d) M. Didier LOMBARD, Ambassadeur délégué aux investissements internationaux, auteur du rapport « le brevet pour l'innovation » - Mardi 20 mars 2001

M. Didier Lombard - Dans mon rapport « Le brevet pour l'innovation »  de 1997, je considérais que le brevet était un instrument économique utile mais qu'il ne fallait pour autant pas inciter tous les types d'entreprises à l'utiliser : le dépôt d'un brevet doit avant tout être basé sur une analyse économique mettant en rapport son coût et sa rentabilité potentielle.

Dans les grandes entreprises , des unités spécialisées en propriété industrielle établissent ce bilan économique. Elles ont souvent des politiques très actives en matière de brevets : ainsi en est-il des groupes chimiques et pharmaceutiques, qui pratiquent couramment le dépôt de brevet, la surveillance de la contrefaçon voire l'établissement d'accords amiables avec les contre-facteurs. Un autre exemple intéressant est celui de Thomson Multimédia, qui a un portefeuille de brevets tel que ses licences lui rapportent entre 1 et 1,5 milliards de francs par an.

Dans les sociétés de taille plus modeste , le problème est beaucoup plus complexe car le bilan économique du brevet est difficile à réaliser : les coûts sont sûrs alors que les revenus sont plus incertains.

Le diagnostic établi par mon rapport de 1997 reste valable sur deux aspects très importants de la chaîne de la propriété industrielle : la formation et le système juridictionnel.

S'agissant de la formation des spécialistes en propriété industrielle, il existe un effet de pénurie, qui m'avait incité à recommander l'augmentation des capacités de formation du CEIPI. Au niveau européen, le système est sous influence anglo-saxonne et germanique. Il faut donc accroître le nombre de spécialistes français et sensibiliser davantage aux enjeux de la propriété industrielle.

S'agissant de la défense juridictionnelle des brevets , l'organisation du contentieux français a un impact important sur la valeur des brevets. Certains tribunaux ont très peu d'affaires chaque année et ne sont donc pas à même de développer de véritables compétences en matière de propriété industrielle, ce qui conduit à une concentration de fait des affaires en première instance et surtout en appel. Les délais de jugement sont excessifs au regard des enjeux économiques en cause. En outre, le système de réparation des contrefaçons, basé en France sur l'octroi de dommages et intérêts, est bien moins favorable aux plaignants que d'autres systèmes européens ou américain. Aux Etats-Unis par exemple, le plaignant peut espérer recevoir une somme correspondant au moins à la valeur des profits qu'il aurait pu réaliser si son brevet n'avait pas été contrefait. Il s'agit donc d'une réelle pénalité pour le contrefacteur. Nombre de grandes entreprises françaises choisissent en conséquence d'introduire des litiges en contrefaçon aux Etats-Unis, sachant qu'elles seront mieux indemnisées que dans le système français. C'est une réelle faiblesse du système français.

L'absence de réflexe culturel en matière de propriété industrielle demeure une réalité, même si l'évolution est favorable depuis la publication de mon rapport en 1997.

Je pense qu'un des moyens d'augmenter la propension à breveter les laboratoires de recherche publique est de développer les projets de recherche combinée, associant des chercheurs au monde industriel. Les chercheurs ont en général peu d'idée des applications éventuellement commercialisables de leur activité : il faut les connecter aux besoins industriels. Par exemple, plusieurs molécules anticancéreuses actuellement commercialisées sont issues d'une recherche combinée entre le CNRS et Rhône Poulenc, dans un laboratoire de Gif sur Yvette.

Mon rapport de 1997 montrait que le coût du brevet européen -largement lié à celui des traductions- était excessif et pénalisant pour les petites entreprises. Le rapport préconisait en matière de régime linguistique du brevet européen l'adoption du système de la « solution globale », consistant à établir et traduire un résumé de la demande de brevet. Il faut savoir que le problème des traductions est compliqué par le fait que nombre d'offices nationaux perçoivent des taxes liées au dépôt des traductions, ce qui représente pour eux une ressource non négligeable. A mon sens, l'obligation du dépôt de traductions dans toutes les langues des pays adhérant à la Convention de Munich pénalise les entreprises européennes.

Il faut ajouter que le système du brevet européen, s'il marche très bien en matière d'examen et de dépôt des brevets est toutefois pénalisé par l'absence d'unification du contentieux.

M. Francis Grignon - Pour revenir au régime linguistique du brevet européen, compte tenu du nombre important d'entreprises américaines et japonaises qui demandent des brevets européens, le changement de régime linguiste ne revient-il pas à les favoriser au détriment des entreprises européennes ?

M. Didier Lombard - A mon sens, il existe un problème pour les entreprises de taille intermédiaire pour l'accès aux brevets européens, qui doit être facilité. C'est un problème de coût mais aussi de protection juridictionnelle, d'accompagnement et de conseil... Tous les maillons de la chaîne sont importants.

M. Francis Grignon - L'absence de disponibilité en Français de l'intégralité des textes des brevets déposés ne désavantagerait-il pas les petites entreprises ?

M. Didier Lombard - Mon rapport de 1997 proposait que les taxes dues pour le dépôt comme pour le paiement des annuités soient divisées par deux pour les petites et moyennes entreprises. Associée à la réforme du système de traductions, cette mesure rendrait le brevet européen beaucoup plus accessible à une PME. N'oublions pas que le coût total d'un brevet européen peut avoisiner les 400.000 francs, dont 280.000 francs de traduction.

Mais les traductions ne sont pas la seule pierre d'achoppement. Nombre de sujets demeurent épineux en matière de propriété industrielle :

- les Etats-Unis utilisent le système du premier inventeur (first to invent) alors que le reste du monde reconnaît l'antériorité du premier déposant (first to file) ;

- aux Etats-Unis, la phase secrète de la procédure est plus longue, car il n'existe pas de publications de la demande de brevet (18 mois après son dépôt en Europe) ;

- le système européen diverge de celui en vigueur en matière de brevetabilité des logiciels, qui n'est pas autorisée par la convention de Münich, même si la jurisprudence de l'Office européen des brevets a admis que puissent bénéficier d'une protection les logiciels ayant une application technique (ils sont environ 800 actuellement). Cette divergence devrait perdurer puisque vient d'être réfutée au niveau communautaire la proposition d'une extension de la brevetabilité aux logiciels. Par ailleurs, le système américain a conduit à des excès (c'est le cas célèbre du brevet sur le « double clic », litige qui n'est d'ailleurs pas encore tranché). Une protection excessive peut en effet tuer toute innovation. Je pense qu'il faudrait une négociation internationale sur ce sujet.

Au total, depuis 1997, peu de réformes ont abouti, mais la sensibilité à la propriété industrielle a bien progressé.

M. Francis Grignon - Que pensez-vous de l'instauration du brevet communautaire ?

M. Didier Lombard - Il m'apparaît nécessaire qu'existe un système juridictionnel unifié en Europe. Le brevet communautaire permettra cette harmonisation. L'Office européen des brevets doit toutefois conserver son rôle actuel.

M. Francis Grignon - Que pensez-vous du système du brevet français géré par l'INPI ?

M. Didier Lombard - L'INPI réalise un très bon travail. Périodiquement, la direction du budget ponctionne les finances excédentaires de cet établissement. Ces sommes seraient mieux employées à développer les moyens de l'INPI en matière de sensibilisation des PME à la propriété industrielle.

M. Francis Grignon - Pour revenir à l'aspect linguistique du brevet européen, l'adoption de l'anglais ne risque-t-il pas de favoriser les entreprises américaines ?

M. Didier Lombard - Il est proposé d'utiliser les recettes de l'INPI pour que les entreprises françaises disposent de traductions en langue française.

M. Francis Grignon - Pourquoi ne pas aider les PME françaises à traduire leurs demandes de brevets désignant les autres pays européens, les Etats-Unis et le Japon, tout en conservant le système actuel de l'OEB ?

M. Didier Lombard - Pourquoi pas ? L'INPI pourrait dans ce cas avoir un rôle privilégié dans ce système.

M. Francis Grignon - Pensez-vous qu'il existe un danger à persévérer, pour des raisons de principe, à vouloir maintenir le rôle du français dans le système européen de la propriété industrielle ?

M. Didier Lombard - L'Europe est le marché naturel de la plupart des entreprises françaises. Pourquoi ne pas aider les plus petites d'entre elles à remplir leur obligation de traduction, comme vous le proposiez ? Je pense que l'objectif final est d'aboutir à un brevet communautaire harmonisé, d'un coût peu élevé et disposant d'une protection juridictionnelle unique. Il faut gérer au mieux la transition vers cet objectif, sans abaisser la garde vis-à-vis des concurrents américains et japonais.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page