2. Les modalités de partage des biens et les difficultés fiscales
a) Deux difficultés ponctuelles
Au cours
des auditions de la délégation, il a été
rappelé que,
trop souvent, les femmes ne sont pas suffisamment tenues
au courant des « affaires » de leur mari
et que la
« déclaration sur l'honneur » qui doit être
faite par le conjoint se révèle parfois incomplète. Votre
rapporteur rappelle, pour éclairer les débats sur ce
thème, que le code de procédure civile permet au juge de tirer
toutes conséquences de l'absence ou de l'insuffisance de pièces
justificatives fournies par les époux.
Un cas particulier important a, par ailleurs, retenu l'attention de la
délégation : il s'agit de la possibilité de demeurer
dans une indivision conventionnelle qui peut permettre aux époux, dans
certains cas,
d'éviter que leur séparation ne s'accompagne de
la fermeture de leur entreprise ou de leur commerce
. Votre rapporteur a
veillé à clarifier ce point précis. L'article 267 du code
civil, dans sa rédaction prévue par l'article 17 du projet de
loi, prévoit que les époux ont toute liberté de s'entendre
pour conclure des conventions permettant de gérer au mieux leurs
intérêts. On peut même souligner que le projet de loi
« met à l'honneur » toute forme d'accord entre les
époux et que ce n'est qu'« à défaut d'un
règlement conventionnel », comme l'indique cet article 267,
que le juge ordonne la liquidation et le partage des intérêts
patrimoniaux.
b) Une fiscalité qui doit être mieux adaptée
La
délégation a également été alertée
sur la nécessité impérative de régler un certain
nombre de questions fiscales relatives au divorce : en particulier, la
prestation compensatoire ne devrait plus être imposée comme une
simple libéralité et il conviendrait de
« taxer », avec une certaine modération, des couples
qui vivent un moment douloureux et dont les biens sont, de surcroît,
partagés. D'après les indications recueillies par votre
rapporteur, une harmonisation, une simplification et une réduction des
droits sont prévues, notamment pour favoriser le règlement des
prestations compensatoires.
Votre rapporteur, au-delà de ces considérations
générales, fait observer, conformément aux
précisions très concrètes fournies par le Médiateur
de la République, qu'un certain nombre de difficultés tenant
à la législation fiscale ou sociale entravent, en pratique, le
bon déroulement de certaines procédures de divorce.
Il en va ainsi par exemple en matière d'exécution des jugements
de divorce sur demande conjointe prévoyant une prestation compensatoire
en capital. Le régime fiscal applicable à la convention conclue
entre les époux et homologuée par le juge a fait l'objet d'une
proposition de réforme approuvée par les différents
ministères concernés mais qui ne semble pas, à ce jour,
avoir fait l'objet de décisions concrètes.
Un exemple de difficulté à travers une recommandation du Médiateur
L'attention du Médiateur de la République a
été appelée sur les conditions d'exécution des
divorces sur demande conjointe prévoyant le versement d'une prestation
compensatoire sous forme d'un capital.
Bien que l'article 279 du code civil précise que la convention conclue
entre les époux et homologuée par le juge a la même force
exécutoire qu'une décision de justice, il résulte des
dispositions de l'article 862 du code général des impôts
(CGI) que la délivrance d'une copie exécutoire du jugement de
divorce (c'est-à-dire de la décision visée à
l'article 232 du code civil par laquelle le juge prononce le divorce et
homologue la convention) est subordonnée au paiement préalable
des droits d'enregistrement.
Pour refuser de délivrer une telle copie, les greffes des juridictions
civiles se fondent également sur les dispositions des articles 1701 et
1702 du CGI, qui interdisent notamment à toute autorité publique
de suspendre ou faire suspendre le paiement des droits d'enregistrement.
Faute d'un tel paiement, le jugement ne pourra donc pas être
signifié, ni exécuté, ni transcrit sur les registres de
l'état civil, ni encore publié au bureau des hypothèques
s'il prévoit le partage de biens immobiliers, et les délais de
recours ne pourront commencer à courir.
Il est à noter que l'article 862 du code précité
précise que l'interdiction de délivrer copie exécutoire du
jugement avant le paiement des droits d'enregistrement ne s'applique pas aux
actes qui se signifient à partie ou par affiches ou proclamations. Les
jugements de divorce pour faute ou rupture de la vie commune se signifiant
à partie, la délivrance d'une copie exécutoire de ceux de
ces jugements qui prévoient le versement d'une prestation compensatoire
n'est pas subordonnée au paiement préalable des droits
d'enregistrement correspondants.
Il semble paradoxal que le régime fiscal de ces divorces soit, de ce
point de vue, sensiblement plus favorable que celui des divorces sur demande
conjointe, alors même que le législateur a manifestement
souhaité favoriser le recours à cette dernière formule et
que l'évolution de la société va dans le même sens.
Le niveau parfois élevé des droits d'enregistrement dus au titre
d'une prestation compensatoire accentue le caractère contestable de la
différence de traitement fiscal ci-dessus décrite. Certes, si le
capital versé est constitué de biens de communauté, seul
le droit de partage au taux de 1 % prévu par l'article 748 du CGI
sera exigible ; mais, dans le cas fréquent où le capital
provient de biens propres de l'époux débiteur de la prestation
compensatoire, l'article 757 A du code précité prévoit
qu'il sera soumis aux droits de mutation à titre gratuit et c'est le
barème progressif prévu à l'article 777 du même code
qui sera appliqué. A titre d'exemple, dans un cas qui m'a
été soumis, le montant des droits s'élevait à
300.000 F pour une prestation compensatoire en capital fixée à 2
millions de francs.
L'article 1712 du CGI met le paiement des droits d'enregistrement
afférents à une prestation compensatoire à la charge du
bénéficiaire, sauf disposition contraire de la décision de
divorce. L'existence d'une prestation compensatoire étant par
définition le signe d'une importante disparité de ressources
entre les ex-époux, on peut comprendre que le bénéficiaire
de cette prestation éprouve quelques difficultés à
acquitter les droits d'enregistrement qui lui sont demandés.
Le fait que l'article 1707 du CGI rende les ex-époux solidairement
responsables du paiement de ces droits ne constitue, à cet égard,
qu'un palliatif limité. L'administration fiscale peut certes choisir,
dans le cadre d'une procédure de recouvrement forcé, de
poursuivre en priorité le débiteur de la prestation, le montant
des droits étant ensuite déduit de celui du capital versé,
mais je constate qu'elle est loin de faire systématiquement usage de
cette possibilité. Par exemple, lorsque le débiteur exerce une
profession indépendante et que le créancier est salarié,
la « solution de facilité » qui consiste à
poursuivre en priorité ce dernier est souvent choisie ; d'autres
circonstances, comme l'installation à l'étranger du
débiteur de la prestation, peuvent également contribuer à
dissuader l'administration fiscale d'engager à son encontre une
procédure de recouvrement forcé des droits d'enregistrement.
On relèvera que l'article 1438 du nouveau code de procédure
civile, qui prévoit qu'une partie peut obtenir copie d'un acte non
enregistré ou imparfait en en faisant la demande au président du
tribunal de grande instance, ne constitue pas une réponse
appropriée au problème soulevé par la présente
proposition, puisqu'il ne peut alors s'agir que d'une copie non revêtue
de la formule exécutoire.
Il semble au Médiateur de la République souhaitable de
réfléchir aux mesures qui pourraient être prises pour
éviter que l'exécution des jugements de divorce prononcés
sur demande conjointe des époux et comportant le versement d'une
prestation compensatoire en capital ne puisse être compromise par
l'éventuelle incapacité du créancier de la prestation
à payer les droits d'enregistrement correspondants.
On peut d'abord s'interroger sur le bien-fondé même de la
perception de tels droits sur les capitaux versés dans le cadre de
l'attribution d'une prestation compensatoire. Cette interrogation est
d'ailleurs renforcée par les dispositions de la loi n° 2000-596 du
30 juin 2000 qui visent à privilégier à nouveau les
prestations compensatoires en capital par rapport aux prestations
compensatoires sous forme de rentes viagères, qui ne sont, elles, pas
soumises à droit d'enregistrement. L'article 270 du code civil disposant
que la prestation compensatoire a pour objet de «
compenser,
autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage
crée dans les conditions de vie respectives »
,
on
pourrait considérer qu'elle a un caractère largement indemnitaire
et qu'elle devrait, à ce titre, échapper à l'impôt.
Le Médiateur de la République a cependant conscience que le
coût d'une suppression des droits d'enregistrement sur les prestations
compensatoires constituerait un obstacle non négligeable. Au cas
où une telle approche ne pourrait être retenue, il conviendrait,
à tout le moins, de lever l'obstacle que constitue, en l'état
actuel du droit, l'exigence du paiement préalable des droits en cause.
A cet effet, il pourrait
a priori
être envisagé :
- soit de modifier l'article 862 du CGI pour autoriser la délivrance
d'une copie exécutoire du jugement de divorce avant le paiement des
droits d'enregistrement afférents à la prestation compensatoire,
ce paiement étant effectué par le bénéficiaire et
pouvant être garanti par un mécanisme de précompte ;
- soit de modifier l'article 1712 du CGI pour mettre à la charge du
débiteur de la prestation compensatoire le paiement des droits
d'enregistrement, le capital versé étant alors net d'impôt
et les éventuelles actions en recouvrement forcé toujours
engagées contre le débiteur.
Le Médiateur de la République reste naturellement ouvert à
toute autre suggestion qui permettrait d'atteindre le même objectif.
(Source : Proposition de réforme 00-R16, du 31 octobre 2000)