D. AUDITION DE M. MARCEL ROYEZ, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES ACCIDENTÉS DU TRAVAIL ET DES HANDICAPÉS (FNATH)

M. Nicolas ABOUT, président - J'accueille Marcel Royez, secrétaire général de la FNATH. Nous ne disposons que de quelques minutes pour vous écouter. Je vous propose donc de nous indiquer, dans un propos liminaire, les trois ou quatre propositions qui vous semblent les plus importantes, puis le rapporteur et les commissaires vous interrogeront.

M. Marcel ROYEZ - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, mesdames et messieurs, je vous remercie d'avoir songé à interroger la FNATH sur l'évolution de la politique en direction des personnes handicapées. La FNATH est l'héritière de la Fédération des mutilés du travail, née en 1921, dont l'objectif était de s'occuper des victimes d'accidents du travail et notamment des cas les plus graves. Devenue la FNATH en 1985, elle s'est très vite occupée de toutes les personnes handicapées et non plus seulement celles victimes d'accidents du travail ou d'une maladie professionnelle. Aujourd'hui, parmi ses 250.000 adhérents, la FNATH regroupe des victimes d'accidents du travail, de maladies professionnelles ainsi que d'accidents de la route ou domestiques, mais aussi des personnes devenues handicapées à la suite d'une maladie. Nous regroupons essentiellement, parmi nos adhérents, des personnes handicapées physiques adultes : il y a très peu d'handicapés mentaux ou d'enfants. En effet, la FNATH s'interdit depuis toujours d'intervenir dans la gestion de structures. A l'opposé de l'UNAPEI ou l'APF, la FNATH ne gère aucune structure d'accueil ou de soins pour les personnes handicapées. C'est la spécificité de la FNATH, dont la vocation est d'être une association de conseil, d'accompagnement et de défense des personnes handicapées.

Notre démarche est donc essentiellement tournée vers le milieu ordinaire. Nous nous battons depuis toujours pour que les personnes handicapées soient le plus possible traitées comme des citoyens à part entière et non comme des citoyens à part. Toutefois, nous sommes conscients que nombre de personnes handicapées relèvent de démarches plus spécifiques et dépendent d'établissements spécialisés. Nous souhaitons que les personnes handicapées soient traités comme des citoyens à part entière et non comme des citoyens de seconde zone. Aujourd'hui, tout le monde partage cette conviction, ce qui est positif mais insuffisant. En effet, il ne suffit pas d'affirmer que les personnes handicapées sont des citoyens à part entière pour que cela soit une réalité, comme le démontrent les difficultés d'insertion des enfants en milieu scolaire ordinaire ou de formation professionnelle pour les adultes.

Malgré les dispositifs imposés par les lois de 1975 et de 1987, trop de personnes handicapées sont encore au chômage ou placées dans un atelier protégé bien que capables de travailler dans un milieu ordinaire. Les entreprises ne sont en effet pas aussi accueillantes pour les personnes handicapées qu'on pourrait le souhaiter. Ainsi, bien qu'il y ait une obligation d'emploi de 6 % dans les entreprises privées comme dans la fonction publique, le taux d'emploi est d'environ de 4 %. 37 % des entreprises assujetties à cette obligation n'emploient aucun travailleur handicapé, ce qui est le signe d'une certaine forme de discrimination envers ces personnes. En effet, on n'imagine pas qu'une entreprise n'emploie aucune femme ou aucune personne blonde,... Ces chiffres sont donc assez significatifs d'une perception négative du handicap dans notre société.

Par ailleurs, le système des allocations est trop complexe, injuste, insuffisant et inéquitable. Aujourd'hui, il est difficile de vivre avec moins de 50 % du SMIC lorsque l'on est handicapé. Il est nécessaire de réformer profondément le système d'allocation, de le simplifier, de l'harmoniser et de le rendre plus juste, notamment en ce qui concerne les conditions d'attribution, les montants et le traitement socio-fiscal.

Se pose également la problématique des personnes handicapées vieillissantes. La prise en charge de la dépendance doit être harmonisée. Je ne comprends pas pourquoi on ne traite pas de la même façon la dépendance, selon qu'elle relève du handicap ou de l'âge, avant ou après 60 ans.

Ces quelques propos permettront d'engager la discussion avec les membres de la commission.

M. Paul BLANC, rapporteur - La FNATH s'est spécialisée dans l'insertion des travailleurs handicapés dans le milieu ordinaire. Vous entretenez donc des relations avec certains organismes découlant de la loi de 1987. Je souhaiterais vous interroger sur le rôle de ces organismes et sur vos relations avec eux. Le premier d'entre eux, l'AGEFIPH, est financé par les cotisations des entreprises n'atteignant pas leur quota d'emploi de travailleurs handicapés. L'AGEFIPH a pour vocation d'utiliser ses fonds pour aménager des postes de travail ou réaliser des formations professionnelles. Or, depuis trois ou quatre ans, elle s'est vue confier le financement des CAP-Emploi. Quelle est votre opinion sur cet organisme ? Est-il normal que l'AGEFIPH finance les CAP-Emploi ? L'Etat ne s'est-il pas défaussé de ses devoirs sur cet organisme ? Deuxièmement, les COTOREP attribuent aux intéressés la qualité de travailleur handicapé. Estimez-vous que les moyens des COTOREP sont suffisants ? Un grand nombre d'associations qui s'occupent des travailleurs handicapés sont favorables à une réforme des COTOREP. Enfin, il devrait y avoir des prospecteurs placiers chargés de l'insertion des travailleurs handicapés. Or, dans certains départements, il n'y a pas d'équipe de préparation et de suite de reclassement professionnel de droit privé et de Cap-Emploi. L'ANPE a-t-elle la possibilité d'avoir des prospecteurs placiers spécialisés dans le placement des travailleurs handicapés ?

M. Marcel ROYEZ - Toutes les questions que vous m'avez posées appellent des réponses complexes. Je vais essayer d'indiquer, en quelques mots, notre position. L'AGEFIPH est une institution qui a montré sa capacité à aider les personnes handicapées à s'intégrer en milieu ordinaire. Toutefois, progressivement, le rôle de l'AGEFIPH a été dénaturé. La loi de 1987 prévoit une obligation d'emploi de travailleurs handicapés correspondant à 6 % des effectifs, obligation qui peut être panachée entre des emplois, le versement d'une contribution ou des contrats de sous-traitance avec des ateliers protégés. Les nouveaux moyens ainsi dégagés devaient normalement abonder la politique des pouvoirs publics dans le domaine de l'intégration professionnelle des personnes handicapées. Or, l'AGEFIPH s'est progressivement substituée aux obligations de l'Etat et des pouvoirs publics. Cette situation résulte sans doute de l'importance de la masse financière récoltée, laquelle résulte de l'insuffisance des emplois dans le milieu ordinaire. Les pouvoirs publics ont ainsi transféré à l'AGEFIPH un certain nombre de prérogatives financières.

La FNATH a systématiquement dénoncé les transferts par rapport aux équipes de préparation et de suite du reclassement ou par rapport aux aménagements de poste. En effet, ces transferts sont contraires à l'idée d'abondement de la politique des pouvoirs publics : au lieu d'avoir des moyens supplémentaires, l'Etat fongibilise l'ensemble des moyens financiers. De plus, ces transferts financiers se sont aussi accompagnés de transferts de prérogatives de puissance publique. Alors que la puissance publique a vocation à normaliser le dispositif d'intégration des personnes handicapées, c'est l'AGEFIPH qui, désormais, a repris ce rôle puisque c'est elle qui paye. Or, l'AGEFIPH étant gérée de manière tripartite -associations, syndicats et patronat-, cette normalisation obéit à des rapports de force.

Cette normalisation ne correspond pas toujours à l'intérêt général. Ainsi, nous avons dénoncé le fait que l'AGEFIPH, qui prend en charge le financement et la préparation des EPSR, impose des obligations de résultats en termes de placement. C'est le seul objectif recherché par l'AGEFIPH. Or, ce type d'obligations nuit à certaines personnes handicapées éloignées de l'employabilité immédiate et qui ont besoin d'un accompagnement plus perfectionné. Ce travail mené en amont ne se traduit pas immédiatement par un placement. Il est indiscutable que les EPSR sont devenues plus efficaces depuis que l'AGEFIPH s'en occupe, mais la population la plus éloignée de l'employabilité immédiate reste plus longtemps au chômage et continue à être marginalisée. Nous sommes très critiques et inquiets de cette façon d'aborder les questions d'insertion professionnelle des personnes handicapées. L'AGEFIPH constitue à nos yeux un excellent outil, mais elle ne doit être qu'un outil : c'est l'Etat qui doit fixer la politique, déterminer les moyens nécessaires et exercer un contrôle. Par ailleurs, l'action de l'AGEFIPH n'a changé en rien l'attitude des 37 % d'entreprises qui n'emploient aucun travailleur handicapé.

En France, le dispositif est surabondant. Il existe un empilement d'institutions, de législations et d'organismes, ce qui ne permet pas de repenser globalement le dispositif. Ainsi, la COTOREP, dont la mission est fixée par la loi de 1975, est aujourd'hui en décalage par rapport aux nouvelles législations dont celle de 1987 qui a instauré l'AGEFIPH, mais aussi par rapport à l'évolution du dispositif social tant en termes de placement que d'orientation. Les COTOREP ne répondent plus aux besoins des personnes handicapées en termes de rapidité, d'information ou de qualité de l'orientation. Les COTOREP orientent souvent, en effet, les personnes handicapées par défaut, c'est-à-dire en prenant en compte le milieu local et non les aspirations et les besoins des personnes handicapées. Enfin, comme nous l'avons déjà déclaré après la mise en place des COTOREP, propos qui ont été repris dans un certain nombre de rapports officiels, il existe une dualité entre la démarche d'insertion professionnelle et sociale des personnes handicapées et la démarche de prise en charge au titre des allocations. Nous considérons que, pour simplifier le fonctionnement des COTOREP et les rendre plus pertinentes et plus efficaces, notamment en les transformant en véritables instruments d'orientation et d'accompagnement à l'insertion professionnelle, l'attribution des allocations devrait être confiée aux organismes de protection sociale. Toutefois, il y aurait des aménagements nécessaires, notamment à travers le caractère pluridisciplinaire de la décision sur la définition du handicap et sa prise en charge financière. Comme le dernier rapport de l'IGAS et l'IGF le préconise, il faut repenser l'allocation aux adultes handicapés par rapport à l'invalidité et les harmoniser. En effet, actuellement, selon qu'une personne dépend de l'une ou l'autre des allocations, le traitement n'est pas identique tant au niveau du montant que du traitement fiscal de la prestation. On ne peut pas maintenir cet empilement de législations, résultat d'un travail réglementaire d'un demi-siècle qui a produit des incohérences et des injustices pour les personnes handicapées. Les COTOREP doivent être plus efficaces et plus pertinentes en matière d'orientation et d'accompagnement professionnel, la gestion des allocations étant confiées aux organismes de protection sociale.

Enfin, les personnes handicapées doivent relever des dispositifs de recherche d'emploi de l'ANPE. Les ANPE devraient donc être dotées de personnels spécialisés, et notamment de prospecteurs placiers pour les travailleurs handicapés, leur permettant de prendre en charge cette problématique d'emploi dans le milieu ordinaire de travail.

Mme Marie-Claude BEAUDEAU - Que pensez-vous de la possibilité d'une retraite anticipée pour les handicapés salariés âgés de 55 ans ? Un décret a été publié au début de l'année 2000 pour ouvrir le droit à cette retraite anticipée pour les personnes qui ont effectué des emplois pénibles, entre autre le travail de nuit et le travail posté. Combien coûterait une telle mesure ? Par ailleurs, en matière de prévention, après le dossier dramatique de l'amiante, est-on certain que la production industrielle n'utilise pas des matériaux aussi dangereux ? Enfin, l'arrêt de la Cour de cassation sur la réparation des victimes de l'amiante ouvre-t-elle le chemin à une réparation intégrale pour toutes les victimes d'accident du travail ou de maladie professionnelle ?

M. Marcel ROYEZ - La FNATH a 81 ans et s'occupe entres autres des personnes handicapées suite à un accident du travail. Cette longue expérience nous permet d'avoir le recul suffisant pour promouvoir l'idée d'une retraite anticipée, que ce soit la retraite à 55 ans ou la cessation progressive d'activité. La durée de cotisation va s'allonger dans les années à venir en raison de l'entrée tardive dans le monde du travail. En revanche, les générations qui ont commencé à travailler très tôt, dès l'âge de 14 ans, qui se sont usé la santé en effectuant des travaux difficiles et qui ont touché toute leur vie des salaires peu élevés, doivent partir en retraite plus tôt. En effet, ces personnes arrivent souvent à la retraite au même âge que les autres salariés, et parfois même moins tôt que des salariés bénéficiant d'un régime spécial. Or ces personnes ne toucheront leur retraite que pendant un temps limité : les statistiques montrent que l'espérance de vie de ces catégories est plus faible du fait de leur activité professionnelle. Il s'agit d'un problème de justice sociale qu'il faut régler rapidement. En effet, ces problèmes se poseront moins dans quelques années, à moins que les psychopathologies se développent : nous passons d'une génération de la peine à celle de la panne. Cette population doit bénéficier d'une cessation anticipée d'activité et d'un revenu de compensation qui leur permette de vivre décemment leurs dernières années.

La réparation intégrale des victimes d'accidents du travail nécessite une réforme de la législation qui fait désormais la quasi-unanimité. Depuis la décision de la Cour de cassation du 28 février 2002, il serait scandaleux d'obliger les salariés victimes d'accidents du travail à traîner leurs employeurs devant les tribunaux pour obtenir une réparation intégrale. Il convient de réformer la loi de 1898 pour assurer une indemnisation intégrale de tous les préjudices, comme pour l'ensemble des autres catégories de victimes. C'est faire oeuvre de justice pour les victimes, c'est aussi une mesure de prévention car plus la réparation pèsera sur l'auteur des risques, plus l'entreprise sera incitée à développer la prévention.

M. Jean CHERIOUX - Je souhaite formuler une observation et une question. Tout d'abord, le Sénat avait dénoncé les charges financières abusivement imputées à l'AGEFIPH. Par ailleurs, le taux d'emploi de personnes handicapées est trop bas. Or, l'Etat et les collectivités locales ne se sont imposé aucune règle à eux-mêmes. Quel est le taux d'emploi des personnes handicapées dans les administrations publiques ?

M. Marcel ROYEZ - Je ne dispose pas de cette information. Il existe en effet un déficit de l'appareil statistique dans la fonction publique. De plus, la comptabilisation des personnes handicapées n'est pas identique : les fonctions publiques sont tenues à des reclassements internes. Les personnes qui font l'objet de ces reclassements internes ne sont pas comptabilisées comme des travailleurs handicapés. Nous devons simplifier ce point et être très exigeants sur les obligations des collectivités publiques en matière d'emploi des travailleurs handicapés. Elles doivent en effet montrer l'exemple. Le protocole d'accord signé dans la fonction publique d'Etat est intéressant mais il doit être décliné dans la fonction publique hospitalière et territoriale. Enfin, il faut instituer dans les entreprises une obligation annuelle de négociation sur l'emploi et les conditions de travail des travailleurs handicapés. C'est le meilleur moyen d'être plus efficace.

M. Jean-René LECERF - Je connais bien le problème de l'emploi des travailleurs handicapés dans les collectivités publiques : le taux d'emploi minimal est rarement respecté et les collectivités travaillent en dehors du cadre des marchés publics avec des CAT et des ateliers protégés. En effet, ces derniers se trouvent sur leurs territoires et réclament fort justement du travail. En revanche, ils ne pouvaient postuler pour des marchés publics considérables. J'ai présidé des commissions d'appel d'offres, et chaque fois que j'ai essayé d'accorder des marchés publics à des ateliers protégés alors qu'ils n'étaient pas les moins-disants j'ai eu contre moi le préfet et les tribunaux et je n'ai pu aboutir. Dans ma ville, une société employant des personnes handicapées a réussi à décrocher un marché important de téléphonie, mais parce que ce marché nécessitait le travail du samedi et du dimanche, les pouvoirs publics ont refusé de l'agréer. Des dizaines d'emplois ont ainsi été perdus. Ne faut-il pas être plus souple quand l'emploi des handicapés est en jeu ?

M. Marcel ROYEZ - Le problème n'est pas simple. Il faut à la fois être plus souple pour favoriser le fonctionnement de la structure tout en évitant les phénomènes de dumping social. Les travailleurs handicapés doivent bénéficier des mêmes protections que les autres salariés : ils ne doivent pas servir d'amortisseur de notre système économique. Il faut donner aux entreprises les moyens de les employer dans de bonnes conditions.

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