Débat
Un intervenant
J'ai bien aimé votre intervention qui rappelait bien ce qui a été répété cet après-midi, le besoin d'interdisciplinarité et le besoin de conjuguer des compétences qui sont très diverses.
Vous, vous proposez une formation de trois semaines pour permettre à des gens d'acquérir des bases solides pour mettre en avant leurs qualités mais est-ce que vous ne croyez pas qu'une solution, j'ai envie de dire « la solution », bien sûr ce n'est pas à votre échelle, serait de pouvoir favoriser le retour en France et l'insertion des post-doctorants. Parce que c'est quand même là le but premier: partir à l'étranger, acquérir une expérience dans un domaine différent, s'intégrer dans une équipe.
On retrouve les valeurs que vous voulez dispenser, et ceci sur une échelle de temps qui est nettement plus élevée puisque, habituellement, un post-doc dure un, deux, voire trois ans parfois en biologie. Donc permettre à ces gens de revenir en France et d'apporter les richesses qu'ils ont pu acquérir à l'étranger.
M. Bertrand FOURCADE
La réponse est oui. D'abord parce que, effectivement, je suis parti à l'étranger, je suis même parti avant le post-doc. Je suis resté dix ans en Amérique et j'ai eu un mal fou, mais vraiment fou, à réintégrer le système français. C'est une expérience que je connais.
Ce qu'on aimerait faire, c'est créer une communauté à Grenoble pour montrer que, à Grenoble, les gens peuvent revenir et peuvent se réintégrer. Ça, c'est quelque chose qui nous tient vraiment à coeur.
Mais effectivement, à l'heure actuelle, quelqu'un qui part en post-doc, que ce soit un biologiste, que ce soit un physicien ou que ce soit un chimiste, il y a peu de chance qu'on le revoit. En tout cas, on ne le reverra jamais dans nos laboratoires, enfin, là où il a fait sa thèse.
Cela me paraît tout à fait normal et maintenant c'est une règle du jeu qui est acceptée. Mais je trouve extrêmement grave que le système français exporte des post-doc et que nous, moi personnellement, dans nos équipes, nous ne puissions pas avoir de post-doc !
Autrement dit, je ne peux pas dire à un collègue de Paris : « Tiens, cet étudiant, il me paraît très bien, s'il venait travailler pendant deux ans chez moi ? » Non. C'est obligé qu'il aille aux Etats-Unis, donc on ne le revoit plus.
On fabrique des gens, on forme des gens et puis on ne les revoie plus. On n'en profite pas alors que, au point de vue scientifique, c'est au niveau du post-doc qu'on est le pus créatif. Mais ça, c'est à force de le dire, de le montrer, que ça va finir par rentrer.
M. Jean-Louis LORRAIN
Je vais mettre un bémol à la réaction de M. Fourcade. Les difficultés qu'il y a pour les post-doc qui sont partis à l'étranger pour réintégrer le système, c'est vrai, on les connaît tous. Ceci étant dit, on peut parler d'autre chose que de Grenoble à ce moment-là et puis dire qu'il existe des bourses de post-doc dans des régions et financées par les collectivités, justement en raison de la carence de l'Etat dans ce domaine-là.
M. Bertrand FOURCADE
D'accord, je suis tout à fait d'accord. Mais ce qu'il faut noter c'est que, pour le post-doc, ce qui est extrêmement important c'est la réactivité du système. Quand vous avez un bon post-doc, il ne va pas être sur le marché pendant trois mois, pendant six mois. Moi, j'ai quinze jours pour dire oui ou non. Et je vous garantis que là, quelquefois je baisse les bras...
M. Jean-Louis LORRAIN
C'est un marché concurrentiel. Exactement comme le marché financier est un marché concurrentiel.
Une intervenante
J'ai une question sur la diffusion dans le public de tout ce qui est nanotechnologies. Il y a quand même un engouement pour ces informations-là de la part du grand public.
Il y a eu des expositions à la Cité des Sciences
sur les objets communicants et les gens sont vraiment fortement
intéressés. Ces nanotechnologies arrivent dans le grand public
juste après, finalement, la publication chez les scientifiques. Il y a
même des prospectives qui sont diffusées dans le grand public.
Mais je me demande comment ce grand public, il peut avoir un oeil critique et
comment il peut faire la différence entre ce qui est déjà
une réalité et ce qui est virtuel dans tout ce qu'on lui montre.
Là, il est perdu le grand public, il ne sait pas. Je pense qu'on ne sait
pas montrer cela et on va très très vite dans la diffusion de
l'information mais peut-être qu'on n'est pas assez critique.
Mme Christiane SINDING
On n'a peut-être pas assez parlé du hype, ce que les Américains appellent le hype, c'est-à-dire des promesses un peu extravagantes de thérapies.
Par exemple la thérapie génique, c'est quand même quelque chose qui ne marche pas pour le moment et qui ne va pas marcher de sitôt. Or on manipule un peu les gens, le public, il faut bien le dire, par exemple à travers le téléthon.
Il y a d'ailleurs des associations de patients qui commencent
à protester parce que, pendant quinze ans, on a dit qu'on allait
guérir les maladies avec la thérapie génique mais on
savait bien que cela ne marcherait pas si facilement. Donc là, on manque
effectivement de pensée critique sur les sciences et sur ces fameuses
promesses.
M. Laurent CHICOINEAU
La pensée critique est très difficile à notre époque. Il me semble qu'il y a là deux éléments que j'ai essayé de dire un petit peu. Il y a d'un côté la dimension économique. Il y en a certains, peu nombreux, qui pensent qu'il faut changer radicalement le système économique, arrêter les usines, arrêter de travailler, etc. Ce n'est pas l'avis de l'immense majorité.
Je pense à la pub de HP à la TV (HP et nanotechnologies). HP a fait une pub qui est très jolie en images de synthèse où l'on ne comprend strictement rien : ça bouge dans tous les sens, on va dans le petit, dans le grand, ça zappe, ça zoome. Là, on est dans le hype, c'est magnifique et le message qui passe c'est : de toute façon HP s'occupe de nanotechnologies.
Voilà. HP surfe sur la vague nanotechnologies pour faire de la communication. Ça n'apprend rien aux gens mais ça leur donne l'idée qu'il faudra un jour consommer (la preuve, y a une pub à TF1...), consommer des nanotechnologies.
Il y a déjà une difficulté d'avoir une pensée critique sur l'économique aujourd'hui et notamment sur la science et les technologies liées à l'économique. A fortiori, et cela a bien été dit aujourd'hui, quand les pouvoirs publics, depuis la Commission européenne, l'Etat français et, en ce qui nous concerne, la région Rhône-Alpes, la collectivité locale, les communautés de communes à Grenoble ont financé le projet MINATEC. Donc quand vos impôts servent à ça c'est que, évidemment, cela doit être bien quelque part. Ce ne sont même plus là les industriels, ce sont les pouvoirs publics.
Voilà, tout le monde est pris dans le mouvement qui s'impose à vous, et avoir une pensée critique peut être suspect parce que quand la collectivité décide de financer MINATEC, elle décide par ailleurs de financer un stade de foot, elle a financé une patinoire et une ligne de tram à Grenoble et elle finance aussi un centre de micro et nanotechnologies. Donc, dans la tête des gens, des citoyens locaux, c'est que forcément cela doit être bien.
Il n'y a pas de pensée critique à avoir et c'est pour ça aussi que, très vite, on l'a bien vu aussi, il faut informer les gens parce que c'est de l'argent public, donc il faut informer les gens.
Mais comment informer les gens sur des choses qui aujourd'hui n'existent pas -c'était le cas aussi des biotechnologies-, qui n'ont pas de résultats ? On s'escrime à maintenir la flamme parce qu'on est pris dans une logique économique.
M. Louis LAURENT
Je voudrais dire aussi quelque chose sur ce phénomène du hype. Je dirais qu'il est quand même généré en partie par le mode de financement de la recherche. C'est parti pas mal aux Etats-Unis, effectivement, parce que là-bas, pour survivre, il faut être le meilleur, faire parler de soi.
C'est vrai même en France ! D'une certaine façon, dans mon laboratoire, je pousse les gens à communiquer et à bien formater leurs projets pour qu'ils le vendent. Si on fait quelque chose de gris, de monotone, en se disant que cela se verra peut-être un jour, on se fait doubler par quelqu'un.
C'est donc le système qui a tendance à générer cela et je trouve que cela n'a pas que des avantages. Cela a un inconvénient certain, par contre. C'est une interprétation qui m'est peut-être personnelle mais une partie de l'opposition aux nanosciences est en fait une réaction à cela. Même moi, quand je vois des promesses exorbitantes, cela me donne envie d'écrire quelque chose en disant : arrêtez ça !
M. Alain CIROU
Bref, ça favorise le débat...
M. Louis LAURENT
Oui. Pas le meilleur.
M. Jean-Louis PAUTRAT
Ma question ne s'adresse pas à quelqu'un en particulier. Je reviens sur un point qui a été souligné par Douglas Parr dans sa présentation. Finalement, cela profite à qui ? On peut se poser la question de qui est le prescripteur d'innovations ? Les nouveaux produits qui sortent, qui les prescrit ?
Il y a un peu le chercheur dans son laboratoire mais, en général, le chercheur il va plutôt trouver une idée et pas un produit, donc c'est en fait souvent un industriel qui se dit qu'il y a un marché.
Le marché est un des gros moteurs et les exemples qui nous ont été donnés sur HP vont évidemment dans le même sens. On peut se demander s'il est bien normal que toutes ces innovations soient soumises impérativement à la loi du marché parce qu'on sait bien qu'il y a des besoins qui sont des besoins qu'on pourrait dire orphelins comme il y a des maladies orphelines, c'est-à-dire des besoins qui vont être à destination de personnes handicapées qui ne sont pas en grand nombre, ou des besoins minoritaires dans le champ social qui ne correspondent pas à un vrai marché.
Je pense qu'il n'y a pas de processus de décision, de sélection, d'encouragement de ces innovations par le corps social dans son ensemble, par les politiques et par les agences gouvernementales, donc un certain encouragement, un certain financement à des innovations qui ne sont pas dans la droite ligne du marché.
M. Alain CIROU
Je vous propose, compte tenu de l'heure, de clore cette discussion en remerciant tous les intervenants et en remerciant l'Office parlementaire pour son accueil.
* *
*