3. Une délinquance concentrée : la théorie des 5 %

Aux termes de l'étude de délinquance autorapportée de M. Sébastian Roché 10 ( * ) , 74 % des jeunes interrogés reconnaissent avoir commis un acte de délinquance (dégradation, vol ou agression). Tous ne sont pourtant pas délinquants au sens où on l'entend communément. La gravité de l'infraction comme le caractère répétitif du comportement délinquant jouent un rôle essentiel.

La prise en compte de ce dernier critère conduit à relativiser l'importance numérique de la délinquance chez les jeunes. Ainsi, lors de son audition, Mme Sophie Body-Gendrot a déclaré : « Nous parlons en fait d'une minorité de jeunes. En matière de délinquance juvénile, il n'y a que 10 % de multirécidivistes dont personne d'ailleurs ne veut se charger. [...] Je rappelle que 80 % des jeunes qui passent pour la première fois devant le juge ne récidivent pas ».

M. Sebastian Roché a insisté devant la commission d'enquête sur la très forte concentration de la délinquance sur un petit ensemble de personnes : il s'agit de la « théorie des 5 % ». D'après les informations recueillies auprès des jeunes auteurs de délits eux-mêmes, 5 % des jeunes commettent 60 à 85 % des infractions.

Tous les magistrats interrogés à ce sujet ont confirmé cet état de fait : il existe bien un petit pourcentage de jeunes qui commettent une part importante des délits.

Ainsi, les magistrats du tribunal pour enfants de Marseille ont évalué à 350 le nombre de mineurs qui posent d'énormes difficultés dans cette ville. Les maires rencontrés par la commission lors de ses déplacements en province, notamment à Bonneville et à Thonon-les-Bains, ont eux aussi évoqué la responsabilité d'un tout petit nombre dans l'exaspération de la population.

Plutôt que de parler de « noyaux durs », certains sociologues comme M. Sébastian Roché préfèrent employer le terme de « noyaux suractifs ». En effet, si les grands réitérants ont tendance à se regrouper dans des bandes, ils ne « s'installent » pas structurellement dans la délinquance.

Mme Patricia Fiacre a étudié les relations entre les membres des bandes 11 ( * ) et a montré qu'en trois ans, elles se défont. Empiriquement, elle a constaté que 50 % des jeunes ont une carrière de délinquant de trois ans ou moins et 80 % de cinq ans ou moins. Seuls 20 % des jeunes réitérants s'installent dans la délinquance pendant plus de cinq ans. Autour de 18 ans, le noyau éclate et les membres deviennent moins actifs...

L'étude épidémiologique conduite par Mme Marie Choquet 12 ( * ) va dans le même sens puisqu'elle démontre que la violence diminue sensiblement avec l'âge parmi les élèves scolarisés. Pour les garçons, elle passe de 32 % à 19 % entre 11 et 18 ans. Pour les filles, elle augmente jusqu'à 14-15 ans (de 12 % à 18 %) pour diminuer après cet âge (de 18 % à 10 %).


Bandes et noyaux durs

Le phénomène des bandes a été régulièrement évoqué devant la commission d'enquête. En effet, il est souvent assimilé à l'une des composantes fortes de la délinquance des mineurs dans l'esprit de la population : bagarres collectives qui opposent plusieurs bandes, bandes de jeunes qui se rassemblent au pied des immeubles et intimident les habitants, viols collectifs réalisés dans les caves d'immeubles, voitures incendiées par une bande de jeunes...

Les spécialistes interrogés ont estimé que le développement des bandes contribuait à l'augmentation du nombre de mineurs mis en cause dans des actes de violence commis en réunion.

Mme Nicole Le Guennec, sociologue, a fait état d'une montée du caïdat et d'une augmentation des conflits entre bandes.

Pour autant, la plupart des sociologues ont estimé, comme le Président de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, M. Thierry Baranger, qu'il ne s'agissait pas de bandes au sens classique du terme, mais plutôt de regroupements territoriaux.

Certains ont également tenu à relativiser la responsabilité des mineurs dans la commission d'actes graves au sein des bandes. Ainsi, M. Xavier Raufer  a constaté : « Quand on a affaire à des bandes, la délinquance des mineurs est un faux problème[... ] Il ne s'agit pas de gamins de huit ans qui se réunissent pour former une bande. La bande se constitue un peu comme on fait de la mayonnaise. On la « touille » et on ajoute une goutte de temps en temps. Une bande comprend d'abord des meneurs, généralement appelés grands frères. Eux ont vingt-cinq ans et sont bel et bien intégrés dans le processus d'une carrière criminelle lucide et consciente. En dessous des meneurs, il y a le gros de la bande, dont les membres sont âgés entre quinze et dix-huit ans. Puis, de temps en temps, un petit entre dans la bande et y fait ses classes. ».

Il en a conclu que « les noyaux durs des bandes criminelles ne sont pas des gamins de huit ans. Ce sont les éléments âgés de dix-huit à vingt-cinq ans. Si jamais vous démantelez les noyaux durs, les gamins de huit ans n'ont plus de bande vers qui aller ».

D'autres intervenants se sont montrés plus sceptiques sur l'élimination des « noyaux durs ».

Ainsi, le président de SOS racisme, M. Malek Boutih, a estimé que lorsqu'un chef de bande est éloigné de la cité, non seulement il est aussitôt remplacé, mais les tensions liées aux agissements de la bande empirent.

Quant à M. Eric Debarbieux, il a estimé que « l'élimination des noyaux durs, qui est souvent souhaitée, notamment dans les établissements scolaires, ne servirait pas à grand chose parce qu'elle ne met pas en place les instruments qui permettraient d'enrayer les mécanismes de cofabrication des noyaux durs ».

* 10 La délinquance des jeunes - Les 13-19 ans racontent leurs délits, Seuil, 2001.

* 11 Suivi des trajectoires d'une population de jeunes délinquants réitérants, IHESI, 1996.

* 12 Adolescents - Enquête nationale, Editions INSERM, 1994

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