B. LES TROIS VOLETS DE LA FISCALISATION PROGRESSIVE DES FINANCES SOCIALES

1. La contribution sociale généralisée (CSG) : instrument de la fiscalisation des cotisations salariales

Instrument central de diversification des ressources de la sécurité sociale, la CSG a été créée par les articles 127 à 135 de la loi de finances pour 1991.

Rangé par le Conseil constitutionnel, lors de l'examen de cette loi, dans la catégorie des « impositions de toute nature », ce prélèvement avait comme propriété d'être assis sur une base plus large que les seuls revenus du travail. En effet, il s'appuyait aussi sur les revenus d'activité, de transferts ou de placements et se caractérisait par un taux bas, à l'époque 1,1 %, affecté à la caisse nationale des allocations familiales en contrepartie de la modification du régime de ses cotisations, qui ne comporte désormais plus de part salariale.

En 1993, le gouvernement d'Edouard Balladur a majoré le taux de CSG de 1,3 % en faveur d'un nouveau fonds, le fonds de solidarité vieillesse (FSV), créé pour financer certaines charges des régimes d'assurance vieillesse. Le taux fut donc porté à 2,4 % et n'était pas, cette fois, la contrepartie d'une diminution de cotisations salariales.

Confronté aux difficultés financières de la sécurité sociale, le gouvernement suivant a proposé, dans le cadre du « plan Juppé » un panel de mesures destinées à rééquilibrer la sécurité sociale. Pour assurer son redressement durable, il a décidé de la doter de nouvelles ressources, ou de ressources plus dynamiques, et des efforts furent exigés des usagers et de ses acteurs.


Les mesures financières de sauvegarde du plan Juppé

Elles visaient, d'une part, à apurer la dette cumulée du régime général, d'autre part, à engager un rééquilibrage des trois branches déficitaires :

la reprise de la dette accumulée par le régime général a été assurée par un établissement public créé à cet effet, la caisse d'amortissement de la dette sociale financée par l'instauration d'une contribution pour le remboursement de la dette sociale au taux de 0,5 %, permettant dans le même temps de libérer le fonds de solidarité vieillesse des charges liées à la prise en charge de la dette de 110 milliards de francs accumulée à fin 1993 ;

le rééquilibrage de la branche retraite a été entrepris au moyen de la prise en charge par le fonds de solidarité vieillesse de dépenses de solidarité incombant au régime général, à hauteur de 11 milliards de francs, à quoi s'ajoutaient la limitation à 2 % de la revalorisation des pensions au 1 er janvier 1996 (0,5 milliard) et l'harmonisation des prises en compte de durée d'activité des polypensionnés (0,2 milliard) ;

le rééquilibrage de la branche famille comportait l'extension de l'assiette de la CSG en 1997, la non-revalorisation des prestations familiales en 1996 (2,6 milliards de francs), l'harmonisation des conditions d'attribution de certaines prestations familiales et des aides au logement (2,4 milliards au total), le transfert à la CNAF de la gestion des prestations servies à leurs agents par l'État et les entreprises publiques (0,7 milliard) et l'imposition des prestations des allocations familiales à compter de 1997, ensuite abandonnée ;

le rééquilibrage de la branche maladie incluait la limitation de l'évolution des dépenses d'hospitalisation et de médecine de ville à celle des prix en 1996 et en 1997 (3,3 milliards), une contribution exceptionnelle des laboratoires pharmaceutiques (2,5 milliards) et d'autre part des médecins (suspension partielle en 1996 de la prise en charge des cotisations familiales des médecins du secteur I (0,4 milliard), affiliation des médecins du secteur II au régime général pour leur assurance maladie (1,4 milliard), et l'harmonisation progressive des cotisations maladie sur les revenus de remplacement avec les cotisations des actifs par une hausse de 1,2 point du taux en 1996 puis en 1997 (7,1 milliards en 1996) ;

en outre, une réduction des dépenses de gestion était demandée aux caisses de sécurité sociale (1,5 milliard en 1996).


Dans ce cadre, le législateur a décidé le basculement de 1,3 point de cotisations salariales maladie sur l'augmentation de 1,2 point CSG affecté à ces régimes. Le taux de la cotisation sociale généralisée se trouvait ainsi porté à 3,4 %.

Un an plus tard, une nouvelle majorité parachevait le mouvement engagé six ans auparavant en procédant dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 à une substitution massive :

- diminution du taux de cotisations salariales maladie de 4,75 points contre une augmentation de la CSG sur les revenus d'activité et du patrimoine de 4,1 points ;

- suppression de la cotisation maladie sur les revenus de remplacement contre une hausse du taux de CSG sur ces revenus de 2,8 points.

A l'origine, le bilan de ces basculements fut malaisé à établir, mais finalement, couplé avec l'affectation de droits de consommation sur les alcools à la CNAM, le basculement des cotisations sociales sur la CSG s'est révélé financièrement positif pour l'assurance maladie.

Solde de l'opération de substitution tous régimes -
Métropole et DOM

(en milliards de francs)

Au titre de

1998

1999

SOLDE

5,2

12,6

CSG maladie

208,3

239,1

Droits sur les alcools

4,8

4,7

Pertes de cotisations sociales

- 207,8

- 231,3

Source : Commission des comptes de la sécurité sociale

2. La compensation des allégements de cotisations : instrument de fiscalisation des charges patronales

Depuis une décennie, les pouvoirs publics ont accéléré la mise en place de mesures d'allégement ou d'exonération de cotisations sociales afin d'inciter à l'embauche ou au maintien dans l'emploi de certains salariés.

Depuis le premier dispositif d'exonération de cotisations sociales institué en 1979 en faveur du contrat d'apprentissage, le nombre de mesures de ce type a fortement augmenté. La multitude des contrats aidés date en effet du début des années 1990, suivi de peu par les exonérations ciblées sur les bas salaires.

Initialement, la sécurité sociale assumait financièrement le coût de cette fraction de la politique de l'emploi décidée par l'État. Très rapidement, sa situation financière interdit que davantage d'exonérations soient mises en place sans être compensées aux régimes. La loi du 25 juillet 1994 a posé le principe de la compensation intégrale des allégements et exonérations décidés par l'État. À cette occasion, le Parlement a formellement condamné ce qui reviendra plus tard sous la dénomination de « théorie des retours » : peu importe le bilan financier positif que peut avoir une mesure d'allégement, par exemple en stimulant l'emploi, la sécurité sociale ne doit en assumer aucun coût.

En conséquence, si la sécurité sociale assumait, en 1993, les deux tiers du coût des allégements (1,8 milliard d'euros sur 3 milliards), elle ne supporte plus désormais, du fait de la règle de la compensation intégrale, du moins en affichage, que 2 milliards d'euros sur 21 milliards, somme représentant le coût total des allégements en 2003.

En effet, à partir des années 1996, une stratégie résolue de baisse des charges a été menée en faveur de l'emploi des salariés modestes, notamment par la création de la ristourne sur les bas salaires. Par la suite, les dispositifs relatifs à la réduction du temps de travail (« Robien », puis « Aubry I » et « Aubry II ») ont représenté, en 2002, plus de 10 milliards d'euros 8( * ) .

Depuis le 1 er juillet 2003, le dispositif « Fillon » remplace par un allégement unique dégressif, le dispositif d'exonération lié aux trente-cinq heures et la réduction dégressive sur les bas salaires. Au terme de cette réforme, le 1 er juillet 2005, cet allégement unique sera linéairement dégressif en montant jusqu'à 1,7 fois le SMIC, pouvant ramener, pour un salaire au niveau du SMIC, le taux de cotisations patronales de sécurité sociale de 30,2% jusqu'à 4,2 %.

A côté de cet allégement général, des allégements ciblés demeurent sur certaines zones géographiques ou à destination de publics particuliers dont on avait, pour certains, prévu l'extinction. Ainsi, en est-il des zones franches urbaines. Plusieurs lois ou projets de loi, comme la loi du 1 er août 2003 pour l'initiative économique ou le projet portant décentralisation en matière de RMI et création du revenu minimum d'activité, amplifient cette politique d'exonérations ou d'allégements.

Le processus de fiscalisation des cotisations salariales réalisé par le basculement de cotisations maladie et famille sur la cotisation sociale généralisée est en voie d'être accompli pour les cotisations patronales pesant sur les bas salaires et certaines cibles particulières, par les politiques d'allégements.

En effet, la compensation de ces allégements fut réalisée d'abord, par le versement d'une dotation en provenance du budget général jusqu'en 1997 puis, par la suite, partiellement au moyen d'un fonds ad hoc , le FOREC. Or, qu'il s'agisse du budget général, ou surtout du FOREC, l'origine des fonds était de nature fiscale. D'un point de vue des prélèvements sociaux, la compensation des allégements de cotisations constitue bien une modification structurelle majeure.

3. La création du Fonds de solidarité vieillesse : la fiscalisation de certaines prestations non contributives

Confronté aux difficultés financières de la branche vieillesse, le législateur a décidé de séparer, par la loi du 22 juillet 1993, la prise en charge des prestations non contributives des régimes de retraite, devant être financées par la solidarité nationale, des prestations contributives devant être, pour leur part, financées par les cotisations des assurés.

Cette loi prévoyait donc la création d'un fonds spécifique, le fonds de solidarité vieillesse (FSV). La vocation initiale de ce fonds était double :

- prendre en charge des prestations non contributives des régimes d'assurance vieillesse ;

- assurer le service de la dette de la sécurité sociale, en remboursant l'État qui avait lui-même effacé une ardoise de 110 milliards de francs contractée par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) auprès de la Caisse des dépôts et consignations.

Dépenses et recettes FSV et leur évolution



Pour prendre en charge ces deux dépenses, le fonds de solidarité vieillesse se voyait doté de deux ressources essentielles : le produit d'une augmentation de CSG de 1,3 % et l'affectation des droits de consommation sur les alcools, dits « droits 403 », dont bénéficiait précédemment le budget général.

Lors de la création de la CADES en 1996, le FSV fut déchargé du remboursement de la dette de 1993. Ainsi, les transferts au bénéfice du régime général ont pu être majorés, notamment par le relèvement de l'assiette servant de base à la validation des périodes assimilées au chômage et au service national de 60 % à 90 % de la valeur du SMIC. Cette mesure a généré un transfert supplémentaire vers les régimes de retraite estimé à 11,5 milliards de francs (1,75 milliard d'euros) en 1996.

Dans le même temps, le remboursement de la dette, ancienne et nouvelle, était assuré par la CADES, c'est-à-dire par une nouvelle ressource fiscale.

Votre rapporteur ne procèdera pas ici à une analyse détaillée de la CADES, qui a fait l'objet d'une mission de contrôle 9( * ) au printemps dernier.

La création de cette caisse pourrait à bien des égards constituer un exemple de la création de ces fonds qui, avec le FSV, ont permis le financement de la protection sociale au moyen de recettes fiscales (fonds de financement de la couverture maladie universelle, pour le volet complémentaire de cette dernière). Toutefois, la CADES, par sa nature, met en avant la limite atteinte par cette stratégie de diversification.

La contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) est à n'en pas douter une recette fiscale de la sécurité sociale, pesant sur l'ensemble des revenus, par un taux bas (0,5 %). Mais dans le même temps, elle constitue l'amortissement d'une somme déjà consommée (53 milliards d'euros) dont la charge pèsera sur les générations futures. Sous cet aspect, elle ne constitue pas un élément de diversification des finances sociales mais l'indice d'une fuite en avant dangereuse : la France peut-elle supporter, à côté d'un budget général dont l'endettement va croissant et qui n'a plus réalisé un excédent depuis vingt ans, le coût d'une protection sociale incapable d'équilibrer ses charges et qui, elle aussi, doit recourir aux services d'une caisse de refinancement permanente ?

Votre rapporteur ne le pense pas.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page