CHAPITRE PREMIER

L'INFORMATIQUE DE L'ÉTAT : INVESTIR PLUS ET MIEUX

L'administration française entretient des rapports complexes avec l'informatique.

La problématique de l'informatisation de l'Etat est en effet ancienne puisqu'il a existé dès 1967 un délégué à l'informatique, M. Robert Galley, chargé de mettre en oeuvre le plan calcul. Les objectifs ont alors été bien davantage liés à des préoccupations de politique industrielle (développement d'une industrie nationale de l'informatique) qu'à une volonté de moderniser l'administration par des outils nouveaux. Des préoccupations de gestion sont certes apparues, dès les années 80 dans certains ministères pilotes, comme celui des finances, où ont été introduits de longue date des systèmes propriétaires chargés d'automatiser le traitement de données économiques et fiscales. Des structures administratives de coordination ont été introduites relativement tôt, qui susciteront des schémas directeurs informatiques au sein des ministères, comme celui de l'intérieur dès 1994.

Pourtant, la politique informatique de l'Etat a été révélatrice d'immenses gâchis, gâchis industriel avec Bull, mais aussi gâchis financier , avec le plan informatique pour tous, en 1985, consistant à équiper 46.000 établissements scolaires de 100.000 machines TO7, pour 1,5 milliard de francs de l'époque (228 millions d'euros), dont l'utilisation sera plus que limitée. D'ou les titres de certains ouvrages, comme celui de M. Jean-Pierre Brulé en 1993 « l'informatique malade de l'Etat : un fiasco de 40 milliards » 1 ( * ) .

S'ajoutera en 1996-1997, au moment de l'apparition des nouvelles technologies et de la bulle Internet, la prise de conscience d'un retard français attesté par de nombreuses comparaisons internationales.

Cette prise de conscience a fait émerger un nouveau discours politique, autour de l'e-administration, et des efforts certains pour développer les nouvelles technologies. Il n'y a pas encore pour autant un investissement financier à la mesure des enjeux que représente l'informatique pour la réforme de l'Eta t. En l'absence de chiffrage des gains de productivité, qui témoigne d'une faible sensibilisation des administrations à ces questions, le retour sur investissement de l'informatique reste par ailleurs à améliorer .

UNE DÉPENSE INFORMATIQUE À CONFORTER

L'investissement informatique, dont les contours budgétaires restent mal cernés, est marquée par une faiblesse persistante des dépenses , une concentration préoccupante sur un petit nombre de ministères et par une forte vulnérabilité aux mesures de régulations budgétaire .

UN NIVEAU D'INVESTISSEMENT ENCORE LIMITÉ

Il n'est pas possible de discerner un éventuel effort de rattrapage depuis 1996-1997 en ce qui concerne les dépenses informatiques.

En l'absence de rigueur dans l'établissement des données budgétaires - ce qui témoigne d'une « préoccupation à la marge » de la part de l'administration - des informations fiables ne sont disponibles que depuis 2000.

L'INVESTISSEMENT INFORMATIQUE DE L'ETAT : 0,9 % DU BUDGET GÉNÉRAL

Selon les chiffres fournis par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, le montant des dépenses informatiques de l'Etat 2 ( * ) s'est élevé en 2003 à 2,496 milliards d'euros. Ces dépenses représentaient 0,9 % des dépenses nettes globales du budget général .

En tendance, les dépenses d'informatisation de l'Etat sont marquées par la stabilité : leur part dans le budget de l'Etat reste constante depuis 2000. Selon le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, « les chiffres de l'informatisation correspondant aux années antérieures ne sont pas assez exhaustifs et présentent trop d'incohérences ». Il n'est donc pas possible d'établir une comparaison sur longue période.

Dépenses d'informatisation de l'Etat

(en millions d'euros et en %)

 

2000

2001

2002

2003

Dépenses globales de l'Etat 3 ( * )

259.310

266.030

277.460

278.270

Dépenses d'informatisation de l'Etat 4 ( * )

2.204

2.436

2.420

2.496

Part dans les dépenses globales de l'Etat

0,85 %

0,92 %

0,87 %

0,90 %

Source : ministère de l'économie, des finances et de l'industrie (direction du budget)

UNE DÉPENSE MAL CERNÉE

Les contours de la dépense informatique de l'Etat restent encore mal connus. En témoignent les écarts frappants entre les chiffres communiqués par les différents ministères et les synthèses fournies par la direction du budget du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Dans les données communiquées par les ministères sont quasi systématiquement omises les dépenses figurant dans les dotations globalisées et les crédits de personnel.

Pourtant, au sein des dépenses informatiques, tel que ceci apparaît dans la ventilation des crédits par chapitre, les rémunérations de personnel représentaient 876 millions d'euros en 2003.

Ventilation des dépenses d'informatisation de l'Etat par chapitre

(en millions d'euros)

 

2000

2001

2002

2003

Dépenses crédits informatiques du titre III

782

940

935

930

Dépenses sur dotation globale de fonctionnement (DGF)

423

410

361

282

Dépenses informatiques du titre V

149

160

176

407

Dépenses de personnel

851

925

948

876

Total

2.204

2.436

2.420

2.496

Source : ministère de l'économie, des finances et de l'industrie (direction du budget)

La ventilation des données doit néanmoins être analysée avec prudence. Il n'est en effet pas possible à l'heure actuelle pour le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie de distinguer précisément dans les dépenses celles qui relèvent du titre III et celles relatives à l'investissement.

En comptabilité privée, relèvent de l'investissement les dépenses informatiques donnant lieu à amortissement.

Les principes de répartition pour le budget de l'Etat des crédits informatiques diffèrent sensiblement du droit commun. Selon le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, l'utilisation des chapitres du titre V est en principe réservée à des dépenses importantes donnant lieu à la prise d'engagements juridiques pluriannuels. Au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, il s'agit ainsi des gros programmes comme Hélios, Copernic et Accord.

Le titre III est beaucoup plus largement utilisé, qu'il s'agisse des dépenses de fonctionnement courant (maintenance, location, réseaux, coût des m² occupés etc...) mais aussi d'achats d'équipement. En effet, hormis au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, les crédits informatiques restent massivement - voire exclusivement - concentrés sur le titre III. Ainsi, le ministère de l'équipement ou le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche n'inscrivent aucun crédit informatique sur le titre V, ce qui, d'une part, conduit les observateurs extérieurs à sous-estimer l'effort d'investissement réel de l'Etat et, d'autre part, suscite des difficultés pour les gestionnaires qui ne disposent pas du levier des autorisations de programme pour mener à bien des projets pluriannuels.

A partir des données obtenues auprès des différents ministères, le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie a cherché à ventiler les crédits informatiques par nature de dépense.

Ventilation des dépenses d'informatisation de l'Etat par nature de dépense 5 ( * )

(en millions d'euros)

 

2000

2001

2002

2003

2000-2003

Matériels et entretien du matériel

518

517

464

611

+ 18,0 %

Logiciels et maintenance du logiciel

121

137

138

209

+ 72,7 %

Réseaux

119

111

152

184

+ 54,6 %

Prestations

165

204

272

384

+ 132,7 %

Personnel

851

925

948

876

+ 2,9%

Source : ministère de l'économie, des finances et de l'industrie (direction du budget)

Le tableau ci-dessus fait état d'une progression significative, + 130 %, du recours à des prestations extérieures au cours des dernières années, sans que les crédits de personnel diminuent. L'augmentation des crédits alloués aux logiciels peut s'expliquer par des investissements plus importants dans le domaine depuis l'année 2000. Il peut s'expliquer également par une inflation des coûts des redevances logiciels imposés par les grands éditeurs vis à vis de laquelle l'Etat est resté largement démuni.

Ventilation des dépenses d'informatisation de l'Etat par nature de dépense

Source : ministère de l'économie, des finances et de l'industrie (direction du budget)

L'exercice de ventilation des dépenses reste imparfait, certaines données n'étant pas suffisamment détaillées. Le taux de ventilation des crédits informatiques varie fortement selon les ministères.

Taux de ventilation des dépenses informatiques par ministère 6 ( * )

(en %)

Economie, finances, industrie

85,10%

Défense

121,60%

Intérieur

46,90%

Enseignement scolaire

89,20%

Equipement

92,80%

Justice

95,10%

Santé

94,80%

Emploi

88,80%

Affaires étrangères

88,90%

Agriculture

93,40%

Culture

93,50%

Sports

73,70%

Environnement

80,20%

Premier Ministre

93,30%

Mer

20,10%

Enseignement supérieur

75,60%

Outre-mer

100%

SGDN

96,30%

Tourisme

40,20%

Plan

100%

DATAR

167,40%

Légion d'honneur

3,10%

Journaux Officiels

72,40%

Monnaies et Médailles

97,40%

Source : ministère de l'économie, des finances et de l'industrie (direction du budget)

Certains ministères comme celui de l'intérieur, selon les informations fournies ci-dessus, ne paraissent pas en mesure de procéder à une ventilation de leurs crédits selon la grille commune par nature de dépense, proposée par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.

Proposition n° 1

Développer la fiabilité des données budgétaires en ce qui concerne les crédits informatiques.

LES DIFFICULTÉS ENGENDRÉES PAR LE POIDS DE LA RÉGULATION BUDGÉTAIRE

Hors crédits de personnel et dotations globalisées, l'exécution budgétaire pour les crédits informatiques s'est déroulée comme suit au cours des dernières années :

Evolution de l'exécution budgétaire pour les crédits informatiques
(hors crédits de personnel et dotations globalisées)

(en millions d'euros)

 

2000

2001

2002

2003

2004 7 ( * )

Loi de finances initiale

972

1.138

1.201

1.311

1.399

Fonds de concours

29

25

26

25

23

Reports

134

221

328

377

327

Autres mesures (rétablissements de crédits, transferts, gels, annulations, etc...)

23

27

-34

-81

6

Source : ministère de l'économie, des finances et de l'industrie (direction du budget)

Les deux dernières années mettent en évidence d'une part le maintien à un niveau élevé des reports , à rebours de la tendance à la diminution observée pour l'ensemble du budget général.

Taux de report par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale

(en %)

Elles ont supporté d'autre part des annulations de crédits qui ont perturbé le bon déroulement des projets informatiques .

Ainsi, au ministère de l'intérieur, l'activité de passation des marchés publics, qui constituent le plus souvent le support juridique de la dépense informatique, s'est trouvée gravement perturbée par les mesures de régulation budgétaire prises en 2002 et 2003. Sur le chapitre 34-82, 10 % des crédits ont fait l'objet de mesures de régulation. Il en a été de même en ce qui concerne les autorisations du programme du chapitre 57-60, régulées à hauteur de 10 %.

La direction des systèmes d'information et de communication (DSIC) du ministère de l'intérieur avait préparé pour 2003 un total de 68 marchés publics. Après avoir mené à bien ces marchés, elle n'a pu en notifier que 47 . Les marchés préparés mais non notifiés ont ainsi dû l'être début 2004, ce qui entraîne d'importants délais dans l'exécution des contrats. Plusieurs marchés importants (renouvellement de serveurs vieillissants, équipements périphériques au projet stratégique ACROPOL) ont ainsi été retardés de quatre à cinq mois, avec les difficultés juridiques qui en résultent : les entreprises soumissionnaires ne sont pas tenues de prolonger sans négociation la date de validité de leurs offres commerciales. De même, certains marchés à bons de commande doivent être prorogés alors que le code des marchés publics fixe un terme à de tels marchés (quatre ans).

Une telle situation peut aboutir paradoxalement à un surcroît de dépense. Toujours au ministère de l'intérieur, dans le cadre du déploiement de la radio numérique ACROPOL, l'administration est dans l'incapacité de commander en 2004 pour 5 millions d'euros en autorisations de programme (4,2 millions d'euros en crédits de paiement) de faisceaux hertziens dont le retour sur investissement varie entre 17 et 23 mois. Ce retard, pour ne pas pénaliser le déploiement d'ACROPOL, se traduira par la commande de liaisons spécialisées pour 2,5 millions d'euros supplémentaires imputés sur le titre III dès 2002. S'agissant d'une dépense de substitution, ces montants sont dépensés en pure perte .

Proposition n° 2

Sanctuariser les dépenses informatiques, les exempter de toute régulation budgétaire lorsque leur retour sur investissement est prouvé et chiffré.

* 1 Jean-Pierre Brulé ; « l'informatique malade de l'Etat. Du Plan calcul à Bull nationalisée : un fiasco de 40 milliards ». Editions Les Belles Lettres, 1993.

* 2 Hors établissements publics nationaux, collectivités territoriales et administrations de sécurité sociale.

* 3 Dépenses nettes du budget général (hors CST et budgets annexes, y compris dépenses de fonds de concours.

* 4 Ces dépenses comprennent de manière très cohérente la formation bureautique des agents de l'Etat.

* 5 Selon la direction du budget, « ne sont pas incluses dans ce tableau les autres dépenses liées à l'immobilier, au fonctionnement courant, à la formation ou autres dépenses diverses. Ce tableau par nature n'est pas directement comparable avec les tendances affichées précédemment pour l'évolution des dépenses d'informatisation ; en effet, d'une part toutes les natures de dépenses ne sont pas reprises et d'autre part l'exhaustivité et la qualité de la ventilation effectuée par les entités laissent parfois à désirer. Cependant, les périmètres se rapprochent et se complètent d'année en année ».

* 6 Certains chiffres peuvent être supérieurs à 100 % car certains ministères procèdent à une ventilation des dépenses en intégrant les reports.

* 7 Chiffres partiels pour 2004.

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