C. L'AFFAIRE FOREC : LES LIMITES DE LA PROGRESSION DES PRELÈVEMENTS SOCIAUX

1. L'abandon masqué de la compensation intégrale

La tentative d'abandon du « garde fou » institué par la loi Veil de 1994 constitue le premier volet de ce que votre rapporteur appellera une dernière fois « l'affaire FOREC ».

A l'occasion d'une mission de contrôle sur ce fonds, notre ancien collègue Charles Descours avait démontré, par la saisie de documents au ministère des finances, que cette administration craignait avant tout que la mise en place des trente-cinq heure ne se traduise par une dégradation de grande ampleur de l'équilibre du budget de l'État.

Aussi fut-il annoncé ouvertement, dans un premier temps, que la sécurité sociale - et le régime d'assurance chômage - contribueraient directement au financement des trente-cinq heures. Cette position s'appuyait sur la justification que la réduction du temps de travail produit, par l'augmentation de la main-d'oeuvre, une bonification des recettes sociales. Sous la pression des partenaires sociaux, peu convaincus par une argumentation qui éludait les conséquences, pour le produit des cotisations, de la modération salariale accompagnant la RTT, cette déclaration fut retirée. Mais la volonté dolosive à l'égard des comptes sociaux de les faire participer à ce financement demeurait, et elle fut mise en oeuvre au moyen de circuits financiers opaques.

Sans détailler à nouveau l'ensemble des dysfonctionnements ayant accompagné la mise en place de ce fonds 10( * ) , votre rapporteur rappellera :

- que les organismes de sécurité sociale, notamment le FSV et la CNAMTS directement, la CNAF et la CNAVTS indirectement, ont cédé des recettes au financement des trente-cinq heures. En 2002, votre rapporteur avait chiffré, par reconstitution des comptes, l'ensemble de ce coût à 4,5 milliards d'euros annuels (30 milliards de francs) pour la sécurité sociale ;

Exercice 2002

(en millions de francs)

CNAMTS AM

CNAMTS AT

Total CNAMTS

CNAVTS

CNAF

Total RG

FSV

FOREC

Compensation intégrale des exonérations de cotisations FOREC

 
 
 
 
 
 
 
 

Répartition du prélèvement social de 2 % sur la base CMU (valeurs 2002)

3.696

 

3.696

4.620

2.904

11.220

- 2.640

 

Répartition droits tabac sur base CMU (valeurs 2002)

4.203

 

4.203

 
 

4.203

 

- 4.203

Répartition droits alcools CNAMTS et FSV (valeurs 2002)

5.805

 

5.805

 
 

5.805

11.900

- 17.705

Répartition CSG entre CNAMTS et FSV

- 8.574

 

- 8.574

 
 

- 8.574

13.190

 

Transfert au FSV de la dette de l'État envers l'AGIRC et l'ARRCO

 
 
 
 
 
 

- 3.000

 

Transfert « croisé » MARS - FASTIF entre la CNAF et l'État

 
 
 
 

- 5.500

- 5.500

 
 

Transfert majorations de pensions FSV - CNAF

 
 
 
 

- 6.000

- 6.000

6.000

 

Taxe sur les contributions employeurs (financement des prestations complémentaires de prévoyance) FSV - FOREC

 
 
 
 
 
 

2.900

- 2.900

Transfert taxe sur les véhicules à moteur CNAMTS - FOREC

5.900

 

5.900

 
 

5.900

 

- 5.900

Total

11.030

0

11.030

4.620

14.404

30.054

22.350

- 30.708

Soldes PJLFSS 2002

- 13.113

3.450

- 9.662

6.671

8.114

5.123

- 4.014

0

Soldes « révisés »

- 2.083

3.450

1.368

11.291

22.518

35.177

18.336

- 30.708

Cumul F2R après modification des dispositions CNAVTS et FSV 2000 et 2001 : 100 milliards de francs (PJLFSS 86 milliards)

- qu'en plus de cette participation, le FOREC s'est trouvé, en 2000, dans l'impossibilité de faire face à ses charges car il avait été sous-doté de 2,2 milliards d'euros que le gouvernement d'alors prétendait ne pas rembourser aux organismes sociaux. Ces créances seront remboursées par la CADES, c'est-à-dire, à bien des égards, par la sécurité sociale elle-même.

Sans revenir sur l'irresponsabilité du gouvernement précédent ayant gravement fragilisé les comptes sociaux, votre rapporteur soulignera l'extrême difficulté du budget général à financer, aujourd'hui, plus de 15 milliards d'euros annuels d'exonérations de cotisations sociales.

La suppression du FOREC décidée en 2004 se fait dans des conditions de transparence satisfaisantes puisque la compensation sera effectuée à l'avenir comme elle l'était antérieurement à 1997, par dotation budgétaire. L'épisode du FOREC se solde tout de même par une perte de recettes significative pour la sécurité sociale, environ 5 milliards d'euros annuels, le budget récupérant, avec les charges du FOREC, les produits qui lui sont affectés, y compris ceux distraits aux régimes sociaux.

Cet épisode doit attirer l'attention du législateur sur l'extrême vigilance avec laquelle il doit consentir des allégements de cotisations dont la charge, pour l'équilibre des finances publiques, atteint désormais un sommet.

Le législateur doit également s'attacher à ce que le principe de compensation intégrale soit respecté sans entorse.

2. L'échec de la réforme des cotisations patronales

Le deuxième volet de « l'affaire FOREC » est constitué par la réforme imaginaire des cotisations patronales. Durant la campagne électorale de 1997, l'équipe de Lionel Jospin avait pris l'engagement de procéder à une réforme ambitieuse des cotisations patronales, notamment en asseyant le calcul de ces dernières sur la valeur ajoutée.

Grâce à deux rapports qui se sont (opportunément ?) neutralisés - le rapport Chadelat, favorable à un passage progressif à une assiette valeur ajoutée, et le rapport Malinvaud, défavorable à une telle évolution -, l'assiette des cotisations patronales de sécurité sociale est restée assise sur les seules rémunérations.

La dénomination initiale du FOREC était « fonds de financement de la réduction du temps de travail » . Ainsi que l'avait déjà noté Charles Descours, « le choix de l'intitulé « fonds de financement de la réforme des cotisations patronales » présentait l'avantage de faire accroire qu'une telle réforme avait eu lieu puisque l'on était au stade de son financement. Il n'en est évidemment rien : le calcul des cotisations patronales n'est aucunement affecté par un élément « valeur ajoutée », un élément « pollution » ou un élément « bénéfices » ni, a fortiori, par un élément « tabac » ou « alcool ». En revanche, le coût des exonérations de cotisations sociales accordées dans le cadre de la réduction du temps de travail est bien financé en 2000 par quatre impositions affectées (tabacs, droits sur les alcools, contribution sociale sur les bénéfices, taxe générale sur les activités polluantes) que sont venus compléter en 2001 deux prélèvements supplémentaires (une fraction de la taxe sur les conventions d'assurance et la taxe sur les véhicules de sociétés) ».

Le gouvernement d'alors a bien évidemment prétendu qu'il s'agissait là d'une réforme ambitieuse des cotisations patronales, en affectant au remboursement des allégements les produits de quelques « rossignols de la fiscalité », c'est-à-dire des taxes à la constitutionnalité incertaine et au rendement décroissant.

En aucun cas le FOREC ne constituait une réforme ambitieuse des cotisations patronales mais symbolisait, en toute évidence, la caricature d'un engagement important - le calcul des cotisations sur la valeur ajoutée - qui, pour des raisons économiques majeures, avait été ajourné.

Ce deuxième aspect de l'affaire FOREC constitue en tout cas pour votre rapporteur l'indice irréfutable que l'opportunité d'une réforme des cotisations sociales par substitution d'assiette devenait économiquement réfutable et que, désormais, les nouvelles prestations devraient être financées au moyen d'économies.

Ce jugement est d'ailleurs renforcé par l'évolution progressive des fonds sociaux, et notamment du FSV, sur la fin de la législature. Celui-ci s'est trouvé progressivement asséché au profit non seulement du FOREC mais d'autres financements, dont l'allocation personnalisée d'autonomie, à laquelle il a dû céder 0,1 point de CSG et à laquelle il doit depuis un déficit structurel.

Le bilan de l'évolution des finances sociales au cours de la dernière décennie peut donc être dressé de la manière suivante :

- les périodes de ralentissement économique se traduisent par des crises majeures des finances sociales ;

- ces crises ont été résolues à court et moyen termes par l'apport de recettes nouvelles, notamment de caractère fiscal, et par l'endettement ;

- pour autant cette « bouffée d'oxygène » s'est rapidement trouvée raréfiée du fait de l'extension importante des dépenses sociales au cours de la dernière législature (couverture maladie universelle, allocation personnalisée d'autonomie et, bien sûr, compensation de la hausse du coût du travail constituée par les trente-cinq heures) : la législature 1997-2002 fut, en matière de finances sociales, une fuite en avant ;

- mais structurellement, cette fuite en avant s'inscrit dans un contexte propre aux finances publiques françaises et souligne les limites de l'augmentation, ininterrompue sur trente ans, des prélèvements sociaux. Comme le dit l'adage, « les arbres ne montent pas jusqu'au ciel » .

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