29. Audition de MM. Bernard Cabaret, président, Yves Caristan, directeur général et Thierry Pointet, membre du Bureau de recherches géologiques et minières (28 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons ce matin, en qualité de représentants du BRGM, Monsieur Bernard Cabaret, président, Monsieur Yves Caristan, directeur général, et Monsieur Thierry Pointet.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Bernard Cabaret, Yves Caristan et Thierry Pointet.

M. Bernard Cabaret - Merci Monsieur le Président. Avant de rentrer dans le vif du sujet, j'aimerais dire quelques mots à propos du BRGM. Celui-ci est un établissement public industriel et commercial, dont la tâche initiale était d'assurer le suivi des mines. Il a ensuite été chargé de la tenue de la carte géologique, et très récemment son activité s'est orientée vers l'environnement, notamment les aménagements, les risques naturels, les problèmes de sites pollués et l'eau. Le BRGM travaille dans le secteur de l'eau, et plus particulièrement de l'eau souterraine. Il a d'ailleurs reçu des missions du ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement propres à ce sujet, ayant pour objet le suivi des nappes souterraines, pour en permettre une meilleure gestion. Nous ne procédons formellement qu'à une analyse de l'eau souterraine. Jusqu'à une date récente, les organismes en charge de la partie hydrographique et des eaux superficielles estimaient que notre rôle devait se limiter à l'examen des eaux souterraines, leurs agents pensant sans doute que l'indépendance relative des deux éléments était suffisante pour justifier cette répartition des tâches. Il me semble que les événements récents ont montré que tel n'est pas le cas, et qu'il est nécessaire de prendre en compte les eaux souterraines dans l'ensemble des problèmes de crue et d'inondations. Je pense que la suite de cette réunion permettra en effet de montrer qu'une part notable des événements que nous avons vécus vient de l'évolution des nappes phréatiques.

Monsieur Yves Caristan, directeur général de l'établissement, vous exposera un certain nombre de principes généraux, et Monsieur Thierry Pointet, spécialiste de ces problèmes, et qui a collaboré aux travaux spécifiquement menés dans la Somme, pourra en préciser certains points.

M. Yves Caristan - Monsieur le Président, j'aimerais rappeler quelques uns des travaux faits par le BRGM, au-delà de sa contribution à l'analyse des phénomènes qui se sont produits dans la Somme. Nous travaillons effectivement en France sur deux missions principales : une mission de recherche pour comprendre les phénomènes, et une mission d'appui aux politiques publiques, à travers nos implantations dans chacune des régions. C'est à ce dernier titre que le BRGM est intervenu au moment des inondations dont nous allons traiter plus spécifiquement ici.

J'aimerais dire quelques mots sur les travaux de recherche qui ont lieu sur ces phénomènes de transit souterrain. Nous travaillons effectivement sur les problèmes d'infiltration de l'eau, en amont, sur la relation entre les eaux de surface et les eaux souterraines. Nos terrains d'études, en ce qui concerne la recherche, sont par exemple le marais de Rochefort, les nappes alluviales de l'Hérault, ou les karsts des Corbières. Nous travaillons également sur les problèmes de transit et de stockage souterrain dans le cadre des karsts de Nîmes, et, par ailleurs, sur les relations entre les nappes et les rivières, notamment, bien sûr, sur la Somme, mais aussi sur l'Aisne et l'Oise, sur des problèmes qui sont davantage de surface, de dynamiques fluviales, de transports solides, enfin sur des problèmes de déstabilisation de levées, dues aux transits souterrains.

Ces travaux nous permettent d'avoir une certaine vision des phénomènes de migration de l'eau en sous-sol.

Nous travaillons actuellement avec le ministère de l'Environnement sur une meilleure synthèse des informations de nos bases de données sur les phénomènes phréatiques et l'état des nappes souterraines. Suite à la prise de conscience des relations entre ces dernières et l'eau de surface dans les phénomènes d'inondation, nous avons pour objectif de développer des synergies, en particulier au niveau des équipes présentes sur notre site d'Orléans (monitoring des eaux de surface au sein de la DIREN, l'équipe Loire et le BRGM). Il s'agit d'orienter les programmes de recherche, de développement et de monitoring de sorte qu'ils soient bien adaptés aux problématiques en causes, et complémentaires les uns des autres.

Je passe la parole à M. Thierry Pointet, qui a suivi, en relation avec M. Marcel Caudron, les phénomènes qui ont eu lieu dans la Somme, et qui a préparé un document à partir du questionnaire que vous nous aviez fait parvenir.

M. Thierry Pointet - Je commencerai par quelques généralités, puis je propose que nous répondions aux questions que vous voudrez bien nous poser.

Nous avons commencé à travailler sur le bassin de la Somme après avoir été sollicités par les collectivités locales, qui constataient des dégâts apparemment dus à la montée de la nappe phréatique. Nous sommes intervenus au cas par cas, et lorsque les phénomènes se sont précisés, nous avons échantillonné des eaux sur la Somme en crue elle-même. Nous avons récolté des informations collectées sur des ouvrages qui étaient initialement destinés à surveiller, non pas les crues, mais les nappes. A ce moment s'est constituée la Commission présidée par Claude Lefrou, et les travaux se sont engagés de manière concrète sur des cartographies et autres documents de comparaison des données dont disposaient la Météo nationale et les services chargés de suivre les débits des cours d'eau.

La crue, à un endroit donné, est la résultante des apports de la rivière, qui vient de l'amont, de l'apport latéral lent des nappes, de l'effet du simple ruissellement sur les versants de la pluie tombée dans les trois jours précédant la mesure, de la capacité du milieu à absorber ou résorber une partie de ces flux -en l'occurrence, la nappe alluviale, à proximité du cours d'eau, était totalement saturée-, enfin de la capacité de la vallée aval à évacuer l'eau suffisamment rapidement pour prévenir des accumulations. Il est à noter qu'il a été démontré que dans le bassin de la Somme les nappes contribuent très fortement à ces phénomènes de crue, du fait de la nature même des massifs qui en constituent les versants -la craie, très poreuse et assez perméable.

Dans le cas présent, l'ensemble de ces composantes sont intervenues. En ce qui concerne la contribution des eaux souterraines, deux effets ont été mis en évidence. D'une part un effet lent, qui trouve son origine à l'automne 2000. De novembre à février, puis en avril et début mai, les pluies ont été de deux fois, et par endroits de trois fois, supérieures à la moyenne saisonnière. La lente percolation de l'eau dans le sous-sol a réapprovisionné les nappes, qui sont montées lentement pour atteindre des seuils extrêmement élevés. D'autre part, un phénomène local, déjà observé et présentant un temps de réponse de l'ordre de trois semaines, de mise en saturation de certains compartiments du sous-sol situés entre la surface et les nappes proprement dites. La nappe s'étend donc d'un volume qui peut être considérable, ce qui accentue très fortement le drainage, la vidange naturelle, de la nappe vers les points bas que sont les vallées. L'addition de ces deux phénomènes explique presque en soi le caractère exceptionnel des crues observées.

M. le Président - La combinaison de ces deux facteurs ne nous avait pas été présentée jusqu'alors de façon aussi compréhensible. Si j'ai bien compris vos propos, vous êtes intervenus uniquement après les inondations, et au cours des années passées, aucune collectivité publique de la Somme n'a chargé les service concernés, dont les équipes de M. Marcel Caudron, d'observer ces phénomènes. Ce comportement particulier du bassin de la Somme était donc ignoré jusqu'aux récents événements.

M. Thierry Pointet - La montée subite du niveau de la nappe, se déclenchant avec un temps de réponse relativement rapide par rapport à ce qui est connu de la dynamique des nappes, est un phénomène que nous soupçonnions depuis trois ans environ. Mais si la surface du sol est un objet d'intérêt de la part des professions agricoles, si les nappes constituant des ressources sont étudiées par les services concernés, l'espace intermédiaire, ne recelant aucune ressource exploitable, n'intéresse personne. Ce dernier est pourtant essentiel : il s'agit en effet d'une zone de transition pour l'eau des nappes.

M. le Président - Personne n'a jamais demandé à ce que cet espace soit observé, analysé ?

M. Thierry Pointet - Si nous considérons les courbes d'évolution sur les sites qui ont fait l'objet de mesures depuis plusieurs années, nous nous apercevons que le phénomène en question s'était déjà produit en janvier 2000, et en mars 1999 à un moindre degré, mais il ne s'additionnait alors pas à l'état de très hautes eaux que nous avons connu cette année, et il est passé totalement inaperçu.

M. le Président - La Somme reste-t-elle votre bassin expérimental privilégié, ou disposez-vous de travaux portant sur d'autres régions et permettant des comparaisons ?

M. Thierry Pointet - Notre base prospective initiale était constituée par les affluents de l'Oise et de l'Aisne. En effet, en 1995 et 1996, des phénomènes similaires avaient été observés dans les régions où sont situés ces cours d'eau. Nous souhaitions travailler sur ce problème de crues de fin d'hiver, qui peuvent être la conséquence d'une recharge hivernale additionnée d'un effet accidentel saisonnier. Des phénomènes similaires peuvent être envisagés dans la vallée de la Marne, puisque la couche de craie affleure, dans le bassin de Paris, comme une couronne dans laquelle, si les conditions météorologiques sont similaires, les crues peuvent se produire de la même façon.

M. le Président - Nous comprenons bien pourquoi l'activité des collectivités publiques par rapport aux contrats de rivières est un peu plus avancé dans les régions où il a été fait appel à vos compétences que dans la Somme. Mais pour entrer dans le détail, expliquez-nous comment se fait une observation de nappe. Nous avons appris par la presse que la Somme comptait une bonne soixantaine de points d'observation. Nous avons en tête le cantonnier mesurant la longueur de corde qu'il laisse glisser jusqu'à ce qu'il rencontre une résistance. Existe-t-il d'autres systèmes scientifiques, plus développés ?

M. Thierry Pointet - Oui, mais ces systèmes sont fondés sur le même principe.

M. le Président - Il s'agit donc uniquement de mesurer la distance entre la nappe et la surface du sol ?

M. Thierry Pointet - Prenons garde de bien définir la nappe. Celle-ci existe pour ainsi dire « par défaut ». En effet, si les vides microscopiques (pores, microfractures, etc.) des roches communiquent les uns avec les autres, l'eau peut y séjourner ou y circuler. La nappe n'est que l'addition de ces petits volumes d'eau occupant ces vides. Elle naît de l'infiltration des eaux de pluie qui ne sont pas évacuées par ruissellement (surtout dans le cas d'un plateau où le relief est quasiment nul) : l'eau percole dans la roche, et, par l'effet de l'attraction terrestre, est stockée plutôt en profondeur. Au fur et à mesure qu'elle s'accumule, elle sature davantage de vides, et monte dans la roche.

La craie est une roche constituée de particules agrégées entre lesquelles il y a énormément de vides. La nappe se définit donc comme la saturation de ces vides par de l'eau. Au-dessus, la roche est la même, mais les vides sont remplis par de l'air. L'eau n'étant pas un fluide compressible, nous sommes en présence d'un milieu capable de transmettre des pressions.

M. le Président - J'imagine que cette propriété d'absorption de l'eau n'est pas la même dans tous les sous-sols.

M. Thierry Pointet - Elle est en effet dépendante de la nature du sous-sol. D'une manière générale, elle est assez forte dans les roches carbonatées, telles que le calcaire ou la craie. Elle est extrêmement plus faible, mais non nulle, dans des roches très dures comme les granits et les schistes (présents par exemple en Bretagne ou dans le Massif Central), où les espaces sont des fractures bien plus que des pores. La craie a des caractéristiques particulières, notamment observables à la faveur des remontées de ces nappes. Lorsque, sur un cycle hydrologique, entre l'été et l'hiver, a lieu une fluctuation de deux ou trois mètres en Beauce qui est aussi un plateau calcaire, la craie du Pays picard et de l'Artois peut connaître, elle, une fluctuation de vingt-cinq mètres.

M. le Président - Comment mesurez-vous la circulation de l'eau d'une région à une autre ? Lâchez-vous des traçeurs ? Comment prouvez-vous que l'eau que vous avez mesurée est de l'eau de précipitation s'étant infiltrée ?

M. Yves Caristan - En ce qui concerne la hauteur de la nappe, les piézomètres peuvent être de simples cordes ou des systèmes un peu plus complexes, mais le principe est le même. La mesure de la circulation de l'eau dans les formations géologiques est plus difficile. A cet effet, nous disposons de techniques de traçage chimiques ou isotopiques, ces dernières étant bien plus précises puisqu'elles permettent d'identifier la source de l'eau.

M. Thierry Pointet - L'eau de pluie comporte une « signature », une marque caractéristique qui tient à la distance entre le lieu de précipitation et la mer. Lors de son périple dans l'atmosphère, l'eau se charge en effet de particules solides, en particulier de sel marin -qui contient du chlore-, ainsi que de strontium, élément chimique présent dans les roches et comportant deux variétés isotopiques différentes dont le rapport, à l'instar du chlore, est un marqueur permettant une mesure précise des voies de passage. Par ailleurs, le poids des isotopes d'hydrogène et d'oxygène de la molécule d'eau est un indicateur de la provenance de celle-ci. Enfin, certains isotopes connaissent une désintégration nucléaire progressive selon une courbe invariable, dont la mesure indique depuis combien de temps l'eau a quitté l'atmosphère pour s'isoler dans un milieu où elle n'a plus été renouvelée. Dans la Somme, une proportion assez forte de l'eau des rivières comportait la même signature chimique que l'eau échantillonnée dans les nappes voisines. Inversement, la signature des eaux de surface était celle de l'eau de pluie, différente de celle des nappes.

M. le Président - Avez-vous procédé à de nombreuses observations de ce type ?

M. Thierry Pointet - Nous avons procédé à une douzaine de prélèvements, à la fois sur des nappes franches, dans des ouvrages, et sur des cours d'eau plus ou moins hauts dans le bassin versant. La comparaison de ces analyses a permis d'affirmer que dans tel ou tel compartiment la nappe avait pratiquement saturé le milieu, l'eau de précipitation étant restée en surface et ayant fortement ruisselé -comme dans le cas de la terminaison du plateau du Santerre, en amont. Inversement, pour tout le cours moyen de la Somme, la rivière recevait de l'eau presque exclusivement originaire de la nappe. De l'amont à l'aval, la rivière recevait au fur et à mesure un flux très important provenant des nappes.

M. Yves Caristan - En quelque sorte, l'analyse de la chimie des eaux nous a permis de mettre en évidence que les eaux de la Selle et de l'Hallue étaient des eaux ayant une très forte composante phréatique.

M. le Président - La Selle, affluent de la rive gauche, et l'Hallue, affluent de la rive droite, ont effectivement connu des débordements en plateau.

Vous en êtes à vos premières observations. En tant que scientifiques, considérez-vous que vos travaux présentent une fiabilité suffisante pour que des conclusions puissent être formulées ?

M. Thierry Pointet - Oui. Nous avons en effet constaté une récurrence des observations sur des zones voisines, ainsi que dans le temps (certaines zones se comportent de façon identique d'une année sur l'autre). Si nous avons encore des incertitudes sur le phénomène de saturation de la zone située au-dessus de la nappe, les analyses des fluctuations de niveaux ont été confirmées par les études isotopiques, qui procèdent d'une approche tout à fait différente. Ce faisceau de présomptions aboutit donc à une quasi certitude.

M. Michel Souplet - Je commence à mieux comprendre les phénomènes qu'a connus la baie de Somme. J'étais agriculteur, et mon fils l'est aujourd'hui, en bordure de la rivière Oise où nous avons souvent des terres inondées. Les ouvriers de la ferme ne comprennent pas qu'à la suite d'une longue période de pluie, le sol peut à nouveau être trop sec après huit jours.

Nous allons nous trouver demain devant la situation, maintenant bien connue, de post-inondation. Abbeville est à nouveau au sec. Dans certains villages, les habitants ont réintégré les maisons, probablement à tort dans certains cas - mais il est difficile de les empêcher de rentrer chez eux. Qu'allons-nous leur dire si le phénomène se reproduit dans six mois ? En effet, nous disposons dorénavant d'éléments suffisants pour prévenir rapidement du risque. Hier, M. Henry Maillot nous a dit que la prévision d'un débordement pourrait avoir lieu deux ou trois semaines avant qu'il soit effectif. En revanche, nous ne disposons d'aucun moyen de protection. Il nous a notamment été expliqué à de nombreuses reprises que les pompages n'avaient aucune utilité.

Dans les zones reliant Péronne à Amiens, et Amiens à Abbeville, en cas d'inondation les marais ne peuvent que monter. Notre action ne peut donc que se limiter à inciter les habitants à ne plus construire là où ils sont victimes d'inondations, et à mettre en place des systèmes de protection, puisque les eaux ne débordent que de quelques centimètres. Des bacs de rétention et des fossés parallèles permettraient effectivement de stocker davantage d'eau et de la faire s'écouler mieux et plus vite. Mais à Abbeville, le problème est plus grave, puisque jusqu'à 500 habitations peuvent être noyées de concert. Dans ce cas, il ne me semble pas qu'un système de pompage puisse être utile.

M. le Président - Quels sont les volumes de la nappe, en comparaison du débit de la rivière et du pompage potentiel de cette dernière ?

M. Michel Souplet - Si nous sommes prévenus d'une crue quinze jours à l'avance, le pompage de l'eau durant cette période ne se révèlerait-t-il pas utile, avec un débit de pompage de 1,8 million de mètres cubes par jour ? Il est vrai que cela représenterait un investissement lourd. Par ailleurs, nous pourrions envisager de laisser se remplir les marais, (rois ou quatre communes seraient alors, certes, plus inondées que les autres, pour permettre de désengorger bien plus rapidement la zone d'Abbeville

M. Yves Caristan - Nous n'avons pas fait les calculs dans le cadre d'une telle hypothèse, lesquels ne sont d'ailleurs peut-être pas de notre ressort et ne relèvent pas de notre responsabilité.

Cependant, en premier lieu, la capacité d'alerte n'en est pas moins un élément capital pour les élus et les populations, qui pourraient prendre les dispositions adéquates en fonction de la gravité du phénomène annoncé. En second lieu, en ce qui concerne le pompage, je ferai référence aux Pays Bas, dont le sous-sol est une gigantesque nappe phréatique : depuis des siècles, les polders permettent de pomper l'eau grâce au vent. Avant de proposer des solutions définitives, allons donc observer comment les hollandais gèrent le problème.

M. le Président - Nous avons effectivement décidé de nous rendre aux Pays-Bas pour observer leur méthodes. Leur sous-sol est-il le même que celui de la Somme ?

M. Yves Caristan - Le sous-sol hollandais est, lui, presque toujours entièrement saturé ; il est en outre constitué d'alluvions, qui sont probablement encore plus poreux que la craie.

M. Jean-François Picheral - Il s'agit également de savoir où serait déversée l'eau pompée.

M. Yves Caristan - Nous la déverserions dans la mer.

M. le Président - Avez-vous une idée de la communication entre la nappe se trouvant sous la mer et celle de la baie de Somme ?

M. Yves Caristan - Oui, nous connaissons les modalités de l'interface entre l'eau océanique et les nappes phréatiques.

M. Thierry Pointet - L'eau reviendrait dans la nappe si le niveau de celle-ci était plus bas que celui de la mer, et si cette dernière voyait son niveau remonter dans l'hypothèse où y serait déversée l'eau pompée. Aucune de ces deux conditions n'est réalisée. De fait, la modification du régime d'écoulement des nappes vers la mer ne présente aucun risque. Les nappes s'écoulent vers le point le plus proche, c'est-à-dire vers la rivière, puis vers la mer dès que leur distance à celle-ci est de moins de dix kilomètres environ. En ce qui concerne la Somme, la majeure partie des nappes s'écoule donc vers la rivière.

Au demeurant, il s'agit de prendre garde à ne pas comparer des chiffres de débit et des chiffres de volume. Un petit débit de 1,5 m 3 pendant des jours peut engendrer un volume colossal. Il s'agit de savoir si notre intention est de nous attacher à restreindre des débits, par le pompage, ou des volumes, par le stockage dans des réservoirs.

J'aimerais vous exposer une autre idée, peut-être utopique pour l'heure. La montée de la nappe depuis l'automne représente une composante latente, insidieuse. Si nous parvenions, par des moyens modestes que sont les réseaux superficiels de drainage, à dériver vers la rivière, tant qu'elle n'est pas en cru,) une partie de cette eau de pluie arrivant au sol et ayant tendance à s'infiltrer en grande proportion vers la nappe, nous pourrions prévenir des situations de très hautes eaux de nappes.

M. Michel Souplet - Durant l'hiver, nous pourrions effectivement utiliser des stations de pompage à cet effet.

M. Yves Caristan - De fait, il s'agit là du moyen de contrôle à l'oeuvre aux Pays-Bas.

M. Jean-François Picheral - Le maire d'Abbeville ne comprend pas comment la nappe a pu l'inonder dans de telles proportions. Il prétend qu'en une nuit, l'eau est montée de 70 centimètres. La nappe en est-elle seule responsable ?

M. Thierry Pointet - Il a déjà été observé des augmentations de niveaux de nappes de dix mètres en trois jours. Dans le cas présent, la nappe est en position haute -en élévation de 70 à 100 mètres par rapport au fond de la rivière, sur les versants, et sous le plateau. Or, 100 mètres ne représentent quasiment rien par rapport aux 40 kilomètres de la largeur du bassin versant. Néanmoins, un effet moteur est à l'oeuvre, et la pression dans la nappe provoque une sortie d'eau bien plus abondante. Mais l'élévation de 70 centimètres du niveau de l'eau est certainement due aussi à d'autres facteurs, tels que les précipitations. Il s'agirait également d'intégrer dans les calculs l'influence d'éléments limitant l'écoulement spontané dans la vallée, comme les constructions.

M. Bernard Cabaret - En vérité, il est possible de suivre les nappes, et avec suffisamment de précision pour savoir à quel moment elles deviennent potentiellement dangereuses, et si le phénomène d'apport subit qui pourrait se produire peut devenir catastrophique. Nous pouvons donc mettre au point un système d'alerte du niveau des nappes, qui nécessiterait sans doute un complément au dispositif de collecte d'informations, et des outils de modélisation. La prévention est donc possible, mais suppose un travail de fond, que nous sommes capables de faire, en liaison avec d'autres services.

M. le Président - Il vous paraît donc imaginable de mettre en place un système faisant la synthèse de multiples informations sur le sol, le sous-sol et la pluviométrie, mettant en synergie différents services publics, et permettant de donner des signaux d'alerte.

M. Bernard Cabaret - Nous nous occupons du sous-sol, domaine pour lequel un tel système est possible. Il s'agit donc d'y intégrer les autres aspects en jeu.

M. Jean-François Picheral - Nous parlons d'une région d'agriculture intensive, fournissant l'agro-industrie, qui, elle, demande une sécurité d'approvisionnement. J'ai rencontré dernièrement un marchand de matériel d'irrigation, qui m'a rapporté l'indécision des exploitants agricoles entre le choix du goutte à goutte et celui, plus ancien et plus coûteux, de l'arrosage par aspersion. Quelles sont les conséquences économiques de la gestion de l'eau telle que nous pouvons l'envisager pour sécuriser la zone ?

M. Yves Caristan - Cette question demanderait une autre étude.

Dans la pratique, Monsieur le Président, votre suggestion est tout à fait envisageable. Elle est en tout cas souhaitable. Un tel système nécessiterait d'avoir une meilleure collecte et une meilleure synthèse de l'information. Peut-être faut-il qu'une mission soit officiellement donnée en ce sens.

M. le Président - Vous êtes en effet pour l'instant cantonné à un rôle de stockage d'informations.

M. Jean-François Picheral - Le département de la Somme, qui est pourtant une véritable éponge, ne possède pas de service d'annonce de crue. S'impose la création d'une cellule susceptible de recevoir les avis du BRGM sur le sous-sol, ceux de la Météorologie quant aux précipitations, et ceux des services ayant la charge de l'observation des phénomènes fluviaux.

M. le Président - Au demeurant, la pluviométrie reste l'élément central dans ce genre de phénomènes, et nous le contrôlons très mal.

M. Michel Souplet - Le problème du transfert des eaux, par des pipe-lines ou autres moyens, est déjà celui qui se pose à la Réunion, où il est envisagé de transférer l'eau, en surabondance dans une partie de l'île, vers l'autre partie où elle fait défaut.

M. Yves Caristan - Effectivement.

M. Thierry Pointet - Sur la région picarde et sur l'Artois, la difficulté est que la côte présente la même formation géologique sur 150 kilomètres. Nous ne pouvons donc transférer l'eau d'un bassin à un autre.

M. le Président - Les nappes de Douvres, et de la Picardie, par exemple, communiquent-elles ?

M. Thierry Pointet - La communication n'a pas la forme d'un échange d'eau. Sous chaque interfluve (le plateau séparant deux vallées contiguës), existe une sorte de ligne de séparation des eaux souterraines, qui ne coïncide pas nécessairement, d'ailleurs, avec la ligne de partage des eaux de surface. Par exemple, dans la partie Nord, sur la rive droite de la Somme, un petit ensemble fait partie du bassin versant s'il est considéré sous l'angle des rivières, mais est extérieur à ce bassin considéré sous l'angle des nappes.

M. le Président - Comment pouvez-vous être certain d'une telle affirmation ?

M. Thierry Pointet - Par le réseau des soixante points de mesure des réseaux de suivi régulier, augmentés d'au moins 1.200 points sur lesquels nous avons des mesures singulières (isolées dans le temps), nous pouvons avoir une idée très précise de la forme de la surface de la nappe. Or cette forme conditionne très étroitement les directions d'écoulement.

M. le Président - Il s'agit donc pour nous de préconiser un système intégré, reliant tous les services publics concernés, avec un échelon de synthèse et un service de surveillance permanente. Une telle proposition ne vous paraît-elle pas utopique ?

M. Yves Caristan - Non, il s'agit d'une proposition vraiment pertinente et importante.

M. le Président - Des systèmes de ce genre sont-ils déjà en genèse ailleurs en France ? Si nous vous le demandons, disposerez-vous du temps nécessaire à la mise en place d'un tel système, en relation avec d'autres services ?

M. Yves Caristan - Nous travaillons sur beaucoup de nappes phréatiques : dans la Beauce ; dans le bassin aquitain où les problèmes sont un peu différents car si la nappe descend trop, elle subit une intrusion d'eau salée. Ce travail est effectué en relation notamment avec les collectivités locales, la DIREN et l'Agence de l'eau. Nous avons donc déjà l'habitude d'oeuvrer sur des systèmes intégrés.

M. le Président - J'ai une dernière question à vous poser : qu'est-ce, exactement, qu'une vallée sèche ?

M. Thierry Pointet - Il s'agit d'une surface topographique résultant d'un processus d'érosion, dû à une action de l'eau (un cours d'eau ayant existé autrefois). L'alimentation de la rivière est pour une bonne part le fait d'un drainage de la nappe. Le recoupement de la surface de cette dernière et de la surface du sol donne naissance à une source. Si la surface de la nappe est en dessous du fond de la vallée sèche, il n'existe aucune source d'alimentation autre que le ruissellement ; et s'il s'agit d'un milieu très infiltrant (comme c'est le cas, souvent, en présence de vallées sèches), le ruissellement ira à la nappe, qui s'évacuera de manière occulte en milieu souterrain. Par exemple, tout le pourtour du plateau beauceron est constellé de vallées où apparaissent des cours d'eau temporaires : quand la nappe monte, les sources renaissent et les nouveaux cours d'eau évacuent le trop plein de la nappe, et dès que la nappe descend, ces cours d'eau tarissent, laissant des vallées sèches.

M. le Président - Nous vous remercions de vos interventions et des documents que vous nous avez amenés.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page