5. Menace des partis et mouvements extrémistes pour la démocratie en Europe ; discours raciste, xénophobe et intolérant en politique
Conformément à une tendance que l'on constate dans d'autres organisations internationales, et notamment à l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l'Assemblée parlementaire s'est préoccupée des risques que fait peser sur l'équilibre des sociétés qui acceptent les valeurs démocratiques, la montée de l'extrémisme et du racisme.
Dans son rapport au nom de la commission des questions juridiques, Mme Feric-Vac, par ailleurs présidente de la délégation croate, s'efforce de recenser les mouvements et comportements qui, parmi les États membres du Conseil de l'Europe, révèlent une recrudescence des comportements racistes.
Au cours de la discussion, M. Jean-Claude Mignon , Député, a rappelé les principes directeurs et le développement de la législation antiraciste en France, soulignant qu'il avait traduit la réaction unanime des partis et responsables attachés aux Droits de l'Homme contre des attitudes dangereuses et toujours évolutives :
« Je remercie les deux rapporteurs d'avoir apporté des éclairages convergents sur les menaces que l'extrémisme politique et les idéologies xénophobes font peser sur l'équilibre démocratique des sociétés européennes.
Je suis d'autant plus à l'aise pour le faire que la France figure certainement parmi les pays les plus vigilants pour lutter contre ces dangers. Le racisme et l'extrémisme politique entrent en effet en contradiction directe avec la conception française d'une société fondée sur les Droits de l'Homme.
L'égalité des individus devant la loi, qui interdit d'opérer entre eux des distinctions, des discriminations et des préférences fondées sur l'origine, le sexe, l'opinion, la religion, la race, est radicalement incompatible avec toute philosophie autoritaire qui confisque le pouvoir au bénéfice d'une minorité, et avec toute doctrine qui établit des différences de dignité et de droits entre les hommes. C'est d'ailleurs pourquoi le législateur a toujours été prompt à réagir aux atteintes portées par les courants extrémistes aux principes républicains de liberté, d'égalité et de fraternité.
La première législation en la matière, le décret-loi Marchandeau du 21 avril 1939, qui réprime la discrimination selon la race et la religion, est une réaction contre la montée du nazisme. En 1972, la définition des infractions à caractère raciste fait l'objet d'une législation nouvelle, votée à l'unanimité, qui répond aux manifestations d'intolérance dont sont victimes les travailleurs immigrés et leurs familles. En 1990, la contestation de l'existence de crimes contre l'humanité est constituée en infraction à la suite du développement des publications révisionnistes niant la réalité ou l'ampleur du phénomène concentrationnaire. Récemment, pour répondre au regain d'actions antisémites fondées, non pas sur l'expression de doctrines fascisantes, mais sur l'existence de tensions intercommunautaires, la loi du 3 février 2003 a érigé en circonstance aggravante l'existence d'un mobile raciste à la source d'une infraction de droit commun.
La législation française est une législation de défense et de protection de la fraternité républicaine. Elle protège les personnes, et non les communautés. Législation de riposte, elle doit être adaptée régulièrement à l'évolution des comportements extrémistes. Elle repose sur le postulat que la défense intransigeante de la liberté de chaque homme l'emporte sur la libre expression de théories qui conduisent en pratique à faire bon marché de cette liberté. En cela il me semble qu'elle est parfaitement fidèle à la conception des droits de l'homme que se fait le Conseil de l'Europe, qui apprécie la valeur de toute doctrine philosophique, politique ou religieuse en fonction du degré de tolérance qu'elle est capable de manifester envers les autres conceptions de la vie et de la société.
La délégation française approuve donc l'esprit de la démarche proposée par les deux commissions ».
M. Jean-Pierre Kucheida , Député, prenant aussi la parole dans ce débat, a expliqué en quoi la promotion de la conception française de la laïcité pouvait aider à lutter contre les phénomènes dénoncés par le rapport :
« Je remercie nos collègues M me Feric-Vaæ et M. Mac Namara de nous avoir aidés à prendre la mesure de la montée du péril des extrêmes dans nos sociétés européennes.
A propos de l'extrémisme en politique, je la rejoins tout à fait lorsqu'elle rappelle que «c'est la situation sociale, et plus particulièrement les inégalités et l'incertitude, qui forme le terreau d'un mouvement», et l'on me permettra de penser, puisqu'elle emploie à plusieurs reprises le terme d'abus des droits démocratiques, que l'abus de règles libérales dans le domaine social et économique - il faut faire attention à la liberté du renard dans le poulailler - peut contribuer dans une large mesure au développement de mouvements politiques dangereux pour la société démocratique.
Je veux surtout revenir sur les risques de déviation antidémocratique que fait courir à notre Europe des libertés le développement de certaines formes d'extrémisme ou d'intégrisme religieux.
Je suis d'accord avec elle pour penser que «le sentiment religieux profond peut être exploité abusivement et même servir de justification à l'extrémisme politique».
La laïcité républicaine établit une stricte séparation entre le domaine des croyances religieuses et de la vie spirituelle personnelle, qui relève, sous la sauvegarde de la loi, de la liberté de chacun, et le domaine de la vie politique et des responsabilités de l'Etat. Par le fait même, elle donne à l'Etat le fondement nécessaire pour faire apparaître le caractère totalitaire de certaines expressions d'opinions philosophiques et de croyances religieuses. Elle est la véritable garantie de la liberté de conscience, puisqu'elle protège les religions des empiètements de l'Etat, et elle est en même temps la véritable garantie des droits de l'homme, puisqu'elle en établit la primauté par rapport à toutes les formes d'expressions religieuses ou philosophiques particulières.
En France, la laïcité est un principe fondateur de la République. Comme le dit justement M me Feric-Vaæ, le soutien de l'opinion est une condition indispensable de succès pour l'action de la police et de la justice contre les extrémismes: l'idéal laïque est incontestablement porté par la très grande majorité des Français, y compris ceux qui professent et pratiquent une religion. C'est ce qui explique la vigueur des réactions suscitées par certains comportements ostentatoires dont les arrière-pensées sont connues.
Je sais que la laïcité à la française suscite parfois des interrogations chez certains de nos collègues. Le présent débat me paraît illustrer parfaitement la force et la pertinence de ce principe dans la lutte, qui nous est commune, contre les extrémismes de toutes sortes.
La laïcité est le principe fondateur d'un monde de tolérance, donc de la démocratie. Ce sont les pères fondateurs de l'Europe, de la République - ce qui, au sens étymologique appartient à tous -, les grands philosophes du siècle des Lumières qui ont mis en évidence cette nécessité; je ne crois pas aux républiques socialistes ou aux républiques islamistes pas plus qu'à un état sioniste. Je ferai enfin simplement remarquer que les excès sont extrêmes dans ces régimes et non dans les «républiques laïques» bien que pour moi, et je suppose pour vous, il s'agisse d'un pléonasme. En fait, la République bien appliquée devrait se suffire à elle-même et éviter les abus de droit ».
À l'issue de ce débat, l'Assemblée a adopté les Résolutions 1344 et 1345 proposées par la commission des questions politiques.
Résolution n° 1344 1. L'Assemblée parlementaire reste préoccupée par la résurgence des mouvements et partis extrémistes en Europe, et considère qu'aucun Etat membre n'est à l'abri des menaces intrinsèques que l'extrémisme fait peser sur la démocratie. 2. Aujourd'hui, l'extrémisme a tendance à s'étendre à l'échelle du continent européen. En Europe occidentale, les partis et mouvements extrémistes ont enregistré des scores électoraux importants. Dans d'autres Etats membres du Conseil de l'Europe, l'extrémisme politique a également connu une progression importante. Cette évolution actuelle doit inciter les Etats membres du Conseil de l'Europe à redoubler de vigilance et à évaluer les menaces que l'extrémisme fait peser sur les valeurs fondamentales que le Conseil de l'Europe a pour mission de défendre. 3. L'extrémisme, quelle que soit sa nature, correspond à une forme d'activité politique rejetant, de manière ouverte ou déguisée, les principes de la démocratie parlementaire et fonde bien souvent son idéologie, comme ses pratiques et ses comportements politiques, sur l'intolérance, sur l'exclusion, sur la xénophobie, sur l'antisémitisme et sur l'ultranationalisme. 4. L'Assemblée constate que certains mouvements extrémistes cherchent à justifier leurs actes par la religion. Cette tendance actuelle présente un double danger, car, d'une part, elle encourage l'intolérance, le fanatisme religieux et l'intégrisme, et, d'autre part, elle conduit à l'isolement de communautés religieuses entières à cause d'individus qui dévoient les valeurs universelles de la religion. 5. L'extrémisme s'appuie sur un malaise social pour proposer des solutions simplistes et stéréotypées, répondant aux angoisses et aux incertitudes de certaines catégories sociales face aux mutations de nos sociétés. Il rejette la responsabilité de ces difficultés sur l'inadaptation de la démocratie représentative à répondre aux défis du monde contemporain, sur l'incapacité des élus comme des institutions à prendre en compte les attentes des citoyens ou désigne comme responsable ou menace potentielle une catégorie spécifique de la population. 6. Fortement hiérarchisés, les partis et mouvements extrémistes sont souvent des oligarchies, n'appliquant pas les principes démocratiques à leur fonctionnement interne. L'unité du groupe est renforcée par son idéologie exclusive, son discours populiste et simplificateur, et par la prédominance du leader. 7. L'extrémisme représente un danger pour tout Etat démocratique car son caractère fanatique peut servir de prétexte pour utiliser et pour justifier la violence. Même s'il ne prône pas directement la violence, il crée un climat favorable à son développement. Il constitue à la fois une menace directe, car il fragilise l'ordre constitutionnel démocratique et les libertés, et une menace indirecte, car il peut altérer la vie politique. Les partis politiques classiques peuvent en effet être tentés d'adopter les positions et les discours démagogiques propres aux partis extrémistes, afin de contrer leur progression électorale. 8. L'Assemblée est consciente que la lutte contre l'extrémisme place les démocraties devant un dilemme, car elles doivent, d'une part, garantir la liberté d'expression, la liberté de réunion et d'association, et permettre l'existence et la représentation politique de tout groupe politique, et, d'autre part, se défendre et établir des garde-fous face à l'action de certains partis extrémistes bafouant les principes démocratiques et les droits de l'homme. 9. L'Assemblée, se référant à la Recommandation 1438 (2000) sur la menace des partis et mouvements extrémistes pour la démocratie en Europe et à la Résolution 1308 (2002) sur les restrictions concernant les partis politiques dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, reste convaincue que les Etats doivent éviter toute normalisation de l'extrémisme et contrer ses effets en appliquant, ou en adoptant si elles n'existent pas, des mesures politiques et législatives appropriées en vue de préserver un Etat de droit, fondé sur le respect des règles démocratiques et des droits de l'homme. A cet égard, l'Assemblée note que l'évolution historique des pays et des critères de tolérance différents entraînent, d'un Etat à l'autre, des sanctions différentes pour des situations similaires. 10. Cependant, l'Assemblée estime que ces mesures restrictives ne peuvent combattre les racines de l'extrémisme que si elles sont soutenues par l'opinion publique et que si elles s'accompagnent de mesures additionnelles, en matière d'éthique politique, d'éducation ou d'information notamment. 11. L'Assemblée constate que la société civile constitue un relais nécessaire entre la société et le pouvoir : elle s'est souvent révélée être un allié politique primordial dans la promotion des droits de l'homme et de la démocratie. Dès lors, les Etats doivent considérer les organisations de la société civile comme des partenaires et les aider à se structurer en soutenant leurs actions. 12. L'Assemblée estime que les principes et règles contenus dans la Convention européenne des droits de l'homme, dans la Convention internationale des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, et dans les recommandations de politique générale de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (Ecri), notamment dans sa Recommandation n o 7 sur la législation nationale pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale adoptée en décembre 2002, sont des textes fondamentaux qui doivent orienter les Etats membres dans leur stratégie de lutte contre l'extrémisme. 13. Par conséquent, l'Assemblée invite les gouvernements des Etats membres du Conseil de l'Europe : 14. à prévoir, dans leur législation, que l'exercice des libertés d'expression, de réunion et d'association puisse être limité afin de lutter contre l'extrémisme. Toutefois, toute mesure restrictive doit être conforme à la Convention européenne des droits de l'homme ; 15. à faire appliquer ou à prévoir si elles n'existent pas : a. des sanctions efficaces lorsque des cas prouvant des préjudices, émanant d'un parti ou d'un de ses membres, sont constatés ; b. des sanctions proportionnées et dissuasives contre l'incitation publique à la violence, à la discrimination raciale et à l'intolérance ; c. la suspension ou le retrait du financement public d'organisations promouvant l'extrémisme ; d. la dissolution de mouvements et partis extrémistes, qui doit toujours être considérée comme une mesure d'exception. Elle se justifie en cas de menace contre l'ordre constitutionnel et doit être conforme aux dispositions constitutionnelles et législatives du pays ; i. à contrôler et si nécessaire à prévenir la reconstitution, sous une autre forme ou dénomination, de partis ou mouvements dissous ; ii. à inciter les partis politiques à concevoir une nouvelle déontologie, en fondant leurs programmes et leurs actions sur le respect des droits et des libertés fondamentales, en excluant toute alliance politique avec des partis extrémistes, en renforçant si nécessaire les règles de transparence sur le financement des partis politiques et en apportant des solutions crédibles aux problèmes sociaux et économiques préoccupant les citoyens ; iii. à développer des programmes scolaires d'éducation à la citoyenneté démocratique fondés sur les droits et les devoirs des citoyens, sur la tolérance sociale et sur le respect des différences. L'éducation et la formation apparaissent en effet comme les moyens les plus fondamentaux et durables pour se prémunir contre l'idéologie discriminatoire de l'extrémisme ; iv. à encourager des campagnes de sensibilisation pour que les citoyens prennent conscience des effets nuisibles de l'extrémisme politique sur la démocratie ; v. à encourager la société civile, qui joue un rôle fondamental dans le processus d'intégration et de cohésion sociale, à surmonter toute forme d'extrémisme et d'intolérance ; vi. à établir à la fois des mesures législatives et administratives au plan national et une coopération internationale plus poussée, en vue de décourager toute diffusion de l'idéologie extrémiste, notamment par le biais des nouvelles technologies de l'information ; vii. à soutenir les travaux de l'Ecri, dont la mission est de combattre le racisme, la xénophobie, l'antisémitisme et l'intolérance au niveau de la grande Europe, et de s'assurer que les Etats membres donnent une suite concrète à ses recommandations. |