III. TRANSITIONS DYNAMIQUES ET INTERROGATIONS RECURRENTES

M. Gérard Larcher

Michel Barnier, ayant été retenu à Bruxelles, a transmis le message que voici.

Michel Barnier, commissaire européen, responsable de la Politique régionale et de la Réforme des institutions (message)

Je veux simplement vous dire ce que je pense des propositions de la Commission sur l'évolution du secteur postal et pourquoi je les ai soutenues dans l'état où elles ont été proposées au Conseil des ministres. Selon moi, ces propositions constituent une base de négociations, et s'en écarter serait une erreur.

Une nouvelle étape graduelle et contrôlée est nécessaire pour l'ouverture à la concurrence des services postaux, et décider aujourd'hui de leur libéralisation totale serait, à mes yeux, une erreur irréparable et inacceptable.

Pourquoi faut-il une nouvelle étape de libéralisation ? Car l'économie européenne a plus à craindre de l'immobilisme que de la concurrence, notamment dans les services postaux.

La Poste est un service d'intérêt général, c'est aussi une activité économique ; la performance des services postaux, tous opérateurs confondus, contribue à la performance de notre économie nationale et de certains secteurs, en particulier le secteur de la banque, de l'assurance ou de la vente à distance.

Au moment où nous achevons, avec la monnaie unique, le marché intérieur des services financiers, où nous tentons d'offrir un cadre favorable au commerce électronique en Europe, nous ne pouvons pas rester sourds aux demandes de ces secteurs d'amélioration des prestations, de réduction des coûts des services postaux.

Plus généralement, le second rapport sur la cohésion économique et sociale, rendu public le 31 janvier, a montré à quel point les services dont nous parlons sont désormais les principaux moteurs de la compétitivité économique. Leur développement est à la fois une condition et un indicateur du rattrapage de certaines régions en difficulté.

Or, une certaine dose de concurrence accompagnée d'exigences accrues sur la qualité des services favorise la transparence des coûts et contribue à la compétitivité des activités consommatrices ou utilisatrices de services postaux, et leur ouvre des débouchés potentiels.

Il faut donc apprécier les enjeux de l'ouverture à la concurrence des services postaux dans un cadre plus large, qui est celui du marché intérieur.

Ayant marqué mon orientation vers une nouvelle étape graduée de libéralisation, je reste fermement opposé à toute forme de libéralisation totale. Car les services d'intérêt économique général servent l'intérêt économique et dans le même temps l'intérêt général. Ils jouent un rôle dans la cohésion économique, sociale et territoriale de l'Union. C'est d'ailleurs pour cette raison que cette spécificité, cette garantie que les missions de service public puissent être respectées, est accordée ou reconnue de manière durable dans le traité de l'Union.

Voilà pourquoi je resterai attaché, au moment où se prépare cette nouvelle étape d'ouverture à la concurrence, aux cinq principes suivants :

Le premier est la différenciation entre les services d'intérêt général. La distribution du courrier n'est pas celle de l'électricité, du gaz ou de l'eau. Les transports ne sont pas les télécommunications. Chaque secteur, en fonction des évolutions technologiques, de la croissance du marché, du poids des infrastructures, de son propre rôle dans l'aménagement du territoire, se prête plus ou moins à la concurrence. On doit agir au cas par cas. Le marché postal ne connaissant pas les taux de croissance ni le niveau d'innovation technologique des télécoms, la Commission a proposé un rythme plus mesuré pour ce service.

Le deuxième principe est l'adaptabilité du service universel. L'innovation technique ne suffit pas à distinguer les activités nouvelles, soumises à la concurrence, et celles plus traditionnelles, qui seraient réservées au secteur public. C'est pour cette raison que la Commission n'a pas proposé de reconnaître le courrier hybride, préparé et transmis électroniquement à l'opérateur postal, comme une activité concurrentielle par nature.

Le troisième principe est la fiabilité du service universel. La frontière entre le service public, je pense au secteur réservé, et la concurrence doit reposer sur un calcul actualisé à chaque étape de libéralisation des activités nécessaires à l'équilibre économique du service universel.

Le quatrième principe est la sécurité juridique et économique. Les opérateurs qui veulent investir nécessitent une certaine visibilité, une certaine sécurité juridique et économique pour pouvoir décider de leurs choix et de leurs investissements.

Le cinquième principe est la garantie d'accès au service public, la charte européenne des droits fondamentaux, qui a été proclamée à l'occasion du Conseil européen de Nice, reconnaît ce principe d'accès aux services économiques d'intérêt général, tel qu'il est prévu par des législations et par les pratiques nationales. Cet enjeu de l'accès aux services postaux d'intérêt général n'est pas le même dans un pays qui compte 17 000 bureaux de poste et dans un pays qui en compte à peine un millier. Il faut garantir que l'ouverture à la concurrence n'aura pas de conséquences négatives sur l'accès aux services postaux dans les régions les plus isolées ou très lointaines.

Nous devons regarder cette question de la libéralisation sans idéologie. Oui, la modernisation des services postaux sous l'aiguillon de la concurrence est aujourd'hui nécessaire au développement de ces services, et plus largement à la compétitivité de nos entreprises. Mais cette libéralisation doit rester « graduelle et contrôlée », afin de préserver l'adaptabilité, la viabilité économique et la garantie d'accès au service postal universel sur l'ensemble du territoire.

M. Jean-Claude Larrivoire

Le dynamisme et les interrogations en suspens seront illustrés par la poste allemande. Monsieur Maschke, vous êtes directeur général de la Deutsche Post ; à voir son cours à la Bourse allemande ces derniers jours, les actionnaires privés ont des raisons d'être satisfaits de sa libéralisation partielle.

M. Walter Maschke, directeur général de la poste allemande

Je donnerai un aperçu des bouleversements dans notre domaine ces dernières années. Première phase du développement : transformation du service en société en 1990, puis privatisation en 1995. La première étape est la séparation du secteur public des activités d'affaires et des télécoms, et une gestion privée. La poste a été ensuite séparée en trois sociétés, filiales de la Deutsche Post : poste, télécoms et poste-banque. La poste et la poste-banque utilisent les bureaux de poste existants pour une stratégie concertée et pour faire des économies d'échelle.

La Deutsche Post a été lancée comme une société possédée à 100 % par l'État allemand, mais le but avoué était d'avoir très vite des actionnaires. Le succès de ces réformes repose sur la synchronisation opérée par le gouvernement tant au niveau des télécoms qu'au niveau de la poste. La Constitution allemande protège les services universels afin d'assurer un tarif uniforme et abordable, et une qualité des services. Point clé des discussions en Europe.

En 1997, le gouvernement allemand décide de libéraliser le marché et de l'ouvrir à la concurrence de manière graduelle. Par rapport à d'autres pays, nous avons adopté une position radicalement libérale. Il y avait 100 concurrents, et quelque 3000 licences ont été accordées à des entreprises, surtout des PME locales. Le processus de déréglementation a donc été accompagné de réglementations au niveau de l'État.

En 2000, nous avons eu une entrée sur le marché boursier avec une capitalisation boursière de 23 milliards d'euros, c'était la plus grosse introduction boursière de cette année-là.

Le gouvernement allemand veut une privatisation complète d'ici à 2008. Les acteurs nationaux seront les mêmes que ceux qui existent aujourd'hui dans le domaine des colis, UPS, DPD, etc. De grands bouleversements sont attendus sur les marchés locaux parmi les acteurs qui existent.

Depuis 1990, les revenus ont triplé, ils sont passés de 9,5 millions d'euros à près de 3 milliards d'euros. Nous sommes passés de 380 000 personnes à moins de 230 000 personnes sans grève ni manifestation majeure. Nous voulions absolument réduire les effectifs en période de croissance, plutôt qu'en période de pression économique. La société publique, avec son déficit considérable, s'est muée en une société privée efficace et bénéficiaire.

Le processus de transformation : de nouvelles plates-formes d'affaires ont été lancées. Nous avons uni nos forces grâce à la fusion ancienne/nouvelle économie. De nouvelles structures ont été mises en place pour les colis et pour les bureaux de poste. De nouveaux services ont amélioré la qualité afin de pouvoir atteindre une plus grande satisfaction chez nos consommateurs.

La Deutsche Post a été réinventée grâce au processus de réorganisation de nos services postaux, de 25 % l'automatisation est passée à 85 %, nous avons réduit les systèmes de triage puisque nous avons pu comprimer le nombre de centres de tri. La qualité est passée de 75 % à plus de 95 % pour les livraisons en une nuit. Le système de livraison des colis a été réorganisé, nous en avons amélioré la qualité et nous sommes devenus particulièrement dynamiques sur ce marché-là.

Deuxième phase du développement, 1998-2000. Depuis 1998, nous avons encore lancé de nouvelles plates-formes pour pouvoir atteindre de nouveaux clients, et nous préparer au moment où les licences d'exclusivité expireraient en Allemagne.

Les tendances ont permis à l'entreprise de se développer à travers des acquisitions. Tout d'abord, les services à valeur ajoutée vis-à-vis du client. Nous nous sommes concentrés sur les clients-entreprises. Nous avons pris en charge leur service de logistique. Les experts s'attendent à une augmentation de 9 % par an dans ce domaine. Nous avons offert des services de plus en plus intégrés. Nous avons également diversifié notre portefeuille au niveau géographique, ainsi qu'au niveau du portefeuille produit en quantité et en qualité.

Face à la tendance de la mondialisation, se profile une augmentation du flux d'affaires au niveau mondial et du commerce électronique, une croissance importante des envois transfrontaliers et des envois au niveau national ; par conséquent, les clients demandent des réseaux internationaux de plus en plus intégrés. Nous offrons donc des solutions personnalisées.

La mise sur le marché boursier a eu beaucoup de succès. Le volume était de 6,6 milliards d'euros, et la capitalisation boursière était de 23,4 milliards d'euros. Un programme de participation de nos employés au capital a été lancé, 60 % d'entre eux ont acheté des actions, et nous pensons accentuer cette tendance.

Voici nos résultats financiers. Nous avons atteint des records absolus puisque nous avons augmenté nos revenus de 46 %, à plus de 3 milliards d'euros, soit une augmentation de 158 % par rapport à 1999. La division exprès, elle, a augmenté de 26 %, et la logistique a doublé ses bénéfices et est devenue bénéficiaire pour la première fois. Au niveau des services financiers, il y a eu une augmentation de 178 % jusqu'à 500 millions d'euros. À ces excellents résultats financiers, rajoutons un processus de transformation radicale au niveau de la gestion de l'entreprise.

Au niveau de l'offre de produits, nous sommes devenus un fournisseur logistique global, la répartition du chiffre d'affaires par activités est visible. Notre portefeuille de produits au niveau de la logistique et des services financiers représente 66 % des revenus par rapport aux 26 % d'il y a deux ans. La proportion des revenus au niveau du courrier a donc été réduite à 34 %.

L'acquisition de DHL, de IAE... nous a permis d'étendre notre présence mondiale et d'élargir notre portefeuille de produits. Nous sommes présents dans deux cents vingt pays, c'est un complément parfait à notre réseau européen. La part de revenus internationaux, qui est passée de 2 % en 1998 à 29 % en 2000, montre cette transformation.

Aujourd'hui, nous touchons le milieu de la phase finale de notre transformation. Nous aimerions devenir les leaders au niveau de la logistique à l'échelle mondiale, avec des systèmes intégrés qui offrent tous les services, depuis la livraison des colis jusqu'au service financier. Nous avons appuyé le processus de libéralisation en Europe de manière très forte. L'Allemagne et les Pays-Bas ont les climats les plus concurrentiels de tous les marchés des services postaux en Europe.

La limite des 350 g, et la licence exclusive, telle que nous l'appelons en Allemagne, est accordée jusqu'à 200 g, et 50 g lorsqu'ils sont adressés directement. Nous avons donc appliqué avec succès les directives mises en place le 1 er janvier 1998. Nous sommes en train de discuter l'extension de certaines licences exclusives afin de ne pas créer en Europe de distorsions au niveau de la libéralisation.

Pour résumer : notre mise sur le marché boursier fut un succès phénoménal ; la Deutsche Post s'apprête à devenir le numéro un sur le marché mondial, et l'Allemagne est devenue moteur sur la libéralisation en Europe.

M. Jean-Claude Larrivoire

Merci pour ce florilège de succès. M. Christian Stoffaës est à Électricité de France, directeur de la délégation à la prospective internationale. Vous êtes aussi le créateur et le président d'ISUPE, Initiative pour les services d'utilité publique en Europe, qui regroupe une vingtaine de grandes entreprises françaises unies dans la promotion pour un concept européen de service public.

M. Christian Stoffaës, président d'Initiative pour des services d'utilité publique en Europe (ISUPE) et directeur de la Délégation à la prospective internationale à Electricité de France

Je ferai une mise en perspective de la question qui vous réunit dans le contexte plus général des services publics et de la construction européenne. Avec d'autres collègues, des économistes, des juristes, d'autres entreprises de service public, en France et en Europe, nous avons suscité en 1992, au moment de l'achèvement du marché intérieur, une structure de réflexions et d'influences pour porter la question des services publics à la réflexion communautaire et au niveau européen. Or, il y a autant de notions de service public qu'il y a de secteurs, et nous essayons de trouver des concepts communs à tous ces secteurs. Les approches nationales sont très contrastées puisque le service public est une construction institutionnelle. Il y a un clivage entre les pays à structure centralisée, comme la France, et les pays à structure fédéraliste où les services publics sont exploités, gérés et régulés au niveau régional, municipal ou local, comme en Allemagne. Il existe aussi une distinction importante entre les pays de droit romain, de droit écrit, de droit public, et puis les pays de droit libéral, les pays anglo-saxons et les pays scandinaves. Tous les pays européens ont des services publics, sans en avoir la même conception, donc, nous nous attachons à faire émerger un concept harmonisé, un concept minimal, à partir duquel peut se construire une notion européenne.

La Poste est certainement un des points essentiels. Le transport aérien est maintenant un secteur ouvert, mais a encore beaucoup d'éléments de service public, à cause des infrastructures lourdes des aéroports, de la navigation aérienne, du contrôle aérien. Les télécommunications s'éloignent du service public, mais des aspects très importants de desserte universelle demeurent.

La Poste est assez centrale parce que l'effet de péréquation tarifaire est très important : la distribution de la lettre en zone urbaine, à haute densité, coûte 1 franc, 1,50 franc, c'est-à-dire à peu près la moitié du prix du timbre actuel et, en zone rurale, elle coûterait trois fois plus cher. Si on ouvre la concurrence, si on libéralise, il y aura l'écrémage du marché, les entreprises prendront les segments les plus compétitifs, et ceux moins compétitifs comme la distribution en zone rurale seront délaissés ; si le prix du timbre est de 10 francs en zone rurale, plus personne n'enverra de courrier. Pour éviter cela, le secteur postal aux États-Unis est public. Les États-Unis, fondamentalement hostiles à toute forme d'intervention de l'État dans l'économie, ont quand même une entreprise publique qui est la poste (même si des segments sont libéralisés). Au début du XIX e siècle, la poste américaine était privée, mais le Congrès américain a décidé de la nationaliser au milieu du XIX e siècle. Il est intéressant de voir comment un pays libéral est venu à une construction de service public.

Voici un rappel historique concernant l'Europe. Pendant deux ou trois décennies, la question des services publics dans la construction européenne ne s'est pas posée. Ils étaient circonscrits dans leur territoire national ou régional. Certes, le traité de Rome de 1957, traité de libre-échange, accessoirement axé sur la concurrence, existait. Le consensus a donc engendré année après année une démarche inexorable que l'on appelle la construction communautaire. On abaissait les barrières douanières, on abrogeait les contingentements aux échanges commerciaux, mais on ne se posait toujours pas la question des services publics.

Progressivement, la mécanique communautaire a commencé à s'intéresser à ces questions. Au début des années 1980, des contestations devant la Cour de justice sont apparues. Dans le cadre des règles de concurrence, il y a eu des plaintes, des jugements, des décisions rendues par la Direction générale de la concurrence, et on a commencé à éroder la notion de service public.

Le service public relève en effet du droit national, et le marché commun n'a pas de références nationales, il dépend du droit commercial. Souvent, il a été question de règles d'exception à la concurrence, d'entreprises publiques disposant d'un monopole ou de versions atténuées du service public, ou de contrats de concession, de droits d'exclusivité, mais c'étaient toujours des atteintes aux règles de la liberté du commerce et de la liberté d'entreprise.

Au milieu des années 1980, dans les pays occidentaux, il y a eu un mouvement que l'on a appelé la révolution néo-libérale, dont l'exemple le plus frappant en Europe a été l'Angleterre de Margaret Thatcher, ce mouvement a gagné en Espagne, en Allemagne, en Italie, en France sous des formes diverses. Cela a concerné au premier chef les services publics. La notion de dérégulation, celle de privatisation des services publics résulte des changements politiques et d'orientation de l'économie. Par ailleurs, le traité de 1985, qu'on appelle l'Acte unique européen, a stipulé qu'il fallait achever le marché intérieur dans les secteurs qui en étaient exclus. Trois cents directives ont été annexées à l'Acte unique. Deuxièmement, l'Acte unique est passé à la règle de la majorité qualifiée qui a profondément changé le rapport de forces au sein du mécanisme communautaire. C'est-à-dire qu'un pays peut être contraint d'accepter une directive qu'il n'a pas votée. On est passé à un concept de pouvoir fédéral, c'est un abandon de souveraineté pour le domaine des marchés intérieurs.

À partir de là, toute une mécanique s'est mise en place. La Commission européenne a fait des concertations avec les industriels et avec les États membres, et toute une série de directives de dérégulation d'ouverture de la concurrence dans tous les secteurs concernés sont nées : les télécommunications, le transport aérien, le chemin de fer, l'électricité (elle a pris plus de temps puisque les directives datent de 1996), la poste (1998), le gaz naturel aussi. Et des problèmes et des conflits sont aussitôt apparus.

Au début des années 1990, on a assisté aux premières réactions, car dans beaucoup de secteurs, il s'agissait de véritables révolutions. Le service public était interpellé. Aujourd'hui, des compromis sont à trouver. La notion de service public européen va-t-elle commencer à émerger ?

En 1993 et 1994, des arrêts de la Cour de Justice ont été rendus, dont l'arrêt Corbeau, qui reconnaît que la notion de service public, notamment de service universel, impose des restrictions à la concurrence. L'année d'après, il y a eu un arrêt d'une commune des Pays-Bas sur le secteur électrique, enfin il y a eu le traité d'Amsterdam, et Michel Barnier, qui était ministre des Affaires européennes à l'époque, a joué un rôle important dans l'adoption de l'article 7-D, qui introduit la notion de service public au nom de la cohésion régionale, donc la notion de service universel.

C'est ainsi que la notion de service universel a commencé à apparaître dans un certain nombre de directives, notamment celles de la poste et de la communication. Une construction juridique européenne émerge donc.

Où en est-on aujourd'hui ? Les conflits sont d'actualité. Il y a trois mois, dans le secteur électricité-gaz, un incident important a eu lieu au sommet de Stockholm ; ce dernier a désavoué la Commission taxée d'aller trop vite trop loin.

Plus récemment, le Premier ministre français, dans son discours-cadre sur les institutions européennes, a indiqué clairement son souhait de demander la rédaction, l'élaboration et l'adoption d'une directive-cadre sur les services publics européens. Faire une directive sur les services publics, c'est risquer de générer un processus analogue à celui de la dérégulation, qui a duré une quinzaine d'années... Il va falloir voir comment la notion de service public s'applique à toute une série de secteurs. Un grand débat politique, social et européen va s'ouvrir, dans le contexte de l'intégration accrue du marché européen, que constitue l'avènement de l'euro. La poste, à l'évidence, en sera un des acteurs principaux.

Dernière remarque, lorsque l'euro sera instauré, le prix des timbres-poste devra s'afficher et s'harmoniser en euros, il faudra trouver un chiffre rond. Quand le prix du timbre sera le même en France, en Allemagne, en Espagne, en Italie, en Grèce, etc., la question d'après, c'est la fusion des postes européennes. Il est possible que la poste devienne, dans les prochaines années, le premier service public européen, comme il y a une poste fédérale aux Etats-Unis, qui couvre l'espace de tous les espaces fédérés.

M. Jean-Claude Larrivoire

Jacques Guyard, député de l'Essonne et président de la Commission supérieure du Service public des Postes et Télécommunications. Monsieur le Président, les directives européennes sont-elles à vos yeux compatibles avec la notion française de service public ?

M. Jacques Guyard, président de la CSSPTT, député de l'Essonne

Je souscris à tout ce qu'a dit Michel Barnier. Il s'agit de la reconnaissance d'une exigence de civilisation qui, je crois, fait le fonds de la citoyenneté européenne. Dans ce domaine, notre pays est homogène. Nous souhaitons tous la libéralisation progressive, seul le tempo varie. Il ne faut pas aller plus vite que la musique. Cette position européenne est tout à fait claire et compatible avec ce que nous attendons du service public de La Poste, elle nous aidera à aller plus vite dans la modernisation de la poste française. La poste française a actuellement besoin de savoir exactement où elle va. Nous avons une série de problèmes à régler dans l'année qui vient. Par exemple, l'absence de référents politico-administratifs communs ; en France La Poste relève du ministère de l'Industrie, alors que tous ses concurrents relèvent les uns du ministère des Transports et les autres du ministère des Finances. Le dialogue professionnel est difficile à organiser dans ces conditions.

Les points les plus importants sont néanmoins aujourd'hui en train d'avancer. Le statut des retraites a commencé à bouger dans le bon sens, avec la prise en charge par l'État d'une partie de l'héritage. Le statut immobilier de La Poste s'améliore avec la conjoncture et par la loi. Les problèmes de comptabilité analytique et de TVA doivent progresser. Si des garanties claires sont apportées aux 300.000 salariés d'un côté, aux citoyens et aux entreprises de l'autre, les discussions sont des discussions de second niveau.

Nous avons voté récemment que La Poste devait, en France, distribuer le courrier six jours par semaine, or la qualité de ce service se dégrade. Il est sûr que nous ne maintiendrons pas la qualité du service public sans un domaine réservé.

Un mot sur les services financiers de La Poste. Nous avons besoin que les services financiers de la poste restent présents et dynamiques. Je suis tout à fait d'accord pour un solide pôle financier public, mais le pôle financier est formé de trois éléments : la Caisse des dépôts et consignations, les Caisses d'épargne et La Poste, qui n'a pas la puissance capitalistique des deux autres. Son réseau existera s'il reste partie prenante du pôle financier public, et s'il en est le bras séculier proche du public. Et il est essentiel, pour La Poste, de savoir à quoi s'en tenir.

À propos des problèmes de régulation du système, tant que la concurrence reste marginale dans le domaine du courrier proprement dit, l'intérêt d'une autorité de régulation reste faible. Je souhaite que la création d'un médiateur de La Poste soit l'occasion d'une recherche méthodologique et que le débat prévu sur la loi des dispositions d'ordre économique et financier soit un vrai débat.

Un dernier mot à Walter Maschke, pour lui dire que, actuellement, La Poste signe des accords avec ses alliés méditerranéens. L'avenir de La Poste est international, il est en particulier européen, et de fait la réussite de l'Europe, ce ne sera jamais l'Europe du Sud contre l'Europe du Nord.

M. Jean-Claude Larrivoire

Gilles Guitton, directeur général de la Fédération bancaire française, vous avez beaucoup de choses à dire sur la concurrence bancaire de La Poste, qui risque d'être de plus en plus importante, et sur le fait que les banques sont peut-être le plus gros client de La Poste.

M. Gilles Guitton, directeur général de Fédération bancaire française

Tout le monde s'attend à des débats passionnels entre la profession bancaire et La Poste. Or, on oublie que nous sommes d'abord des clients extraordinairement importants de La Poste. Les quatre principales banques françaises dépensent plus de 4 milliards de francs d'affranchissement chaque année.

Nous sommes, que nous le voulions ou pas, dans une économie de concurrence et de compétitivité. Ce choix a été fait au niveau français d'une part, et à un niveau européen surtout. Dans une économie de concurrence, l'ensemble de la chaîne de production se doit d'être compétitif. C'est en ces termes-là que se pose également, à propos des services publics, le problème de leur compétitivité. Nous sommes dans un monde totalement homogène, nous participons tous d'une manière ou d'une autre au combat de la concurrence et de la compétitivité.

En tant que clients de La Poste, nous ne sommes pas satisfaits de la situation actuelle. Il serait important que nous puissions lier avec La Poste un certain nombre de partenariats plus tournés vers la productivité.

La poste allemande a démontré que les entreprises et le citoyen allemands bénéficient de son efficacité et de sa productivité, en ayant des coûts abaissés et un service de qualité. L'aiguillon de la concurrence est extraordinairement fort pour inciter à cette recherche de productivité, et nous souhaitons que La Poste se mette dans cette forme d'esprit « entrepreneuriale » en développant une véritable culture d'entreprise. Nous souhaitons avoir avec nos fournisseurs des relations très franches, mais compétitives de part et d'autre.

Le deuxième point est l'intervention de La Poste sur les services financiers. Si je regarde les graphiques qui ont été présentés par M. Walter Maschke, on voit que, dès 1990, les Allemands ont pris des mesures de clarification. Clarification en distinguant bien ce qui relevait de la poste, des colis, des services financiers qui sont trois activités différentes. Lorsqu'on parle de La Poste, on parle plus volontiers d'une structure que d'un ensemble d'activités. Or, La Poste recouvre un certain nombre d'activités à caractère économique qui ont leurs propres caractéristiques. Notre premier souci, avant de parler de concurrence, c'est que l'ensemble des banques est prêt à jouer pleinement, de manière loyale et transparente, le jeu de la concurrence. Que La Poste distribue des services financiers est un choix qui a été fait ; toutefois, elle est tenue de le faire dans des conditions de concurrence normales de transparence. Il est navrant que la directive de 1997 ait été traduite, pour sa plus grande partie, dans les textes réglementaires français, au mois de février 2001 seulement. Nous souhaitons que ce décret ne reste pas lettre morte et que nous allions de manière loyale vers une comptabilité analytique. Que signifie une comptabilité analytique lorsqu'il y a 55 % de charges indivises ? Peu de chose.

Il est impressionnant aujourd'hui de constater le mouvement de transparence. Il faut que cette transparence s'applique à tout le monde. L'ensemble des entreprises, soit en raison des nouvelles directives européennes, soit en ce qui concerne les établissements de crédits, par les stipulations du Comité de Bâle, va avoir l'obligation de dévoiler publiquement l'essentiel de son fonctionnement ; la poste doit aussi répondre à cette obligation.

N'allons pas dire que les entreprises bancaires sont des fanatiques du libéralisme sauvage. L'État comme régulateur social est sans ambiguïté l'acteur approprié. Certes, les choses doivent se faire dans des conditions données, mais il faut que les obligations soient définies de manière très claire et qu'elles soient assorties d'un financement tout aussi clair, afin d'éviter les subventions croisées de financements dont on ne sait pas d'où ils viennent et qui les alimente.

Deux mots pour terminer. Ce que nous souhaitons, c'est avoir un service qui, en matière de courrier, soit le plus compétitif possible parce qu'il s'agit là de la compétitivité des entreprises françaises. La poste doit, enfin, se soumettre à des conditions de clarté et de concurrence directe et loyale dans sa partie financière.

M. Jean-Claude Larrivoire

Au chapitre des transitions dynamiques, la Free and Fair Post Initiative représentée par Axel Rindborg, conseiller du président. Que se cache-t-il derrière cette appellation ?

M. Axel Rindborg , conseiller du président de la Free and Fair Post Initiative

Voici le discours que j'ai été chargé de vous transmettre de la part de mon président.

La Free Fair Post Initiative , officiellement lancée à Bruxelles le 23 octobre 2000, est une initiative européenne qui regroupe principalement les utilisateurs de services postaux européens, mais aussi quelques concurrents des monopoles postaux.

Avec dix sept membres, La FFPI représente plus de 4,7 millions de sociétés en Europe. On retrouve, parmi ses membres, les organisations patronales françaises, le MÉDEF, suédoises, belges, des entreprises comme le groupe Zeegler , la société américaine NPS, ainsi que des organisations sectorielles, telles que le Euro-Commerce qui est le groupement européen des entreprises de distribution.

Notre groupement est le European Publish Council qui représente les plus grands éditeurs européens. La FFPI a développé des contacts étroits avec nombre d'organisations européennes, comme le Bureau européen des Unions des consommateurs qui milite comme la FFPI en faveur d'une date finale pour la libéralisation du secteur postal.

L'objectif de la FFPI est de participer au débat sur l'évolution du secteur postal et d'y faire entendre la voix des utilisateurs de services postaux. D'une manière plus précise la FFPI défend une ouverture totale de ce marché et le maintien d'une concurrence saine et loyale.

La FFPI reconnaît toutefois que le maintien du service universel est primordial pour garantir la fourniture de services postaux de qualité pour le bénéfice des consommateurs.

Pour arriver à distinguer le mythe de la réalité, il convient de comprendre ce qui se passe dans le marché postal : sur le plan de la concurrence, il faut constater que le marché postal européen évolue à plusieurs vitesses et de manière souvent inquiétante. Certains opérateurs postaux continuent de défendre avec vigueur le maintien de monopoles, tout en abusant de plus en plus de leur position monopolistique pour limiter la concurrence sur les parties non réservées du marché. Les utilisateurs et les consommateurs souffrent de cette distorsion de concurrence, car ce sont eux qui en paient le prix. La Commission européenne essaie toutefois de les protéger en intervenant par les moyens de décisions contre ces abus.

Par ailleurs, certains opérateurs, notamment la Deutsche Post , ont déjà adopté une approche commerciale du marché. Cette évolution contribue également à créer de plus en plus de distorsions sur le marché, notamment parce que se multiplient les présomptions de subventions croisées entre le domaine réservé de monopole et le secteur concurrentiel. Le nombre de plaintes déposées par les opérateurs privés et publics, concernant des pratiques anticoncurrentielles et d'état présumés, ne cesse de croître.

Il faut donc reconnaître que le cadre réglementaire en place n'est pas en adéquation avec l'évolution du marché qui doit être encadrée. À défaut, sans une adaptation des dispositions réglementaires européennes existantes, les distorsions de concurrence vont se multiplier. Le marché sera confronté à des soubresauts difficilement maîtrisables, ce qui est en train de se passer dans le secteur de l'énergie. Or, dans ce genre de situation, la régulation des marchés est entre les mains des juges et de la Cour européenne de justice, ainsi que de fonctionnaires de la Commission à Bruxelles, qui prennent les décisions au cas par cas. Ce scénario, où l'insécurité juridique est très grande, est redoutable pour les acteurs du secteur postal et pour les membres de la FFPI, car les victimes sont les consommateurs. Seule une date butoir pour la libéralisation du marché assurera une transition graduelle et encadrée, et permettra de se préparer à la concurrence en limitant l'impact de l'ouverture, notamment en matière d'emploi.

Un autre mythe, la libéralisation, conduirait au chaos. Dans le cadre d'une libéralisation organisée, l'expérience montre qu'il n'y a pas de big bang, l'opérateur historique reste l'opérateur dominant, notamment parce que ce dernier dispose d'un réseau historique d'une grande valeur. À n'en pas douter, ce sera le cas aussi du secteur postal. Il est en effet difficile de pénétrer le marché postal car les opérateurs en place, comme La Poste, disposent d'un réseau qui leur permet d'offrir à leurs clients, privés ou sociétés, un accès à tous les Français. Cet accès a une valeur commerciale sans égale. De plus, les prestataires de service universel ont un capital sympathie important auprès de leurs clients, ainsi qu'une marque connue et des moyens logistiques colossaux. En qualité de prestataires de service universel, les opérateurs postaux, comme La Poste, sont extrêmement bien placés pour évoluer dans un marché libéralisé. C'est une réalité économique à prendre en compte.

En conclusion, la FFPI considère que le gouvernement européen doit arrêter une date butoir pour la libéralisation et encadrer ce processus d'ouverture de marché à la concurrence. L'élément primordial est la création d'une dynamique positive pour que les opérateurs se préparent à l'ouverture du marché et accordent une attention plus grande aux besoins de leurs clients.

M. Jean-Claude Larrivoire

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, nous donnera le point de vue de sa délégation et il nous dira comment il ressent tout cela à un moment où nous savons que le Conseil des ministres aura à nouveau à engager le débat sur la directive, son avenir, et devra arrêter une décision. Aurons-nous des dates butoirs ou continuerons-nous dans une certaine forme d'incertitude ?

M. Hubert Haenel, sénateur du Haut-Rhin, président de la Délégation du Sénat pour l'Union Européenne

Ces mythes et réalités relèvent souvent d'un débat de nature théologique. M. Guitton, quand vous avez parlé de comptabilité analytique, le sujet est au coeur du débat concernant le service public. Pendant longtemps, les services publics étaient un puits sans fond, et on ne pouvait pas répartir l'argent alloué en fonction des différentes missions, des différents emplois. Il est souvent très salutaire d'aborder le service public sous cet angle, car cela permet de recadrer les choses.

Pour les syndicats et pour certains ultralibéraux, la libéralisation des services publics est l'objectif final ; pour les uns c'est la fin du service public, pour les autres c'est enfin un véritable service au public. Dans le ferroviaire, on dit : il faut une libéralisation encadrée, l'aiguillon du marché et un cadre qui soit clair pour tout le monde. Dès que l'on parle de libéralisation, le concept même de service public tombe, et avec lui, le service public en tant qu'instrument puissant d'aménagement du territoire.

Le processus d'ouverture à la concurrence des services postaux est une excellente illustration des différents aspects de la problématique européenne des services d'intérêt général. La Poste est l'ancêtre de tous les services publics de réseaux, c'est aussi celui qui a poussé le plus loin la logique de péréquation tarifaire, puisque le prix du timbre est indépendant du lieu de destination et de la distance parcourue. Il s'agit là d'une différence notable avec le transport ferroviaire ou avec les télécommunications. Ce principe audacieux, conçu jadis par les monarchies européennes, a été jusqu'à aujourd'hui un puissant facteur d'unification des territoires nationaux. Dès lors, on peut se demander pourquoi une évolution des anciens monopoles postaux est apparue tout à coup nécessaire ? Deux explications sont possibles. L'une est de nature fataliste, l'autre est volontariste.

L'explication fataliste fait la part belle aux mutations techniques et économiques, autrement dit, la poste traditionnelle se trouvant confrontée à la montée en puissance du fax et d'Internet, au développement de la vente par correspondance et à l'externalisation des structures de production, il y aurait moins de lettres, mais plus de colis. Dans chaque État membre, elle est assurée par une pluralité d'entreprises privées, dont certaines ont une dimension multinationale.

Les évolutions technologiques ont également rendu possible des fraudes nouvelles, comme la délocalisation électronique de la production des envois dans un pays tiers aux tarifs inférieurs, d'où ils sont repostés vers les pays d'origine. L'explication volontariste fait la part belle à la capacité d'initiative de la Commission européenne. Celle-ci a pu imposer un début d'ouverture des monopoles postaux à des États membres qui étaient, au départ, en majorité réticents.

Comme dans d'autres domaines, cette politique de libéralisation repose sur la conviction qu'une harmonisation de la qualité des prestations des services postaux est nécessaire à la réalisation du marché unique. À terme, une productivité accrue des postes européennes apparaît comme une contribution à l'amélioration de la compétitivité mondiale de l'Europe.

Il semble que la vérité se situe à mi-chemin de l'explication purement fataliste et de l'explication volontariste. Quelle que soit sa justification, la réforme en cours comporte le risque qui serait de négliger, sous couvert de plus grande efficacité des services postaux, leur fonction irremplaçable de lien social et d'aménagement du territoire.

Je veux adopter ici un point de vue résolument positif sur la transformation des postes européennes. Cette réforme, si elle est conduite avec réalisme, peut marquer une étape supplémentaire dans la reconnaissance de la légitimité des services d'intérêt général par l'Union européenne.

La directive postale de 1997 consacre ainsi la notion de service universel. Bien sûr, certains considèrent que celui-ci est défini a minima et cantonne les postes européennes dans leur mission la plus traditionnelle qui, accessoirement, est aussi la moins rentable. Dans la nouvelle proposition de directive, adoptée par la Commission l'an dernier, l'exclusion des services spéciaux du périmètre des services réservés aux monopoles accroît le risque d'un écrémage des véritables sources de valeur ajoutée, par les nouveaux entrants sur le marché. Le service universel ne doit pas être figé sous prétexte d'être préservé. N'oublions pas qu'en droit administratif français, l'adaptabilité est l'un des grands principes du service public à la française.

Le fait que les textes communautaires admettent, au sein des services dits réservés, la possibilité de subventions croisées entre les secteurs rentables et les secteurs moins rentables marque un autre progrès. Certes, les activités concurrentielles doivent être clairement isolées, et les opérateurs sont tenus de se doter d'une comptabilité analytique, mais il me semble qu'un peu de clarté et de rigueur comptable ne peut jamais nuire à la qualité de la gestion du service public.

La possibilité de mettre en place un fonds de compensation des charges du service public universel, alimenté par les contributions de tous les opérateurs postaux, apparaît comme une innovation intéressante. C'est un moyen de concilier l'arrivée de nouveaux venus sur le marché, avec le maintien d'un certain financement pour le service public. Selon la proposition de directive, la mise en place d'un tel fonds est laissée à l'appréciation de chaque État membre et s'effectue sur une base nationale.

En outre, on peut s'interroger sur l'idée à terme de disposer d'un mécanisme de compensation à l'échelle du territoire communautaire, car dès lors que les barrières des monopoles postaux sont à l'essai, il peut paraître équitable que les pays disposant de l'avantage compétitif, à savoir un territoire peu étendu et fortement urbanisé, soient rendus solidaires des autres.

Si l'on remonte au Livre Vert de 1992, le processus de libéralisation des postes européennes est engagé depuis maintenant une décennie. Dès le début et jusqu'à aujourd'hui, il y a eu une divergence d'appréciation entre la Commission qui veut aller vite, et le Conseil qui veut ménager des temps de transition. La position du Conseil n'est que le fruit d'un compromis entre les positions tranchées des États du nord et ceux du sud de l'Europe. Plus que le rythme d'évolution du cadre réglementaire communautaire, c'est le rythme d'adaptation des opérateurs publics nationaux qui importe.

La mutation en cours de certaines postes européennes est impressionnante par rapport au retard pris par la poste française. En effet, dans un marché européen des services postaux en rapide recomposition, seules les entreprises publiques qui se transforment à temps pourront asseoir une position dominante. Ces postes les plus dynamiques auront ainsi la possibilité de rejeter sur les autres les inconvénients d'une concurrence accrue en termes d'emplois et de difficulté à maintenir une bonne couverture du territoire. La transformation du marché européen des services postaux ne sera pas un jeu à somme nulle. Il s'agit d'une activité de main-d'oeuvre qui emploie en Europe 1,7 million de personnes, dont 300.000 en France, et dont les rendements sont fortement croissants. La Commission présuppose que la contraction des effectifs des prestataires du service universel sera vraisemblablement compensée par un accroissement de l'emploi chez les opérateurs privés et les nouveaux arrivants sur le marché. Il suffirait de démontrer, compte tenu des gains de productivité probables, qu'il peut y avoir des variations importantes d'un pays à l'autre.

Enfin, la réforme des postes européennes est un enjeu essentiel pour l'aménagement du territoire communautaire. La Deutsche Post offre l'exemple d'un opérateur public qui a su diminuer considérablement ses coûts, sans trop réduire le nombre de ses points de contact avec la clientèle. Le bureau de poste traditionnel évoluera en bureau de poste vendant d'autres produits, en agence postale ouverte dans des magasins variés, en guichets mobiles dans les zones trop faiblement peuplées en France.

Pour les services postaux, l'introduction au niveau communautaire d'une dose de concurrence est un aiguillon indispensable, même si le rythme d'ouverture du marché doit rester raisonnable. Ne pas considérer la libéralisation comme l'objectif final ; pour les uns c'est la fin du service public, pour les autres c'est enfin un véritable service au public.

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Débat avec la salle

M. Philippe Thomas, ADREXO

Je m'adresse au président Jacques Guyard qui évoquait la possible nomination d'un médiateur. Y a-t-il une date prévisible à cette nomination ?

M. Jacques Guyard

La proposition est dans le texte qui va être soumis au Parlement. Il s'appelle médiateur dans le projet de loi, mais sur le contenu de la notion de médiation, le débat est ouvert.

Question de la salle

M. Stoffaës, êtes-vous pour une autorité de régulation unique pour les Quinze ?

M. Christian Stoffaës

Cette question est émergente dans certains secteurs, elle a été posée par le rapport Bangemann, dans les télécommunications. Cette perspective va changer la structure des pouvoirs, s'il y a des autorités fédérales de régulation des services publics en Europe, elles joueront des rôles très importants dans le système.

Nous avons beaucoup travaillé au sein de l'ISUPE sur ce sujet. Dans le jeu d'acteurs, les entreprises ont intérêt à ce qu'il y ait des organes fédéraux de régulation car elles ont besoin de stabilité juridique ainsi que d'un interlocuteur. Certains régulateurs nationaux ont commencé à prendre de l'importance. Pratiquement tous les pays membres, dans le cadre des directives de dérégulation, ont institué des autorités indépendantes ; leurs relations sont complexes avec les ministères, car jaillissent entre eux des rivalités. Il y a toujours l'interférence de la DG4, donc tout un climat trouble et conflictuel est en train de s'établir. Se font jour des collèges européens de régulateurs qui vont réclamer la création d'une instance fédérale ; dans l'électricité, ils se rencontrent déjà de temps en temps.

Le débat du fédéralisme européen s'annonce comme l'un des grands débats à venir.

M. Jean Besson, député du Rhône

Je voulais demander à M. Stoffaës une précision. Une des difficultés du régulateur européen, c'est qu'il est à la fois la régulation et la réglementation. Or en France, nous avons fermement maintenu la distinction entre la réglementation, c'est-à-dire le pouvoir régalien de l'État, et la régulation qui est l'arbitrage de la corporation.

M. Christian Stoffaës

En effet, qu'est-ce que le pouvoir régulateur ? Dans certains secteurs, les règles de concurrence ne sont pas suffisantes et requièrent d'être surveillées parce qu'il y a des secteurs qui engendrent des effets de monopole, que l'on appelle les monopoles naturels : une entreprise va racheter toutes les autres.

L'avantage de la compétitivité et de l'économie d'échelle est telle que la concurrence a besoin d'être surveillée. C'est cela la notion de régulation, et elle s'applique précisément aux secteurs de service public. Les Américains définissent le service public comme étant une construction qui sort de l'économie de marché, si ce n'est qu'ils le font par l'approche du droit libéral et non pas du droit régalien (ce n'est pas l'État qui décide qu'une activité est service public).

La régulation est ce qu'on appelle quelquefois le quatrième pouvoir, parce qu'elle procède à la fois du pouvoir législatif, qui fixe les lois, du pouvoir réglementaire, qui fixe les règlements, et du pouvoir judiciaire, qui rend des arbitrages sur des cas particuliers. Cela pose donc des problèmes constitutionnels assez particuliers du fait que ce pouvoir déborde sur les compétences du Parlement, du gouvernement et du juge.

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