B. LA 4ÈME PARTIE DE LA SESSION 2003

1. Les droits des minorités

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est particulièrement vigilante sur la protection des minorités.

Mme Josette Durrieu , sénateur, en sa qualité de Présidente de la commission du Suivi des engagements des États membres partage bien évidemment cette préoccupation, insistant cependant sur l'obligation pour tous, membres de minorités compris, de respecter les Droits de l'Homme, droits universels garantis par la Convention du Conseil de l'Europe :

« Parce que mon collègue et ami Mathias Eörsi m'a interpellée en tant que Française, je me sens obligée de répondre à propos d'un certain nombre d'assertions.

Je suis Française. Or, la France choisit à un certain moment, de privilégier le droit individuel, le droit de l'homme universel, prioritaire par rapport au droit des communautés. Le droit français est fondé sur le respect de la personne humaine indivisible. Le droit de la personne humaine est d'abord individuel. La personne peut être un jour dans une minorité, le lendemain dans une majorité. A l'évidence, les appartenances peuvent s'inverser.

Il est donc essentiel d'assurer la plénitude de ses droits à l'individu que nous sommes, à la personne humaine, qu'il s'agit de respecter dans tous les cas de figure. Tel est le fondement de la démarche française. Tout citoyen, tout individu sur le sol français bénéficie de droits identiques. Nous les reconnaissons aux uns et aux autres.

C'est le principe fondamental qui a présidé à la naissance du Conseil de l'Europe en 1949. Dès 1950, Le Conseil a élaboré la fameuse Convention européenne qui repose sur le respect des droits indivisibles de la personne humaine. Nous avons aussi créé la Cour européenne des Droits de l'Homme qui siège à Strasbourg et à laquelle nous participons en élisant les juges. Elle défend les droits de toute personne humaine prise individuellement, où qu'elle soit dans les quarante-cinq États membres. Cette personne, à titre individuel, peut saisir la Cour, faire respecter ses droits et même faire condamner l'Etat où elle vit.

Il n'y a aucune contradiction, simplement un débat et ce débat n'est pas exclusivement français. Il existe dans d'autres pays.

Notre rapporteur est Letton. Je le félicite pour son travail. Le moment viendra où sera abordé le problème de la Lettonie. Par moments, j'ai le sentiment de mieux comprendre ce pays en ma qualité de présidente de la Commission du suivi qui doit faire respecter les principes et les normes que nous définissons ici. J'ai aussi une autre vision de la situation grâce à l'éclairage de mon pays. Je me demande quelle est la meilleure démarche et quel est le meilleur choix. Monsieur Eörsi, j'ai éprouvé ici, à certains moments, des doutes. Mais en défendant l'universalité de l'homme et du citoyen, je ne me trompe pas car je défends tout le monde.

L'autre valeur qui me paraît essentielle, est celle de la citoyenneté. Le citoyen est pleinement libre d'exprimer la plénitude de ses droits. Il n'y a pas de plus grand exercice de la liberté que le choix de sa citoyenneté! A ce niveau, notre débat mérite d'être approfondi. C'est peut être parce qu'il n'est pas tranché que la France n'a pas ratifié la convention visant à protéger les droits des minorités. Le débat sera très important chez nous comme dans quelques autres pays. »

2. Politique commune en matière de migration et d'asile

L'examen des rapports sur les questions liées aux politiques de l'immigration poursuit le débat entamé lors de la séance commune avec le Parlement européen (Cf. ci-dessus).

Les rapports sur les politiques communes de l'immigration et sur l'intégration des immigrés dans les États membres du Conseil de l'Europe invitent les États membres à une approche élargie et généreuse de la politique de l'immigration et de l'accueil des étrangers, au-delà des arbitrages complexes auxquels conduisent les négociations communautaires.

Dans leurs interventions, les membres de la délégation française qui se sont exprimés ont insisté sur l'exigence de réalisme qui commandait le succès d'une telle démarche.

M. Jean-Claude Mignon , Député, a appelé l'attention sur les causes qui expliquent la difficulté de définition de normes européennes communes dans le cadre de l'Union, notamment en matière d'asile :

« L'ambition de ce débat, comme en témoignent les rapports, est vaste. Il ne s'agit pas moins que de bâtir une politique commune de la migration et de l'asile pour les Etats membre du Conseil de l'Europe.

Je partage les valeurs de liberté et démocratie qui fondent le Conseil de l'Europe. Ainsi que j'ai eu l'occasion de le dire lors de la réunion conjointe de jeudi, je crois que le Conseil de l'Europe, son Assemblée parlementaire en particulier, est un lieu de débat nécessaire pour une compréhension réciproque des positions de chaque Etat dans ce domaine. Il faut cependant mener ce débat en ayant présentes à l'esprit les réalités de la construction de toute l'Europe, la grande comme la petite.

Du côté de la petite Europe, ou, pour mieux dire, de l'Union européenne, on voit un contraste certain entre l'état d'avancement formel des propositions de la Commission, fondées sur le principe de la communautarisation des règles relatives au statut des étrangers et à l'asile, et la difficulté qu'éprouvent les États membres à parvenir à des positions communes sur ce point.

Seuls ceux pour qui l'Europe est une idée abstraite peuvent s'en offusquer. L'accueil des immigrés, la stabilisation de leur situation juridique, économique, sociale ne sont pas des concepts; ils exigent des décisions qui affectent la vie quotidienne des populations, imposent aux élus locaux des efforts d'adaptation, d'imagination, de conciliation considérables. Il s'agit de préventions qu'il ne suffit de blâmer pour dissiper. Ce sont des situations concrètes d'immigration clandestine - nos amis italiens le savent bien - qui appellent des décisions parfois bien dures à prendre.

La politique de l'immigration de la grande Europe, autrement dit la définition d'une politique de l'immigration et de l'asile dans le cadre du Conseil de l'Europe, doit être envisagée en tenant compte de ces limites et de ces réactions.

Par exemple, s'il est essentiel de respecter et de mettre en oeuvre le droit d'asile, on ne peut pas faire comme si cette procédure n'était pas détournée de son objet par des milliers de personnes attirées par la prospérité européenne. On ne saurait soumettre aux mêmes impératifs les mouvements de population internes à l'Europe élargie, même s'il est indispensable de prendre des mesures transitoires pour l'application de la libre circulation, et ceux qui impliquent les Etats membres ou non membres du Conseil de l'Europe, mais, en tout cas, extérieurs au processus d'élargissement.

Le nécessaire respect de la personne humaine et des garanties élémentaires d'une procédure équitable, sur lequel la doctrine du Conseil de L'Europe insiste à bon droit, ne dispense pas les Etats et l'Union européenne, chacun dans son domaine de responsabilité, de prendre les mesures propres à assurer leur sécurité et une maîtrise équilibrée des flux migratoires, en particulier, de mettre en place les contrôles convenables à cette fin.

Toutefois la diversité des situations politiques et juridiques des Etats membres fait du Conseil de l'Europe, pourvu que les considérations réalistes que je viens de rappeler soient bien intégrées dans sa démarche, un lieu tout à fait adéquat pour la conduite de réflexions communes. La délégation française apportera volontiers son concours à la poursuite de ces réflexions. »

M. Jean-Pierre Kucheida , Député, a donné plusieurs illustrations concrètes des difficultés d'intégration des immigrés dans la vie locale et dénoncé le risque du communautarisme :

« Bravo à nos deux rapporteurs qui ont réussi à rassembler dans un nombre minimal de pages une réflexion nourrie sur les nombreux problèmes que pose l'élaboration d'une politique commune de la migration et du droit d'asile. Ils l'ont fait, bien entendu, dans la perspective qui est celle du Conseil de l'Europe : la définition de politiques démocratiques dans le respect des droits de l'homme et de sa dignité.

Les quelques réflexions que je vais vous proposer maintenant relèvent de la même inspiration, mais d'une manière légèrement différente. Je crois, en effet, qu'adopter une attitude réaliste dans un domaine qui met en jeu l'avenir de nos sociétés est la meilleure manière d'être fidèle à l'inspiration des droits de l'homme. Les problèmes d'accueil et d'insertion des immigrés dans chacun de nos pays posent des questions très concrètes. Je suis bien placé pour les mesurer car ils forment une bonne partie du quotidien de ma vie de maire. Je suis plus sensible qu'un autre à cette affaire car je représente la troisième génération de l'immigration polonaise d'après 1914-1918.

Mon expérience me permet d'avancer sur ce sujet les deux idées qui me paraissent devoir être prises en compte dans toute réflexion, sur une possible politique commune à l'échelle de la grande comme de la petite Europe.

Je suis bien d'accord pour considérer que les Etats d'accueil ont le devoir de favoriser autant que possible l'intégration des personnes qui viennent s'y installer. Les rapporteurs ont raison d'insister sur la diversité des problèmes que pose cet accueil, s'agissant des conditions d'accès à l'emploi, de l'éducation des enfants ou d'une vie de famille normale. S'il faut en définir le régime juridique, il convient aussi de faire face, - et c'est la source de difficultés quotidiennes pour les collectivités locales, - à des responsabilités accrues: équipements sociaux, écoles, activités culturelles. C'est donc la fierté de nombreux maires de mener cette politique de façon déterminée et humaine, avec le concours des travailleurs sociaux, des associations et des représentants des travailleurs immigrés eux-mêmes.

Cependant, - cette réflexion me séparera peut-être un peu des rapporteurs, - je ne crois pas possible de mener des politiques d'intégration reposant sur ce que M. Hancock appelle «des plans d'action visant à promouvoir l'égalité ethnique et la non-discrimination dans toute la société».

S'il est légitime que des personnes apportant avec elles des traditions culturelles et un certain art de vivre conservent la mémoire de ces traditions et les perpétuent, il ne peut y avoir d'intégration réussie lorsque des communautés étrangères ou des fractions de ces communautés recréent dans le pays d'accueil des sociétés ou des manières de vivre ensemble qui les coupent du reste de la collectivité, accentuent les fractures et suscitent des risques certains d'incompréhension. La protection légitime de l'égalité des droits et du respect de la personne va aux individus, avec tout ce qui constitue leur personnalité, et non aux collectivités. En disant cela, je ne fais qu'appliquer, dans le débat particulier qui nous occupe en cet instant, les principes constitutionnels qui fondent la démocratie française ».

M. François Rochebloine , Député, a souligné que, même volontaire, la décision d'émigrer représentait toujours une rupture douloureuse :

« Le débat qui nous réunit en cet instant est affecté par les passions. Il l'est en France, mais il l'est aussi, je crois, dans chacun des États membres du Conseil de l'Europe. Et s'il est passionnel, c'est parce que, delà du problème de la différence, souvent mis en avant, il réveille dans l'opinion publique la question de l'avenir global de nos sociétés.

Dans ce débat, de surcroît, l'Union européenne et le Conseil de l'Europe jouent, si je puis dire, chacun sa partition. L'Union, qui a pourtant inscrit le problème dans l'agenda de ses travaux depuis plusieurs années, peine à trouver une solution significative tenant compte des différences d'approche, de système juridique et de situations concrètes. Le Conseil de l'Europe, comme le rappellent les rapporteurs, ne peut aborder la question qu'à la lumière des droits fondamentaux de l'homme et de l'interprétation qui leur en est donnée par la pratique de ses institutions.

Alors que l'approche de l'Union européenne est inévitablement laborieuse, celle du Conseil de l'Europe est nécessairement généreuse. Les deux sont indispensables, mais il serait bon qu'elles ne paraissent pas trop dissociables. C'est une question de crédibilité et d'efficacité.

La réflexion sur les droits des immigrés à laquelle nous invitent les rapporteurs devrait à mon sens partir de deux observations complémentaires.

La première est qu'il n'y a pas de bonnes et de mauvaises immigrations. Souvent, dans le débat politique, on fait une sorte de tri entre communautés étrangères: celles qui seraient susceptibles de bien s'intégrer et qui apporteraient une contribution positive aux pays d'accueil, et les autres. Il peut y avoir des problèmes spécifiques liés aux traditions nationales, mais il y a aussi des personnes dont le comportement individuel pose des problèmes plus aigus que d'autres. Or on ne peut prétendre raisonner a priori dans un tel cas.

La seconde est une évidence souvent oubliée: même en partance pour l'Eldorado que représenterait l'Occident pour de nombreux immigrés, l'exil est toujours une blessure, une mutilation de l'être. On n'émigre pas par plaisir, mais par nécessité: nécessité économique, nécessité politique.

Dans les années 60, en France, nombreux étaient ceux qui pensaient que la main d'oeuvre immigrée que l'on faisait venir pour les besoins de la grande industrie n'était là que pour peu de temps et que son retour pourrait être envisagé dès qu'ils auraient répondu à la demande immédiate qui avait provoqué leur venue. En dépit de toutes les déclarations, l'évidence s'est vite imposée: un tel schéma était une vue de l'esprit. Je ne suis pas sûr, pour autant, que cette vue ait disparu de tous les esprits, même d'esprits peu portés à l'extrémisme.

Parce que l'exil est toujours une blessure, il est bon de réfléchir aux moyens de développement qui permettraient aux personnes, envisageant d'émigrer, de rester dans leur pays et de contribuer à son essor. Il est bon de déterminer, en liaison avec les États d'origine, des méthodes de nature à assurer le retour chez eux des immigrés qui le souhaitent, mais qui se trouvent trop souvent, de fait, au bout de quelques années, étrangers dans leur propre pays où n'existe pour eux aucun débouché. En tout cas il faut agir en considération des personnes.

A cette condition, les politiques de maîtrise des flux migratoires et de contrôle des étrangers que l'Union peine tant à mettre en oeuvre, trouveront leur justification au-delà des considérations de simple police ».

M. Jean-Guy Branger , Sénateur, prend à son tour la parole dans cet important débat pour appeler à une approche responsable, tenant compte non seulement des aspirations des candidats à la migration mais aussi des équilibres à assurer dans les sociétés d'accueil :

« Un mot d'abord sur l'intitulé du débat commun avec nos collègues du Parlement européen : liberté de circulation, migration et contrôles aux frontières... Or, derrière chiffres et règlements, il y a des hommes, des femmes, des enfants.

Un rappel encore : ces flux ont une origine, les migrants proviennent de pays où sévissent la misère, l'oppression et la guerre. Ils ont aussi une destination, les pays développés, bien souvent l'Europe.

Si je rappelle ces points, c'est parce que trop souvent le débat sur les flux migratoires se réduit à une opposition caricaturale entre ceux qui veulent l'abolition de tout contrôle et les tenants d'une approche exclusivement sécuritaire.

D'abord, prendre en compte les hommes avant les chiffres.

L'exil est toujours un arrachement aux liens de famille, aux paysages et à la civilisation où on a grandi, bien souvent à la langue maternelle. C'est un malheur qu'il faut gérer, non pas nier, encore moins encourager, ni même masquer aux candidats à l'émigration.

L'arrivée dans le pays d'émigration est elle aussi pleine de risques.

Si nous devons absolument défendre la protection de la dignité des immigrants même illégaux, nous sommes aussi responsables de la paix civile dans nos propres pays.

Cette responsabilité nous impose une triple réflexion :

- sur l'équilibre interne de nos pays. Il n'est pas possible à long ni à même à moyen terme, de concilier les délocalisations des industries de main-d'oeuvre hors d'Europe que nous impose l'OMC, l'indispensable développement de l'Europe centrale et orientale, avec l'accueil, année après année, de centaines de milliers d'immigrants non européens ;

- une réflexion aussi sur les raisons qui poussent ces centaines de milliers d'hommes et de femmes et leurs enfants à prendre les risques, parfois mortels, du voyage vers l'Europe. Les contrôles ne seront que vexations inutiles si l'action ne se porte pas aussi sur le rétablissement de la paix, la lutte contre la corruption et l'oppression qui privent des populations entières des richesses nationales accaparées par quelques tyrans ou chefs de guerre.

J'ajouterai, à ces causes, le maintien, sous prétextes religieux, de structures archaïques comme le déni des droits des femmes : claustration, polygamie, mariages précoces et forcés, analphabétisme, privation de droits politiques...

Est-ce un hasard si trois cartes coïncident : celle de l'oppression des femmes, celles de la misère et celle des terres d'émigration ?

Le meilleur investissement que peuvent faire les organisations de coopération internationale en faveur du développement humain, c'est l'éducation des filles, au besoin par des aides liées, échappant donc aux emplois somptuaires, aux détournements de la corruption, voire au simple gaspillage.

- Enfin, une réflexion est indispensable aussi pour sortir du débat caricatural, « pour ou contre le contrôle des flux migratoires » : il s'agit de s'interroger sur l'évolution de ces flux.

Deux éléments doivent être pris en compte : l'intervention de passeurs, voire de circuits mafieux, d'une part ; la révélation brutale, le 11 septembre 2001, de la diffusion du risque terroriste, mettant à profit la liberté de circulation dans le monde.

Il ne s'agit pas d'assimiler tout candidat à l'émigration, même illégale, dans un État du Nord, avec un trafiquant de personnes humaines ou un terroriste.

Mais l'angélisme n'est plus permis.

Dois-je rappeler l'horreur de la mort de 56 clandestins chinois dans le camion où un passeur les avait enfermés, non sans leur avoir extorqué des milliers de dollars pour prix du voyage vers l'Angleterre ?

Ou encore l'esclavage où sont réduites les jeunes femmes contraintes de se prostituer par des proxénètes, eux aussi passeurs à l'occasion ?

Ces formes de trafics d'être humains ne doivent pas être tolérées et justifient les contrôles et les sanctions les plus sévères.

Enfin, les contrôles sont nécessaires pour entraver autant que possible la diffusion du terrorisme.

On sait que la souffrance des victimes de certains conflits au Moyen-Orient, dans le Caucase ou en Asie centrale est le terreau des foyers d'infiltration des groupes islamistes terroristes qui sont déjà à l'origine des milliers de morts de Manhattan et de Washington.

Il appartient à tous les États démocratiques de mettre ces criminels hors d'état de nuire, notamment par des contrôles aux frontières, y compris la communication des éléments pertinents.

Seule une politique responsable peut priver les mouvements xénophobes de leurs arguments, préserver l'équilibre socio-économique de nos pays, conforter l'adhésion de nos concitoyens à une Europe espace de sécurité et de prospérité, dans la fidélité aux valeurs universelles des Droits de l'Homme.

Voici, mes chers collègues, les compléments que je souhaitais apporter à l'approche, nécessaire mais insuffisante, du problème des flux migratoires telle qu'on nous la propose. Il est de notre responsabilité d'élus européens de concilier le plein respect de la personne et en particulier des migrants, avec la lutte contre les trafics d'êtres humains et le développement du terrorisme. »

À l'issue de ce débat, l'Assemblée a adopté deux recommandations.

La première (n° 9889), relative à la politique commune en matière d'immigration et d'asile, affirme la nécessité de définir, entre les États membres du Conseil de l'Europe, des normes minimales d'accueil dont elle détaille le contenu par rubriques : contrôle aux frontières, rétention liée à l'immigration ou à l'asile, conditions de conformité des procédures d'admission aux normes de la Convention européenne des droits de l'homme (équité, assistance d'un conseil, assistance d'un interprète, durée de la procédure), expulsion, situation des mineurs, répression des trafics.

La seconde (n° 9888), définit en termes larges les actions propres à assurer une véritable intégration des immigrés.

3. La réforme des systèmes de santé en Europe : concilier équité, qualité et efficacité

M. Claude Evin , Député, à partir de son expérience ministérielle en ce domaine mais aussi dans le souci des évolutions actuellement en cours dans tous les États européens, prend la parole en ces termes :

« Ce rapport permettra de fixer un certain nombre de principes face à la situation à laquelle nous sommes confrontés dans chacun de nos pays: réformer nos systèmes de santé.

Quels que soient, en effet, les modes d'organisation de notre système, qu'ils soient organisés plutôt sur un mode assurantiel de type «Bismarck» ou plutôt organisés autour de l'État, en systèmes de santé de type «Beveridge», que nous soyons dans des pays de l'Europe ouverts depuis longtemps à une économie de marché, ou dans des pays d'Europe centrale et orientale, en transition de l'économie étatisée vers une économie plus libérale, nous sommes tous confrontés à la nécessité d'adapter nos systèmes. Tous nos systèmes sont confrontés d'une part au vieillissement de la population et d'autre part à l'augmentation des coûts car assurer des soins de qualité coûtent de plus en plus cher.

Il est bon que notre Assemblée, face à ces situations qui nous rassemblent tous, exprime aujourd'hui un certain nombre de principes. Et précisément, le rapport de notre collègue Brînzan en affirme un certain nombre.

L'égalité de l'accès aux soins, qui est notre souci, est le premier principe à affirmer. L'accès aux soins, ce n'est pas une activité économique comme les autres. Tout le monde doit pouvoir se faire soigner quels que soient ses revenus, tout le monde a droit de recevoir des soins de qualité. Il s'agit de ce qui est le plus fondamental pour l'homme: le droit à la vie. J'entends bien un certain nombre de mes collègues me rétorquer: «mais il faut que les patients soient responsables»! Certes! Loin de moi, naturellement, l'idée de nier la responsabilité de chacun.

Chers collègues, je voudrais appeler votre attention sur le fait que, devant la santé, le choix de chacun d'entre nous n'est pas évident. Quand nous sommes malades, nous ne savons pas ce qui est bien pour notre santé disons, plus généralement, ce qui est bien dans notre situation. Chacun a besoin d'être éclairé. Voilà pourquoi il est nécessaire d'affirmer un rôle régulateur de la part de l'État. On ne peut pas laisser le patient seul face à un choix devant une offre de soins non organisée. On ne peut admettre une offre de soins organisée uniquement en fonction des règles du marché. L'État doit jouer un rôle de régulation de notre système de santé.

Le fait que l'État joue ce rôle ne signifie pas qu'il doit tout faire, que la seule organisation du système de santé préconisée dans ce rapport serait une organisation étatique. Les pays qui ont fait, par exemple, le choix d'un système fondé sur des assurances sociales et qui organisent le financement de l'accès aux soins selon des principes de solidarité nationale et non en fonction des principes de marché ou de la concurrence commerciale, n'ont pas tout confié à l'État. Ils ont affirmé fortement la nécessité que l'État organise à la fois l'offre de soins et son financement. Notre Assemblée doit donc confirmer l'égalité de l'accès aux soins. Cette égalité doit faire partie des principes fondamentaux des droits des personnes.

Le rapport est important en ce qu'il insiste sur la prévention. Notre objectif ne doit pas être, seulement, d'offrir des soins et d'organiser leur consommation, il est aussi de tout faire pour éviter que nos populations soient malades. Il importe que nous puissions conduire des politiques de santé publique dans les domaines des comportements dits «à risque», qu'il s'agisse de la consommation de tabac ou d'alcool. De ce point de vue, l'État doit pouvoir jouer aussi un rôle important.

En effet, ce rapport doit être approuvé parce qu'il affirme très fortement -mais sans doute faudra-t-il l'enrichir d'un amendement en la matière- les droits des patients. Il est absolument nécessaire de les affirmer tout comme il faut affirmer les droits à l'autonomie de la personne face aux systèmes de santé.

En conclusion, cet excellent rapport mérite d'être soutenu. Il affirme la nécessité de l'équité dans l'accès aux soins, de la qualité dans l'offre de soins. Ce rapport réaffirme des principes qui sont parfaitement en cohérence avec ceux de l'ensemble du Conseil de l'Europe, des principes de cohésion sociale. »

M. Jean-Pierre Kucheida , Député, prend la parole à son tour pour insister sur l'impératif de solidarité qui doit continuer de régir nos systèmes de soins :

« L'excellent rapport de notre collègue Ovidiu Brînzan aborde en peu de pages de nombreux problèmes et ouvre à notre réflexion des pistes que, sans doute, nous retrouverons dans les travaux de notre Assemblée au cours des années à venir. Je rejoins très largement ce que vient de dire mon collègue Claude Evin.

Je suis d'accord avec M. Brînzan pour considérer, comme le dit le projet de recommandation, que la réforme des systèmes de santé européens doit être guidée par les valeurs de dignité, d'équité, de solidarité et d'éthique professionnelle.

Je voudrais insister ici sur l'idée de solidarité. La solidarité, au sein même de notre société, avant d'être le critère d'une réforme, doit être le guide du comportement de chacun. Nous en avons eu la preuve l'été dernier en France: la canicule a pris par surprise un pays classé par l'OMS comme le premier au monde pour son système de santé. Mais là où existe une tradition collective d'entraide, comme dans les régions minières que je connais bien, la canicule n'a pas eu d'effet dévastateur aussi frappant que dans la région parisienne ou dans quelques grandes agglomérations. La solidarité doit donc être dans les fondements de notre société.

La solidarité justifie aussi la création d'un véritable service public de la santé, assurant effectivement l'égal accès de tous aux soins. La couverture maladie universelle qui se met en place par exemple en France et qui est contestée par certains, est un bon exemple de mise en oeuvre de cette idée de service public. Mais puisque la solidarité est au fondement du système, elle implique aussi la responsabilisation de ceux qui en bénéficient. La santé n'est pas la surconsommation des produits de santé; les effets pourraient d'ailleurs en être diamétralement opposés. Une véritable pédagogie de la santé est à mettre en place.

Enfin, la solidarité implique que la santé échappe le plus possible aux lois du marché. La vie ne peut être objet de commerce. Si la qualité des soins obéit si peu que ce soit à un arbitrage de rentabilité, il ne fait pas de doute que nous assisterions aux pires abus. A cet égard, l'expérience du système de santé américain est éclairante. »

4. Rôle des Nations Unies en Irak

A nouveau l'Assemblée parlementaire s'est attachée à examiner l'évolution de la situation en Irak. Cette fois, l'actualité l'a amenée à s'interroger sur le rôle que pourraient jouer les Nations Unies dans la reconstruction du pays.

La commission des questions politiques, sur le rapport de Mme de Zulueta, a invité l'Assemblée à soutenir les efforts du Secrétaire général des Nations Unies alors que les représentants de l'ONU en Irak ont été directement victimes de l'action terroriste.

M. Bernard Schreiner , Député, Président de la délégation française(1 ( * )), a rappelé les conditions qui, pour la France, sont des préalables au règlement du conflit :

« Le retour régulier de la question irakienne, sous ses diverses facettes, dans les débats de notre Assemblée, nous donne malheureusement l'occasion de constater que, loin de s'améliorer, la situation dans ce pays se dégrade encore. Les efforts de la coalition marquent le pas du seul fait qu'il s'agit d'une force d'occupation. De plus en plus, il apparaît que la recherche d'une solution politique durable passe par la médiation de la communauté internationale. Le Président Bush lui-même en convient puisqu'il souhaite le retour des Nations Unies dans le règlement du conflit.

De fait, il me semble que ce soit la voix de la sagesse. Encore faut-il que les conditions générales de la préparation d'un règlement durable soient réunies. Or, parmi celles-ci, l'espérance de progrès concrets dans le processus de paix entre Israël et la Palestine figure au premier plan.

Malheureusement, nous assistons, entre les antagonistes de cette lutte qui n'en finit pas, à l'escalade de la passion, de la violence et de la terreur. Néanmoins, supposons - car il faut bien réfléchir à l'avenir de l'Irak - ce préalable levé. Si l'Organisation des Nations Unies intervient dans la marche vers l'établissement d'un régime politique démocratique en Irak, ce ne pourra être qu'avec un statut clair et pour des missions précises.

Il faudra donc d'abord un statut clair, c'est-à-dire une autonomie réelle par rapport aux forces et aux pressions politiques de la coalition. L'Onu ne réussira pas si elle apparaît comme la mandataire de la coalition ou l'exécutrice de ses oeuvres de paix.

Il conviendra ensuite de définir des mesures précises. A cet égard, le dispositif de la proposition de résolution ne convient pas tout à fait. A mon avis, il faut viser le transfert de souveraineté au peuple irakien, la tenue d'élections pour mettre en place une constitution, la constitution d'une force multinationale sous mandat de l'Onu, la clarification du régime de propriété et d'exploitation des ressources naturelles, autrement dit, du pétrole. Tout cela correspond aux positions que la France défend conjointement avec l'Allemagne et la Russie.

J'ajoute qu'il convient de soutenir particulièrement les personnes et les forces politiques capables de porter, en Irak, les valeurs universelles de la démocratie, garantissant ainsi le droit à la pleine capacité juridique et politique des personnes appartenant à des groupes minoritaires. Je songe particulièrement aux chrétiens d'Irak.

C'est seulement à ce prix que l'on pourrait envisager, comme le propose le dernier point du projet de résolution, de mettre à contribution les capacités d'expertise et de conseil du Conseil de l'Europe. Une initiative prématurée, exposée à une réaction de rejet, serait pour notre institution, et plus encore pour les valeurs qu'elle défend, la plus néfaste des situations.

M. Daniel Goulet , sénateur, exprime sa vive inquiétude devant une situation qui met à mal l'espérance de voir se créer un ordre juridique mondial fondé sur les droits de l'Homme :

« Débat bien important, presque irréaliste que celui qui nous est proposé pour ce dernier jour de session.

Ce débat d'urgence est en réalité un débat de fond. Personne ne doute qu'il faille, sans tarder, réintroduire l'ONU dans le dispositif de reconstruction de l'Irak. Toutefois, à mon sens, la vraie question n'est pas là. Celle que chacun d'entre nous doit aujourd'hui se poser en tant que parlementaire responsable est la suivante: comment en sommes-nous arrivés là ?

Pardonnez ma franchise, mais pardonnez aussi ma fermeté. Comment, à l'aube de ce troisième millénaire, sommes-nous parvenus à générer un monde sans règles, dans lequel l'ordre public international est bafoué au profit d'intérêts particuliers et catégoriels ? Cette intervention américaine en Irak n'est qu'une manifestation supplémentaire, ultime, de la dérégulation de la sécurité nationale et de l'ordre public qu'elle a essayé d'élaborer depuis 1945, après l'échec de la Société des Nations, utopie du siècle dernier.

Nous pourrions tapisser les murs de cet hémicycle de résolutions de l'Onu n'ayant jamais reçu le moindre commencement d'exécution, qu'il s'agisse du Caucase bien sûr, mais aussi du Moyen Orient ou de l'Afrique. Les peuples qui attendaient de cette instance qu'elle dise le droit et le fasse respecter ne voient alors qu'injustice, faiblesse et faillite. Ils ne voient dans l'Onu qu'une organisation tentaculaire en proie aux luttes d'intérêts et aux compromis, quand il ne s'agit pas de compromissions.

Oui, les Etats-Unis sont une grande nation ; oui, les Etats-Unis ont libéré l'Europe du nazisme ; oui, les Etats-Unis sont une grande démocratie ; mais ils n'avaient pas à jouer l'apprenti sorcier et à sonner ainsi le glas de l'ordre public international qu'il va nous falloir repenser.

Il faudra repenser l'organisation de l'Onu, certes, mais, aussi, peut-être, celle de notre Assemblée. Combien de résolutions votées, embourbées au niveau du Comité des Ministres ! Combien de débats d'urgence sans résultat concret !

Notre Assemblée est aussi victime du discrédit des organisations internationales. N'a-t-on pas lu cette semaine dans Le Figaro, quotidien français que vous connaissez, que notre Bureau avait renoncé à envoyer des observateurs aux élections en Tchétchénie par crainte que la Russie ne réduise sa contribution financière à notre Assemblée, ce que je me refuse à croire.

Alors, Monsieur le Président, mes chers collègues, moi, qui n'étais qu'un adolescent pendant la dernière guerre, moi qui étais soldat en Indochine, je suis terriblement inquiet. L'injustice sociale et politique fait le lit des extrémistes. Il est facile, si facile, lorsqu'un conflit s'enlise, de confondre ensuite les effets et les causes.

L'intervention en Irak donne un bien mauvais exemple aux autres nations. Elle est le signe de la dérégulation, la porte ouverte aux zones de non-droit, à l'autorité de la chose décidée et non de la chose jugée ou votée.

On est bien loin du droit à l'ingérence humanitaire invoquée pour intervenir au Kosovo. Le seul droit qui vaille aujourd'hui est celui qui donne la puissance militaire et financière.

La communauté internationale vient de se décrédibiliser aux yeux de milliers de personnes qui lui faisaient confiance. Comment allons-nous retrouver un ordre public international crédible ? Comment allons-nous de nouveau élaborer, dire et faire respecter le droit ? Si nous ne trouvons pas rapidement une réponse à cette question, nous aurons une responsabilité immense au regard des générations futures. Pour tout dire, je suis assez pessimiste.

Je le dis et je le répète : là où il n'y a pas de droit, il y a l'ambition et l'injustice, terreaux de l'extrémisme et du terrorisme.

Cela dit, il va de soi que je voterai l'excellent rapport de notre commission qui contribuera, je l'espère, à faire prendre conscience à notre Assemblée que les citoyens du monde, devant lesquels nous avons une très grande responsabilité, ne doivent pas être plus longtemps désemparés et impuissants sur une planète quelque peu déboussolée ».

5. Menace des partis et mouvements extrémistes pour la démocratie en Europe ; discours raciste, xénophobe et intolérant en politique

Conformément à une tendance que l'on constate dans d'autres organisations internationales, et notamment à l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l'Assemblée parlementaire s'est préoccupée des risques que fait peser sur l'équilibre des sociétés qui acceptent les valeurs démocratiques, la montée de l'extrémisme et du racisme.

Dans son rapport au nom de la commission des questions juridiques, Mme Feric-Vac, par ailleurs présidente de la délégation croate, s'efforce de recenser les mouvements et comportements qui, parmi les États membres du Conseil de l'Europe, révèlent une recrudescence des comportements racistes.

Au cours de la discussion, M. Jean-Claude Mignon , Député, a rappelé les principes directeurs et le développement de la législation antiraciste en France, soulignant qu'il avait traduit la réaction unanime des partis et responsables attachés aux Droits de l'Homme contre des attitudes dangereuses et toujours évolutives :

« Je remercie les deux rapporteurs d'avoir apporté des éclairages convergents sur les menaces que l'extrémisme politique et les idéologies xénophobes font peser sur l'équilibre démocratique des sociétés européennes.

Je suis d'autant plus à l'aise pour le faire que la France figure certainement parmi les pays les plus vigilants pour lutter contre ces dangers. Le racisme et l'extrémisme politique entrent en effet en contradiction directe avec la conception française d'une société fondée sur les Droits de l'Homme.

L'égalité des individus devant la loi, qui interdit d'opérer entre eux des distinctions, des discriminations et des préférences fondées sur l'origine, le sexe, l'opinion, la religion, la race, est radicalement incompatible avec toute philosophie autoritaire qui confisque le pouvoir au bénéfice d'une minorité, et avec toute doctrine qui établit des différences de dignité et de droits entre les hommes. C'est d'ailleurs pourquoi le législateur a toujours été prompt à réagir aux atteintes portées par les courants extrémistes aux principes républicains de liberté, d'égalité et de fraternité.

La première législation en la matière, le décret-loi Marchandeau du 21 avril 1939, qui réprime la discrimination selon la race et la religion, est une réaction contre la montée du nazisme. En 1972, la définition des infractions à caractère raciste fait l'objet d'une législation nouvelle, votée à l'unanimité, qui répond aux manifestations d'intolérance dont sont victimes les travailleurs immigrés et leurs familles. En 1990, la contestation de l'existence de crimes contre l'humanité est constituée en infraction à la suite du développement des publications révisionnistes niant la réalité ou l'ampleur du phénomène concentrationnaire. Récemment, pour répondre au regain d'actions antisémites fondées, non pas sur l'expression de doctrines fascisantes, mais sur l'existence de tensions intercommunautaires, la loi du 3 février 2003 a érigé en circonstance aggravante l'existence d'un mobile raciste à la source d'une infraction de droit commun.

La législation française est une législation de défense et de protection de la fraternité républicaine. Elle protège les personnes, et non les communautés. Législation de riposte, elle doit être adaptée régulièrement à l'évolution des comportements extrémistes. Elle repose sur le postulat que la défense intransigeante de la liberté de chaque homme l'emporte sur la libre expression de théories qui conduisent en pratique à faire bon marché de cette liberté. En cela il me semble qu'elle est parfaitement fidèle à la conception des droits de l'homme que se fait le Conseil de l'Europe, qui apprécie la valeur de toute doctrine philosophique, politique ou religieuse en fonction du degré de tolérance qu'elle est capable de manifester envers les autres conceptions de la vie et de la société.

La délégation française approuve donc l'esprit de la démarche proposée par les deux commissions ».

M. Jean-Pierre Kucheida , Député, prenant aussi la parole dans ce débat, a expliqué en quoi la promotion de la conception française de la laïcité pouvait aider à lutter contre les phénomènes dénoncés par le rapport :

« Je remercie nos collègues M me Feric-Vaæ et M. Mac Namara de nous avoir aidés à prendre la mesure de la montée du péril des extrêmes dans nos sociétés européennes.

A propos de l'extrémisme en politique, je la rejoins tout à fait lorsqu'elle rappelle que «c'est la situation sociale, et plus particulièrement les inégalités et l'incertitude, qui forme le terreau d'un mouvement», et l'on me permettra de penser, puisqu'elle emploie à plusieurs reprises le terme d'abus des droits démocratiques, que l'abus de règles libérales dans le domaine social et économique - il faut faire attention à la liberté du renard dans le poulailler - peut contribuer dans une large mesure au développement de mouvements politiques dangereux pour la société démocratique.

Je veux surtout revenir sur les risques de déviation antidémocratique que fait courir à notre Europe des libertés le développement de certaines formes d'extrémisme ou d'intégrisme religieux.

Je suis d'accord avec elle pour penser que «le sentiment religieux profond peut être exploité abusivement et même servir de justification à l'extrémisme politique».

La laïcité républicaine établit une stricte séparation entre le domaine des croyances religieuses et de la vie spirituelle personnelle, qui relève, sous la sauvegarde de la loi, de la liberté de chacun, et le domaine de la vie politique et des responsabilités de l'Etat. Par le fait même, elle donne à l'Etat le fondement nécessaire pour faire apparaître le caractère totalitaire de certaines expressions d'opinions philosophiques et de croyances religieuses. Elle est la véritable garantie de la liberté de conscience, puisqu'elle protège les religions des empiètements de l'Etat, et elle est en même temps la véritable garantie des droits de l'homme, puisqu'elle en établit la primauté par rapport à toutes les formes d'expressions religieuses ou philosophiques particulières.

En France, la laïcité est un principe fondateur de la République. Comme le dit justement M me Feric-Vaæ, le soutien de l'opinion est une condition indispensable de succès pour l'action de la police et de la justice contre les extrémismes: l'idéal laïque est incontestablement porté par la très grande majorité des Français, y compris ceux qui professent et pratiquent une religion. C'est ce qui explique la vigueur des réactions suscitées par certains comportements ostentatoires dont les arrière-pensées sont connues.

Je sais que la laïcité à la française suscite parfois des interrogations chez certains de nos collègues. Le présent débat me paraît illustrer parfaitement la force et la pertinence de ce principe dans la lutte, qui nous est commune, contre les extrémismes de toutes sortes.

La laïcité est le principe fondateur d'un monde de tolérance, donc de la démocratie. Ce sont les pères fondateurs de l'Europe, de la République - ce qui, au sens étymologique appartient à tous -, les grands philosophes du siècle des Lumières qui ont mis en évidence cette nécessité; je ne crois pas aux républiques socialistes ou aux républiques islamistes pas plus qu'à un état sioniste. Je ferai enfin simplement remarquer que les excès sont extrêmes dans ces régimes et non dans les «républiques laïques» bien que pour moi, et je suppose pour vous, il s'agisse d'un pléonasme. En fait, la République bien appliquée devrait se suffire à elle-même et éviter les abus de droit ».

À l'issue de ce débat, l'Assemblée a adopté les Résolutions 1344 et 1345 proposées par la commission des questions politiques.

Résolution n° 1344

1. L'Assemblée parlementaire reste préoccupée par la résurgence des mouvements et partis extrémistes en Europe, et considère qu'aucun Etat membre n'est à l'abri des menaces intrinsèques que l'extrémisme fait peser sur la démocratie.

2. Aujourd'hui, l'extrémisme a tendance à s'étendre à l'échelle du continent européen. En Europe occidentale, les partis et mouvements extrémistes ont enregistré des scores électoraux importants. Dans d'autres Etats membres du Conseil de l'Europe, l'extrémisme politique a également connu une progression importante. Cette évolution actuelle doit inciter les Etats membres du Conseil de l'Europe à redoubler de vigilance et à évaluer les menaces que l'extrémisme fait peser sur les valeurs fondamentales que le Conseil de l'Europe a pour mission de défendre.

3. L'extrémisme, quelle que soit sa nature, correspond à une forme d'activité politique rejetant, de manière ouverte ou déguisée, les principes de la démocratie parlementaire et fonde bien souvent son idéologie, comme ses pratiques et ses comportements politiques, sur l'intolérance, sur l'exclusion, sur la xénophobie, sur l'antisémitisme et sur l'ultranationalisme.

4. L'Assemblée constate que certains mouvements extrémistes cherchent à justifier leurs actes par la religion. Cette tendance actuelle présente un double danger, car, d'une part, elle encourage l'intolérance, le fanatisme religieux et l'intégrisme, et, d'autre part, elle conduit à l'isolement de communautés religieuses entières à cause d'individus qui dévoient les valeurs universelles de la religion.

5. L'extrémisme s'appuie sur un malaise social pour proposer des solutions simplistes et stéréotypées, répondant aux angoisses et aux incertitudes de certaines catégories sociales face aux mutations de nos sociétés. Il rejette la responsabilité de ces difficultés sur l'inadaptation de la démocratie représentative à répondre aux défis du monde contemporain, sur l'incapacité des élus comme des institutions à prendre en compte les attentes des citoyens ou désigne comme responsable ou menace potentielle une catégorie spécifique de la population.

6. Fortement hiérarchisés, les partis et mouvements extrémistes sont souvent des oligarchies, n'appliquant pas les principes démocratiques à leur fonctionnement interne. L'unité du groupe est renforcée par son idéologie exclusive, son discours populiste et simplificateur, et par la prédominance du leader.

7. L'extrémisme représente un danger pour tout Etat démocratique car son caractère fanatique peut servir de prétexte pour utiliser et pour justifier la violence. Même s'il ne prône pas directement la violence, il crée un climat favorable à son développement. Il constitue à la fois une menace directe, car il fragilise l'ordre constitutionnel démocratique et les libertés, et une menace indirecte, car il peut altérer la vie politique. Les partis politiques classiques peuvent en effet être tentés d'adopter les positions et les discours démagogiques propres aux partis extrémistes, afin de contrer leur progression électorale.

8. L'Assemblée est consciente que la lutte contre l'extrémisme place les démocraties devant un dilemme, car elles doivent, d'une part, garantir la liberté d'expression, la liberté de réunion et d'association, et permettre l'existence et la représentation politique de tout groupe politique, et, d'autre part, se défendre et établir des garde-fous face à l'action de certains partis extrémistes bafouant les principes démocratiques et les droits de l'homme.

9. L'Assemblée, se référant à la Recommandation 1438 (2000) sur la menace des partis et mouvements extrémistes pour la démocratie en Europe et à la Résolution 1308 (2002) sur les restrictions concernant les partis politiques dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, reste convaincue que les Etats doivent éviter toute normalisation de l'extrémisme et contrer ses effets en appliquant, ou en adoptant si elles n'existent pas, des mesures politiques et législatives appropriées en vue de préserver un Etat de droit, fondé sur le respect des règles démocratiques et des droits de l'homme. A cet égard, l'Assemblée note que l'évolution historique des pays et des critères de tolérance différents entraînent, d'un Etat à l'autre, des sanctions différentes pour des situations similaires.

10. Cependant, l'Assemblée estime que ces mesures restrictives ne peuvent combattre les racines de l'extrémisme que si elles sont soutenues par l'opinion publique et que si elles s'accompagnent de mesures additionnelles, en matière d'éthique politique, d'éducation ou d'information notamment.

11. L'Assemblée constate que la société civile constitue un relais nécessaire entre la société et le pouvoir : elle s'est souvent révélée être un allié politique primordial dans la promotion des droits de l'homme et de la démocratie. Dès lors, les Etats doivent considérer les organisations de la société civile comme des partenaires et les aider à se structurer en soutenant leurs actions.

12. L'Assemblée estime que les principes et règles contenus dans la Convention européenne des droits de l'homme, dans la Convention internationale des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, et dans les recommandations de politique générale de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (Ecri), notamment dans sa Recommandation n o 7 sur la législation nationale pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale adoptée en décembre 2002, sont des textes fondamentaux qui doivent orienter les Etats membres dans leur stratégie de lutte contre l'extrémisme.

13. Par conséquent, l'Assemblée invite les gouvernements des Etats membres du Conseil de l'Europe :

14. à prévoir, dans leur législation, que l'exercice des libertés d'expression, de réunion et d'association puisse être limité afin de lutter contre l'extrémisme. Toutefois, toute mesure restrictive doit être conforme à la Convention européenne des droits de l'homme ;

15. à faire appliquer ou à prévoir si elles n'existent pas :

a. des sanctions efficaces lorsque des cas prouvant des préjudices, émanant d'un parti ou d'un de ses membres, sont constatés ;

b. des sanctions proportionnées et dissuasives contre l'incitation publique à la violence, à la discrimination raciale et à l'intolérance ;

c. la suspension ou le retrait du financement public d'organisations promouvant l'extrémisme ;

d. la dissolution de mouvements et partis extrémistes, qui doit toujours être considérée comme une mesure d'exception. Elle se justifie en cas de menace contre l'ordre constitutionnel et doit être conforme aux dispositions constitutionnelles et législatives du pays ;

i. à contrôler et si nécessaire à prévenir la reconstitution, sous une autre forme ou dénomination, de partis ou mouvements dissous ;

ii. à inciter les partis politiques à concevoir une nouvelle déontologie, en fondant leurs programmes et leurs actions sur le respect des droits et des libertés fondamentales, en excluant toute alliance politique avec des partis extrémistes, en renforçant si nécessaire les règles de transparence sur le financement des partis politiques et en apportant des solutions crédibles aux problèmes sociaux et économiques préoccupant les citoyens ;

iii. à développer des programmes scolaires d'éducation à la citoyenneté démocratique fondés sur les droits et les devoirs des citoyens, sur la tolérance sociale et sur le respect des différences. L'éducation et la formation apparaissent en effet comme les moyens les plus fondamentaux et durables pour se prémunir contre l'idéologie discriminatoire de l'extrémisme ;

iv. à encourager des campagnes de sensibilisation pour que les citoyens prennent conscience des effets nuisibles de l'extrémisme politique sur la démocratie ;

v. à encourager la société civile, qui joue un rôle fondamental dans le processus d'intégration et de cohésion sociale, à surmonter toute forme d'extrémisme et d'intolérance ;

vi. à établir à la fois des mesures législatives et administratives au plan national et une coopération internationale plus poussée, en vue de décourager toute diffusion de l'idéologie extrémiste, notamment par le biais des nouvelles technologies de l'information ;

vii. à soutenir les travaux de l'Ecri, dont la mission est de combattre le racisme, la xénophobie, l'antisémitisme et l'intolérance au niveau de la grande Europe, et de s'assurer que les Etats membres donnent une suite concrète à ses recommandations.

6. Incidences de la « Politique de Mexico » sur le libre choix d'une contraception en Europe

Aspect moins médiatisé des libertés fondamentales, le libre choix des femmes peut être obéré par les entraves mises à l'action des organisations qui diffusent l'information sur la contraception. Ainsi, l'Administration des États-Unis, depuis l'élection du Président George Bush, refuse toute subvention aux ONG qui ne partagent pas ses vues en la matière, exprimées par la « Politique de Mexico ».

M. Jean-Pierre Masseret , Sénateur, est intervenu dans ce débat pour défendre la liberté d'information et de choix des femmes :

« J'approuve tout à fait les observations de notre rapporteur et le projet de résolution qu'elle soumet à notre vote.

Par le biais de la politique dite « de Mexico » les États-Unis d'Amérique prennent le risque de ruiner l'action des ONG en faveur de la santé des femmes, de la planification des naissances et de la lutte contre les maladies sexuellement transmissibles comme le SIDA.

Risques pour les ONG ? Risque surtout et d'abord pour les femmes dont la survie même et celle de leurs enfants dépend encore des aides reçues.

Nous partageons tous le sentiment que l'avortement n'est pas une méthode de planification familiale comme l'affirme d'ailleurs notre rapporteur.

Devons-nous pour autant nous aveugler sur le risque mortel que courent des millions de femmes chaque année ?

Devons-nous également nous aveugler sur le fait que, désormais, en Asie et surtout en Afrique les victimes du SIDA sont en majorité des femmes, des femmes jeunes qui vont laisser d'innombrables orphelins ?

Cet aveuglement ou, pire, l'abstention délibérée de toute aide, relèvent de la non-assistance en personne en danger et d'une interprétation inhumaine de normes religieuses.

La promotion de la condition des femmes passe d'abord par la préservation de leur vie et leur accès à des soins comprenant la contraception, y compris, dans les cas de détresse, le recours à l'interruption de grossesse médicalement sécurisée.

Enfin, je voudrais souligner qu'il y a une certaine incohérence à se réclamer, d'une part, de convictions religieuses pour refuser, même dans les cas de détresse manifeste, le recours à l'avortement, et, d'autre part, à continuer d'appliquer la peine de mort à plusieurs centaines de condamnés chaque année, y compris en termes de procès critiquables.

La plupart des États européens ont choisi une position inverse : l'abrogation de la peine capitale et la promotion du droit des femmes à préserver leur santé et maîtriser leur fécondité y compris en leur faisant pleinement confiance : elles sont les seules juges, en dernier recours, des situations de détresse qui peuvent justifier une interruption de grossesse et elles ont le droit, alors, de ne pas encourir de risques vitaux.

C'est dans cet esprit que j'apporterai mon vote au projet de résolution que nous propose Mme Zwerver au nom de notre Commission de l'égalité ».

À l'issue de ce débat, l'Assemblée a adopté la Résolution 1347.

7. L'OCDE et l'économie mondiale

Ce débat élargi est l'occasion d'associer des élus (y compris des représentants ad hoc du Canada, de Corée et du Japon) à l'appréciation des orientations de l'Organisation de coopération et de développement économique, de nature purement intergouvernementale et qui ne comprend pas de branche parlementaire. D'où les différences d'approche qui se font sentir dans ce débat annuel.

Ainsi, les orientations et prévisions sont exposées par M. Donald Johnston , Secrétaire général de l'OCDE. Il déclare tout d'abord :

« Je m'exprimerai tout d'abord en français.

Faut-il rappeler que l'OCDE est une organisation bilingue?

J'aimerais formuler quelques brefs commentaires sur chacune des principales régions économiques du monde.

Aux Etats-Unis, la reprise se déroule à peu près comme prévu dans les perspectives économiques publiées par l'OCDE en avril. La plupart des indicateurs sont en hausse et les enquêtes témoignent d'une activité soutenue dans les industries manufacturières comme dans les services. La confiance des consommateurs s'est améliorée depuis la guerre en Irak; les ventes au détail et les commandes de biens durables reflètent un affermissement de la demande finale.

Globalement, la croissance du PIB réel sera de l'ordre de 2,5 % sur l'ensemble de l'année 2003. De fait, les Etats-Unis jouent encore un rôle moteur dans la reprise économique mondiale grâce à d'importantes mesures de relance monétaire et budgétaire. Cependant, ce pays, comme certaines autres grandes économies de l'OCDE accusent aujourd'hui des déficits publics considérables et croissants. Cette tendance préoccupante appellera une vigoureuse action correctrice dès que la reprise aura acquis une certaine dynamique.

Aux Etats-Unis, l'inflation qu'on appelle tendancielle, c'est-à-dire «OP» des produits alimentaires et énergétiques va continuer de baisser progressivement puisque, même avec une accélération de la croissance, il faudra un certain temps pour résorber la marge de capacité non utilisée. Etant donné le rythme de la reprise, il semble néanmoins que le risque de déflation cité dans le rapport de M. Caccia se soit aujourd'hui considérablement éloigné.

Au Japon, contre toute attente, je le dis à nos amis japonais ici présents, la croissance économique a été nettement positive. Elle pourrait dépasser les 2 % cette année. La confiance des entreprises au Japon s'est légèrement améliorée au cours de la période récente sous l'effet d'un redressement des bénéfices, d'une avancée des restructurations, d'une amélioration des perspectives de croissance aux Etats-Unis - ce qui est très important - et en Asie ainsi que d'une diminution des incertitudes à l'échelle mondiale. La confiance des ménages s'est, elle aussi, raffermie. Enfin, si l'inflation tendancielle a été négative pendant la moitié d'une décennie, on s'attend désormais à ce qu'elle se rapproche progressivement de zéro grâce à une activité plus soutenue et une politique monétaire plus active.

La zone euro demeure un des points faibles de l'économie mondiale car la reprise attendue ne s'y est pas encore concrétisée. Pour l'ensemble de la zone, la croissance pourrait n'être que d'environ 0,5 % en 2003.

Les premiers signes de raffermissement sont discernables. Ainsi, l'inflation tendancielle a sensiblement baissé, passant sous la barre des 2 %. Je dois cependant mettre un bémol, car vous avez pu constater récemment la faiblesse du dollar américain. Je n'en parle pas dans mon discours, mais c'est évidemment un aspect inquiétant et vous avez pu constater que les autorités japonaises ont essayé cette semaine de redresser la situation. »

M. Jean-Pierre Masseret , Sénateur, tient à exprimer des réserves sur ces orientations, insistant sur la nécessaire subordination de la « mondialisation » au respect d'un socle de droits sociaux universels et la prise en compte d'un développement durable et plus généralement du principe de précaution sans lesquels il n'est pas de libre concurrence loyale :

« Mon propos se veut équilibré.

Je soulignerai d'abord quelques points de satisfaction que je partage avec notre rapporteur.

- le renforcement du contrôle législatif de la « gouvernance d'entreprise » et de la transparence des marchés financiers.

- l'urgence d'organiser les moyens de lutte contre d'éventuelles épidémies avec le renforcement des moyens de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

- la distinction entre l'approche des échanges de biens matériels et le secteur culturel, nécessitant, je cite, « un intérêt accru et spécifique » ; je note l'initiative canadienne pour promouvoir un instrument international en faveur de la diversité culturelle et j'approuve pleinement l'appui donné à l'objectif commun au Conseil de l'Europe et à l'UNESCO.

Évidemment, j'approuve tout particulièrement l'insistance que met notre rapporteur à soutenir un élargissement des critères de performance économique dans les travaux de l'OCDE. Il est indispensable que les analyses de ces performances se placent dans des perspectives à moyen et long terme, celui du développement durable.

Il faut substituer, à des critères strictement économiques, une appréciation intégrée du développement de nos sociétés prenant pleinement en compte

-- le développement humain et social,

- la protection de l'environnement.

J'approuve encore l'appel à la prise en compte dans les recommandations de l'OCDE du principe de précaution à l'égard de la santé humaine et de l'environnement dans son évolution à long terme. Cela vaut par exemple pour l'administration d'hormones aux animaux d'élevage dont des résidus se retrouvent dans la viande et dans le lait, cause probable de nombreux cancers. Or certains États membres de l'OCDE, notamment les États-Unis, imposent des pénalisations à l'Union européenne qui a interdit ces pratiques.

Il est impératif que l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) soit tenue à son tour d'intégrer ce principe de précaution dans les traités et les arbitrages qui s'élaborent dans ce cadre.

Je pense même qu'il convient d'inviter les États-Unis à s'engager clairement dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre selon les normes de Kyoto. Cela vaut aussi pour la Russie et la Chine qui ont des gisements énormes d'économies en améliorant leurs performances d'efficacité énergétique.

Je soutiens évidemment aussi l'intégration d'indicateurs d'éducation et de cohésion sociale pour la définition des politiques économiques.

Je voudrais seulement que ces indicateurs s'appuient sur les normes de l'Organisation internationale du travail (OIT) :

- interdiction du travail des enfants,

- interdiction du travail forcé,

- protection de la santé et de la sécurité des travailleurs,

- respect du droit syndical,

- limitation du temps de travail.

Ouvrir à la concurrence les échanges avec des pays qui permettent le travail des enfants ou qui emprisonnent les syndicalistes, ce n'est pas le libre jeu du marché, c'est la loi de la jungle.

Mais je m'interroge sur la cohérence de toutes ces recommandations très positives de prise en compte du développement durable, social et environnemental, avec les paragraphes 4. et 5. du projet de résolution.

L'appel à l'introduction, je cite, de « davantage de flexibilité sur les marchés de l'emploi » est contradictoire avec une prise en compte du « développement humain et social » ou de la « cohésion sociale » dans les politiques économiques préconisées par l'OCDE.

De même, l'invitation à conclure rapidement le nouveau cycle de négociations des règles de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) devrait également pointer le refus de la partie américaine d'accepter la fin des subventions à la production de coton qui ruinent les producteurs africains, victimes de dumping.

Enfin, l'appel à une « réforme structurelle » sous la pression de l'affaiblissement du dollar par rapport à l'euro est inconciliable avec la promotion du développement durable. Un des « avantages comparatifs » de l'économie américaine ne vient-il pas précisément du refus des disciplines de la solidarité sociale à l'intérieur des États-Unis et, dans le cadre international, avec les autres États, y compris les plus pauvres.

Notre rapporteur pointe à juste titre, je le cite : « l'augmentation incontrôlée des déficits et de la dette accumulée du budget américain qui devrait atteindre 455 milliards de dollars en 2003 ». Ce déficit absorbe désormais 75 % de l'épargne mondiale.

J'aimerais que l'appel à des réformes structurelles urgentes et de grande ampleur s'adresse d'abord à un comportement qui déstabilise profondément l'économie mondiale. La politique actuelle des États-Unis ne saurait d'ailleurs être donnée en exemple puisqu'on y compte désormais près de 35 millions de personnes pauvres, soit une augmentation de 1,7 millions en un an.

Les baisses d'impôts conjuguées avec l'augmentation des dépenses de défense, en particulier avec l'aventure irakienne, expliquent cette régression sociale. Dès lors, laisser filer la valeur de la devise américaine c'est faire porter sur l'extérieur et en particulier sur l'Europe le coût de politiques que nous désapprouvons.

Sous réserve de ces contradictions qui affaiblissent me semble-t-il le projet de résolution, je voudrais souligner combien j'approuve une intégration des critères reflétant les dépenses d'éducation, de solidarité sociale, de protection de la santé humaine et de l'environnement dans l'appréciation et la définition des politiques économiques, en particulier dans les travaux de l'OCDE. »

Au terme de ce débat, l'Assemblée a adopté la Résolution 1350.

* (1) M. Bernard Schreiner a été élu Président de la Délégation française aux Assemblées du Conseil de l'Europe et de l'UEO le 12 novembre 2003, à la suite de la démission de M. Jean-Claude Mignon.

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