B. MAIS ELLE PEUT INTERVENIR DANS LES INSTANCES INTERNATIONALES

A trop invoquer la fatalité de la mondialisation, on oublie que la France demeure un Etat souverain, qui jouit du droit d'agir auprès de ses partenaires tant dans le cadre des relations bilatérales que des négociations multilatérales. Notre pays pourrait mettre à profit la prise de conscience suscitée par la récente crise dans des pays qui sont traditionnellement hostiles à la vaccination où, contrairement à une opinion répandue en France, la stratégie de destruction massive est bien loin d'avoir fait l'unanimité. C'est pourquoi, l'exécutif doit, dès que possible, intervenir tant auprès de l'Union européenne, que de l'OIE et de l'OMC, en n'oubliant pas que les seuls combats perdus d'avance sont ceux que l'on a choisi de ne pas mener .

1. Dans le cadre de l'OIE et de l'OMC

L'action de la France et de l'Union européenne doit tendre à moderniser les normes de l'OIE, lesquelles sont d'une importance capitale pour le commerce des animaux et des produits susceptibles d'être des vecteurs d'épidémies, et agir auprès de l'OMC s'il s'avère, comme de nombreux indices tendent à le montrer, que certains Etats appliquent les normes de l'OIE de façon asymétrique vis-à-vis de leurs partenaires, plus pour des raisons de politique commerciale que pour des motifs de protection sanitaire.

a) L'action au sein de l'OIE pour modifier les normes

L'Office International des Epizooties jouit d'une renommée due à une compétence et une indépendance que nul n'a contestées devant votre mission d'information. Sa légitimité procède de ce que les normes du code zoosanitaire international qu'il établit sont adoptées par les Etats qui en sont membres à la majorité absolue de leurs représentants au Comité international de l'Office. Cette application du principe démocratique -qui connaît peu d'exemples dans les organisations internationales- atteste de la validité des principes qui régissent la préservation contre les épizooties. Pour autant, le système mis en place en 1924 connaît une limite d'importance puisque l'OIE est dépourvue de moyens de sanctions alors même que les Etats membres déclarent volontairement -et s'abstiennent parfois de déclarer- leurs foyers de fièvre aphteuse, ce qui n'est pas sans poser de graves problèmes pratiques.

Dans le cadre de l'OIE -dont le siège est à Paris- la France doit demander la modification des règles relatives à la vaccination, ainsi qu'une plus grande rigueur dans la déclaration des foyers aphteux par les Etats qui en sont victimes.

(1) Pour modifier les normes en vigueur

Comme il l'a affirmé au début du présent chapitre, votre rapporteur est convaincu de la nécessité de conserver ouvertes toutes les possibilités de lutte contre la fièvre aphteuse -y compris la vaccination médicale-. Or, actuellement, les Etats sont placés devant une alternative : appartenir aux pays indemnes sans vaccination, -quitte, pour certains d'entre eux à dissimuler des foyers de la maladie- ou relever de la catégorie des Etats indemnes avec vaccination. Ne conviendrait-il pas d'ajouter à cette liste une troisième possibilité, compte tenu des progrès réalisés en matière de vaccination, (vaccins purifiés) et pouvant permettre (vaccins « délétés ») de distinguer un animal vacciné d'un animal malade, en créant entre la catégorie des pays indemnes avec vaccination et celle des Etats indemnes sans vaccination, une catégorie d'Etats indemnes avec vaccination et pratiquant régulièrement une surveillance sérologique . L'application d'une surveillance rigoureuse permettrait ainsi d'obtenir un statut très proche de celui de l'Etat indemne sans vaccination.

De la sorte, les Etats, -à commencer par ceux de l'Union européenne-, sortiraient de l'alternative actuelle qui aboutit à une situation de « tout ou rien ». La crainte de voir les épizooties perdurer est, au demeurant, de nature à accroître le nombre des pays désireux de recourir à une vaccination susceptible d'être différenciée et qui donne lieu à la production d'anticorps impossibles à confondre avec les anticorps produits par les animaux malades.

La création de cette nouvelle catégorie permettrait, en outre, de recourir à une vaccination prophylactique sans réinstaurer le système antérieur à 1991 et de concilier la préoccupation des éleveurs de porcins, pour lesquels les exportations de viandes, notamment vers l'extrême-Orient, sont vitales, et celles des éleveurs de bovins qui sont désireux d'exporter des animaux vivants au sein de l'Union européenne.

(2) Pour obtenir que les Etats déclarent TOUS leurs cas de fièvre aphteuse

Le principe de confiance mutuelle qui régit les relations entre les Etats membres de l'OIE suppose que chacun d'entre eux fasse passer l'intérêt général de ses partenaires avant l'intérêt particulier de ses exportateurs. L'expérience prouve, malheureusement, que les Etats sont davantage sensibles à celui-ci qu'à celui-là. A ce propos, votre rapporteur juge inutile d'insister sur le comportement de responsables argentins qui font l'objet de poursuites pénales dans leur propre pays pour avoir déclaré officiellement au début 2001 une épizootie aphteuse dont les éleveurs avaient connaissance depuis le mois d'août 2000 !

La France doit sommer les instance de l'OIE compétentes en matière de détermination du statut des Etats au regard de la fièvre aphteuse d'exercer une surveillance constante sur ceux-ci et de sanctionner de façon impitoyable les pays qui ne déclareraient pas des foyers aphteux dont ils avaient connaissance en ne les réintégrant pas sur la liste des pays « indemnes » . Beaucoup reste à faire en la matière...

b) Le recours à l'OMC pour les faire appliquer

Certains Etats, qu'ils soient indemnes de fièvre aphteuse sans vaccination ou indemnes avec vaccination, saisissent toutes les occasions -on n'ose dire tous les prétextes- pour faire obstacle aux échanges avec les pays où l'on pressent l'existence de foyers aphteux. Ne conviendrait-il pas que la France et la Communauté européenne effectuent auprès de l'OMC les diligences nécessaires s'il s'avère que des mesures abusives sont prises à l'encontre de leurs exportations ?

Certes, le fâcheux précédent de la querelle du boeuf aux hormones, qui s'est soldé par un échec, est de nature à tempérer l'ardeur revendicatrice des Etats de l'Union européenne vis-à-vis de leurs partenaires étrangers. Cependant, il ne saurait être question d'appliquer les règles de l'OIE de façon asymétrique : a minima, s'agissant des produits importés en Europe, et de la façon la plus stricte s'agissant des marchandises et des produits exportés !

(1) Lutter contre les mesures discriminatoires injustifiées

Comment justifier qu'un Etat qui subit lui-même la fièvre aphteuse et a omis de déclarer celle-ci, en violation des accords de l'OIE, puisse refuser des produits en provenance d'une zone où une épizootie de fièvre aphteuse est en passe d'être maîtrisée, alors même que ces produits ne sont pas susceptibles de véhiculer la maladie ? Tel fut pourtant le cas du chocolat belge retenu à la frontière argentine par mesure de précaution. De même, diverses restrictions au commerce, notamment sur les céréales, ont-elles été évoquées devant votre mission d'information. Ajoutons qu'aux dires de certains experts, il apparaît que le porc, dès lors qu'il est guéri de la maladie, n'est plus porteur du virus. Dans ces conditions, le seul risque encouru concerne les animaux vivants en phase d'incubation voire les viandes non maturées d'animaux malades. Comment expliquer les mesures extrêmement restrictives prises par certains Etats importateurs de porc à l'égard de viandes européennes maturées, c'est-à-dire dans lesquelles le pH est abaissé, puisque l'acidification y a détruit le virus ?

Ces mesures inacceptables doivent être combattues avec vigueur dans un cadre bilatéral tout d'abord puis, à défaut, au sein des instances compétentes en matière de commerce international .

Votre mission d'information constate, en outre, que la Commission européenne a fait, comme le remarquait M. Jean Glavany, ministre de l'Agriculture, preuve d'un certain « manque d'enthousiasme » pour convaincre les pays tiers de lever les barrières injustifiées qu'ils ont érigées pendant cette crise. Elle estime que la Commission doit agir avec diligence auprès des instances compétentes pour défendre les exportations européennes.

(2) Faire appliquer le principe de réciprocité

Votre mission d'information a le sentiment que la France et l'Union européenne pourraient, parfois, répondre aux mesures unilatérales qui leur sont opposées par des Etats dont la bonne foi est discutable, par des mesures de rétorsion. Pourquoi accepter que certains partenaires mettent les marchandises françaises sous embargo dès que Paris déclare l'existence d'une sérologie positive sur son territoire, alors même qu'il n'interdit pas l'entrée des marchandises venues d'autres Etats d'Europe où existent de fortes présomptions, pas plus que celle de viandes d'Amérique du Sud provenant d'Etats dont il est de notoriété publique qu'ils omettent sciemment de déclarer des foyers avérés de fièvre aphteuse ?

On constate bel et bien que certains Etats déguisent sous des justifications de protection sanitaire des politiques commerciales de restriction des importations ou des mesures qui ont pour premier effet de faire chuter les prix du marché ! L'OIE comme l'OMC doivent jouer pleinement leur rôle en la matière.

2. Au sein de l'Union européenne

Compte tenu de l'importance des compétences de la Communauté européenne en matière de protection sanitaire, une action de l'exécutif auprès du Conseil et de la Commission est indispensable .

a) Dans le Conseil européen

S'il est un organe de l'Union au sein duquel, dans le cadre de négociations intergouvernementales, le gouvernement français peut faire jouer une certaine marge de manoeuvre, c'est bien le Conseil des ministres. Deux sujets méritent d'y être évoqués : la stratégie de lutte contre la fièvre aphteuse et son financement d'une part et la gestion des mouvements d'animaux, d'autre part.

(1) Sur la fièvre aphteuse

Dix ans après que la directive de 1990 est entrée en vigueur, le temps est venu de demander à nos partenaires européens de réévaluer la stratégie commune de lutte contre la fièvre aphteuse , eu égard aux avancées de la recherche scientifique et au résultat de la lutte menée au cours de l'épizootie du printemps 2001.

En effet, par-delà le motif économique sempiternellement évoqué pour réfuter toute politique vaccinale, et eu égard au coût réel d'une épidémie d'ampleur comparable à celle survenue en Grande-Bretagne, il est clair que plusieurs de nos partenaires s'interrogent sur la possibilité de trouver une voie médiane, en cas d'épizootie, entre la vaccination traditionnelle et les hécatombes réalisées au Royaume-Uni .

Par ailleurs, le Conseil européen est bien compétent pour déterminer les conditions dans lesquelles la Communauté européenne apporte une contribution financière aux Etats qui connaissent des épizooties aphteuses . A ce titre trois questions méritent d'être soulevées :

- le relèvement du montant total des crédits susceptibles d'être alloués aux Etats pour compenser les mesures anti-aphteuses -celui-ci est actuellement manifestement insuffisant pour faire face aux préjudices subis- ;

- la nature des dépenses éligibles au remboursement partiel par Bruxelles , car on sait qu'actuellement seules les dépenses pour abattage sur des foyers sont prises en compte, à l'exclusion des abattages préventifs et des effets indirects sur l'économie locale, ce qui est manifestement inacceptable ;

- la grille de répartition des crédits disponibles, entre les Etats, qui devrait pouvoir tenir compte, le cas échéant, de la responsabilité qu'ils encourent du fait de la non maîtrise de l'épizootie et du préjudice qu'il ont causé à leurs partenaires à cause de la carence manifeste de leurs services sanitaires.

(2) Sur les mouvements et l'identification des animaux

L'une des variables sur lesquelles il est loisible de réaliser les plus grands progrès, en matière de lutte contre les épizooties aphteuses, est le contrôle et le suivi des mouvements d'animaux . Celui-ci s'avère, chez certains de nos partenaires européens, qu'ils soient grands producteurs ou grands réexportateurs d'ovins, si réduit qu'il ne permet pas -l'expérience dramatique de la Grande-Bretagne l'a prouvé- de réaliser un suivi efficace.

Votre mission d'information se félicite qu'au cours de son audition, le 5 juin dernier, le ministre de l'agriculture ait fait part de sa volonté d'agir en ce sens auprès des membres du Conseil.

b) Auprès de la Commission européenne

La mission d'information a le sentiment que la Commission européenne est parfois plus exigeante vis-à-vis des membres de l'Union qu'envers certains de ses partenaires dont l'expérience a prouvé que leurs actes démentaient leurs déclarations. Ils interprétent le « principe de confiance mutuelle » comme un blanc-seing à l'institutionnalisation de la tromperie comme fondement des relations commerciales . Dans cette perspective, la mission d'information souhaite que les autorités garantes de l'intérêt général des Etats membres soient aussi soucieuses d'interdire l'entrée en Europe de viandes venues de pays où des foyers aphteux sont apparus, que préoccupées de voir les marchés des pays indemnes de fièvre aphteuse se fermer aux exportations européennes . Pour l'heure, il semble en effet que la seconde préoccupation l'emporte, en règle générale, sur la première.

Selon des informations communiquées à votre mission d'information, l'importation de 18.000 tonnes de boeuf « Hilton » a été autorisée à destination de l'Europe des quinze, alors même que la fièvre aphteuse sévissait en Argentine, à la grande surprise des exportateurs argentins eux-mêmes ! D'après les informations recueillies auprès des services du ministère de l'agriculture, ces viandes n'auraient, certes, pas été importées en France.

La Commission européenne pourrait, de surcroît, à titre pédagogique, établir périodiquement un bilan chiffré consolidé au niveau de l'Union des pertes commerciales susceptibles de survenir à l'exportation à cause du passage éventuel de l'Union au statut de zone indemne de fièvre aphteuse avec vaccination. Il serait, en effet, très difficile pour les pouvoirs publics français de justifier, vis-à-vis de l'opinion publique nationale, une politique de non-recours à la vaccination si Bruxelles n'est pas en mesure d'apporter une réponse claire et quantifiée, qui prenne en compte les dépenses réellement enregistrées au cours de la récente épizootie. Il est d'ailleurs frappant de constater que les chiffres initialement avancés pour justifier, en 2001, la poursuite de la politique de non-vaccination sont ceux publiés, en 1988, par le rapport Mac Sharry qui reposait sur l'hypothèse de 13 cas en 10 ans ! Pour être crédible, le choix du non recours à la vaccination doit être argumenté autrement que par l'évocation de pertes dramatiques à l'exportation, sans que l'on sache ni quel pays elles toucheront, ni quelles branches seront concernées, ni quels montants sont en jeu.

La connaissance de ces données, rapprochées de celles qui résulteront, dans les mois à venir, de l'épizootie en cours, permettront aux pouvoirs publics européens de prendre une décision collective dépourvue d'a priori et pleinement justifiée vis-à-vis des citoyens. N'est-il pas frappant qu'un débat ait été entamé, en Grande Bretagne, pour réclamer un réexamen des mesures de lutte contre la fièvre aphteuse, vu les conséquences catastrophiques de la récente épizootie ? La mission d'information se félicite d'ailleurs qu'au cours de son audition, le 5 juin 2001, le ministre de l'Agriculture ait déclaré que la vaccination ne constituait pas un sujet tabou et qu'elle méritait d'être évoquée, tant au sein du Conseil de l'agriculture qu'à l'OIE.

Quelle que soit l'incidence de ces actions auprès de nos partenaires, la politique de lutte contre la fièvre aphteuse doit recourir à l'ensemble des outils disponibles, de façon appropriée au regard des contraintes occasionnées par leur utilisation. En la matière, la mission d'information estime qu'il serait dangereux d'exclure a priori, pour des raisons d'opportunité à courte vue, l'une des solutions qui s'offrent aux décideurs.

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