M. Bertrand FOURCADE

Physicien, Université Joseph Fourier, Grenoble

Bonjour. Je viens de Grenoble. Je suis professeur à l'Université Joseph Fourier de Grenoble. Je suis physicien et on m'a demandé de parler de formations interdisciplinaires et nanosciences.

C'est un sujet extrêmement vaste, je vais l'attaquer par le petit bout de la lorgnette, par une présentation qui va être volontairement biaisée vers les sciences du vivant et de la santé.

Je pense qu'il est important de montrer quelques aspects très simples. Je vais vous les montrer dans le cadre d'une expérience qui est conceptuellement très simple parce que vous la testez tous les jours avec votre fil de téléphone. Là, au lieu de la tester avec votre fil de téléphone qui s'embobine autour du combiné et que vous ne pouvez plus débobiner, on va le faire avec de l'ADN.

Si on le fait avec de l'ADN, on est capable de voir comment les enzymes travaillent sur l'ADN. Ça, c'est une expérience qui a été faite à 400 m d'ici et c'est cette expérience qui va nous servir de guide.

Cela va me permettre de sortir les caractéristiques les plus saillantes de cet aspect des nanosciences et de montrer comment la formation peut en tenir compte et comment, à Grenoble, on est en train de monter ce qu'on pourrait appeler une start-up, c'est-à-dire qu'on lève des fonds pour créer une école de nanosciences et de nanotechnologies qui va impliquer tous les organismes du site.

L'expérience qui m'intéresse, c'est celle que vous pouvez faire avec un simple fil et ça marche très bien avec un fil de téléphone parce que ceux-ci ont vraiment tendance à faire des scoubidous. Pour faire un scoubidou, c'est très simple : vous prenez un fil, vous le tournez et vous voyez que, à un moment ou à un autre, il commence à se tordre sur lui-même.

Les gens qui font ces expériences pensent scoubidou et ils écrivent plectonème, c'est exactement la même chose. Dans l'expérience qui est là, vous avez un fil d'ADN, un double brin d'ADN que vous avez entré sur une table, vous vous être débrouillé pour l'accrocher à une petite bille et vous tournez la petite bille. Si vous tournez suffisamment la petite bille - environ des milliers de tours -, vous allez créer des scoubidous.

Ce qu'il y a d'extraordinaire dans la machine du vivant, c'est que vous avez des enzymes qui vont travailler sur ce scoubidou. Vous avez des enzymes qui sont spécialisés pour défaire ou pour refaire des noeuds.

Ce qui a changé ces dernières années, c'est qu'on est capables de voir travailler ces enzymes un par un, c'est-à-dire que vous allez avoir un enzyme qui va aller là, qui va couper l'ADN, passer un brin l'un sur l'autre et qui va le recoller.

Il n'y a pas besoin d'aller très loin pour voir de la science moderne puisque cela est tiré d'une publication qui a été publiée l'an passé. Les expériences continuent à être faites à 400 m d'ici, elles sont faites par Bensimon, Croquette et Heslot.

Ce que vous voyez, c'est en fonction du temps. Chaque fois, il y a des petits sauts et ce sont ces enzymes qui sont en train de travailler sur l'ADN. Donc, il y a deux aspects. Le premier aspect, c'est que vous avez une localisation spatiale, vous regardez une seule molécule. Le deuxième aspect, qui est tout nouveau, c'est ce qu'ont apporté ces expériences, c'est-à-dire que maintenant vous les voyez travailler en temps réel.

Ces expériences sont faites par des physiciens mais, au départ, elles ont été pensées par des biologistes. Ensuite, elles ont été importées par des physiciens, elles ont été conceptualisées par des physiciens qui viennent d'apporter l'aspect temporel et maintenant, ce à quoi on va assister, c'est un retour vers les biologistes.

Ce type d'expérience est très intéressant parce qu'il nécessite de faire un pont entre deux domaines qui sont a priori sans aucun rapport : la mécanique, ce qui se passe quand vous tournez un brin d'ADN - là, il s'agit d'une simulation numérique qui a été faite par un étudiant qui vous montre que les efforts mécaniques sont concentrés au bout et c'est naturellement là que vous allez dénaturer le brin d'ADN -, donc vous avez un rapport entre les efforts mécaniques et la biochimie. Ce qui se passe dans les molécules du vivant, c'est que vous avez une biochimie qui peut dépendre des efforts mécaniques.

Ça, c'est un aspect tout à fait nouveau, qui va servir à illustrer mon propos. C'est une expérience qui a été choisie pour sa simplicité de principe -vous faites comme moi, vous pestez contre votre fil de téléphone - mais il en existe beaucoup d'autres.

Ce qui caractérise les nanosciences, c'est que ce sont des disciplines qui interagissent et qui s'enrichissent mutuellement. C'est là-dessus que je voudrais insister.

S'il faut former des gens, il faut que ces gens puissent savoir importer des connaissances et un savoir-faire d'autres disciplines pour les pratiquer dans le contexte de leur propre méthode. Ce n'est pas parce que vous êtes physicien et que vous travaillez sur des matériaux biologiques que vous dénaturez votre métier de physicien, ce n'est pas pour ça que vous dénaturez votre métier de biologiste. Vous vous enrichissez mutuellement, vous élargissez mutuellement votre horizon.

C'est une approche, une interface qui permet d'analyser des objets et donc de savoir comment les modifier ou les créer dans de nouveaux contextes, tailles ou temps. Vous manipulez des molécules, il faut apprendre à les manipuler, et il faut savoir importer des connaissances d'autres disciplines. Cela veut dire qu'il faut travailler à l'interface.

Pour que quelqu'un puisse travailler à l'interface, il y a quelque chose qui est absolument nécessaire. Parce que ce qui est important pour le législateur, c'est de savoir quel type de formation il faut créer.

Travailler à l'interface, comme on l'a souligné tout à l'heure, c'est ce qu'il y a de mieux, mais c'est ce qu'il y a finalement de plus difficile. Pourquoi ? Parce qu'il faut déjà très bien posséder les bases d'une discipline et connaître les bases de l'autre pour pouvoir apprendre au contact de l'autre et pouvoir et savoir travailler en équipe. Donc les interfaces, les nanosciences, ça se situe à un niveau qui est quand même supérieur à celui du travail scientifique normal.

Ce qui caractérise aussi ces développements, c'est la fulgurante rapidité des développements et l'importance d'un lien étroit entre une recherche qui est finalisée, c'est-à-dire que vous cherchez un point précis, le court terme, et une recherche d'ouverture qui défriche les nouvelles voies.

Il y a un aller et retour incessant entre les deux qui est illustré par ces expériences de physique-biologie où il y a un aller et retour incessant entre la physique et la biologie, voire même la physique théorique. Ça, c'est tout à fait caractéristique de ces développements.

Dans le contexte, je ne vais pas vous dresser un tableau de toutes les formations en nanosciences qu'il faudrait faire en France. Simplement, on s'est posé la question de ce qu'on pourrait faire à Grenoble.

On a décidé de monter notre petite start-up à nous de formation, c'est-à-dire de monter une école européenne de nanosciences où, pendant trois semaines, on va faire venir des étudiants européens à Grenoble. Et la moitié de ces trois semaines va se passer dans des laboratoires. C'est au niveau doctorat et il s'agit de créer une communauté et un lieu de culture en recherche d'ouverture, en recherche fondamentale, où puissent venir puiser les créateurs de hautes technologies.

Cette définition n'est pas celle d'un universitaire. Ce n'est pas la définition que j'ai donnée, c'est la définition qu'a donné quelqu'un de STMicroelectronics, qui n'est quand même pas connu comme un endroit où l'on pratique la recherche fondamentale à des fins de loisir. Ça, c'est quelque chose qui, a priori, intéresse absolument l'industrie. On garde notre caractère de recherche fondamentale mais en couvrant tout le champ des applications, du plus fondamental au plus appliqué.

Pratiquer les nanosciences et les nanotechnologies nécessite des connaissances relativement élaborées et structurées. Et, pour avoir un facteur d'impact important au niveau européen, on se place au niveau du doctorat parce que le doctorat est un standard européen.

Je tiens à souligner encore quelque chose qui paraît anodin mais qui est très important, c'est l'importance de la mise en situation pratique, c'est-à-dire les travaux pratiques, le travail de salle blanche.

Savoir travailler en équipe est une chose qui est absolument indispensable. Et le savoir qu'on peut avoir, les connaissances du travail en équipe qu'on peut avoir se développent dans la pratique au contact des autres.

Apprendre aux gens à mettre la main à la pâte a un coût et le coût en nanosciences est totalement exorbitant. Donc les formations qui traitent vraiment des nanosciences seront forcément des formations très onéreuses. Il faudra prendre cet aspect en compte.


M. Alain CIROU

Merci beaucoup. Je vous propose d'entendre maintenant l'intervention sur l'information des citoyens par Laurent CHICOINEAU du CCSTI (Centre de culture scientifique technique et industrielle) de Grenoble.

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