1. Les allégements de charges, quels effets sur l'emploi ?

Les enchaînements à l'oeuvre dans l'évaluation de Crépon et Desplatz, ainsi que les principales critiques qu'elle a suscitées, offrent une vision complète des conditions d'efficacité des politiques d'allégements de charges sociales.


DES ALLÈGEMENTS DES COTISATIONS EMPLOYEURS SUR LES BAS SALAIRES,
POUR QUOI FAIRE ?

1°) Réduire spécifiquement les cotisations employeurs sur les plus bas salaires est justifié par trois arguments* :

-- Il existe actuellement un problème spécifique de chômage pour les travailleurs non qualifiés : ceux-ci sont particulièrement concurrencés par les productions des pays à bas salaires ; ils sont les victimes du progrès technique et de la substitution du capital au travail qui font disparaître leurs emplois dans l'industrie et dans certains services. Au contraire, les salariés qualifiés sont proches du plein emploi. Toute relance se heurterait au manque de personnel qualifié avant qu'un niveau d'emploi satisfaisant ne soit atteint pour l'ensemble des salariés.

-- Une cause essentielle du chômage en France est le niveau du SMIC (et du RMI) qui empêcherait une baisse suffisante du salaire des non qualifiés. De nombreux travailleurs non qualifiés ont une productivité du travail inférieure au coût du SMIC, charges comprises, et ne sont employables que si ce coût est diminué. La baisse des cotisations sociales employeurs est socialement préférable à la baisse du SMIC, puisque le niveau de vie des travailleurs non qualifiés n'est pas affecté.

-- Une mesure ciblée est plus efficace en terme d'emplois gagnés à coût budgétaire donné qu'une mesure globale. Il coûte moins cher de réduire de 10 % le coût d'un salarié au SMIC que le coût d'un cadre.

En sens inverse, les allègements bas salaires sont peu utiles si le chômage est essentiellement dû à une demande insuffisante, si les possibilités de substitution entre travail qualifié et travail non qualifié sont faibles, si le chômage frappe toutes les catégories de salariés, et que le taux de chômage plus fort des non qualifiés s'explique par le fait qu'en situation de sous-emploi généralisé, les actifs diplômés occupent des postes pour lesquels ils sont surqualifiés.

La mesure fait courir deux risques. Si elle est peu efficace, elle doit être financée : un financement par hausse des impôts portant sur les ménages peut entraîner une baisse de la demande et augmenter le « chômage keynésien ». Les entreprises sont incitées à créer des emplois non qualifiés (ce qui est nuisible si le degré de qualification de la population active tend à augmenter) et à refuser toute hausse de salaire et toute évolution de carrière pour les salariés qui occupent ces emplois, puisque la hausse de leur salaire, qui fait perdre les allègements de cotisations, est très coûteuse : c'est la trappe à bas salaires.

2°) Les allègements de cotisations sociales sur les bas salaires jouent par deux canaux. Si la mesure n'est pas financée ex ante par une hausse des autres charges portant sur les entreprises, jouent les canaux macroéconomiques habituels : baisse des coûts des entreprises, donc baisse des prix, donc hausse de la demande par gain de compétitivité, hausse des investissements (du fait de l'amélioration des profits des entreprises), hausse de la consommation (grâce à la baisse des prix). Selon les modèles macroéconomiques français, une réduction induisant une baisse de 1 % du coût salarial des entreprises du secteur marchand (soit un coût ex ante de 30 milliards de francs) aboutirait à une hausse de l'emploi de l'ordre de 70 000 à 80 000 au bout de 5 ans. Par ailleurs, même si la mesure est financée ex ante , jouent les effets de substitution, les entreprises sont incitées à utiliser plus de travailleurs non qualifiés, dont le coût relatif a diminué, en utilisant moins de travailleurs qualifiés ou de capital. Globalement, la demande se déplace vers les produits à fort contenu en main-d'oeuvre non qualifiée, au détriment des produits à fort contenu en capital ou en main-d'oeuvre qualifiée.

Supposons que les entreprises emploient 30 % de travailleurs non qualifiés et 70 % de travailleurs qualifiés (dont le coût du travail est le double). Introduisons un allègement de 10 % du coût du travail des non qualifiés (soit ex ante une baisse de 1,5 % du coût moyen du travail) financés par une hausse de 1,8 % du coût du travail des qualifiés. Si l'élasticité de substitution entre les deux catégories de travailleurs est de 0,7, l'emploi des travailleurs non qualifiés progresse de 7 % ; celui des travailleurs qualifiés diminue de 1,2 %. Globalement, l'emploi augmente de 1,3 %. Les coûts de production des entreprises, donc a priori les prix, ne sont pas affectés.

* Voir E. Malinvaud (1998), H. Sterdyniak et P.Villa (1998) ou J.-P. Fitoussi (2000).

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