V. UNE POLITIQUE DE RÉDUCTION DES RISQUES AUJOURD'HUI INADAPTÉE AUX NOUVEAUX MODES DE CONSOMMATION

A. LES IMPASSES DE LA POLITIQUE DE RÉDUCTION DES RISQUES

1. La réduction des risques, fondement de la politique de soins aux toxicomanes

a) La naissance d'un concept

« Trop longtemps (...) la drogue a été perçue avant tout comme un problème d'ordre public. (...) Cependant, chacun a en mémoire que le sida a, dans ce domaine comme dans d'autres, profondément modifié notre perception à tous. Avant 1985, les échecs fréquents du sevrage chez les toxicomanes donnaient aux médecins un sentiment d'impuissance, partagé par les pouvoirs publics. Or, le drame du sida nous a obligés à nous engager dans des actions de réduction des risques pour éviter l'hécatombe . Dès lors, on n'a plus considéré le drogué comme un délinquant, mais comme le maillon de la chaîne de l'épidémie et de la transmission. Nous avons été amenés à proposer des traitements de substitution d'abord, mais aussi de l'infection au VIH et plus récemment des hépatites C. Dès lors, je crois que nous avons quitté les débats idéologiques et que la drogue est devenue un problème de santé publique. »

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, a rappelé en ces termes, devant la commission, la genèse de la politique de réduction des risques.

A titre liminaire, et au plan sémantique, la commission tient à souligner le caractère politique de ce concept qui apparaît pour beaucoup d'intervenants comme une réalité intangible, alors qu'il ne constitue qu'une modalité annexe du traitement et de la lutte contre la toxicomanie.

Au-delà de l'objectif de santé publique de réduction des risques infectieux, cette politique s'attache à atténuer les autres problèmes sanitaires et sociaux résultant aussi bien de l'usage que de la recherche de drogues.

La politique de réduction des risques répond ainsi à une « philosophie » de prise en charge qui se décline en deux dispositifs complémentaires : la réduction des risques au sens strict du terme et les traitements de substitution.

On rappellera que les crédits d'État consacrés à la politique de réduction des risques s'élevaient à 14,6 millions d'euros en 2002, contre 9,5 millions d'euros en 1997.

b) Le dispositif de réduction des risques au sens strict

La politique de réduction des risques au sens strict repose sur un dispositif visant à faciliter l'accès au matériel d'injection et à diffuser des messages préventifs dans une population à haut risque.

Cette politique a été engagée en 1987 avec le décret de mise en vente libre de seringues en pharmacie, signé par Mme Michèle Barzac, alors ministre de la santé. Le dispositif est aujourd'hui élargi ; il est pour l'essentiel financé par l'État, et de manière complémentaire par l'assurance maladie par le biais du Fonds national de prévention, d'éducation et d'information sanitaire.

Différents acteurs participent au dispositif : les équipes de structures de soins spécialisés, les opérateurs associatifs nationaux (Médecins du Monde, les associations qui gèrent les distributeurs automatiques de seringues et celles qui regroupent des professionnels et des associations d' « autosupport » des usagers tels que ASUD), les opérateurs associatifs locaux, les pharmaciens qui vendent les Stéribox et les médecins généralistes.

• La vente libre de seringues en officine

Le Stéribox pharmaceutique (Stéribox à partir de 1994, puis Stéribox 2 depuis 1999) est vendu à un prix modique (environ un euro) grâce à une subvention de l'État. De 1996 à 1999, les ventes de Stéribox ont régulièrement augmenté jusqu'à atteindre 2,8 millions d'unités. On rappellera que la distribution de préservatifs à prix réduit (50 millions d'unités vendues par an) procède de la même politique.

• Les automates

Les distributeurs automatiques (277 en 2001), accessibles à toute heure, récupèrent les seringues usagées et délivrent des trousses de prévention. Ces trousses sont distribuées gratuitement par des associations subventionnées, dans le cadre de leur action de prévention du VIH ou de la réduction des risques chez les usagers de drogues. Elles contiennent notamment une brochure informative et les numéros verts de sida Info Service et Drogues Info Service.

L'implantation des automates, qui peuvent être financés totalement par l'État, relève de la compétence des maires. Si ces distributeurs sont nécessaires en cas d'urgence, il convient de se demander si un tel système d'échange «passif »  peut remplacer un contact direct entre le toxicomane et un pharmacien, un médecin ou une association.

• Les programmes associatifs d'échange « actif » de seringues

Le premier programme de ce type a été mis en place par l'association Médecins du Monde en 1989. M. Jean-Pierre Lhomme, responsable des missions « échange de seringues » et « bus méthadone » de cette association, a indiqué lors de son audition : « Ces programmes d'échanges de seringues participent à la diminution des dommages sur le plan infectieux et conduisent, par l'échange actif entre les équipes de prévention et les usagers de drogue, à un éloignement de la voie intraveineuse. »

D'après l'OFDT 104 ( * ) , plus d'une centaine de ces programmes ont été mis en place dans des lieux fixes (associations, pharmacies) ou mobiles (bus, équipes de rue).

NOMBRE ET TYPE DE DISPOSITIFS DE RÉDUCTION DES RISQUES EN 2001

Nombre de programmes d'échange de seringues fonctionnant :

- dans des pharmacies

15

- dans des structures mobiles

40

- dans des structures spécialisées fixes

41

Nombre de « lieux de contact » ou boutiques

42

Nombre de « sleep'in »

2

Nombre de bus méthadone

2

Nombre d'équipes de proximité

4

Source : DGS/D6A

• Les boutiques créées en 1993, accueillent les usagers de drogues en situation très précaire : 42 fonctionnaient en 2001. Ces lieux de contact proposent l'échange des seringues, une assistance matérielle (douche, aide alimentaire...), des soins infirmiers et des conseils sociaux et juridiques.

• Les « sleep'in » offrent un hébergement de nuit en urgence pour les toxicomanes en situation de grande précarité ainsi qu'un accès à des consultations sanitaires et sociales. En 2001, on comptait deux structures de ce type de 30 places à Paris et à Marseille, deux autres étant actuellement en cours d'installation dans la capitale et à Lille.

• Le testing est un dispositif mis en place dans les soirées « rave » en particulier, pour tester les pilules d'ecstasy.

M. Jean-Pierre Lhomme a indiqué à la commission : « Il est clair que si ce testing, qui a été tellement critiqué, consiste à dire : « Ceci est bon, ceci est mauvais », ce sera complètement nul ! Cependant, je ne pense pas que l'activité de Médecins du Monde soit celle-là. Tout le travail de nos intervenants consiste à bien expliquer les choses en disant : « Le produit que tu prends a des effets toxiques. » ».

Ce dispositif a laissé la commission perplexe quant au rôle de prévention des équipes de Médecins du Monde et quant au message préventif qui est susceptible d'être délivré dans les « raves ». Le « testing » ne peut en tout état de cause pas être la seule action visible des pouvoirs publics dans les « raves ». Ces lieux sont en effet pour les dealers des « espèces de supermarchés vitrines marketing » , selon les termes utilisés par M. Nicolas Sarkozy, lors de son audition.

La commission ne peut que partager les propos tenus par le ministre qui s'est étonné que « l'on n'ait pas fait une fois un exemple en matière de répression sur une rave party, en faisant descendre l'escadron de gendarmerie nationale pour saisir le stock de drogues s'y trouvant ». En ce domaine, l'action des pouvoirs publics ne saurait se réduire au seul financement des associations qui se bornent à contrôler la qualité des produits vendus.

• Le plan triennal de lutte contre la drogue et de prévention des dépendances, adopté pour la période 1999-2001, outre le développement des structures de « première ligne » (sleep'in et boutiques), propose de renforcer les équipes, afin d' « éviter l'épuisement des professionnels et la détérioration des conditions d'accueil » , les acteurs de terrain étant en effet souvent les seuls en mesure de maintenir un lien avec les usagers de drogues actifs les plus réfractaires aux institutions.

Il met également l'accent sur une répartition plus satisfaisante du dispositif sur le territoire national, étant rappelé que 70 villes de plus de 40.000 habitants, sur un total de 160, ne disposaient d'aucun programme en 1999.

Force est de cependant de constater que l'ouverture de ces lieux est souvent mal acceptée par les riverains, réticents au regroupement en un seul lieu de toxicomanes en difficulté et marginalisés. Les équipes de proximité sont ainsi appelées à jouer un rôle de médiateur indispensable entre les riverains, le maire, les services de justice, de police et de santé : cinq équipes ont été créées à ce titre à Marseille, Montpellier et Paris.

c) Les traitements de substitution

« Le coût de l'achat d'héroïne, qui génère de nombreux délits, mais surtout la nécessité de prévenir l'épidémie de sida, ont conduit à la mise en place d'une politique de prévention axée sur la mise à disposition des nouveaux produits » constate le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques 105 ( * ) . Devant la commission, M. Jean-François Mattei a estimé ce choix « parfaitement judicieux » .

On rappellera que les traitements de substitution ont été mis en place progressivement à partir de 1994 et se sont développés de manière considérable en direction des consommateurs d'opiacés.

Si une cinquantaine de consommateurs seulement était prise en charge par substitution en 1995, les derniers chiffres fournis par la DGS à la commission indiquent que « les dernières estimations établies à partir des ventes de Subutex et de méthadone font état de 96.000 (équivalents) patients sous traitement de substitution, soit 13.400 sous méthadone et 83.000 sous Subutex (sous l'hypothèse d'une dose quotidienne de 65 mg/jour de méthadone et de 8 mg/jour de Subutex). Au regard de la hausse de la prescription moyenne constatée par les études de l'assurance maladie, les estimations doivent être revues à la baisse et donneraient un total de 75.000 patients sous traitement de substitution en juillet 2002. Le chiffre réel se situe donc entre 75.000 et 96.000 patients bénéficiant de traitements de substitution. »

Le tableau ci-après récapitule les diverses procédures de prescription de la méthadone et de la buprémorphine, ou Subutex.

LE CADRE RÉGLEMENTAIRE DES TRAITEMENTS DE SUBSTITUTION EN FRANCE

Modalités

Buprémorphine
(Subutex)

méthadone

Date d'entrée en vigueur effective

Début 1996

1994

Critères d'inclusion

Dépendance aux opiacés évaluée par le praticien

Dépendance aux opiacés évaluée par le praticien + contrôle urinaire (recherche d'opiacés, hors méthadone)

Prescription

Initiation et suivi en médecine de ville ou en CSST

Primo-prescription et poursuite du traitement en cours possibles en milieu carcéral

Initiation en CSST puis possibilité de suivi en médecine de ville

Primo-prescription possible en milieu carcéral si CSST interne ou externe

Poursuite du traitement en milieu carcéral

Initiation du traitement en milieu hospitalier envisagée

Durée maximum de la prescription

28 jours

14 jours

Posologie

Recommandation maximum 16 mg/jour mais pas de contrainte

Recommandation maximum 100 mg/jour mais pas de contrainte

Délivrance

Délivrance en pharmacie dans tous les cas

Délivrance fractionnée par période maximale de 7 jours avec la possibilité pour le médecin de demander que le traitement soit délivré en une seule fois pour une période de 28 jours maximum

Administration supervisée en CSST ou remise du médicament jusqu'à 14 jours

Fractionnement maximal de la délivrance en pharmacie à 7 jours

Contrôles urinaires

Non prévus

1 ou 2 fois par semaine pendant les 3 premiers mois puis 2 fois par mois. A l'appréciation du médecin si suivi en ville

Toujours réalisé au CSST

Paiement des soins

Droit commun si suivi en ville

Gratuité puis droit commun si relais en ville

Source : DGS

En raison de la relative facilité d'accès au Subutex, un déséquilibre s'est progressivement établi en faveur de ce dernier, qui est utilisé aujourd'hui pour 75 % des traitements de substitution. En effet, la méthadone, moins maniable et présentant un certain risque de surdose létale, ne peut être prescrite la première fois que dans un CSST. Bien que le traitement puisse être poursuivi en médecine de ville, cette possibilité est peu utilisée, de sorte que les patients restent suivis dans les centres au détriment de l'accueil de nouveaux patients. L'expérience des bus méthadone de Médecins du Monde autorise un accès plus aisé et sécurisé au produit, conformément à l'esprit de la politique de réduction des risques et d'aide sanitaire et sociale aux toxicomanes.

LES BUS MÉTHADONE

Les bus méthadone sont un dispositif de « seuil à exigence adaptée » servant à faciliter l'accès à la méthadone dans le cadre d'une démarche de substitution et de prise en compte des problèmes sociaux. Il en existe un à Paris depuis 1998 et un à Marseille depuis 2000.

M. Jean-Pierre Lhomme, responsable de ce dispositif, a ainsi justifié sa création devant la commission : « L'accès à la substitution par la méthadone ne nous semblait pas assez souple, ou le cadre nous semblait parfois trop exigeant au regard des possibilités du moment, pour certains usagers de drogues que nous rencontrions dans notre structure de proximité : le programme d'échange de seringues. Les exigences imposées alors pour l'accès à la substitution par la méthadone semblaient trop fortes à ces usagers rencontrés et la buprémorphine au dosage d'accès plus facile, proposée dans un cadre trop lâche pour ces mêmes usagers, facilitait chez eux les mésusages bien connus : infection, trafic, etc. C'est dans ce sens que le programme de méthadone dans la rue, le programme « bus méthadone » a été imaginé : accès à la méthadone plus rapide dans la journée, délivrance quotidienne sur des lieux précis, avec une équipe pluridisciplinaire, un cadrage précis et des règles de fonctionnement claires. »

Ce dispositif itinérant vise donc à susciter la demande en allant au devant des usagers, afin de faciliter l'accès aux circuits thérapeutiques et sociaux pour un public fortement marginalisé. D'après les indications fournies à la commission, entre 100 et 120 usagers de drogues y ont recours chaque jour.

On rappellera également que le plan triennal de 1999 a cherché à réduire les disparités entre les deux produits en termes de durée et de modalités de prescription, de suivi et de délivrance. Les acteurs concernés ont ainsi été invités à réexaminer les protocoles d'application respectifs pour définir des orientations plus adaptées.

Depuis l'arrêté du 20 septembre 1999, relatif à l'application de la réglementation des stupéfiants à certains médicaments à base de buprémorphine, la délivrance maximale de cette dernière a été fractionnée par périodes maximales de sept jours avec la possibilité, pour le médecin, en cas de nécessité, de demander que le traitement soit délivré en une seule fois pour une période de 28 jours maximum. Pour sa part, l'arrêté du 8 février 2000, relatif au fractionnement des médicaments à base de méthadone, fixe l'extension de la durée de prescription de 7 à 14 jours, mais limite à 7 jours sa délivrance en pharmacie.

Force est de constater que le rééquilibrage attendu est pour l'instant resté lettre-morte.

2. Des résultats incontestables en termes de santé publique

a) La réduction des décès par overdose

Outre la diminution des nuisances liées à la consommation de drogue et à des violence qui y sont associées, la politique de réduction des risques a permis une indéniable amélioration de l'état sanitaire de la population toxicomane . L'effet le plus visible des traitements de substitution a d'abord été la diminution sensible du nombre de décès par overdose , ainsi que l'a souligné M.  Jean-François Mattei, lors de son audition : « Probable conséquence du développement important de la substitution, les surdoses mortelles ont chuté de 75 % entre 1995 et 1999. Elles sont actuellement stabilisées aux alentours de 120 par an ».

Dans le même sens, M. Jean-Pierre Lhomme s'est également félicité des résultats de cette politique devant la commission : « Les impacts de traitements de substitution se mesures à la réalité des chiffres. On note à cet égard que le nombre d'overdoses a diminué de 84 % entre 1995 et 2001 . »

b) Une action à poursuivre contre la transmission du VIH et surtout de l'hépatite C

La politique de réduction des risques a enregistré des résultats positifs en ce qui concerne l'infection par le VIH.

NOUVEAUX CAS DE SIDA DÉCLARÉS CHEZ LES USAGERS DE DROGUES
ENTRE 1992 ET 2002

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000*

2001*

2002*

1 493

1 376

1 317

962

423

346

326

244

231

166

* Données redressées Source : DGS

On notera ainsi que la prévalence de l'infection par le VIH chez les usagers de drogue par injection, prise en charge pour la première fois par un CSST en 1999, n'était plus que de 13 %. Ce résultat a été obtenu, d'une part, grâce aux actions de réduction des risques qui ont permis aux toxicomanes de se procurer facilement un matériel stérilisé en limitant les échanges de seringues, et, d'autre part, grâce aux traitements de substitution qui ont permis de réduire de manière importante la consommation par voie intraveineuse.

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, a ainsi indiqué à la commission : « La transmission du VIH parmi les toxicomanes s'est considérablement ralentie. La prévalence a été divisée par deux entre 1998 et 2002, passant de 40 à 20 %. Plus encourageante encore, une enquête très récente vient de retrouver une prévalence nulle chez les jeunes toxicomanes de moins de 30 ans. C'est donc une preuve éclatante de l'efficacité de la politique qui a été choisie et conduite. »

La commission observe, en revanche, que les résultats sont beaucoup plus mitigés pour l'hépatite C (VHC). Toutes les études montrent en effet que la prévalence du VHC reste élevée parmi les usagers de drogues (entre 50 et 73 %). L'étude la plus récente, bien que circonscrite à la ville de Marseille, situe la prévalence biologique du VHC à 72,6 %, alors que la prévalence du VIH y est de 20 %.

M. Jean-François Mattei en est convenu devant la commission : « Il faut améliorer la prévention de l'hépatite C. La réduction des risques si efficace sur le VIH vient se heurter à ce virus, dix fois plus contagieux et qui survit mieux sur le matériel d'infection. L'hépatite C infecte encore 40 % des toxicomanes de moins de 30 ans, c'est beaucoup trop. Un renforcement des actions de prévention en direction des usagers de drogues est prévu en 2003. (...) Contrairement au VIH, le traitement de personnes infectées par l'hépatite C reste encore insuffisant, en raison des réticences des patients. Il faut, et c'est un point sur lequel mon ministère va s'appliquer, veiller à une meilleure coordination entre le dépistage et la prise en charge thérapeutique dans le cadre des réseaux de soins toxicomanie ville-hôpital. »

Le dispositif actuel de prévention et de soins pour l'hépatite C apparaît ainsi très insuffisant dans le cas des usagers de drogues par voie intraveineuse. Les données fournies par le dispositif de surveillance épidémiologique pour l'hépatite C permettent de connaître depuis 2000 la proportion de toxicomanes parmi les personnes dépistées et prises en charge pour hépatite : en 2001, les usagers de drogue représentaient 36 % des nouvelles personnes dépistées au VHC. Le nombre de nouveaux cas de contamination au VHC chez les usagers de drogue par injection se situe chaque année entre 2.700 et 4.400 d'après les derniers travaux de l'Institut national de veille sanitaire (INVS).

c) Un contrôle sanitaire et social accru des toxicomanes

La politique de réduction des risques a également permis de développer un contrôle sanitaire et social plus efficace des consommateurs de drogues.

M. François Hervé, président de l'Association nationale des intervenants en toxicomanie (ANIT), a ainsi indiqué, lors de son audition: « Ce sont en fait des structures de première ligne qui ont montré leur capacité à aller au-devant des plus exclus et constituent une passerelle vers le soin. Ces structures doivent sortir de leur précarité actuelle pour être reconnues et pleinement intégrées dans le système de soins ».

Les programmes d'échange de seringues permettent d'engager un travail d'éducation sanitaire et donc de prise en charge de leur santé par les toxicomanes , comme l'a indiqué M. Jean-Pierre Lhomme à la commission : « S'il devient évident et naturel de se protéger contre les virus et les bactéries, cette responsabilisation est opérante et il devient alors plus envisageable de se soucier des effets nocifs des produits ou des drogues que l'on consomme et de s'interroger sur son fonctionnement addictif. (...) Cette prise en compte de son corps chez l'usager de drogues est opérante et productive en termes d'entrée dans le soin non seulement sur le plan somatique mais également sur le plan de la toxicomanie. (...) C'est l'intérêt de prendre les gens où ils en sont, dès le début, et même avant, et de procéder de cette manière en leur proposant des modalités d'entrée dans le soin à la mesure de leur intentionnalité de soins. Si on ne propose que la prévention primaire et, de l'autre côté, le sevrage, il est vrai que l'on rate des choses. »

Il a été indiqué à la commission que 42 % des personnes prises en charge dans le cadre des bus méthadone de Médecins du monde engagent pour la première fois par ce biais une démarche de soins. En prenant en compte la dépendance des usagers, la politique de réduction des risques permet en effet d'entrer en contact avec les plus marginalisés et les plus vulnérables et de leur proposer une offre adaptée de soins et de réinsertion.

La politique de substitution, par son mode d'accès organisé et sécurisé au produit, permet aux intéressés de retrouver d'autres motivations que celle de la seule recherche, de reprendre peu à peu une activité sociale et d'engager une démarche de réinsertion. On notera à cet égard que seulement 4 % des usagers pris en charge par les dispositifs de soins sont actuellement sans logement, ce qui constitue un point positif compte tenu de la marginalisation fréquente des toxicomanes.

Cependant, ces progrès non négligeables enregistrés dans la situation sanitaire et sociale des toxicomanes ne doivent pas occulter les dérives et les conséquences négatives d'une politique de substitution qui doit nécessairement s'articuler avec une politique de prévention primaire et de sevrage.

3. Les carences de la politique de réduction des risques et les effets négatifs induits

a) Le Subutex : une utilisation détournée

Le premier effet pervers résulte du déséquilibre déjà évoqué entre la méthadone et le Subutex dans les traitements de substitution. La prescription excessive du Subutex est à l'origine d'un trafic de ce produit et du détournement de son usage . De nombreux interlocuteurs de la commission ont insisté sur ce point, notamment lors de son déplacement à Valenciennes, ce qui l'a conduite à demander des informations complémentaires à la MILDT et à la CNAMTS.

On rappellera que la CNAMTS publie chaque année les résultats de l'exploitation nationale des données issues du codage des médicaments (MEDIC'AM) : les données fournies depuis 1999 révèlent une évolution importante des quantités remboursées (nombre de boîtes) de Subutex (+ 15,4 % entre 1999 et 2000 et + 6,9 % entre 2000 et 2001), sans que ces chiffres se justifient par une augmentation du nombre des toxicomanes.

Le rapport TREND 2002 (non encore publié) fournit des indications sur l'accessibilité au Subutex et à sa disponibilité. Force est de constater que le Subutex est un produit très accessible car on peut l'acquérir aussi bien sur prescription médicale que dans la rue. La vitalité de son marché parallèle peut s'expliquer par une demande soutenue émanant, d'une part d'une population très marginalisée, notamment en situation irrégulière au regard du séjour, qui n'a pas ou ne souhaite pas avoir accès au système de soins ; d'autre part, de personnes insatisfaites du dosage de leur traitement qui s'approvisionnent dans la rue pour le compléter.

Ce marché parallèle est également soutenu par l'offre : une part non négligeable de la population impécunieuse en traitement a tendance à revendre une partie du produit prescrit afin de se procurer d'autres substances ou « d'améliorer l'ordinaire » ; enfin, la facilité pour obtenir une prescription de Subutex auprès de certains médecins tend à favoriser le développement d'un véritable « nomadisme médical ».

Du fait de cette disponibilité croissante, le prix moyen du comprimé de Subutex de 8 mg tend à diminuer sur le marché parallèle : il était de 3,81 euros en 2001 et de 3,25 euros en 2002. Ce prix au marché noir oscille entre 1,5 euro à Paris et en Seine-Saint-Denis et 10 euros à Dijon.

L'importance de ce trafic clandestin, alimenté par les multi-prescriptions, est cependant difficile à évaluer : selon les résultats de la 14 e enquête OPPIDUM réalisée en octobre 2002, le « deal » comme moyen d'obtention du Subutex varie de 1 % pour les patients sous protocole Subutex à 61 % pour les toxicomanes hors protocole. D'autres études ont tenté d'évaluer la proportion de comprimés de Subutex vendus au marché noir : celle de l'INSERM réalisée en 2000 estime que le tiers des comprimés est obtenu sur le marché parallèle.

Les enquêtes OSIAP (ordonnances suspectes indicateurs d'abus possible) menées de 2000 à 2002 indiquent en revanche peu de signalements d'ordonnances falsifiées concernant le Subutex : les prescriptions de Subutex peuvent en effet être obtenues aisément sans falsification des ordonnances (recours à plusieurs prescriptions ou « nomadisme médical », augmentation des posologies prescrites).

On notera par ailleurs que, depuis 1999, les services répressifs signalent les interpellations pour usage et usage-revente de médicaments de substitution. Ces services ont relevé, en 2000, 151 interpellations pour usage ou usage-revente de buprémorphine et 28 interpellations pour la méthadone.

On ajoutera que les formes de « mésusage » et leur fréquence peuvent varier selon les modalités d'utilisation du Subutex :

- usage dans le cadre d'une prescription médicale et d'un protocole de prise en charge ;

- usage en dehors d'une prescription médicale avec acquisition en dehors des pharmacies ;

- usage mixte avec acquisition sur prescription médicale et par achat dans la rue.

Le dispositif TREND mis en place par l'OFDT fournit quelques indications sur le profil des groupes d'usagers de Subutex hors protocole médical et distingue les usagers de stimulants observés en espace festif qui utilisent ce produit pour gérer la « descente », les personnes très précarisées ou en errance, les jeunes et les adolescents, et les usagers qui auraient été initiés au Subutex au cours de leur détention.

L'importance de la consommation s'explique, comme il a été dit, par sa grande disponibilité sur le marché parallèle, la modicité de son prix et ses propriétés (bien-être, analgésie), qui permettent à certains d'affronter des conditions de vie difficiles. L'usage du Subutex en espace festif « techno », semble en augmentation par rapport à 2001, mais reste très marginal et concernerait des toxicomanes précarisés ou sans domicile fixe vivant en milieu urbain.

Outre ce trafic, le Subutex est fréquemment détourné de ses finalités thérapeutiques. Cette question avait été évoquée par le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques 106 ( * ) : « l'utilisation massive du Subutex et de la méthadone pose de nouveaux problèmes lorsqu'elle est prescrite sans être accompagnée d'un projet thérapeutique. Il semblerait que des toxicomanes débutent avec ces produits, cette crainte est réelle mais difficile à quantifier. »

Dans le même sens, la MILDT a indiqué à la commission : « En 2002, dans l'espace urbain, outre la population classique de personnes dépendantes aux opiacés gérant le manque par usage détourné du Subutex, on observe des personnes plutôt jeunes, ayant des conditions de vie précaires, qui deviennent dépendantes aux opiacés en utilisant du Subutex. Il s'agit d'une population hétérogène : errants marginalisés, migrants (Europe de l'Est, Maghreb) en situation très précaire, prisonniers condamnés à de courtes peines. »

Si certains s'engagent dans la toxicomanie en consommant du Subutex, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes, d'autres, déjà toxicomanes, le détournent de sa finalité thérapeutique en l'utilisant par voie intraveineuse, du fait de sa forme galénique. Ce phénomène a notamment été évoqué par le docteur Didier Jayle, président de la MILDT, lors de son audition : « Il se trouve que c'est une minorité mais cela concerne pas mal de personnes, qui ont une espèce d'addiction à l'injection. (...) Très souvent, les comprimés de Subutex sont écrasés, pilés et injectés. Cela peut avoir des effets sanitaires dramatiques et c'est une source de complications inacceptables quand nous sommes dans un processus d'améliorer justement l'état de santé de ces personnes. »

On rappellera que, parmi les personnes prises en charge au sein des structures bas seuil, 60 % utilisent la voie orale et 46 % la voie injectable ; 17 % snifferaient le Subutex et 4 % l'inhaleraient.

Les modalités d'usage varient selon le mode d'obtention du Subutex : l'utilisation de la voie orale domine chez les personnes ayant recours, de manière exclusive ou non, à un médecin pour obtenir le Subutex. Les personnes l'obtenant hors prescription s'injectent, sniffent et fument plus fréquemment le Subutex que celles l'obtenant par prescription. L'injection est particulièrement pratiquée en milieu urbain, notamment par les anciens héroïnomanes. Ceux qui ont recours au « sniff » ont souvent un système veineux fortement détérioré, cet usage semblant également constituer un mode d'administration privilégié par les jeunes primo-usagers. L'injection de comprimés de Subutex, vectrice de contamination, entraîne notamment des risques importants de thromboses veineuses, d'abcès, de phlegmons et de nécroses de la peau liées aux excipients.

Il a été indiqué à la commission que le mode d'administration détournée du Subutex peut s'expliquer par le fait que les méthodes de substitution ne procurent pas de plaisir aux toxicomanes. Ces derniers cherchent donc à obtenir un effet de « défonce », soit en s'injectant les produits au lieu de les ingérer, soit en les absorbant avec d'autres substances psychoactives (alcool et benzodiazépines notamment), ce qui se traduit par une augmentation des polyconsommations comportant du Subutex. Selon l'OCRTIS, la présence de médicaments de substitution est constatée, en produit associé, dans un certain nombre de surdoses (11 avec présence de Subutex, et 11 avec méthadone en 2001).

b) La prévention primaire et le sevrage : deux priorités négligées

Le docteur Didier Jayle, président de la MILDT, a exprimé devant la commission son souci de mettre en place une politique équilibrée à l'égard des drogues : « La politique de réduction des risques a toute sa place, à condition d'être effectivement articulée avec le soin, la prévention et la répression . Le message que je souhaite faire passer devant cette commission est le nécessaire équilibre entre ces quatre axes, qu'ils soient coordonnés et pas l'objet d'un enjouement l'un plus que l'autre. On doit développer des politiques publiques équilibrées. »

Pour sa part, le docteur Francis Curtet, psychiatre, a indiqué à la commission : « On peut aider carrément les enfants à ne pas se droguer du tout ou à quitter complètement la drogue. Si ce n'était pas faisable, je serais d'accord pour qu'on se rabatte sur la réduction des risques au nom de la résignation, en quelque sorte, mais puisqu'on peut mieux faire, je ne vois pas pourquoi on ne s'efforcerait pas d'y arriver. »

La politique de substitution devrait donc privilégier l'objectif de sortie de la dépendance , sans se focaliser sur la seule réduction des risques. A cet égard, lors son déplacement à l'hôpital Saint-Antoine, la commission a pu s'entretenir avec une patiente en cours de sevrage qui était restée sept années sous traitement de substitution.

Devant la commission M. Jean-François Mattei a rappelé que la politique de réduction des risques ne constituait pas une fin en soi : « La politique de réduction des risques était absolument nécessaire et évitait les morts. Elle a d'ailleurs porté ses fruits, a eu de bons résultats. Il faut la maintenir, c'est une priorité. Cependant, cette politique de réduction des risques n'est pas la politique unique ; elle s'insère dans un ensemble dans lequel il doit y avoir une politique forte de prévention des risques de la toxicomanie d'une manière générale. »

La commission tient à rappeler en effet que l'objectif final de la politique de réduction des risques n'est pas seulement de gérer la toxicomanie, mais de faire sortir les toxicomanes de leur dépendance .

* 104 Drogues et dépendances - Indicateurs et tendances - OFDT - 2002.

* 105 L'impact éventuel de la consommation des drogues sur la santé mentale de leurs consommateurs. Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Rapport n° 259 (2001-2002).

* 106 L'impact éventuel de la consommation des drogues sur la santé mentale de leurs consommateurs. Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques. Rapport n° 259 (2001-2002).

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