4. Les aspects négatifs de la contractualisation
a) Une dilution de la carte universitaire
Globalement, la participation des collectivités locales
au
développement de l'enseignement supérieur a été
bénéfique ; l'accroissement considérable des
effectifs étudiants de 1988 à 1995 n'aurait pas
été supporté par les établissements d'enseignement
supérieur sans cet effort conjoint de l'État et des
collectivités territoriales. On a par ailleurs assisté à
un net regain d'intérêt des acteurs économiques et
politiques locaux pour l'enseignement supérieur, comme à la
renaissance de l'architecture universitaire, sans dérive excessive des
coûts.
Il reste que ce résultat a été obtenu au prix d'une
certaine dilution de la carte des implantations d'enseignement
supérieur. Il existe aujourd'hui hors Île-de-France 161 sites
accueillant une formation universitaire (université, école
d'ingénieurs, IUT, IUFM) et même 575 si l'on prend en compte les
STS. Aucun point du territoire métropolitain n'est à plus
de 150 kms d'une ville siège d'une université. Le
nombre de villes accueillant des départements d'IUT a quasiment
doublé après université 2000. On a donc très
nettement amélioré l'accessibilité géographique
à l'enseignement supérieur, même si celui-ci reste encore
concentré, puisque moins de 10 % des étudiants sont inscrits
en dehors des sièges d'universités.
Cette dissémination de l'enseignement supérieur, parfois
critiquée, était néanmoins inévitable dans la
mesure où l'accroissement démographique s'accompagnait d'une
nécessaire démocratisation de l'accès à
l'enseignement supérieur. Si l'existence d'une offre de proximité
peut induire des comportements captifs, elle favorise cependant la poursuite
d'études supérieures. Les critiques se sont en particulier
focalisées sur les antennes universitaires qui sont implantées
hors du siège de l'université de rattachement et qui offrent une
ou plusieurs formations supérieures conduisant à des
diplômes nationaux (hors DUT et titres d'ingénieurs). La situation
de ces antennes est variable, leur fréquentation varie de moins
de 20 à plus de 2 500 étudiants, mais
l'appartenance à une antenne semble plutôt être un facteur
de réussite pour le DEUG. Cependant, des interlocuteurs de la mission
ont estimé que le maillage du territoire national était
aujourd'hui suffisant et qu'il devait plutôt être coordonné
et organisé, qu'enrichi par de nouveaux sites.
La mission tient également à souligner que la mise en oeuvre du
plan U2000 a souffert d'une absence de coordination interministérielle
et d'un manque de coordination régionale et interrégionale ;
le recteur et le préfet apparaissent souvent en position de faiblesse
face aux diverses collectivités qui s'engagent dans le contrat de plan.
Au total, force est de constater que les pressions locales se sont
conjuguées, en se contrariant parfois, pour « faire de
l'étudiant »,
via
la création d'antennes
universitaires, de premiers cycles, de départements d'IUT et de STS en
lycée, qui trop souvent se concurrencent en proposant des formations
professionnalisées voisines sans régulation par la centrale,
voire de petites universités de plein exercice très en dessous de
la taille critique, souvent créées par subsidiarité.
Il en est résulté une balkanisation universitaire sans doute
excessive, acceptée d'ailleurs avec la bénédiction des
enseignants-chercheurs soucieux du déroulement de leur carrière,
celle-ci risquant en outre de se traduire, si elle se poursuivait, par un
retour de l'organisation facultaire prévalant avant la réforme
Edgar Faure de 1968, voire à une secondarisation de l'université.
Cette évolution intervient enfin, on l'a vu, dans un contexte de baisse
ou de stabilisation de la démographie étudiante, due certes
à l'évolution des naissances mais aussi à un plafonnement
de l'accès au baccalauréat, alors que les besoins d'encadrement
de notre économie deviendront de plus en plus importants du fait des
départs massifs en retraite de la génération née
après la guerre.
Bref, des pans entiers de notre tissu universitaire fraîchement
implanté risquent d'être désertés dans les
années à venir, et notamment les nouveaux sites
délocalisés concurrencés par les grands centres à
forte tradition universitaire alliant la formation et la recherche et
tournés vers l'extérieur.
Sans méconnaître la légitimité des aspirations
régionales et locales en matière d'enseignement supérieur,
et sauf à voir « couler du béton »
ultérieurement coûteux en termes de fonctionnement et de
maintenance, voire à assister au développement de friches
universitaires, un pilotage d'État minimum reste indispensable pour
définir une politique universitaire et de recherche, selon une carte
universitaire répondant aux besoins à venir et qui commande dans
une large mesure la pratique immobilière des universités.
Dans la perspective d'une décentralisation annoncée de
l'enseignement supérieur, et notamment du bâti immobilier, ces
données devront rester présentes à l'esprit de ses
inspirateurs.
b) L'implantation anarchique des formations courtes professionnalisées
Les
DEUG, DUT, CPGE et STS relèvent depuis la réforme de
l'organisation du ministère d'une même sous-direction de la vie
étudiante et des formations post-baccalauréat, que celles-ci
soient dispensées à l'université ou dans les
lycées ; cette sous-direction comporte un bureau des formations
courtes professionnalisées.
Cette structure administrative est en théorie chargée de la
cohérence du dispositif et notamment des engagements contractuels dans
le cadre du schéma académique des formations post-bac : ce
schéma comporte une carte des formations et un volet orientation ;
à ce titre, le recteur doit veiller à ce que les bacheliers
technologiques soient accueillis prioritairement en STS ou en IUT et non pas
renvoyés vers des enseignements supérieurs longs où ils
sont souvent condamnés à l'échec.
(1) L'implantation des départements d'IUT : une création relativement régulée
Les IUT
accueillent aujourd'hui environ deux tiers de bacheliers généraux
tandis que 50 % seulement des bacheliers technologiques se dirigent vers
ces instituts.
Le fonctionnement d'une première année d'un nouveau
département d'IUT nécessite la création de quatre emplois
d'enseignants et de deux emplois de personnels IATOS. La création d'un
département d'IUT suppose un flux d'étudiants relativement
important, et donc la construction d'un amphithéâtre, alors qu'une
demi-section de STS peut être créée en lycée avec
une douzaine d'étudiants. Les sections de BTS sont réparties
entre 1 800 lycées, alors que 120 000 étudiants
sont accueillis dans les 622 départements des 122 IUT. Dans la
pratique, un département peut être créé avec un
vivier de 25 à 50 étudiants, alors que les plus anciens
« tournent » avec une centaine d'étudiants et que
les plus récents accueillent des effectifs sensiblement
inférieurs.
Les dossiers de création de départements d'IUT sont
« montés » au plan local, soumis
éventuellement à l'avis du recteur et instruits par les
commissions pédagogiques qui contrôlent le contenu et la
cohérence des formations, en fonction des réalités
économiques régionales.
Pour sa part, la commission consultative nationale donne un avis et
définit la carte nationale des IUT : sa doctrine la plus
récente la conduit à refuser de nouvelles implantations locales
créées
ex nihilo
, à renforcer les petits sites
d'IUT existants et à s'opposer à la croissance des Instituts
importants constitués de plus de cinq départements.
Au terme de cette chaîne d'avis, le ministre se prononce sur la
création du département demandé. Dans la pratique, 10
à 15 départements sont créés chaque année,
les « bons » dossiers techniques ou politiques étant
d'ailleurs « signalés » à la commission
nationale qui refuse cependant, selon une règle non écrite, des
demandes répétées sur un même site au cours de la
même année. Les départements créés peuvent
figurer dans le contrat de plan et les villes peuvent s'engager sur leurs
crédits propres.
La mission notera par ailleurs que la commission consultative nationale des IUT
a « donné son feu vert » à une
troisième année d'études dans le cadre de la licence
professionnelle. Un tel allongement peut s'envisager dans le cadre d'un
dispositif 2 + 1 piloté par les IUT, ou d'un système
intégré sur trois ans de type licence universitaire de
technologie, mais est cependant de nature à perturber l'équilibre
existant entre les formations supérieures longues et courtes. Il reste
que les employeurs, mais aussi les directeurs d'IUT, sont divisés sur la
question de l'allongement de la scolarité à trois ans, la
durée actuelle de deux ans répondant aux besoins des chefs
d'entreprise.
Enfin, la centrale prend en compte les conséquences de l'ouverture de
départements d'IUT dans les villes moyennes, notamment au regard de
l'accueil et des conditions de vie étudiante (logement, restauration..)
et a la possibilité de saisir les CROUS.
Les instituts disposent d'un patrimoine dédié et leurs directeurs
bénéficient de dotations budgétaires propres
versées au titre de l'article 33 dérogatoire de la loi de
1984 sur l'enseignement supérieur, qui permettent d'assurer le
fonctionnement et la maintenance de l'IUT.
La mission soulignera enfin l'intérêt d'une mutualisation de la
gestion immobilière des IUT, qui sont des composantes des
universités, car les dépenses de maintenance et de
sécurité peuvent difficilement être assurées par une
seule composante.
(2) La création des STS : le fait du prince rectoral
S'agissant des STS, la décision d'ouverture d'une
section
appartient au recteur qui dispose d'une dotation globale d'heures et de
postes : une cinquantaine de sections sont ainsi créées
chaque année sans autorisation de la centrale.
La prolifération des STS s'explique aussi par le souci des proviseurs de
lycée de mettre en place des classes post-bac conduisant au BTS ;
si ce diplôme est apprécié par les étudiants et les
employeurs, il n'est pour l'instant pas adapté à la poursuite
d'études dans l'enseignement supérieur.
Dans la pratique, les interventions politiques locales conduisent à
abaisser (de 15 à 9) le seuil requis pour la création d'une
STS ; pour leur part, les commissions pédagogiques ont
donné, au cours de l'année, 23 avis favorables pour
53 demandes, la commission nationale ayant donné le même
nombre d'avis favorables ne portant d'ailleurs pas sur les mêmes demandes
d'ouverture : certaines sections peuvent ainsi être
créées, malgré un avis défavorable si elles
bénéficient d'un soutien solide.
Toutes les créations de STS remontent au niveau de la centrale, qui n'a
cependant pas la faculté de s'opposer à la décision du
recteur, la seule limite résultant de la dotation budgétaire qui
lui est attribuée. En revanche, l'ouverture d'une classe
préparatoire aux grandes écoles par le recteur doit être
autorisée par l'administration centrale.
(3) Une absence de coordination nationale et locale
D'une
manière générale, la coordination entre IUT et STS n'est
pas satisfaisante et l'évolution respective du nombre des
départements et des sections se fait sans coordination nationale, ni
d'ailleurs régionale, l'explosion des STS s'expliquant par le fait que
leur création est laissée aux seules mains des recteurs.
On notera enfin que les commissions pédagogiques sont constituées
de professionnels et de représentants des départements d'IUT et
de STS existants, ce qui conduit à un certain malthusianisme de leur
part.
Compte tenu de l'implantation anarchique de ces formations courtes qui se
concurrencent fréquemment au plan local en offrant des enseignements
similaires, et des gaspillages financiers générés par de
trop nombreux doublons, même si deux-ci résultent souvent des
pressions locales, la mission ne peut que souhaiter une coordination plus
sérieuse des initiatives au niveau de la centrale et des régions
et un renforcement du rôle des commissions pédagogiques.
c) Une surenchère entre les collectivités territoriales
La
recherche de cofinancements, conjuguée au fait que l'ensemble des
chapitres budgétaires consacrés aux constructions universitaires
sont contractualisés dans les contrats de plan, a eu sans doute
également pour conséquence d'infléchir la
répartition des crédits au détriment d'opérations
ne correspondant pas forcément aux priorités des contractants
territoriaux. Le rapport du Sénat sur les troisièmes contrats de
plan État-régions a ainsi reproché à l'État
de « mettre aux enchères » ses crédits entre
les régions.
La répartition n'a pas été optimale :
l'Île-de-France n'a pas bénéficié de crédits
correspondant à ses besoins alors que, dans un souci d'équilibre
global des contrats de plan, l'État a dû consentir dans certaines
régions des efforts peut-être pas toujours nécessaires. Les
universités de sciences humaines et sociales, malgré de grands
progrès, n'ont pas toujours été favorisées. Les
collectivités locales ont préféré logiquement
financer les constructions neuves que les restructurations et
réhabilitations.
Il reste que le risque d'une ingérence des collectivités locales
dans le fonctionnement des universités, en contrepartie de leur
financement, ne paraît pas fondé. Tout au plus peut-on reprocher
dans certaines régions aux autorités universitaires
« d'être à la remorque » de querelles ou de
rivalités entre villes proches, alors qu'il serait nécessaire de
rechercher des complémentarités plutôt que des concurrences.
A cet égard, on peut constater que la situation s'est même
nettement améliorée depuis le début des contrats de
plan : il est plus difficile aujourd'hui à un universitaire ou
à une équipe isolée de négocier directement son
projet avec les collectivités territoriales, sans que la demande
transite par l'université. Les présidents d'université,
surtout en région, sont des autorités reconnues par les
responsables locaux. Enfin, la conjonction des deux politiques contractuelles,
celle de l'État avec ses établissements et celle de l'État
avec les régions, a permis le plus souvent de dégager de vraies
priorités et de donner en matière de recherche et de formation
professionnelle une identité plus forte à l'université.
Au total, la coopération entre l'État et les collectivités
territoriales pour le développement de l'enseignement supérieur a
engendré des progrès notables : elle a permis de faire face
à l'afflux des étudiants, elle a réconcilié les
décideurs politiques et économiques avec l'université,
elle a réintroduit l'université au coeur même de la vie
urbaine.