4. Rôle des Nations Unies en Irak

A nouveau l'Assemblée parlementaire s'est attachée à examiner l'évolution de la situation en Irak. Cette fois, l'actualité l'a amenée à s'interroger sur le rôle que pourraient jouer les Nations Unies dans la reconstruction du pays.

La commission des questions politiques, sur le rapport de Mme de Zulueta, a invité l'Assemblée à soutenir les efforts du Secrétaire général des Nations Unies alors que les représentants de l'ONU en Irak ont été directement victimes de l'action terroriste.

M. Bernard Schreiner , Député, Président de la délégation française(1 ( * )), a rappelé les conditions qui, pour la France, sont des préalables au règlement du conflit :

« Le retour régulier de la question irakienne, sous ses diverses facettes, dans les débats de notre Assemblée, nous donne malheureusement l'occasion de constater que, loin de s'améliorer, la situation dans ce pays se dégrade encore. Les efforts de la coalition marquent le pas du seul fait qu'il s'agit d'une force d'occupation. De plus en plus, il apparaît que la recherche d'une solution politique durable passe par la médiation de la communauté internationale. Le Président Bush lui-même en convient puisqu'il souhaite le retour des Nations Unies dans le règlement du conflit.

De fait, il me semble que ce soit la voix de la sagesse. Encore faut-il que les conditions générales de la préparation d'un règlement durable soient réunies. Or, parmi celles-ci, l'espérance de progrès concrets dans le processus de paix entre Israël et la Palestine figure au premier plan.

Malheureusement, nous assistons, entre les antagonistes de cette lutte qui n'en finit pas, à l'escalade de la passion, de la violence et de la terreur. Néanmoins, supposons - car il faut bien réfléchir à l'avenir de l'Irak - ce préalable levé. Si l'Organisation des Nations Unies intervient dans la marche vers l'établissement d'un régime politique démocratique en Irak, ce ne pourra être qu'avec un statut clair et pour des missions précises.

Il faudra donc d'abord un statut clair, c'est-à-dire une autonomie réelle par rapport aux forces et aux pressions politiques de la coalition. L'Onu ne réussira pas si elle apparaît comme la mandataire de la coalition ou l'exécutrice de ses oeuvres de paix.

Il conviendra ensuite de définir des mesures précises. A cet égard, le dispositif de la proposition de résolution ne convient pas tout à fait. A mon avis, il faut viser le transfert de souveraineté au peuple irakien, la tenue d'élections pour mettre en place une constitution, la constitution d'une force multinationale sous mandat de l'Onu, la clarification du régime de propriété et d'exploitation des ressources naturelles, autrement dit, du pétrole. Tout cela correspond aux positions que la France défend conjointement avec l'Allemagne et la Russie.

J'ajoute qu'il convient de soutenir particulièrement les personnes et les forces politiques capables de porter, en Irak, les valeurs universelles de la démocratie, garantissant ainsi le droit à la pleine capacité juridique et politique des personnes appartenant à des groupes minoritaires. Je songe particulièrement aux chrétiens d'Irak.

C'est seulement à ce prix que l'on pourrait envisager, comme le propose le dernier point du projet de résolution, de mettre à contribution les capacités d'expertise et de conseil du Conseil de l'Europe. Une initiative prématurée, exposée à une réaction de rejet, serait pour notre institution, et plus encore pour les valeurs qu'elle défend, la plus néfaste des situations.

M. Daniel Goulet , sénateur, exprime sa vive inquiétude devant une situation qui met à mal l'espérance de voir se créer un ordre juridique mondial fondé sur les droits de l'Homme :

« Débat bien important, presque irréaliste que celui qui nous est proposé pour ce dernier jour de session.

Ce débat d'urgence est en réalité un débat de fond. Personne ne doute qu'il faille, sans tarder, réintroduire l'ONU dans le dispositif de reconstruction de l'Irak. Toutefois, à mon sens, la vraie question n'est pas là. Celle que chacun d'entre nous doit aujourd'hui se poser en tant que parlementaire responsable est la suivante: comment en sommes-nous arrivés là ?

Pardonnez ma franchise, mais pardonnez aussi ma fermeté. Comment, à l'aube de ce troisième millénaire, sommes-nous parvenus à générer un monde sans règles, dans lequel l'ordre public international est bafoué au profit d'intérêts particuliers et catégoriels ? Cette intervention américaine en Irak n'est qu'une manifestation supplémentaire, ultime, de la dérégulation de la sécurité nationale et de l'ordre public qu'elle a essayé d'élaborer depuis 1945, après l'échec de la Société des Nations, utopie du siècle dernier.

Nous pourrions tapisser les murs de cet hémicycle de résolutions de l'Onu n'ayant jamais reçu le moindre commencement d'exécution, qu'il s'agisse du Caucase bien sûr, mais aussi du Moyen Orient ou de l'Afrique. Les peuples qui attendaient de cette instance qu'elle dise le droit et le fasse respecter ne voient alors qu'injustice, faiblesse et faillite. Ils ne voient dans l'Onu qu'une organisation tentaculaire en proie aux luttes d'intérêts et aux compromis, quand il ne s'agit pas de compromissions.

Oui, les Etats-Unis sont une grande nation ; oui, les Etats-Unis ont libéré l'Europe du nazisme ; oui, les Etats-Unis sont une grande démocratie ; mais ils n'avaient pas à jouer l'apprenti sorcier et à sonner ainsi le glas de l'ordre public international qu'il va nous falloir repenser.

Il faudra repenser l'organisation de l'Onu, certes, mais, aussi, peut-être, celle de notre Assemblée. Combien de résolutions votées, embourbées au niveau du Comité des Ministres ! Combien de débats d'urgence sans résultat concret !

Notre Assemblée est aussi victime du discrédit des organisations internationales. N'a-t-on pas lu cette semaine dans Le Figaro, quotidien français que vous connaissez, que notre Bureau avait renoncé à envoyer des observateurs aux élections en Tchétchénie par crainte que la Russie ne réduise sa contribution financière à notre Assemblée, ce que je me refuse à croire.

Alors, Monsieur le Président, mes chers collègues, moi, qui n'étais qu'un adolescent pendant la dernière guerre, moi qui étais soldat en Indochine, je suis terriblement inquiet. L'injustice sociale et politique fait le lit des extrémistes. Il est facile, si facile, lorsqu'un conflit s'enlise, de confondre ensuite les effets et les causes.

L'intervention en Irak donne un bien mauvais exemple aux autres nations. Elle est le signe de la dérégulation, la porte ouverte aux zones de non-droit, à l'autorité de la chose décidée et non de la chose jugée ou votée.

On est bien loin du droit à l'ingérence humanitaire invoquée pour intervenir au Kosovo. Le seul droit qui vaille aujourd'hui est celui qui donne la puissance militaire et financière.

La communauté internationale vient de se décrédibiliser aux yeux de milliers de personnes qui lui faisaient confiance. Comment allons-nous retrouver un ordre public international crédible ? Comment allons-nous de nouveau élaborer, dire et faire respecter le droit ? Si nous ne trouvons pas rapidement une réponse à cette question, nous aurons une responsabilité immense au regard des générations futures. Pour tout dire, je suis assez pessimiste.

Je le dis et je le répète : là où il n'y a pas de droit, il y a l'ambition et l'injustice, terreaux de l'extrémisme et du terrorisme.

Cela dit, il va de soi que je voterai l'excellent rapport de notre commission qui contribuera, je l'espère, à faire prendre conscience à notre Assemblée que les citoyens du monde, devant lesquels nous avons une très grande responsabilité, ne doivent pas être plus longtemps désemparés et impuissants sur une planète quelque peu déboussolée ».

* (1) M. Bernard Schreiner a été élu Président de la Délégation française aux Assemblées du Conseil de l'Europe et de l'UEO le 12 novembre 2003, à la suite de la démission de M. Jean-Claude Mignon.

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