2. L'union européenne, partenaire majeur

L'Union européenne constitue désormais le partenaire privilégié de notre pays pour la politique d'aide au développement. Les dépenses qu'engage la Communauté, conjuguées avec l'aide française, peuvent en effet présenter une véritable force d'impact dans les pays bénéficiaires. En outre, le poids traditionnel de notre pays au sein de l'Union ainsi que l'importance de sa contribution financière lui donneraient en principe la capacité de peser sur les orientations communautaires au service d'une politique d'aide au développement cohérente et ambitieuse Or, au terme d'une brève mission accomplie le jeudi 14 juin 2001 à Bruxelles, vos rapporteurs, après avoir mieux évalué le rôle de l'aide communautaire, l'effort de rénovation engagé, les progrès qu'il restait à accomplir, ont dû constater que l'influence de la France n'était pas encore à la mesure de son poids politique et financier.

Lors de son déplacement, votre délégation a particulièrement apprécié la qualité de ses échanges avec les fonctionnaires de la Commission. Qu'ils soient ici remerciés pour leur disponibilité.

a) L'impératif de réforme de l'aide européenne

• Le poids de l'Union

L'aide communautaire a plus que doublé au cours de la dernière décennie, passant d'un total de 4,2 milliards d'euros engagés en 1988 à 8,6 milliards d'euros en 1998 (soit 6,8 milliards d'euros pour les pays en développement et 1,8 milliard pour les autres pays). Elle est financée, d'une part, par le budget communautaire (6,5 milliards d'euros en 1999 gérés par la voie de programmes géographiques 12 ( * ) ou thématiques), d'autre part, par le Fonds européen de développement (FED) créé par la convention de Lomé. Ce fonds destiné exclusivement aux 71 pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique) est alimenté par des contributions spécifiques de la part des Etats membres.

• Les faiblesses

L'aide européenne souffre d'une faiblesse majeure : l' excessive lenteur des décaissements . Le montant des reliquats sur le FED s'élève à près de dix milliards d'euros -que les Quinze ont décidé d'engager au cours des sept prochaines années, en complément des fonds accordés au titre du neuvième FED (13,5 milliards d'euros). Le volume des crédits engagés mais non décaissés apparaît encore plus élevé pour les zones non couvertes par le FED -principalement l'Amérique latine et la Méditerranée. Il atteignait en effet, fin 1999, plus de 20 milliards d'euros. Les délais de mise en oeuvre des projets peuvent dans certains cas excéder 8 ans.

En fait, 35 à 40 % seulement des ressources disponibles ont été à ce jour dépensés.

A l'initiative du commissaire chargé des relations extérieures, M. Chris Patten, la Commission a tenté de dresser un diagnostic de ces insuffisances.

Elle a d'abord mis en avant l' insuffisance de ses effectifs . Les volumes d'aide communautaire ont été multipliés par 2,8 au cours des dix dernières années, alors même que le nombre de postes supplémentaires n'avait été multiplié que par 1,8. La Commission a dû dès lors recourir à la sous-traitance (l'aide extérieure représente 90 % des dépenses totales de sous-traitance de la Communauté). L'utilisation des bureaux extérieurs n'a pas toujours permis à la Commission d'assurer un contrôle rigoureux de l'utilisation des fonds.

Les retards ne s'expliquent pas seulement par l'insuffisance des effectifs. Ils trouvent également leur origine dans l' extrême complexité des procédures et la lourdeur du circuit de décision . L'action extérieure de la Commission s'appuie en effet sur pas moins de 80 règlements différents et de nombreuses lignes budgétaires. Le nombre de directions générales chargées des relations extérieures est passé de 2 en 1984 à 6 en 1997, avec pour conséquence une dispersion des ressources, le cloisonnement des méthodes, l'affaiblissement des capacités de gestion et la difficulté de définir clairement les responsabilités de chaque service.

La Commission avait admis elle-même que la « gestion est devenue extrêmement complexe et onéreuse en raison de l'hétérogénéité des procédures et l'éclatement ou l'inadéquation des systèmes de communication ».

Ces dérives ont jeté un discrédit certain sur l'aide extérieure communautaire. Une réorientation s'imposait. Les Etats membres et la Commission en ont récemment pris conscience. Ils ont souhaité, en novembre 2000, à l'initiative de la présidence française , jeter les nouveaux fondements d'une politique européenne de développement. Parallèlement, la Commission a engagé un réel effort de rénovation et de rationalisation de la gestion de l'aide extérieure sur lequel vos rapporteurs ont pu recueillir certains éclaircissements lors de leur déplacement à Bruxelles.

• Les nouvelles bases de la politique de développement de l'Union

Une déclaration commune du Conseil et de la Commission, adoptée lors du Conseil « développement » du 10 novembre 2000, a permis de fixer en quelque sorte la charte de l'action de l'Union en matière de développement. Deux orientations majeures se dégagent de ce texte. En premier lieu, il pose pour principe une division du travail entre la Commission et les Etats membres en fonction de leurs avantages comparatifs . Il recentre l'activité de la Communauté sur dix domaines d'intervention prioritaires : le lien entre le commerce et de développement 13 ( * ) , la promotion de l'intégration et des coopérations régionales, l'appui aux politiques macroéconomiques et l'accès équitable aux services sociaux, le développement des moyens de transport, la sécurité alimentaire et le développement rural durable, le renforcement des capacités institutionnelles et de la démocratie. Au vu de cette liste, la Communauté continue d'embrasser, il est vrai, un champ très large d'activités. La définition de vraies priorités représente décidément un exercice difficile. Ce constat appliqué à la politique nationale vaut aussi, on le voit, à l'échelle européenne.

Ce « recentrage » doit, en second lieu, s'accompagner d'un changement de méthode : la recherche d'une coordination et d'une complémentarité accrues entre les opérations des Etats membres et celles de la Communauté, d'une part, entre la Communauté et les autres donateurs internationaux, d'autre part. La déclaration prévoit notamment la « possibilité de déléguer la gestion des crédits communautaires aux Etats membres ou à leurs agences d'exécution en cas de cofinancements, comme le prévoit l'accord interne sur le 9 ème FED ».

Les Quinze ont apporté par ailleurs leur soutien au processus de refonte de la gestion de l'aide extérieure engagé par la Commission.

• La réforme de la gestion de l'aide

La Commission a décidé d'engager en 2000 une réforme de la gestion de son aide extérieure visant trois objectifs principaux :

- réduire de manière significative le temps nécessaire à la mise en oeuvre des projets approuvés ;

- améliorer la qualité de gestion des projets et leur condition de contrôle ;

- renforcer l'impact et la visibilité de la coopération européenne.

Le plan d'action envisagé par la Commission repose sur trois grands volets :

- l'unification de la programmation de l'aide extérieure conformément aux objectifs des politiques de l'Union européenne ;

- le développement d'une culture administrative commune au sein des services de la direction des relations extérieures ;

- la création d'un organe unique, Europeaid, chargé de la gestion du projet depuis l'identification jusqu'à l'exécution et, parallèlement, une plus grande déconcentration de l'aide (tout ce qui peut être mieux géré et décidé sur place, près du terrain, ne devrait pas l'être à Bruxelles). A la fin 2003, les 128 délégations de la Commission dans le monde devraient gérer les programmes d'aide extérieure dans les pays relevant de leur compétence.

La mise en place, en janvier 2001, d'Europeaid constitue incontestablement la pièce maîtresse de cette réforme.

Europeaid a pris la place du Service commun des relations extérieures institué en 1998 pour assurer une exécution plus efficace du programme d'aide aux pays tiers. Le nouvel organisme s'est vu chargé de la mise en oeuvre de 80 % de l'aide extérieure de l'Union (les exceptions concernent les instruments de pré-adhésion tels que Phare, la politique étrangère et de sécurité commune et l'aide d'urgence). Il assure en conséquence la responsabilité de toutes les phases du cycle d'opérations décidées dans le cadre des programmations établies par la direction générale du développement et par la direction générale des relations extérieures : identification et instruction des projets, préparation des décisions de financement, mise en oeuvre, évaluation.

L'Office disposera d'un effectif total de 1 200 personnes. Lorsque le transfert des responsabilités et des personnels vers les délégations sera achevé, la moitié environ de ces personnels sera redéployé vers les délégations.

Europeaid est placé sous la double autorité des commissaires en charge des relations extérieures d'une part, du développement et de l'aide humanitaire d'autre part, l'un et l'autre membres du Comité de direction (respectivement avec le titre de président et d'administrateur général).

La réforme de la Commission inspire quatre séries d'observations.

• Un effet de déstabilisation à court terme

La réforme de la Commission traduit un véritable effort pour corriger les faiblesses du système d'aide communautaire. Il est encore trop tôt pour juger les conséquences d'un processus qui en est encore à ses prémices. Cependant, les délais nécessaires à la mise en place du nouvel Office risquent de se traduire dans un premier temps par des retards supplémentaires dans les décaissements des fonds communautaires.

La gestion de l'aide extérieure est soumise depuis quelques années à un processus de transformation continue. Un premier effort de rationalisation de l'aide avait ainsi été entrepris en 1998 avec la création du service commun des relations extérieures . A peine cette structure commençait-elle de produire les premiers résultats sous la forme d'une amélioration des niveaux de décaissement dont les statistiques pour 2001 devraient porter le témoignage qu'elle doit céder la place à l'office Europeaid. Les experts s'attendent ainsi à de nouveaux délais. Sans doute le souci de renforcer l'efficacité de l'aide communautaire ne peut que recueillir l'assentiment, mais il apparaît aujourd'hui indispensable que le dispositif se stabilise et devienne rapidement opérationnel.

• Le chantier de la simplification

En second lieu, l'efficacité de l'aide communautaire dépendra, dans une large mesure, de la simplification des procédures. Or, le chantier est immense : 27 000 contrats en cours dans 132 pays avec 2 000 appels d'offre par an ; 70 lignes budgétaires sur quelques 87 bases juridiques différentes. Plusieurs de ces lignes ont été créées sous la pression du Parlement européen. Cette multiplicité est source de lourdeurs bureaucratiques et de nombreux délais. Quelques progrès ont d'ores et déjà été accomplis ; ainsi le nombre de procédures de passation de marché est passé en deux ans de 80 à 8... Mais c'est, aujourd'hui, l'architecture d'ensemble des lignes budgétaires qui doit être revue.

Un effort de simplification et de rationalisation particulier doit porter sur les relations nouées entre la Commission et les ONG . L'aide versée à ces dernières dépasse 200 millions d'euros par an. Cependant, le nombre des dossiers traités par les services de la Commission -de l'ordre du millier- ne leur permet pas toujours d'assurer un contrôle rigoureux des fonds.

En outre, les conditions d'éligibilité d'une ONG à l'aide communautaire restent très ouvertes -une ONG doit être légalement enregistrée et bénéficier d'une certaine notoriété. Cette dernière condition se prête à une marge d'appréciation très large. Lié à la diversité des droits nationaux en matière d'association, ce cadre souple conduit parfois à accorder une aide à des organisations dont la vocation ne correspond pas aux objectifs poursuivis par l'Union.

• Les interrogations soulevées par l'augmentation des effectifs et le renforcement du rôle des délégations de l'Union.

La réforme de l'aide communautaire reposera sur une déconcentration, sous la responsabilité d'Europeaid.

Le renforcement du rôle des délégations de l'Union représente, on l'a vu, un axe fort de la réforme. Il reposera sur une déconcentration, organisée sous les auspices d'Europeaid, vers les délégations de l'ensemble des opérations qui peuvent être mieux gérées sur place, ainsi que sur une augmentation progressive de leurs effectifs . En effet, la Commission procédera à la création de 400 postes supplémentaires dont 250 pour la direction des relations extérieures -en raison de la mise en place d'Europeaid. Dans un deuxième temps, sur une période de 3 ans, 600 fonctionnaires seront redéployés vers les délégations. Jusqu'à présent, le manque de moyens humains sur le terrain pouvait constituer pour l'Union une incitation assez forte à recourir aux services des Etats membres, favorisant ainsi la recherche des complémentarités. Désormais dotée de ressources nécessaires, ne sera-t-elle pas conduite à mener seuls les projets qu'elle finance ? On peut craindre que l'extension du rôle des délégations ne complique plus qu'il ne favorise l'indispensable effort de coordination.

Le Conseil « affaires générales » du 22 janvier 2001 a certes fixé des lignes directrices pour le renforcement de la coordination sur le terrain entre les Etats membres de la Commission -réunions régulières, coordination appliquée à toutes les étapes non seulement de la programmation mais aussi des projets, désignation, le cas échéant, d'un « chef de file » pour suivre la coordination dans un secteur particulier. Le Conseil avait déjà adopté en 1998, des orientations sur le renforcement de la coordination opérationnelle. La réitération, trois ans plus tard, des mêmes principes montre la difficulté de l'exercice.

• La définition de priorités

L'action communautaire a souffert jusqu'à présent d'une dispersion préjudiciable à son efficacité. Le commissaire européen en charge des questions de développement, M. Poul Nielson, a tenu à cet égard à votre délégation des propos dont la franchise tranche avec le langage convenu trop souvent de règle dans ces enceintes : « on a voulu tout faire ou on a fait semblant de le faire ». Il a mis en avant certains goulots d'étranglement dans la mise en oeuvre des projets sur le terrain ; l'augmentation des ressources financières ne changerait rien à cette situation. L'exemple de la santé apparaît particulièrement significatif : les projets dans ce domaine ont fini par représenter sur cinq ans 1,7 million d'euros. Pourtant moins du quart de ces sommes a été effectivement dépensé. La définition de priorités n'a pas beaucoup avancé, comme l'a reconnu M. Poul Nielson. Elle permettrait seule pourtant de mettre en évidence les secteurs dans lesquels les interventions communautaires peuvent s'avérer le plus efficace.

La volonté de recentrer l'activité de l'Union sur les six domaines où elle offre une valeur ajoutée permettra-t-elle d'avancer dans cette voie ? Incontestablement elle marque une prise de conscience par les Etats membres et la Commission des risques d'un éparpillement excessif. On l'a vu cependant, le champ ouvert à la Communauté demeure très large. En outre, il recoupe sur plusieurs aspects les priorités que la France a assigné à sa politique de développement, qu'il s'agisse de l'intégration et de la coopération régionale, de l'accès équitable aux services sociaux ou encore du développement rural durable. Enfin, comme l'a souligné le commissaire européen devant vos rapporteurs, l'Union n'entend pas se laisser enfermer dans le rôle de simple payeur, voué aux projets les plus dispendieux. Elle souhaite faire prévaloir une démarche plus exigeante : « On ne veut pas payer des coûts récurrents ».

L'accroissement des moyens des délégations concourra à cette nouvelle ambition. Une fois encore la perspective de transformation des délégations en véritables missions de coopération, loin de favoriser les complémentarités, risque d'aiguiser la concurrence avec les représentations nationales. Trop souvent, l'Union européenne est perçue par les bénéficiaires comme un seizième Etat membre. L'action communautaire doit être encore plus sélective. Compte tenu des compétences reconnues à la Commission dans le domaine des négociations commerciales, elle pourrait ainsi privilégier l'intégration des pays en développement dans l'économie mondiale (coopération dans les domaines liés au commerce et à la préparation aux négociations multilatérales).

* 12 PHARE pour les dix pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne, TACIS pour les 14 pays issus de l'éclatement de l'URSS, OBNOVA pour les pays de l'ex-Yougoslavie, MEDA pour les Etats du bassin méditerranéen, ALA pour les pays d'Asie et d'Amérique latine.

* 13 Cette priorité a trouvé sa première traduction avec l'initiative « tout sauf les armes » adoptée par le Conseil du 26 février 2001 afin d'étendre le libre accès au marché communautaire en franchise de droits et contingents à tous les produits originaires des pays les moins avancés à l'exception des armes et des munitions.

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