B. DES CONTRAINTES DE FINANCEMENT PLUS FORTES POUR LES PETITES ENTREPRISES
La
caractéristique la plus frappante des comportements d'investissement des
entreprises est leur forte hétérogénéité.
Une des explications les plus souvent avancées tient compte de
l'interaction forte entre la décision d'investissement d'une entreprise
et les conditions auxquelles elle peut se financer, conditions qui
dépendent étroitement de ses caractéristiques propres.
Plusieurs travaux récents traitent explicitement du lien entre
l'investissement et son financement. Duhautois (2001) teste un modèle
théorique de contraintes financières. Cet auteur aboutit à
trois conclusions intéressantes.
-
1) Pour les plus petites entreprises, le taux de marge et le taux
d'intérêt ne jouent pas de la même façon sur
l'investissement dans la période de croissance (1985-1990), où
leur rôle est limité, et dans la période de
récession (1990-1996) où leur influence est forte.
2) D'une façon générale, le rôle de ces variables financières est d'autant plus fort que les entreprises sont petites.
3) Ce rôle est enfin plus important pour les entreprises du secteur tertiaire que pour les entreprises du secteur industriel.
C. LE CANAL DU CRÉDIT SUR LES PETITES ENTREPRISES
Beaudu
et Heckel (2001) s'attachent à étudier l'impact des politiques
monétaires sur l'économie réelle en Europe (dont la
France), via un de leurs canaux de transmission : le canal du
crédit
96(
*
)
. Ce dernier
met en jeu des mécanismes liés à l'existence
d'asymétries d'information sur les marchés financiers et vient
modifier les conditions de financement des agents.
La thèse du canal du crédit prédit que la
sensibilité de l'investissement à l'épargne
(
cash-flow
) va augmenter à la suite d'une période de
restriction monétaire, en particulier pour les petites
entreprises : en période de taux d'intérêt
élevés, certaines entreprises (les plus petites) ne peuvent
s'endetter qu'en payant des primes de risques élevées
97(
*
)
.
Leurs estimations montrent que les réactions de l'investissement aux
conditions de financement sont cohérentes avec les prédictions du
canal du crédit, et que l'impact des chocs monétaires en Europe
par ce canal serait source d'asymétrie entre pays
98(
*
)
et entre entreprises de taille
différentes. Vermeulen (2000) obtient des résultats
équivalents sur un grand nombre de pays européens dont la France
et concluent à une plus grande vulnérabilité des
entreprises allemandes.
A partir des estimations effectuées, Beaudu et Heckel obtiennent une
idée de l'ordre de grandeur des effets macroéconomiques du canal
du crédit, relativement aux effets traditionnels du taux
d'intérêt. Une hausse de 1 point du taux d'intérêt
diminue directement le taux d'investissement de 1,5 % via le canal
classique (baisse de la profitabilité). Quant au canal du crédit
(la prime de risque associée au coût de l'endettement), son impact
est estimé à 3,25 % pour les petites entreprises. Cet effet
serait est donc substantiel, surtout comparé à celui du canal
classique.
Kremp et Stöss
99(
*
)
(2001)
trouvent des résultats semblables qui distinguent les plus petites
entreprises. Ils trouvent qu'en 1995, les petites entreprises françaises
avaient un coût de financement apparent de 7 %, contre 4,4 %
pour les plus grandes ; pour l'Allemagne, ces chiffres sont respectivement de
8 % et 5,8 %. L'ampleur de la « prime » que
paieraient les plus petites entreprises est donc de l'ordre de 2 à
2,5 %.
Au total, de nombreuses études attestent que le coût d'emprunt
varie pour chaque entreprise en fonction de sa taille, de son taux
d'endettement et du taux d'intérêt ambiant de l'économie.
La façon dont le taux d'intérêt subi varie avec
l'endettement de l'entreprise peut dépendre de sa taille (les
modèles de contraintes financières voudraient que l'effet soit
plus fort pour les petites entreprises que pour les grandes) et de
l'année considérée (les mêmes modèles
voudraient que l'effet soit plus fort lorsque la politique monétaire est
restrictive). Dans ces études, le niveau des garanties rend
effectivement compte de différences significatives dans le comportement
d'investissement. La prime de financement qui en résulte pour les
petites entreprises apparaît importante, de l'ordre de 2 % en 1994,
et ce, en dépit de l'assainissement de leur situation financière,
alors qu'elle est inférieure à 1 % pour les grandes
entreprises.