2. Des améliorations limitées à envisager en matière juridique et fiscale
Le
régime fiscal des monuments historiques apparaît dans l'ensemble
favorable surtout depuis qu'il a été procédé
à la baisse de la TVA dont bénéficient à plein les
propriétaires privés.
En revanche, sur le plan juridique, il reste des progrès à faire
pour mieux prendre en compte les besoins spécifiques des monuments
historiques, soit pour renforcer leurs prérogatives de maîtres
d'ouvrage dans leur relation avec les ACMH, soit pour favoriser la gestion ou
la transmission des monuments.
a) Des adaptations ponctuelles du régime fiscal
Le
régime fiscal a paru
globalement satisfaisant
, même s'il
doit évoluer vers plus de souplesse dans la prise en compte des charges
attachées à la possession d'un monument historique.
Dans un souci de lisibilité, votre rapporteur spécial avait, dans
un premier temps, réfléchi aux avantages que comporterait, de ce
point de vue, la substitution d'un système de crédits
d'impôt à un régime de déductibilité de
charges du revenu global. La déductibilité des charges ne se
justifie pleinement que lorsque les charges correspondent à des recettes
spécifiques. S'agissant d'une possibilité de déduction du
revenu global, votre rapporteur spécial s'était demandé
s'il n'aurait pas été plus cohérent avec
l'évolution récente du code des impôts, et surtout, plus
clair, de prévoir un système de crédit d'impôt en
pourcentage des travaux engagés, dès lors bien sûr que ces
travaux ont été autorisés par le représentant
qualifié de État.
Un tel système aurait eu l'avantage de la transparence, puisque l'on
saurait l'importance de la dépense fiscale, évaluée
à 7,6 millions d'euros sur des bases relativement approximatives. Mais
il aurait également l'intérêt de faciliter la gestion
administrative des aides de État à la restauration des monuments
historiques dans la mesure où l'aide aurait été plus
facile à moduler selon les caractéristiques de l'immeuble.
A la réflexion, votre rapporteur spécial a
considéré qu'un tel système pourrait être
perçu, à cause de sa souplesse, comme transformant la nature d'un
régime fiscal. Celui-ci aurait cessé d'être un mode de
prise en compte de charges réelles pour devenir un avantage fiscal comme
les autres, modulable de façon discrétionnaire et donc plus
fragile. Telle est la crainte que votre rapporteur a voulu dissiper en
renonçant à explorer cette piste.
(1) Dissocier subvention et déductibilité
On note
qu'actuellement les propriétaires de monuments classés ou
inscrits non ouverts au public, ne bénéficient de la
déductibilité des charges que lorsque les travaux
concernés font l'objet d'une subvention de l'État ou lorsque la
maîtrise d'oeuvre est assurée par lui.
9(
*
)
Dans son rapport précité, M. François Cailleteau se montre
favorable à la déconnexion entre le subventionnement ou la
maîtrise d'ouvrage de l'État et la possibilité de
déduction pour favoriser le désengagement financier de
l'État. Il s'agit d'éviter une double pénalisation,
puisque le propriétaire, qui voudrait anticiper sur ce que la CRMH est
en mesure de programmer pour des raisons techniques ou financières, doit
renoncer à la subvention et à la déductibilité.
S'il considère qu'il faut mettre fin à des pratiques de
subventionnement minimes portant parfois sur quelques centaines d'euros, c'est
avant tout pour alléger la charge de travail des services dans le
traitement de dossiers qui doivent être soumis à la
conférence administrative régionale, tout en permettant aux
propriétaires d'effectuer leurs travaux quand ils en ont envie et non
quand l'administration veut bien l'inscrire dans sa programmation
financière.
On souligne que les travaux ne seraient déductibles,
indépendamment de toute subvention ou de la maîtrise d'ouvrage de
l'État, que s'ils ont obtenus les autorisations requises et s'ils ont
satisfait aux contrôles de conformité.
Certains estiment toutefois que le maintien de subventions de l'État
central reste même quand celles-ci ne constituent pas un appoint
financier indispensable, psychologiquement nécessaires du point de vue
du propriétaire qui se sent aidé à supporter une charge
supplémentaire et du point de vue des collectivités
territoriales, qui y voient la garantie technique de l'intérêt de
leur soutien.
(2) Faciliter l'étalement de la déductibilité et le préfinancement des opérations
Rares
sont les propriétaires qui assurent eux-mêmes la maîtrise
d'ouvrage à cause d'une interprétation erronée de la loi
de 1913, qui fait ce de mode de gestion l'exception alors qu'il devrait
être la règle, mais d'une façon générale,
parce qu'il faut bien reconnaître que la technicité du
« métier » de maître d'ouvrage et la
nécessité d'avancer les fonds, font considérer qu'il est
plus simple de s'en remettre à l'État.
Cet état de chose est préjudiciable au fonctionnement du
système dans son ensemble. Il en résulte à la fois une
surcharge de travail des services de la CRMH et la multiplication des
marchés publics.
Surtout depuis l'entrée en vigueur du nouveau code des marchés
publics, il y a là un facteur de rigidité et de ralentissement
des opérations. Non seulement cela demande des délais
supplémentaires et la multiplication des pièces comptables, mais
encore
cela exclut de la soumission des artisans locaux, conservateurs
spontanés de techniques de construction locales et qui n'ont pas les
capacités techniques et la patience pour soumissionner à des
marchés publics
.
Sans doute aurait-on pu imaginer de
mettre en place des
systèmes d'aide différenciés selon que le
propriétaire assume ou non ses responsabilités de maître
d'ouvrage
. Ce ne serait qu'une façon de
faire payer aux
propriétaires un service de maîtrise d'ouvrage
déléguée,
actuellement gratuit. Il s'agit d'une piste
à laquelle votre rapporteur spécial a, pour un premier temps,
renoncé au profit d'une mesure positive, plus visible, consistant
à inciter au préfinancement et à l'étalement dans
le temps de l'avantage fiscal que constitue la déductibilité.
On pourrait pour faciliter les mises de fonds initiales et lisser les
déductions fiscales, mettre en place
un « plan
épargne monument historique »,
qui pourrait être
abondé par des versements déductibles dans les mêmes
conditions que les travaux sur les monuments historiques -avec une durée
de validité déterminée et un système de
réintégration dans le revenu imposable en cas de non
réalisation des travaux- pour permettre aux propriétaires de
financer la part des travaux restants à leur charge.
(3) Adapter et aligner les régimes en matière de droits de mutation et d'ISF
Tout
comme l'impôt sur le revenu, l'imposition, du capital est relativement
lourde en France. A défaut d'une baisse générale, qui
reste souhaitable mais est sans doute peu réaliste, il est logique de
l'aménager pour en faire un instrument au service des politiques
publiques.
En l'occurrence, il s'agirait de parvenir, à terme,
à diminuer
les besoins de crédits budgétaires en incitant les particuliers
à adopter un comportement individuel allant dans le sens de
l'intérêt général pour favoriser le bon entretien et
l'ouverture au public des monuments historiques
.
Votre rapporteur spécial propose ainsi de :
• reprendre l'amendement d'origine gouvernementale
adopté
à l'occasion de la discussion de la proposition de loi relative au
patrimoine déposée par M. Pierre Lequiller,
instaurant un
régime d'exonération partielle des droits en contrepartie d'une
moindre durée d'ouverture au public
;
• créer un régime complémentaire
d'exonération, sur agrément, pour les monuments historiques non
ouverts au public mais subordonné au respect d'obligations en
matière d'entretien
;
• étant précisé que, dans les deux cas, l'avantage
prendrait la forme d'
un abattement d'assiette de l'ordre de 50% pour le
calcul des
droits de mutation
.
Le dispositif de l'article 795 A du CGI qui impose d'importantes
sujétions aux propriétaires, doit être assoupli, notamment
en ce qui concerne la durée minimale d'ouverture annuelle, et la
sanction en cas de non-respect de la convention.
Les conditions d'ouverture imposées actuellement, -au moins 80 jours par
an- sont très lourdes
10(
*
)
, en termes de charges de gardiennage
et de sécurité, tout en augmentant les risques de vol, dont on
sait qu'ils sont un grave sujet de préoccupation pour les
propriétaires privés.
L'amendement, adopté en première lecture à
l'Assemblée nationale, prévoit un régime
d'exonération de 50 % des droits de mutation pour une ouverture au
public de 30 jours au moins par an, la période de l'année sans
d'ailleurs que soient précisées les modalités -notamment
en terme de saison de l'année - de la durée d'ouverture. Un tel
dispositif paraît raisonnable à votre rapporteur spécial.
Le problème du non-respect de la convention pose de délicats
problèmes juridiques
exposés avec rigueur dans le rapport de
M. Pierre Laffitte, au nom de la commission des affaires culturelles, sur la
proposition précitée.
On peut rappeler que, pour que l'exonération des droits correspondants
à la première mutation soit acquise, il faut attendre le
décès du dernier des signataires, et l'on comprend que beaucoup
hésitent à s'engager pour une durée aussi longue -
compte tenu de l'augmentation de l'espérance de vie - et de
l'importance de la sanction telle que l'interprète l'administration
fiscale, en décalage avec la lettre du texte, à savoir, le rappel
des droits à compter du jour de l'ouverture de la succession
majoré des intérêts de retard.
L'amendement adopté à l'Assemblé à l'occasion de la
proposition de loi Lequiller se contente de prévoir que
l'intérêt de retard serait réduit de 1% tous les ans avec
pour conséquence qu'il ne serait
« plus perçu
d'intérêts de retard pour la période de respect suivant la
dixième année
».
Au-delà du progrès que constitue cette formule, il faut noter
qu'elle consacrerait une interprétation du code général
des impôts manifestement contraire à l'esprit du
législateur, puisqu'elle reviendrait à permettre à
l'administration de bénéficier à la fois de
l'actualisation du prix -à la hausse et pas à la
baisse - et d'intérêts de retard, alors que le texte tend
clairement à faire calculer les droits a compter du jour où la
convention n'est pas respectée aux taux applicables à la
transmission lors de la signature de la convention.
(4) Envisager des transferts mixtes dons et dations de meubles assortis d'un maintien in situ
Le
régime de la dation en paiement d'oeuvre d'art de
l'article 1716 bis du CGI, institué par l'article 2 de la loi
n° 68-1251 du 31 décembre 1968, a permis dans certains
cas, très rares, à permettre le maintien
in situ
d'oeuvres : deux ensembles de tapisseries ont pu ainsi rester dans les
bâtiments qui les abritaient.
Peut-on aller plus loin ? Cela paraît a priori difficile dans la
mesure où
la dation est un mode de paiement de l'impôt
, non
une libéralité. L'État est pleinement propriétaire
des biens et peut donc les affecter où bon lui semble, en tous cas sans
qu'aucune garantie puisse être donnée sur la
pérennité du dépôt.
En revanche, si le transfert était de nature mixte, don et dation,
c'est-à-dire s'il comportait un élément de
libéralité, dont le niveau resterait à définir,
résultant de la prise en compte du bien pour une valeur quelque peu
inférieure à la valeur de marché du bien, les principes
seraient saufs et la question serait selon votre rapporteur spécial,
à réexaminer.
Une telle possibilité devrait être encadrée de façon
stricte et réservée :
• aux biens meubles classés ou inscrits et, éventuellement,
aux ensembles mobiliers classés, ayant pas donné lieu à
indemnité au moment du classement ;
• aux biens situés dans un monument ouvert à la visite au
moins 30 jours par an dans les mêmes conditions que le régime
complémentaire du 795 A précité.