b) Des perspectives inquiétantes pour les Pyrénées

Les transports trans-pyrénéens ont fait l'objet d'une récente étude du conseil général des Ponts et Chaussées 30( * ) , dite « rapport Becker », dont nous présentons ci-après les principaux éléments. Les perspectives semblent inquiétantes.

(1) Un trafic de marchandises en forte croissance et en quasi-totalité routier

La forte augmentation du trafic routier de marchandises trans-pyrénéen s'explique par le rattrapage économique de la péninsule ibérique, dont le volume des échanges avec les autres pays de l'Union européenne a progressé de 1990 à 2000 de plus de 65 %.

Ainsi, le trafic de poids lourds sur les autoroutes transfrontalières a doublé de 1989 à 1998, comme l'indique le graphique ci-après.

Evolution du transport de marchandises trans-pyrénéen entre 1989 et 1998

En millions de tonnes

Source : Conseil général des ponts et chaussées, Les transports à travers les Pyrénées, enjeux et perspectives, mai 2001.

Cette forte augmentation du trafic routier suscite des phénomènes de congestion et de pollution, en particulier près des agglomérations de Bayonne et Saint-Sébastien, de Montpellier et de Bordeaux.

Les axes autoroutiers trans-pyrénéens sont localisés de part et d'autre de la chaîne, dans les corridors littoraux sans tunnel transfrontalier. Ainsi, 96 % du trafic de marchandises utilisant le mode routier passe par les axes du Perthus (A9) à l'est et du Biriatou (A63) à l'ouest, avec respectivement 8.400 et 7.600 camions par jour en l'an 2000 (à titre de comparaison, 2.000 camions traversaient le tunnel du Mont-Blanc avant sa fermeture et 6.000 celui du Fréjus).

Dans les années récentes ont été conclus des accords bilatéraux concernant :

- la réalisation du tunnel routier du Somport ;

- la construction et l'exploitation de la ligne ferroviaire à grande vitesse entre Perpignan et Figueras, accessible aux trains fret, dont la mise en service est prévue pour 2006.

Dans la liste des projets prioritaires arrêtés en 1994 à Essen, le schéma des réseaux transeuropéens a retenu, outre une branche atlantique pour le réseau ferré à grande vitesse, la ligne Perpignan-Figueras.

287 millions d'euros, provenant de l'ouverture du capital des entreprises publiques, doivent être consacrés en 2003 au financement de la part française de la subvention publique prévue par le contrat de concession de cette liaison.

Proposition n° 54. : réaliser rapidement la liaison Perpignan-Figueras.

Le tunnel du Somport

La construction du tunnel du Somport a été décidée par l'accord du 25 février 1991 conclu entre la France et l'Espagne.

Le projet a connu certaines vicissitudes :

- nombreuses manifestations (première occupation du chantier et de ses abords le 27 août 1991) ;

- annulation par le tribunal administratif de Pau de l'arrêté déclarant les travaux d'utilité publique (2 décembre 1992) ;

- report de l'ouverture du tunnel à la circulation, à cause du caractère infructueux de l'appel d'offres européen lancé à l'été 2001 pour désigner un exploitant, et de la réalisation de travaux de sécurité à la suite des catastrophes dans les Alpes (mars 2002).

Selon le conseil général des ponts et chaussées, « l'ouverture du tunnel du Puymorens en 1993 n'a pas eu d'impact sur le trafic poids lourds empruntant cet itinéraire. Le même phénomène pourrait être constaté lors de la mise en service du tunnel du Somport. Actuellement , la RN 134 supporte un trafic plutôt stable de 130 poids lourds par jour à la frontière correspondant à des échanges locaux. Mais aucun élément ne permet de dire aujourd'hui que son ouverture va attirer un trafic nouveau de poids lourds ».

A l'occasion de son déplacement dans le massif des Pyrénées, la mission commune d'information a pu constater le contraste entre l'aménagement routier de part et d'autre du tunnel, la voie d'accès étant en France extrêmement étroite, contrairement au côté espagnol. On ne peut que regretter ce décalage, qui nuit à la coopération entre les deux pays.

(2) Un chemin de fer insuffisamment développé

La structure du réseau ferroviaire est analogue à celle du réseau autoroutier : les deux lignes principales, à doubles voies et électrifiées, empruntent les corridors latéraux et captent la totalité du fret ferroviaire existant et l'essentiel du trafic voyageurs.

Le conseil général des ponts et chaussées estime que « le rôle et la fonction actuels du réseau ferroviaire apparaissent (...) bien modestes au regard de l'importance des échanges et des possibilités qu'on pourrait attendre de ce mode. En 1998, 4,4 millions de tonnes ont été transportés par mode ferroviaire à travers les Pyrénées, principalement en provenance ou à destination de la France et de l'Allemagne. Si l'on reprend la comparaison avec les Alpes, et en particulier les Alpes françaises, force est de constater que la part du mode ferroviaire dans les transports terrestres de marchandises au franchissement de la frontière reste modeste dans les Pyrénées : 6,5 % en fer-fer (10 % côté France, si on ajoute le trafic rail-route) alors qu'elle atteint 20 % sur les Alpes françaises et 34 % sur l'arc Vintimille-Brenner ».

Ce phénomène s'explique par le fait que les infrastructures ferroviaires sont insuffisantes, ce qui provient notamment d'un écartement des rails différent entre la France et l'Espagne. En effet, si pour les voyageurs, l'introduction déjà ancienne des essieux à écartement variable (système Talgo) a permis de surmonter ce handicap, pour les marchandises, il faut encore procéder à des opérations de changement d'essieux ou de transbordement.

Ainsi, selon le conseil général des ponts et chaussées, dans la traversée des Pyrénées, « les camions n'utilisant pas de tunnels à péage ne subissent aucune charge particulière ou aucun délai d'attente qui pourraient en résulter, alors que la même masse de marchandise [la masse par wagon ou équivalent d'un poids lourd] utilisant le mode ferroviaire subit un délai d'attente et doit acquitter une charge de 300 F environ ».

Ce n'est que depuis peu qu'est menée une politique de développement du fret international sur ces corridors, tant en Espagne qu'en France. Ainsi, la SCNF poursuit un objectif de 100 milliards de t.km de fret en 2010, et son homologue espagnole (la RENFE) vise un doublement en cinq ans du transport combiné.

(3) Une saturation inévitable sans rééquilibrage modal ?

Selon le conseil général des ponts et chaussées, l'augmentation rapide des flux de marchandises inter-pyrénéens devrait se poursuivre. Les flux augmenteraient de 110 MT environ, d'ici à l'année 2020.

Le rapport distingue plusieurs scénarios d'évolution des différents modes. Le scénario le plus favorable, privilégié par le CGPC, est ambitieux puisqu'il suppose que les modes ferroviaire et maritime parviennent à améliorer suffisamment leur offre pour accroître leur part modale de manière significative. Dans le cas des deux derniers scénarios (défavorables, soit du fait d'une absence de rééquilibrage, soit du fait d'une hypothèse haute de croissance économique), le trafic de poids lourds sur chacune des deux autoroutes atteint 14.000 à 15.000 véhicules par jour en 2015. Selon le CGPC, « ces trafics sont compatibles avec des autoroutes à 2 x 3 voies, mais ils constituent sans doute une limite supportable qu'il convient de ne pas dépasser ».

Ainsi, la croissance du trafic routier continuerait de s'accroître jusqu'en 2020, avec à cette date un risque de saturation, le seul scénario sans saturation (avec aménagement des autoroutes en 2 x 3 voies) étant celui retenant l'hypothèse de référence de croissance économique, avec rééquilibrage modal.

Ainsi, la mission commune d'information s'interroge sur les moyens à mettre en oeuvre dans les Pyrénées. Sans volonté politique forte, des phénomènes de saturation semblent inévitables.

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