3. 3.- La communication sur la politique du ministre de l'agriculture
En février 2000, le chef du service de la communication du ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (MAAPAR) a écrit au directeur général du CNASEA pour lui demander de financer une « campagne de communication institutionnelle grand public sur la multifonctionnalité » dont les objectifs étaient, entre autres, « d'entraîner la profession agricole dans le processus d'établissement des CTE » et de « positionner le MAAPAR comme l'interface de communication entre la société française et la profession agricole et de valoriser la politique menée par le Ministre ». Cette campagne devait comprendre une enquête d'opinion sur les nouvelles missions attendues de l'agriculture dont les résultats devaient être « portés par le Ministre et exploités par des actions de relations publiques ».
Le CNASEA n'a aucune compétence dans ce domaine et a donc confié un marché à un cabinet de consultants en relations publiques associé à un spécialiste des sondages d'opinion pour réaliser cette campagne. Ce marché de 0,6 M€, signé le 30 mai 2000 après avoir été approuvé par le conseil d'administration de l'établissement malgré les réserves émises par certains de ses membres, comprenait, entre autres, les prestations suivantes :
- consultant relation presse (négociation et mise en place des partenariats presse, assistance au service de presse du Ministre) : 31,7 K€ ;
- attachée de presse (assistance opérationnelle sur la prise de parole nationale et les déplacements du Ministre) : 32,9 K€ ;
- dossier de presse (conception, rédaction) : 7,6 K€ ;
- consultant en relations publiques et événementielles (pilotage de la conception du stand, de sa mise en place et préparation de 10 voyages du Ministre avec le Cabinet) : 18,3 K€ ;
- dossiers de presse à 4000 exemplaires : 19,8 K€ ;
- stand au salon des maires de France (location de l'espace, fabrication du stand, hôtesses, bar...) : 69,7 K€ ;
- édition d'un document sur les CTE tiré à un million d'exemplaires :26,7 K€ ;
- vins d'honneur à l'issue des conférences de presse régionales et des déplacements du Ministre sur la base de 1 500 € par opération :15 000 € ».
Ce marché a été géré par le CNASEA sous le contrôle total du service de la communication du MAAPAR et les dépenses se sont élevées finalement à 0,5 M€. Il s'insère dans un ensemble beaucoup plus vaste de dépenses de communications du MAAPAR payées par le CNASEA sur les fonds destinés au financement des CTE.
La loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999 qui a créé les CTE a prévu la création d'un fonds de financement des CTE (FFCTE) dont les crédits sont inscrits au budget de l'agriculture (chapitre 44-84). Les dépenses de ce fonds sont constituées par des subventions au CNASEA qui verse les aides aux agriculteurs et gère ces crédits en ressources affectées.
Dans une note du 28 septembre 2000 adressée au commissaire du gouvernement, le directeur général du CNASEA soulignait que rien ne permettait d'utiliser les crédits venant du FFCTE pour financer autre chose que des aides aux bénéficiaires des CTE et que 1,3 M€ avaient pourtant déjà été dépensés pour des actions de communication commandées par le MAAPAR. Il en concluait à la nécessité de modifier l'arrêté du 8 novembre 1999 fixant les modalités de financement des CTE en précisant : « ceci m'apparaît tout à fait indispensable si nous voulons échapper à toute critique tant de la profession agricole...que des instances de contrôle et, notamment, la Cour des comptes qui pourraient contester un usage des crédits sans base réglementaire ». Cet usage contestable des crédits du FFCTE avait cependant déjà commencé et a continué ensuite.
Avec l'autorisation du conseil d'administration, le directeur général du CNASEA a fait prélever 1,3 M€ en 2000 et 1,5 M€ en 2001 sur les ressources affectées aux CTE pour les transformer en subventions de fonctionnement à l'établissement grâce auxquelles ont été payées les dépenses de communication du MAAPAR. C'est seulement le 24 juillet 2001 qu'un arrêté a modifié celui du 8 novembre 1999 en précisant que « les crédits nécessaires aux actions de communication et d'animation en faveur des CTE peuvent être prélevées sur le FFCTE ». Ces dépenses se sont au total élevées à 3,2 M€ de 2000 à 2002.
L'arrêté du 24 juillet 2001, en autorisant le financement de telles dépenses par le FFCTE, chapitre du budget de l'Etat, ne permettait pas pour autant qu'elles soient payées par le CNASEA alors qu'il s'agissait de dépenses de communication de l'Etat et que les statuts de l'établissement ne prévoient pas qu'il les finance : numéro spécial du bulletin d'information du ministère, colloques organisées par les DDAF, frais de déplacements des agents du MAAPAR, présence du ministère dans les salons et foires, plaquette de présentation des CTE et de la politique du ministère...outre le marché évoqué ci-dessus.
Dans une note adressée au commissaire du gouvernement le 25 septembre 2002, le directeur général du CNASEA précisait que l'établissement « se borne à exécuter des instructions sur lesquelles il n'a aucune prise alors qu'il est juridiquement responsable » et souhaitait que ces actions soient payées par le MAAPAR sur une ligne bien identifiée du budget de l'agriculture.
Des crédits destinés aux aides aux agriculteurs signataires de CTE votées par le Parlement ont ainsi été employés à des dépenses de communication ministérielles qui auraient dû être imputées sur le budget de l'agriculture. L'agrément du Premier ministre sur cette campagne de communication a été sollicité par le service de la communication du MAAPAR mais il n'est pas certain qu'il l'ait obtenu.
L'ordonnancement de ces dépenses et la certification du service fait par le directeur général du CNASEA et ses délégués ont été purement formels, ces fonctions ayant été en pratique assurées par les services du MAAPAR. Le CNASEA n'a joué qu'un rôle passif, ce qui est contraire aux règles de la comptabilité publique, le directeur général de l'établissement public devant assurer pleinement ses fonctions d'ordonnateur.