Me Laurent COHEN-TANUGI, avocat associé du cabinet Cleary, Gottlieb, Steen & Hamilton, administrateur de la chaîne Public Sénat
La TNT
s'inscrit dans une longue série de mutations de la
télévision dont elle n'est à mon sens pas le
développement le plus révolutionnaire, sur le plan tant
économique que technologique.
Elle est cependant un enjeu politique, social et culturel majeur, susceptible
de modifier à nouveau le paysage audiovisuel. Elle signifie en effet la
généralisation et la démocratisation du numérique,
l'accès du grand public à la qualité du son et de l'image,
à l'interactivité, l'accès des chaînes à une
audience de chaînes généralistes et enfin de nouveaux
débouchés pour la production.
Mais la TNT représente une équation économique complexe
car elle arrive après le câble et le satellite et participe
à la fois de la télévision gratuite et de la
télévision payante.
Parmi les aléas économiques de la TNT, nous trouvons tout d'abord
l'incertitude sur la demande, liée au coût pour le
téléspectateur. L'existence du câble et du satellite
affecte également cette demande, de même que, convergence oblige,
l'arrivée du haut débit.
La TNT représente également un pari économique sur le
moyen terme. Pour les éditeurs de chaînes, les coûts de
diffusion seront élevés par rapport aux recettes
escomptées. Pour les chaînes gratuites, la publicité
n'arrivera en effet que lentement, compte tenu de la lenteur de
l'initialisation de l'audience. Les chaînes payantes seront, quant
à elles, soumises au phénomène de la tendance
baissière de la redevance moyenne par abonné que l'on constate
déjà sur le câble et le satellite.
Pour les distributeurs commerciaux, la TNT signifie de lourds investissements
en terminaux et en promotion commerciale, et un certain nombre d'inconnues.
Quelle sera l'attractivité commerciale des chaînes payantes
choisies par le CSA ? Quelles seront les conditions de distribution :
y aura-t-il un ou plusieurs distributeurs ? Quelles seront les contraintes
imposées sur leur capital, leurs biens et leurs autres
activités ? Quel sera le positionnement de la TNT par rapport aux
plates-formes concurrentes ?
Les dispositions législatives et réglementaires ont un impact
important sur un certain nombre de ces questions.
En ce qui concerne les éditeurs, un certain nombre de pas ont
été faits pour favoriser le décollage de la TNT, notamment
la montée en charge progressive des obligations de production et de
diffusion, l'assouplissement de la règle des 49 %, mais la
libéralisation de la publicité télévisuelle demeure
un enjeu important pour la viabilité des chaînes en clair.
Pour les distributeurs, les choses sont plus ouvertes. La loi reste elliptique
sur la distribution commerciale. Dans l'attente du rapport Gallot, la
question-clé est de savoir si leurs négociations avec les
éditeurs choisis par le CSA seront placées sous le signe de la
liberté contractuelle ou dominées par la réglementation.
Pour conclure, deux éléments paraissent déterminants pour
le succès de la TNT :
- d'une part, la nécessité d'une approche souple et
pragmatique de la réglementation de cette économie
émergente, afin d'en favoriser le démarrage sur le moyen terme.
Au-delà d'un certain nombre de choix politiques, la sagesse est, dans un
premier temps, de laisser faire le marché, quitte à corriger
ensuite les dérives constatées.
- d'autre part, la nécessité d'une
complémentarité entre l'offre payante de la TNT et les offres
existantes du satellite et du câble, afin d'éviter les
déboires connus par la TNT à l'étranger et de ne pas
déstabiliser les équilibres existants.