I. LA QUESTION DU FINANCEMENT
La
réflexion engagée récemment la demande du gouvernement
concerne à juste titre le financement : c'est sur cette question
d'abord que s'est exprimée l'inquiétude des professionnels et,
quels que soient les autres ajustements à apporter au système de
soutien, il est nécessaire d'éviter un décrochage
financier qui mettrait en péril l'existence de pans entiers de la
production, de la distribution et de l'exploitation cinématographiques.
Cela posé, les ressources nouvelles potentiellement mobilisables du
côté des opérateurs de télévision et des
éditeurs vidéo pour alimenter le compte de soutien, même
complétées par la création de fonds régionaux ou le
déplafonnement des Soficas, représentent des masses
financières d'un volume limité. Elles apparaissent d'autant plus
insuffisantes pour peser, à elles seules, sur les évolutions en
cours, qu'elles seront en partie absorbées par l'inflation des
coûts, qu'elles contribuent de ce fait à entretenir.
Il semble dès lors souhaitable d'inciter les professionnels à
accompagner les mesures qui seront prises pour élargir et diversifier
les financements du cinéma, par le réexamen d'un certain nombre
de dispositions, notamment celles qui concernent l'utilisation du compte de
soutien
. Même si chacun sait que les réformes en ce domaine ne
seront pas faciles à mettre en oeuvre.
Ainsi, il ne serait pas absurde d'envisager de
moduler une partie du soutien
automatique, en la bonifiant
en fonction des conditions de son affectation,
lorsque cette affectation correspond à un des objectifs
économiques ou culturels posés par les Pouvoirs
publics
114(
*
)
. Par exemple, si
l'un de ces objectifs concerne le renforcement de la production
indépendante, la part du soutien automatique mobilisé par un
groupe intégré sur une production nouvelle, pourrait être
bonifiée si cette production est portée par un producteur
indépendant.
Plus généralement, le clivage de plus en plus marqué entre
l'économie des films chers à vocation commerciale et celle des
films d'auteur à petit budget devrait conduire à explorer des
modes d'intervention spécifiques.
1. Inciter les investisseurs à participer au financement du cinéma commercial 115( * )
Les
possibilités de plus value des investissements dans le cinéma
justifient la mise en place de mesures visant à associer de nouveaux
partenaires financiers à la production et à la distribution des
films, et à encourager la prise de risque commercial.
Les faiblesses du cinéma français sont en effet dues, pour une
large part, à ce qu'il est financé en vase clos. Les
préfinancements accessibles auprès des chaînes de
télévision et du CNC permettent à des producteurs qui
disposent de peu de fonds propres de n'avoir à prendre que des risques
financiers limités, en se contentant d'une rentabilité
réduite. Ce qui, en cas de sous-financement, aboutit à sacrifier
des dépenses pourtant essentielles, dans le développement, la
réalisation et l'exploitation du projet. Or ce sont ces postes qui, pour
un investissement relativement faible au regard du coût de la production,
contribuent de manière déterminante au succès d'un
film
116(
*
)
.
Sortir d'une logique de préfinancement, c'est à dire non pas minimiser les risques mais maximiser les perspectives de profit en finançant un film en fonction de son potentiel commercial, suppose l'intervention d'investisseurs.
Un
telle intervention n'est pas seulement nécessaire pour compenser le
tassement attendu des apports financiers de la télévision dans le
financement de la production, ou pour éviter que la tendance des
chaînes à « produire pour la
télévision » réduise progressivement la
diversité et la créativité du cinéma
français, au profit des standards dominants du moment. Elle constitue un
moyen de rapprocher l'industrie cinématographique française du
marché, et de l'adapter aux nouvelles perspectives de
développement du secteur.
L'enjeu n'est pas de faire basculer l'ensemble de la production
cinématographique dans une logique de rentabilité commerciale. Ce
n'est ni possible, ni souhaitable. Il s'agit de mieux valoriser ce qui peut
l'être.
Les propositions concernant la réforme et la modernisation du
régime des Soficas, ainsi que la possibilité de faire migrer une
partie de leurs financements vers l'amont (l'écriture) et vers l'aval
(la distribution), vont dans ce sens.
D'autres mécanismes, accompagnés ou non d'incitations fiscales,
sont sans doute aussi à étudier sur la base des
expériences étrangères :
• L'extension au secteur audiovisuel de dispositifs qui existent
déjà dans d'autres secteurs liés à l'innovation
technologique
, permettant aux entreprises de disposer de fonds propres
suffisants pour développer leur activité sur plusieurs
années, à l'image de se qui se pratique dans de nombreux pays
étrangers, comme la Grande -Bretagne.
• La mise en place, sous le contrôle éventuel de l'IFCIC, de nouveaux produits financiers, comme des fonds communs de placement indexés sur les résultats de l'exploitation en salle, des fonds de capital-risque finançant le développement des projets ou les frais de sortie, ou des fonds d'investissement intervenant dans le financement des droits de second marché au delà de ce qui est aujourd'hui financé par les diffuseurs et les Soficas, ...
Une
telle action pourrait s'appuyer sur les dispositions prises récemment
par la
Banque européenne d'investissement
à l'initiative
de la Commission européenne, en faveur de l'investissement dans
l'audiovisuel et les nouvelles technologies.
• Enfin, il faut poser de manière claire la question de savoir si,
à partir du moment où l'on veut élargir le financement de
la production, il n'est pas opportun
d'ouvrir l'accès au compte de
soutien aux filiales françaises des sociétés
étrangères, américaines en particulier, quand elles
produisent des films français
117(
*
)
. Cette question,
évoquée de façon récurrente par les professionnels,
se pose dans des termes nouveaux dans une période où on assiste
à une délocalisation croissante de la production
américaine
118(
*
)
.
2. Définir des politiques spécifiques de soutien aux films qui n'ont pas vocation à se situer d'emblée dans un projet commercial.
Le
cinéma de création représente une composante essentielle
du cinéma français. Il est un des principaux vecteurs de
l'influence culturelle de la France à l'étranger. Il constitue
aussi l'espace où se forment les réalisateurs du cinéma
grand public de demain.
Cette position apparaît aujourd'hui fragilisée, en premier lieu
par des insuffisances de financement - non pour produire des films, mais pour
les produire dans des conditions cohérentes. Mobiliser des ressources
alternatives pour le cinéma commercial, permettrait de libérer
plus de moyens pour l'innovation et la prise de risque artistique.
Mais le principal problème rencontré par ce type de films est
celui de leur exposition. Ce problème peut être abordé
à trois niveaux :
• Celui de la diffusion télévisée. Arte, en France, comme la BBC ou Channel Four en Grande Bretagne, ont développé une politique de production alternative pour la création cinématographique, qui repose sur la diffusion à la télévision, mais qui n'exclut pas une présentation dans les festivals de cinéma, voire une exploitation en salles, quand elle se justifie. L'importance des enjeux dans ce domaine, doit conduire à engager un débat entre les professionnels sur la question de savoir si le moment n'est pas venu d'introduire des possibilités de dérogation dans la chronologie des médias, en fonction de la nature et des conditions d'exploitation des films.
•
Celui de l'exploitation en salle. Il serait souhaitable d'encourager les
exploitants à s'engager auprès des distributeurs sur des
durées minimales de présentation des films,
éventuellement en partenariat avec des collectivités locales ou
avec des fondations et, plus généralement, de favoriser la mise
en place de dispositifs permettant à des films qui ont eu une exposition
limitée lors de leur sortie dans les salles commerciales, de trouver
leur public autrement (centres culturels ; circuits universitaires..).
• Celui de l'exploitation en DVD. Les nouvelles formes d'édition
vidéo représentent, à plus ou moins long terme, une
possibilité d'accès au public pour des films marginalisés
par les contraintes de l'exploitation en salles, voire par celle de la
diffusion télévisée. Encore faut-il que se soit
préalablement mise en place la logistique de distribution et de
commercialisation indispensables. Les entreprises concernées par cette
activité de niche trouveront difficilement leur équilibre
économique si elles ne bénéficient pas d'un soutien des
pouvoirs publics dans la phase actuelle d'émergence du marché.