M. Henri WEBER, sénateur

Intérêt et viabilité, je crois que c'est bien ainsi qu'il faut poser la question, car la politique est l'art de rendre possible ce qui est souhaitable.

Il est souhaitable de faire bénéficier nos concitoyens de la supériorité de la diffusion numérique exposée largement par les orateurs précédents. Il est également souhaitable d'en finir avec cette spécificité française peu glorieuse qu'est la pénurie de chaînes. Il est souhaitable enfin de favoriser l'arrivée de nouveaux entrants, pour "desserrer" cet oligopole qu'est le marché de l'audiovisuel français : les fournisseurs des hypermarchés de la grande distribution sont dans un meilleur rapport de force que celui des producteurs audiovisuels face aux 4 ou 5 diffuseurs qui constituent leurs débouchés. Une des préoccupations de la loi d'août 2000 est d'ailleurs d'élargir le marché pour essayer de conforter l'industrie française des programmes.

Comment rendre possibles ces trois objectifs essentiels ?

Manifestement, le recours au satellite et au câble pour passer à la diffusion numérique ne suffit pas. En effet, si elle a ainsi atteint huit millions de foyers, 75 % des Français refusent aujourd'hui de payer les 37 euros mensuels nécessaires.

La TNT permet, dans un premier temps, d'instituer 33 chaînes, dont la moitié gratuite.

Mais à quelles conditions économiques cela peut-il fonctionner ?

Je vois trois conditions : le succès de la TNT tient à un coût modique, une offre attractive et une organisation maîtrisée de ce marché.

Il s'agit en effet tout d'abord d'une question de coût. Quelque 75 % des foyers refusent de payer les 37 euros mensuels nécessaires pour s'abonner à un bouquet supplémentaire. Il faut donc que la rémunération qu'exige la TNT soit inférieure à cela. Si la question du coût de l'équipement technologique, entre 1 070 et 1 083 euros, a pendant longtemps constitué un frein, il n'en est plus de même aujourd'hui : des équipements accessibles existent, qui ne nécessitent qu'un investissement raisonnable consenti une fois pour toutes.

Une autre condition est celle de l'attrait qui pourrait être remplie si, sur les 33 chaînes, une bonne moitié était gratuite. Tel est l'état d'esprit du législateur dans la loi d'août 2000 qui s'efforce de favoriser le développement de l'offre de service public (dans l'immédiat, au moins huit chaînes) et d'une offre gratuite. On observe d'ailleurs que les éditeurs de chaînes se pressent au portillon en manifestant même une certaine impatience.

La loi prévoit aussi que soit mis fin à une autre spécificité française peu glorieuse : la grande pénurie de chaînes locales, régionales et de proximité. Nous savons pourtant que la demande est forte, et en particulier pour les programmes de proximité.

Ensuite, la question du financement de ces chaînes se pose. Une discussion devra donc porter sur l'élargissement du secteur de la publicité et sur la création de fonds de soutien, comme cela avait été fait pour les radios libres. Les entrepreneurs estiment que le marché français de la publicité est retardataire par rapport à ceux des pays européens comparables, qu'il peut certainement encore doubler et donc financer des chaînes gratuites.

La dernière condition est la prudence et la sagesse pour organiser ce marché.

Le spectre de certaines catastrophes passées dans ce domaine a été évoqué, mais il y a ici des différences. Ce projet est basé sur une technologie parfaitement maîtrisée et sur un produit parfaitement normalisé en France et au niveau européen, sur des investissements relativement faibles, comparativement à ceux du câble ou de l'UMTS par exemple, puisque avec 2 milliards de francs, on couvre 85 % du territoire par TDF, la montée en charge étant progressive.

Nous pouvons de plus prendre des mesures en tenant compte des expériences précoces. La France étant la dernière à légiférer, profitons au moins des avantages de cet inconvénient, en tirant les enseignements de la situation de nos voisins scandinaves, espagnols et britanniques. L'expérience de ces derniers nous apprend notamment qu'il nous faut maîtriser les données de la concurrence. Si la TNT a été un succès en Grande-Bretagne avec un million d'abonnements en trois ans, les conditions de dumping pratiquées par l'auteur de cette performance commerciale l'ont mené au bord du dépôt de bilan. La question du distributeur commun unique, étudiée dans le rapport Gallot, est ainsi primordiale.

L'expérience scandinave nous enseigne également que si l'offre n'est pas attractive, nous allons vers l'échec. En France, nous avons 6 multiplex, ce qui devrait nous inciter à veiller à ce qu'ils soient bien remplis : c'est le rôle du CSA.

Dernier point, il faut faire en sorte que TNT, câble et satellite soient non pas dans des logiques de concurrence, mais bien de complémentarité. Ce qui est sans doute plus facile à dire qu'à faire. Une négociation entre les différents acteurs sous l'égide de l'Etat pourra permettre d'y parvenir.

Je suis finalement confiant dans la réussite de ce projet et nous allons rendre possible ce qui est éminemment souhaitable.

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