Audition de M. Régis LESEUR,
Vice-Président du Conseil général vétérinaire

(4 avril 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Merci, Monsieur Leseur d'avoir répondu à notre convocation. Vous êtes Vice-Président du Conseil Général Vétérinaire. Nous avons souhaité vous auditionner dans le cadre de cette commission d'enquête sur les farines animales et les conséquences provoquées sur la santé des consommateurs.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Leseur.

M. Régis Leseur - Monsieur le Président, Messieurs les sénateurs, Mesdames, Messieurs, nommé Vice-Président du Conseil Général Vétérinaire le 25 décembre 1999, j'ai auparavant exercé au sein du ministère de l'Agriculture et de la Pêche un certain nombre de fonctions, notamment de décembre 1987 à juillet 1992, où j'étais sous-directeur de l'Hygiène alimentaire à la Direction générale de l'Alimentation et, en 1992, Monsieur le ministre de l'Agriculture et de la Pêche m'a demandé de créer ce qui est devenu au 1er juillet 92 la Brigade Nationale d'Enquêtes Vétérinaires.

C'est à ce titre que la commission d'enquête que vous présidez souhaite entendre l'histoire de cette époque.

Je crois que pour aborder cette question il est nécessaire de rappeler quelques connaissances historiques pour bien délimiter le sujet.

En 1988, apparaît une nouvelle maladie qualifiée d'ESB. En 1990, sont prises en France les premières mesures vis-à-vis d'un éventuel passage de l'animal à l'homme et, en 1996, nous connaissons la révélation anglaise du passage presque avéré à l'homme.

Mon histoire personnelle, dans cette affaire, se situe autour de trois dates : il se trouve que, par le hasard des circonstances, c'est moi qui en 1991, à Bruxelles, ait annoncé le premier cas d'ESB français. En 1990, j'ai géré l'embargo britannique contre les viandes. En avril 1996, alors que le nombre de cas d'ESB paraissait augmenter, le Directeur Général de l'Alimentation de l'époque a demandé à la Brigade que je dirigeais, de s'intéresser aux enquêtes épidémiologiques concernant l'ESB.

Quelques points concernant les connaissances réelles dans l'histoire car, aujourd'hui, on fait une certaine confusion dans la connaissance des faits au cours des ans.

En 1988, je rappelle que l'on parlait d'un élément de transmission intitulé : « un agent de transmission non conventionnel ». Le mot « prion » n'existait pas.

En 1989, la France prend les premières mesures vis-à-vis des farines anglaises.

En 1990, l'épisode du chat a amené ultérieurement les premières mesures concernant la viande.

En 1994, un certain nombre d'informations parcellaires ont montré qu'il pouvait exister un passage à l'homme.

Début 1996, il n'était pas encore question du principe de précaution, mais du principe de prévention.

En 1997, seulement, une méthode d'analyse fiable et pertinente a vu le jour.

Tout ceci et ces quelques éléments de rappel pour qu'en 2001 il soit possible de relativiser la connaissance que les uns et autres avions des problèmes à cette époque. Il est évident qu'à la faveur des connaissances que nous avons en 2001, nous pouvons porter un jugement différent sur les actions qui ont pu être menées au cours de cette décennie, mais il était normal et nécessaire de rappeler cette connaissance.

Me concernant, pour être très clair, en 1996, quand il a été demandé à la Brigade Nationale d'Enquêtes Vétérinaires de s'intéresser au problème de l'ESB, il existait une dizaine de cas avérés (premier cas officiel : 1991) et les travaux avaient toujours été générés et pilotés par l'Administration Centrale, organisme auquel je n'appartenais plus.

Compte tenu de la flexibilité de la structure que j'animais, de ses pouvoirs étendus puisqu'ils avaient compétence sur l'ensemble de la France et que nous rendions compte de l'existence de mouvements à l'intérieur du territoire français, il était logique de nous intéresser à la question.

Pour ce faire, nous avons procédé à un travail collectif et méthodologique entre nous : comment allions-nous aborder cette question ? Il est bien évident que nous avions un certain nombre de connaissances scientifiques avérées, mais qu'il était nécessaire de les coupler avec les connaissances de terrain recueillies et celles que nous allions devoir recueillir.

Nous avons préparé ce travail par une approche dans plusieurs domaines. Dans le domaine alimentaire, de la génétique, des diverses productions situées autour de la ferme et dans les modes de culture qui pouvaient se présenter au niveau de chaque ferme.

Nous avons pris comme éléments de base essentiels à toute notre enquête les cas qui étaient signalés et déclarés et c'est à partir de ce travail au niveau de l'endroit où le cas s'est développé que nous avons remonté toute l'histoire, sans oublier que nous nous intéressions à des faits qui s'étaient passés entre 5 et 10 ans auparavant. La mémoire des personnes est une chose et la mémoire des textes est autre chose et, entre temps, il y avait eu, du fait de l'évolution économique, des disparitions.

Nous avons été amenés à faire des enquêtes de terrain, ce qui a abouti à une publication d'un rapport administratif à la fin de chaque année et, compte tenu de l'incidence judiciaire qui commençait à se manifester en 1996, par la saisine de deux juges d'instruction, l'un à Nantes, M. le juge Petillon et l'autre à Paris, Mme le juge Boizette, nous avons collaboré à ces enquêtes judiciaires.

Au cours de ces 5 à 6 années de travail sur ce sujet, au titre de la Brigade Nationale d'Enquêtes Vétérinaires, nous avons été amenés à traiter trois types de sujets.

Le premier concernait les veaux, le deuxième les viandes anglaises et le troisième les cas d'ESB avec une incidente sur les farines. Je rappelle que notre saisine n'était pas, contrairement à celle de Mme le juge Boizette, une saisine de toutes les entrées sur le territoire national, mais un travail d'enquête lié à l'apparition des cas avérés et, de ce fait, nous n'avons travaillé, nous concernant, que sur les cas déclarés.

A partir de 1997, nous avons eu un certain diagnostic que nous avons présenté à la Commission Dormont pour qu'elle ait une connaissance des faits passés que nous supposions réels et pour que, dans ses recommandations scientifiques, elle puisse délibérer de manière pertinente et proposer aux autorités des ministères considérés, un certain nombre de mesures.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Monsieur le Vice-Président, j'ai noté au travers de vos propos trois points fondamentaux. En 1991, vous avez été celui qui avez annoncé à Bruxelles le premier cas d'ESB. Quel était votre interlocuteur et avez-vous reçu une certaine écoute ?

M. Régis Leseur - C'était dans le cadre des réunions des chefs de service vétérinaires, au titre du Conseil où (je ne sais plus quelle était cette réunion) tous les chefs de service vétérinaires étaient présents. L'homologue anglais était Keith Meldrum et je me souviens -puisqu'il était mon vis-à-vis- lui avoir dit, d'une forme de clin d'oeil, que c'était une vache d'origine britannique.

Voilà en deux mots la relation de cette situation car n'étant pas compétent dans les affaires de santé animale, car mon domaine de compétence était la sécurité alimentaire, j'étais le chef de service en exercice à la réunion des chefs de service et c'est pourquoi j'ai annoncé ce premier cas anglais.

M. le Rapporteur - Avez-vous eu le sentiment d'être pris au sérieux, écouté, entendu et compris ?

M. Régis Leseur - Il faut relater les problèmes ou l'ambiance de cette époque : l'ESB était une maladie animale et uniquement animale.

M. le Rapporteur - Max était mort en 1991.

M. Régis Leseur - C'était en février 1991. En 1991 encore, et en 1992 c'était une maladie considérée comme étant animale.

Je n'ai entendu aucune remarque de la part des autres délégations ni de la commission.

Je rappelle que cette information était un élément informel -ce n'était pas dans le cadre du conseil- que le chef de service de l'époque m'avait demandé de rapporter aux autres chefs vétérinaires.

M. le Rapporteur - Vous nous avez dit avoir géré vous-même l'embargo dans les années 1992.

M. Régis Leseur - 1990.

M. le Rapporteur - Or, étaient-ce des embargos de la viande britannique ?

M. Régis Leseur - Oui.

M. le Rapporteur - La concomitance entre cette date 1990 et 1992 nous a troublés. En 1995 la Commission Européenne, au travers d'une directive, avait enjoint nos amis britanniques de procéder à des opérations d'identification correctes de leur cheptel, et nous venons de découvrir avec l'ensemble de nos collègues que ce n'est qu'en 1997-1998 que l'on peut considérer que le processus d'identification du cheptel bovin a été mis en place. Comment gérer un embargo quand vous n'avez pas d'identification des animaux ?

M. Régis Leseur - Nous sommes en 1990 et le fait que je rapporte est l'épisode ordonné par Henri Nallet, ministre de l'Agriculture de l'époque à la veille de la Pentecôte 1990 qui stipulait de procéder à un embargo sur les viandes britanniques et quelques jours après, puisqu'une réunion du Comité Vétérinaire Permanent dans un premier temps et du Conseil de l'agriculture dans un deuxième temps ont eu lieu, les mesures concernant les viandes anglaises ont été rapportées.

Nous sommes dans une situation où les Etats membres se font confiance.

Je rappelle que sous présidence française en 1989 -j'étais le Président du Comité des experts à l'époque-, nous avons fait passer une directive intitulée : « La Directive Assistance Mutuelle ». A ce titre, les Etats membres s'engageaient à aider leurs partenaires.

Nous sommes à l'époque de l'ouverture du Grand Marché ; à ce titre, il était tout à fait normal et logique de faire confiance aux autorités des Etats membres.

Ou alors -c'est hélas ce qui a pu se passer après et que nous avons découvert plus tard-, un certain nombre de partenaires, britanniques notamment, n'ont pas tout à fait joué le jeu.

M. le Rapporteur - C'est la première fois que j'entends parler de cette notion de Directive Assistance Mutuelle. Nous nous procurerons le document en question.

M. Régis Leseur - Elle a été transcrite dans le droit français par un arrêté de 1991.

M. le Rapporteur - D'où provenaient les farines utilisées par les fabricants d'aliments pour animaux jusqu'auxquels les enquêteurs sont remontés ?

M. Régis Leseur - La grande difficulté est que notre « commission d'enquête » à l'intérieur de notre structure est une commission nationale. Notre pouvoir d'investigation est national. Quand nous nous sommes trouvés devant un certain nombre de problèmes concernant des farines étrangères, nous n'avions que deux solutions. La première consistait, pour une période très ancienne, à nous assurer que les farines étaient anglaises ou d'un autre pays, auquel cas nous interrogions les services compétents dudit pays, et la deuxième était d'utiliser la voie judiciaire, ce que nous avons fait dans un certain nombre de cas et, de ce fait, munis d'une commission rogatoire délivrée par un juge et accompagnant un officier de police judiciaire, nous nous sommes rendus en Belgique.

Nous pouvons dire avec une certaine certitude, pour ne pas dire une totale certitude, que l'ensemble de la première vague des cas français a très clairement une origine de farines britanniques puisqu'elle est liée aux importations régulières des farines de Grande-Bretagne jusqu'en 1989.

Nous ne pouvons pas aller plus loin, car il aurait fallu faire des tests en disant que c'est la farine qui a procuré la mort, mais tout concourrait à pouvoir dire qu'il était possible de rapporter les cas avérés à la consommation de farines anglaises.

Dans un deuxième temps, c'était compliqué. Il est évident que, très certainement (cela doit figurer dans notre rapport de 1998), des farines françaises ont provoqué cette épidémie. Pourquoi ? D'après moi, plusieurs raisons expliquent cette situation. L'histoire nous permet de le dire : il y a eu une sous-déclaration des cas d'ESB en France dans les années 1991-1992.

M. le Rapporteur - L'affirmez-vous ?

M. Régis Leseur - Pourquoi une sous-déclaration ? C'est une maladie nouvelle, inconnue ou quasiment, parce que dans la littérature en 1880, M. le Professeur X de l'Ecole Vétérinaire de Toulouse a mentionné son existence. C'est une maladie inconnue dont on voit éventuellement les premiers prodromes par l'agriculteur, et la tentation naturelle d'un agriculteur est de se débarrasser d'un animal dont il soupçonne qu'il n'ira pas au bout de sa vie que ce soit en tant qu'animal de viande ou de sa vie économique.

Ce n'est pas porter injure à qui que ce soit.

Deuxième raison : jusqu'en 1996, il y avait réutilisation dans l'appareil d'équarrissage d'éléments qui historiquement parlant, faisait partie de l'histoire : on réutilisait dans le cadre de la chaîne alimentaire un certain nombre d'éléments que l'on considère aujourd'hui comme horribles mais qui étaient parfaitement acceptés par la population et tout le monde à cette époque : l'utilisation des saisies d'abattoir, voire l'utilisation de cadavres. Jusqu'en 1996, ces produits entraient dans la chaîne de fabrication des produits destinés à l'alimentation des animaux et personne n'y avait trouvé à redire.

Troisième élément peut-être : on a beaucoup glosé sur l'histoire du traitement 133 degrés, 20 minutes, 3 bars. Je rappelle qu'en 1990, à Bruxelles, quand a été acceptée la « Directive concernant le traitement d'équarrissage », une bagarre extraordinaire a eu lieu entre les délégués français et allemands. Pourquoi ? Ce procédé était allemand et uniquement allemand. De ce fait, comme les Allemands avaient déjà utilisé un système de ce genre concernant les poules pondeuses quelques années auparavant, la délégation française s'est battue bec et ongles pour obtenir « un traitement équivalent » et non pas le traitement 133 degrés, 20 minutes, 3 bars. C'est la raison essentielle pour laquelle, dans cette directive, apparaissent ce procédé « ou traitement équivalent ».

M. le Rapporteur - Les importations de farines britanniques ont-elles perduré en France après l'interdiction au plan européen et, dans l'affirmative, d'où tenez-vous ces sources et pouvez-vous donner quelques précisions ?

M. Régis Leseur - Pour pouvoir dire qu'il y a eu fraude, il faut le prouver et il est clair que les autorités britanniques en 1988 ont décidé théoriquement, provisoirement, de ne plus donner leurs farines animales aux animaux du cheptel britannique. Bien évidemment, ils l'ont annoncé très tardivement. Là encore quand il est dit qu'ils l'ont fait en 1988, cela n'a pas été connu immédiatement. Il a fallu écrire plusieurs fois aux autorités britanniques pour leur demander quelles mesures elles avaient prises, et je mets ceci en parallèle avec la Directive Assistance Mutuelle.

M. le Rapporteur - Vous êtes allé chercher l'information, eux-mêmes ne l'ont pas donnée.

M. Régis Leseur - Ils l'ont peut-être donnée quelque part, mais pas clairement. Dans cet épisode (je ne voudrais pas que l'on ressorte de cette salle en disant que les Anglais n'ont pas joué le jeu), mon sentiment et ma conviction profonde sont que ce dossier eût été mieux géré si les autorités britanniques avaient joué le jeu comme elles auraient dû le faire et si la commission avait également joué le jeu qui était le sien et qu'elle n'a pas joué : vous en connaissez les raisons.

A partir de là, nous pouvons nous poser un certain nombre de questions. On a beaucoup glosé également sur le passage des farines anglaises via l'Irlande, la Hollande et la Belgique. Nous avons vu des projets de transactions entre des opérateurs, mais nous ne sommes ni capables ni en mesure de dire si elles ont eu lieu. N'oublions pas qu'à partir de 1993, au terme de la modification douanière -puisque nous étions dans le Grand Marché- une modification essentielle a eu lieu puisqu'il n'existait plus de passages en frontières ; ils étaient abrogés et transformés en une déclaration d'échange de biens dont le montant variait selon les pays. Après nous pouvons dire que nous avons constaté ceci ou cela ; je n'irai pas jusque là. Nous n'avons pas pu, nous, avec certitude dire qu'il y a eu fraude et nous n'avons jamais constaté de fraudes de l'embargo sur les farines britanniques.

Cependant, une idée (plus même) est à rapporter des procédures pénales que nous avons diligentées : des farines anglaises ont pu être ajoutées à ce que l'on appelle le « corn gluten field », les maïs américains et autres sur un certain nombre de ports du Nord de l'Europe, et les poids spécifiques, les pourcentages en phosphore et en calcium étant à peu près identiques, il n'était pas possible de faire la différence, mais ce n'est qu'une hypothèse.

M. le Rapporteur - Que vous n'avez jamais pu vérifier.

M. Régis Leseur - Que je n'ai pas pu confirmer. Il eût fallu que les autorités belges, voire les autorités néerlandaises, puissent approfondir le dossier.

M. le Rapporteur - C'est une hypothèse, mais si vous l'avez émise, vous aviez donc des idées...

M. Régis Leseur - J'ai personnellement alerté les deux familles professionnelles -le SYNCOPAC et le SNIA- pour leur dire de faire des contrôles sur le corn gluten field qu'ils importaient, parce qu'il y avait peut-être matière à fraudes. Quand nous avons découvert cela, nous étions en 1997.

M. le Rapporteur - Avez-vous eu le sentiment d'une écoute de la part de ces deux organismes ?

M. Régis Leseur - Oui. Et nous sommes en 1997-1998. Nous commençons en 1996, nous remontons en 1992-1993 et 1990 et les éléments que j'évoque : 1998. Tout ce qui a été écrit à partir des contaminations croisées sont le résultat de toutes nos enquêtes de terrain. En 1996, nous n'imaginions pas un seul instant que nous déboucherions sur ces problèmes.

M. le Rapporteur - Un point nous trouble également -et quand nous interrogeons les anglo-saxons, les réponses ne nous satisfont pas- concernant les abats. Nous connaissons les quantités d'abats importées avant 1990, et à partir de 1990 jusqu'en 1996, nous savons quelle a été l'inflation en la matière. Avez-vous des réponses, des ventilations car, quand il est question de quantités d'abats, cela a été multiplié par 20 dans la dernière période, et même si l'on nous dit que nous importons du foie et des rognons, nous ne nous sommes pas mis brutalement, en France, à manger 20 fois plus de foie ou de rognons.

M. Régis Leseur - Quand on parle d'abats, on tombe dans la classification douanière, anatomique et, de nombreux éléments sont classés sous le terme d'abats. En 1990, il y avait une interdiction de pénétration sur le territoire national de la moelle épinière et de l'encéphale. Le foie et les rognons n'ont jamais figuré sur cette liste.

Les Anglais ne sont pas des consommateurs d'abats. D'un autre côté, un certain nombre d'abats ont toujours été utilisés dans la fabrication de l'alimentation pour animaux de compagnie. Il ne faut pas oublier cette possibilité qui a été que, compte tenu du fait que c'est une matière première peu onéreuse, il a pu y avoir et il y a eu beaucoup d'utilisation d'abats pour les animaux de compagnie. Je ne pense pas qu'en termes de consommation humaine il y ait eu brusquement une multiplication par 10 de la consommation des ménages français en foie et en rognons.

M. Georges Gruillot - Ce que je viens d'entendre m'étonne quelque peu. Quand nous avons abordé ce type de problème, tout le monde s'accordait à dire que nous avions consommé énormément de cervelles anglaises jusqu'en 1992. Ces cervelles arrivaient à Rungis.

Vous nous dites que nous avons arrêté en 1990. Il est très important, entre ces deux dates, de savoir la réalité.

M. Régis Leseur - Monsieur le sénateur, je crois qu'il existe -comme dans toute activité commerciale, des fraudes. L'histoire, notamment en 1997 ou en 1998, nous l'a démontré. En 1990, la décision d'interdire les cervelles anglaises figure expressément dans l'avis aux importateurs des 5 et 6 février 1990.

De là à dire qu'il n'y a pas eu de possibilités d'entrées sur le territoire national via la Belgique notamment, puisque nous l'avons démontré nous concernant sur les viandes dans les années 1997-1998, c'est un pas que je ne franchirai pas. Il n'y a pas contradiction entre ce que je dis sur le plan du droit et les pratiques qui ont pu exister jusqu'en 1992 et peut-être ensuite.

Encore une fois, à partir du moment où une cervelle supposée anglaise, arrive à quitter le Royaume-Uni, qu'elle se retrouve en Belgique ou en Allemagne, à ce moment-là elle devient belge, allemande ou hollandaise. Comment voulez-vous dire qu'elle était interdite sur le territoire français ? C'est le problème du commerce triangulaire que vous évoquez par là et ce sont ceux que nous avons eus à gérer dans le cadre des viandes en 1996 et 1997.

J'ai quitté mes fonctions à l'Administration centrale en 1992. Rungis nous avait signalé des arrivées anormales de cervelles anglaises qui ont été saisies à chaque fois que nous nous étions rendu compte qu'elles étaient d'origine anglaise mais si elles n'étaient pas expressément d'origine anglaise, si elles avaient bénéficié d'un changement de nationalité entre temps, elles ont, hélas, pu passer.

M. Georges Gruillot - Cela bouleverse tout ce que l'on nous a dit depuis 3 mois. Il faudrait retrouver qui nous a dit quoi. Jusqu'à maintenant, nous savions, dans la commission, que les Anglais avaient interdit en 1989 en Angleterre la consommation d'abats dangereux, en particulier toutes les matières nerveuses dont les cervelles.

M. Régis Leseur - Ne les consommant pas, il leur était facile de les interdire.

M. Georges Gruillot - En France, nous ne les avons interdites qu'à partir de 1992.

M. Régis Leseur - Non.

M. Georges Gruillot - Vous nous dites l'inverse de ce que nous savions jusqu'à maintenant.

M. le Président - Reprécisez-nous à ce sujet quels sont les dates que vous pouvez affirmer.

M. Régis Leseur - Monsieur le Président, je fais appel à ma mémoire car je ne gère plus les affaires administrative au jour le jour comme je l'ai fait à l'époque depuis fort longtemps, mais il me semble sans trop me tromper pouvoir dire que c'est l'avis aux importateurs de février 1990 qui a interdit la pénétration sur le territoire français de ces abats à risques.

Il faudrait que l'on puisse vous fournir les arrêtés, les avis aux importateurs en question, mais ils existent et, dans tous les cas, car j'ai en mémoire une note d'information du 23 mars 1990 où ces éléments figurent expressément.

M. le Rapporteur - En 1990 : interdiction et ce n'est qu'en 1992 que nous interdisons officiellement suite à un avis du Comité Vétérinaire Permanent l'incorporation de cervelle dans les pots pour bébés.

M. Régis Leseur - En France, nous n'étions pas favorables à l'utilisation de ces tissus nerveux quelle que soit l'origine. Encore une fois, il faut repartir d'un autre débat qui est celui sur la viande hachée. Avant les années 90, il y avait eu un très grand débat opposant la France aux autres pays et notamment le Royaume-Uni, sur la viande hachée.

La viande hachée française comme je le disais à l'époque, « la viande hachée à la française » était constituée exclusivement de parties nobles. Alors que nos amis britanniques utilisaient pour cette viande hachée, plutôt consommée sous la forme de boulettes, un magma de tout.

La Directive Viande Hachée qui a fini par sortir était très claire sur la question : ne pouvait recevoir la dénomination « viande hachée » que des viandes constituées uniquement de morceaux nobles.

Un débat a eu lieu sur un autre concept : la préparation de viandes hachées, où entraient un certain nombre de mélanges, de produits, mais je ne me souviens plus à quelle époque et étant en responsabilité à cette époque, je peux vous dire que l'une des négociations à laquelle nous avions abouti était que ces fameuses viandes de piètre qualité étaient destinées, tout au moins jusqu'en 1992, au marché anglais. Il n'était pas question qu'elles pénètrent sur le territoire français, car nous maintenions le fait que les viandes hachées avec une valorisation extrêmement importante, qu'elles étaient très intéressantes pour les collectivités et la filière parce que c'était l'utilisation d'un certain nombre de bas morceaux que le consommateur français ne voulait plus consommer (les avants des animaux) et qu'il était intelligent et intéressant de les faire consommer sous la forme de viande hachée. La spécificité française de la viande hachée a été très forte en cette matière.

Ensuite, le débat s'est posé sur les pots pour bébés. Nous n'étions plus dans le cadre de la viande hachée mais dans celui des préparations quelle que soit la destination et, à ce titre, compte tenu que les anglais continuaient d'utiliser les magma de tout ce que vous voulez, le débat a eu lieu et cela a abouti à un arrêté en France en 1993 sur l'interdiction d'utiliser les cervelles et autres dans le cadre de l'alimentation pour les enfants.

En 1993, est sorti le fameux arrêté sur les petits pots pour bébés.

M. Paul Blanc - Précédemment, vous avez insisté lourdement en disant que jusqu'en 1992 l'ESB était considérée exclusivement comme une maladie animale. Or, il semble qu'il ait existé un rapport de l'Académie de Médecine de 1990 qui demandait de ne pas exclure la possibilité de la transmission à l'homme. Qu'en est-il ?

M. Régis Leseur - Il est évident que quand je déclare que les connaissances scientifiques de l'époque nous incitaient à dire que la maladie n'était qu'une maladie d'animal, je le tiens des scientifiques pertinents de l'époque, mais il est évident qu'au titre du ministère de l'Agriculture, dans le cadre de nos fonctions (je rappelle que la loi de 1965 commence ainsi : « Dans le cadre de protection de la santé publique, il doit être procédé à... », l'interrogation d'une possible transmission à l'homme a toujours existé, même en 1989 et en 1990, mais aucun élément pertinent ne venait corroborer cette thèse, en raison de sa similitude avec la tremblante avec laquelle nous vivons depuis 200 ou 300 ans et qui ne s'est jamais transmise à l'homme. Il a fallu attendre officiellement 1996 pour avoir une approche différente car, encore une fois en 1993 et en 1994, aucun scientifique digne de ce nom n'a commencé à dire : « Attention, cela risque de passer la rampe ».

Bien sûr, il y a eu ce cas de la barrière d'espèce par les chats en 1990. Les scientifiques ont dit que ce sont des choses qui arrivent.

L'Administration est devenue le gestionnaire du risque (puisque cette répartition des rôles est relativement récente) et, à l'époque, nous avions fait l'analyse et n'imaginions pas collectivement que la maladie passerait à l'homme. Jusqu'en 1996, nous ne l'imaginions pas et, aujourd'hui, Monsieur le sénateur, des questions restent ouvertes, même si nous ne pouvons raisonnablement pas penser qu'elle a pu être transmise à l'homme par la Maladie de Creutzfeldt-Jakob.

M. Paul Blanc - Vous n'avez pas eu connaissance de ce rapport de l'Académie de Médecine en 1990 ?

M. Régis Leseur - Dans un compte rendu de réunion, je me souviens qu'a été évoqué le problème de passage à l'homme et nous avons dit rapidement que pour l'instant ce n'était pas d'actualité sur le territoire français, car nous n'avions aucun cas et, dès 1990, nous avions pris des mesures officiellement vis-à-vis de l'importation des denrées à risques britanniques.

Voilà la raison pour laquelle nous n'avons pas poussé plus avant cette recherche.

M. le Rapporteur - Je reviendrai sur un point concernant la viande.

Je me suis laissé dire qu'il existait un mouvement d'exportation/importation de viande française allant vers l'Angleterre et de l'Angleterre revenant en France considérant que des outils de désossage britanniques avaient une performance bien supérieure aux outils français, et des mouvements tout à fait légaux ont eu lieu en la matière. Confirmez-vous ce savoir-faire bien supérieur des outils de découpe anglo-saxons ?

M. Régis Leseur - Tout dépend, là encore, Monsieur le rapporteur, à partir de quand. Il est exact que certains outils britanniques étaient plus performants, mais je ne vois pas l'intérêt économiquement d'abattre des animaux sur le territoire français, de les transformer à Rungis, ou éventuellement en Normandie, de les amener à Rungis de les renvoyer au Royaume-Uni, de les triturer et de les ramener sur le territoire français à un prix compétitif.

Sur le plan purement économique j'ai du mal à le croire. Que certains faiseurs dans le cadre de sociétés pouvant avoir deux ateliers avec des commerces ou des destinations différentes aient pu pratiquer cette opération, pourquoi pas, mais il ne peut s'agir d'un phénomène de grande ampleur.

M. le Rapporteur - Concernant les lacto-remplaceurs, avez-vous eu des informations concernant l'incorporation à un certain moment dans certaines marques, d'extraits de protéines ?

M. Régis Leseur - Avec un lacto-remplaceur, ou une matière grasse, car le lacto-remplaceur est une matière grasse, on a forcément un pourcentage de protéines, le support de la matière grasse étant lié par des lignes protéiques. C'est de la physiologie basique.

Il n'est pas nécessaire d'ajouter des éléments car il existe déjà un support protéique dans la matière grasse. Il est faible, inférieur à 1 %, mais il existe.

La vraie question qui s'est posée est de savoir si les matières grasses en tant que telles pouvaient transmettre un certain nombre d'éléments.

A ce jour, la réponse n'est pas donnée. Nous avons posé cette question en 1995-1996, dans une des recommandations au titre du ministère de l'Agriculture dans un rapport que le ministre m'avait demandé d'établir. J'avais écrit qu'il paraissait souhaitable de s'intéresser à la connaissance scientifique concernant ce problème pour qu'il soit définitivement tranché, mais il est vrai qu'une des hypothèses de transmission a été l'utilisation non pas de protéines ajoutées à la matière grasse mais de matières grasses en tant que telles, parce que ce composant protéique peut dans certaines conditions être générateur.

M. le Rapporteur - En tant qu'ancien sous-directeur à l'Hygiène Alimentaire, à la D.G.A.L. vous avez sans doute assisté à des réunions du Comité Vétérinaire Permanent. Etes-vous satisfait de son fonctionnement ? Vous avez vu de l'intérieur comment fonctionnait la Commission Européenne dans cette affaire. Etes-vous conscient sous la présidence Ray Mac Sharry et dans le contexte de la préparation du marché unique, qu'il y a eu une volonté ferme d'occulter tous ces problèmes qui n'avaient pas l'ampleur qu'ils ont aujourd'hui ?

M. Régis Leseur - Monsieur le rapporteur, ma connaissance du Comité Vétérinaire Permanent était liée, durant l'exercice de mes compétences à l'Administration centrale, aux problèmes de santé publique. Ces problèmes ne sont jamais venus sur la table, hormis une fois en 1990. Nous n'avons pas eu à en parler, ce qui ne signifie pas qu'ils n'existaient pas mais cela me permet de confirmer l'hypothèse que vous formulez, à savoir une volonté manifeste, de la part de la Commission, de ne pas débattre sur ce sujet.

Toutefois, je n'ai pas été le témoin personnellement de quelconques problèmes. A posteriori, je peux dire qu'en dépit de demandes extrêmement fortes de la délégation française, notamment au niveau de la maladie, de la farine, il n'y a pas eu de débat. Il a fallu attendre 1994 pour que sorte une directive concernant l'utilisation des protéines dans l'alimentation animale.

M. Jean-François Humbert - Accepteriez-vous que nous revenions sur l'importation des matériaux à risques ? Notre rapporteur a attiré l'attention sur une augmentation considérable des importations après l'interdiction en Angleterre, et il semblerait que certaines ayant transité par la Hollande et la Belgique il n'était pas possible de s'y retrouver. Notre rapporteur évoquait l'augmentation considérable des matériaux à risques importés d'Angleterre clairement identifiés comme étant britannique. Cela signifie-t-il qu'il y en aurait eu plus avec ce qui a transité par la Hollande et la Belgique ?

M. Régis Leseur - Je n'ai pas le sentiment que, sur les matériaux à risques (je n'ai pas parlé de foie ou de rognons, mais de la cervelle et de la moelle épinière, ce que nous appelons dans notre jargon les « amourettes »), une augmentation très importante, voire extrêmement importante en provenance du Royaume-Uni, soit intervenue. Qu'il y ait eu des fraudes, bien évidemment, car je vous ai dit que Rungis avait signalé un certain nombre de fraudes, mais qu'elles aient été nombreuses et aient duré longtemps, je ne le pense pas.

M. Jean Bernard - Aucune traçabilité n'était-elle exigée ?

M. Régis Leseur - Ce terme n'était pas créé en tant que tel.

M. le Président - Je crois que l'ensemble de nos collègues ont posé toutes les questions qu'ils avaient à poser, Merci de vous être prêté à cette séance et nous espérons pourvoir en faire le meilleur usage.

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