III. L'ÉVOLUTION MAL ASSISE DES TAXES SUR LES TABACS
A. UNE FISCALITÉ COMPLEXE POUR DES OBJECTIFS CONTRADICTOIRES
1. Une fiscalité complexe
La
fiscalité sur les produits composés à partir de tabac est
triple. Sur son prix d'achat, le consommateur acquitte successivement :
- la taxe sur la valeur ajoutée, appliquée au taux normal de
19,6 % (également appelé taux « en
dehors »), qui est assise sur le prix de vente au détail. La
TVA est égale à 16,388 % du prix de vente du paquet de
cigarettes (taux « en dedans ») et rapporte à
l'État 2,3 milliards d'euros par an ;
- une taxe spécifique de 0,74 % au bénéfice du budget
annexe des prestations sociales agricoles (BAPSA), cette taxe ayant
rapporté 132 millions d'euros en 2002 ;
- le droit de consommation, également dénommé
« accise », qui représente l'essentiel de la
fiscalité sur le tabac et dont le produit s'est élevé en
2002 à 8,6 milliards d'euros.
Le mécanisme de calcul de l'accise est réputé pour sa
complexité. Encadré par le droit européen, le principe de
cette fiscalité est de se calculer « à
rebours ».
- pour les cigarettes, le droit de consommation se décompose en
deux parts établies à partir de la cigarette de la classe de prix
la plus demandée (actuellement la Marlboro) : une part
spécifique (montant forfaitaire par cigarette) et une part
proportionnelle (fonction du prix de vente au détail).
- les autres produits à base de tabac sont frappés d'un
droit de consommation proportionnel au prix de vente.
La fiscalité du tabac a deux caractéristiques :
- la fiscalité - et son produit - sont indirectement
déterminés par les fabricants car c'est
in fine
par
rapport au prix décidé par le cigaretier que le taux est
calculé (principe de la fiscalité « à
rebours » ou « en dedans ») ;
- la fiscalité a une incidence forte sur le marché.
A titre d'exemple, le relèvement de la part proportionnelle sans
augmentation du minimum de perception peut favoriser l'écart de prix et
donc redistribuer des parts de marchés en faveur des fabricants se
positionnant en entrée de gamme. A l'inverse, le relèvement du
minimum de perception « écrase » le marché en
renchérissant le seul prix des cigarettes les moins chères,
favorisant ainsi indirectement le fabricant de la cigarette la plus
demandée.
A ces deux éléments s'ajoute le fait que les prix sont libres
mais doivent être homologués par l'administration. Dans la
pratique, les alternances d'accords avec cette dernière et de guerre de
prix entre fabricants rendent erratiques l'impact budgétaire et
sanitaire, à court terme, d'une variation de la fiscalité.
2. Une fiscalité efficace ?
La lutte
contre le tabac est un enjeu de santé publique évident,
rappelé à sa juste mesure dans le cadre du plan cancer. En effet,
la mortalité annuelle directe liée au tabagisme est
estimée à 60.000 décès, soit peu ou prou 10 % de la
mortalité globale, notamment par cancer des voies aérodigestives
supérieures, maladies respiratoires ou cardio-vasculaires. Or, les
budgets dédiés à l'information et à la lutte contre
le tabac restent limités alors même que l'Organisation mondiale de
la santé recommande de consacrer 1 % de la fiscalité du
tabac au financement des actions de lutte contre le tabagisme.
La fiscalité sur le tabac, en fait, constituerait « en
soi » une politique efficace en termes de santé publique
puisque pourrait être mise à son crédit la baisse de la
consommation du tabac depuis dix ans. D'après l'INSEE, une augmentation
de 1 % du prix des cigarettes se traduit par une baisse de 0,3 % des
volumes consommés sur l'année. S'appuyant sur cette
donnée, le rapport de la Commission des comptes de la
sécurité sociale de septembre 2002 cautionnait un tel
scénario.
En réalité, si, sur la décennie 1990-2000, la consommation
de cigarettes distribuées a baissé d'un sixième,
d'ailleurs essentiellement sur la partie 1990-1997, sur longue période
les données sont plus incertaines pour deux raisons.
La consommation totale de tabac forme une « cloche » sur
une période plus longue, notamment sur vingt ans. Ainsi, la
référence de 1990 constitue un sommet, et prise par rapport
à 1980, la consommation totale de tabac n'a reculé que de 2,5
%
11(
*
)
.
Vente
de tabac en milliers de tonnes
Source : CDIT
Certes,
la consommation de cigarettes a légèrement reculé sur
vingt ans et significativement sur dix ans. Mais la courbe d'évolution
de la consommation du tabac à fumer montre une évolution quelque
peu inverse.
En effet, le niveau de consommation, après avoir fortement décru
au cours des années 1988-1992, a, à nouveau, fortement
augmenté depuis 1993-1994, dates où le prix de la cigarette de
référence - la Marlboro - a crû respectivement de
16 % et 17,2 %. Cette évolution parallèle laisse penser que
la hausse brutale de la fiscalité en 1993-1994 a déformé
le marché, favorisant une modification de la consommation du tabac, des
cigarettes vers le tabac à fumer.
Source : CDIT
Aussi
votre rapporteur ne sera-t-il pas aussi affirmatif que la Commission des
comptes sur l'impact de la fiscalité sur la consommation du tabac. Il
est probable que la fiscalité ait contenu l'emballement de la
consommation de cigarettes à la fin des années 1980 et au
début des années 1990. Cette période est celle notamment
de la baisse de la consommation de tabac brun, remplacée par de jeunes
fumeurs de tabac blond sans doute plus sensibles à l'augmentation de la
fiscalité.
Ne peut être contestée, en revanche, l'augmentation des
quantités saisies par le service des douanes qui ont crû de 160 %
en dix ans. Sans doute le tabac est devenu un sujet de préoccupation
croissant pour cette direction du ministère des finances, qui
prélève d'ailleurs la taxe, au fur et à mesure que son
montant augmentait. Pour autant, il n'est pas extravagant d'envisager une
augmentation significative de la contrebande sur cette période, d'autant
plus que les années d'augmentation les plus significatives de la
fiscalité furent également celles d'une augmentation
significative des saisies.
Evolution respective des quantités saisies
et
variation
du prix de la Marlboro en %
Source : CDIT
L'augmentation de la fiscalité du tabac doit encore démontrer, sous certains aspects, en matière de santé publique (baisse véritable de la consommation), qu'elle atteint tous ses objectifs. Mais, en revanche, il est certain qu'elle a permis une augmentation significative des recettes de l'Etat sur la période, le produit du droit de consommation en euros constants étant passé de 2 à 8 milliards en dix ans.