quelques idées assez précises sur la question. Cependant, le mot "habilité" est pertinent parce que nous sommes en cohabitation et que celui qui engage la France sur la scène internationale est le président de la République. Or je ne suis pas tout à fait capable de vous dire si je pense exactement la même chose que lui, ou s'il pense la même chose que moi.

M. le Rapporteur - Dites-nous ce que vous pensez.

M. Jean Glavany - Je ne voudrais pas que ce soit une position du gouvernement français sur la scène internationale. Il est important de le dire comme cela.

Cela étant, j'y réfléchis et j'y travaille, puisque je pense que c'est de ma responsabilité, y compris pour mes successeurs. Des services du ministère travaillent sur le sujet et font de la prospective parce que c'est fondamental. Pour tout vous dire, y compris pour régler le problème de l'habilitation, et donc de la cohabitation, en ce qui concerne la PAC, on ne peut pas toucher au cadre qui a été fixé par les accords de Berlin et qui va jusqu'à 2006, un cadre de visibilité et de lisibilité indispensable pour les agriculteurs, parce qu'on ne peut pas changer les règles du jeu tous les ans ou tous les deux ans. Les agriculteurs sont des agents économiques qui ont besoin, pour programmer leurs investissements et leur endettement, de lisibilité à moyen terne.

En même temps, je tiens à dire ce que je pense avec un minimum de culot. Je ne pense pas que l'on peut attendre 2006 pour donner des signes de réorientation. Il faut donc trouver le moyen de garder le cadre et, dans ce cadre, de donner des signes que l'opinion publique attend. Je pense que c'est possible.

Cela dit, je tiens à vous mettre en garde. En effet, vous avez dit que la crise de l'ESB et celle de la fièvre aphteuse nous amenaient forcément à nous poser la question, mais je ne pense pas que les choses se posent en ces termes. Pour ce qui est de l'ESB, c'est vrai. A un moment, le fait de faire manger des farines animales à des bovins correspondait à une logique productiviste.

En revanche, la fièvre aphteuse est une maladie vieille comme le monde. C'est presque une logique de maladie de pays pauvre, d'une certaine manière. Donc elle n'est pas le fruit du productivisme, sauf à dire que c'est parce que nous avons des élevages très développés, et parfois intensifs, que nous sommes plus exposés aux risques d'une contamination rapide. Sinon, cette épizootie n'est pas le fruit naturel du productivisme, d'autant plus que l'on sait, comme l'indique la FAO, qui a suivi les progrès de l'épizootie à travers le monde, que ce sont des tendances géographiques lourdes qui viennent --on le sait bien-- d'un certain nombre de foyers qui se trouvent dans des pays en difficulté ou en voie de développement.

Ce n'est donc pas du tout le fruit naturel du productivisme et c'est pourquoi je ne veux vraiment pas que l'on fasse l'amalgame.

M. le Président - Monsieur le Ministre, merci d'avoir consacré autant de temps aux travaux de notre commission et merci de vos réponses.

Je terminerai avec un petit clin d'oeil. La commission va se rendre en Angleterre demain...

M. Jean Glavany - Quelle chance ! Surtout, utilisez les pédiluves, messieurs !... (Rires.)

M. le Président - C'est ce que je voulais dire. Devons-nous emmener nos pédiluves personnels ?...

M. Jean Glavany - Je serai très heureux de lire les commentaires que vous ferez sur les informations auxquelles vous serez confrontés au cours de votre voyage.

M. le Président - Nous verrons. Je voulais simplement vous poser une petite question : que pensez-vous de l'attitude des Anglais, après 1989, par rapport à l'ESB, puisque c'est après cette date que l'on a continué à vendre les farines anglaises et même les abats ?

M. Jean Glavany - Vous pouvez bien deviner ce que j'en pense. Je l'ai d'ailleurs dit une fois. L'honnêteté commerciale eut été au moins de dire à l'époque : "attention, nous vous vendons cela, mais c'est interdit chez nous".

M. le Président - Très bien. Merci, monsieur le Ministre.

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