CHAPITRE
III
L'INFORMATISATION AU SERVICE DE LA RÉFORME
DE
L'ÉTAT
Pour examiner l'apport de l'informatisation à la réforme de l'Etat, la « grille de lecture » proposée par le cabinet « Accenture », paraît de nature à structurer l'analyse. Il s'agit de distinguer le « front office » , qui signifie, à l'origine, « boutique », du « back office » , qui signifie donc « arrière-boutique ». Ces expressions sont couramment appliquées, par analogie, aux systèmes informatiques, et, en particulier, à ceux de l'administration, pour désigner respectivement le service aux usagers et le fonctionnement interne .
Une sous-distinction peut être opérée pour le back-office, entre le « back office métier » , qui recouvre les fonctions spécifiques aux « métiers » d'une administration, et le « back office support », qui désigne, en quelque sorte, l'« administration de l'administration ».
D'emblée, il convient de souligner que, sous tous ces aspects, les progrès de l'informatisation de l'Etat ont fait l'objet d'une intéressante réappropriation par le politique et d'une nouvelle visibilité , en particulier au travers du programme « ADELE » 33 ( * ) , lancé le 9 février 2004 à Lyon par le Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin.
Au total, il est apparu, au cours des investigations menées par votre président, que si le niveau et les ambitions des services aux usagers, du « front office », étaient assez satisfaisants, le « back office » recélait de très importantes marges d'améliorations.
POURSUIVRE L'AMÉLIORATION DU SERVICE AUX USAGERS
Pour désigner les services aux usagers , le terme de « front office » est couramment employé, par opposition à celui de « back office » ( supra ). L'amélioration du service aux usagers est partie liée avec le développement de l' administration électronique , dont on s'accorde à parler dès lors qu'une information est saisie directement par l'usager, ou pour l'usager, sur un ordinateur relié à un réseau administratif - en pratique, aujourd'hui, via Internet.
UN BILAN PLUTÔT POSITIF
D'une façon générale, les objectifs recherchés avec le développement de l' administration électronique -ou « e-administration »- sont divers. Il est possible de recenser :
• les simplifications administratives,
• l'amélioration du rendement des
administrations -ce qui peut passer par une rationalisation des structures
administratives-,
• le décloisonnement des territoires,
• la transparence et la lutte contre la
corruption,
• le contrôle des administrations et des
administrés.
Il apparaît que les orientations françaises sont caractéristiques d'un grand respect de l'usager , dont la simplification de la vie administrative est autant recherchée que la préservation des libertés .
Le projet « ADELE », tout comme les programmes d'administration électronique avancés mis en place dans les pays développés, empruntent les directions suivantes :
- la généralisation des formalités administratives « en ligne » (couramment dénommées « téléservices » ou « téléprocédures ») ;
- la possibilité pour chacun d'accéder aux téléprocédures par un « portail personnalisé » accessible via Internet, permettant, le cas échéant, le stockage de données personnelles ;
- le développement de dispositifs d'identification et d'authentification , avec, notamment, la signature électronique ou les cartes d'identité électroniques .
LA FRANCE EN PHASE DE RATTRAPAGE POUR LA DIFFUSION DES TÉLÉPROCÉDURES
Un fossé numérique persistant
Certes, les progrès de l'administration électronique ne passent pas forcément par un accès privé ou public à Internet. Le projet de mise en place du numéro 3939 « Allo, service public », qui vise à permettre à toute personne d'obtenir en moins de trois minutes une réponse ou une orientation à toute demande de renseignement administratif, en atteste : l'administré ne fait que téléphoner, tandis que son interlocuteur est reliée à Internet.
Il n'empêche, la diffusion de l'accès à Internet conditionne largement les progrès de l'administration en ligne, et à cet égard, l'examen de la situation française fait apparaître un certain « fossé numérique ».
Comme cela a été exposé ci-dessus ( cf. partie I - B), le taux de pénétration d'Internet 34 ( * ) est particulièrement faible en France , atteignant à peine 30 % . Il est donc fondamental que le programme gouvernemental « RE/SO 35 ( * ) 2007 », vise précisément à « mettre tous les Français qui le souhaitent en capacité d'utiliser les services de base de l'Internet et de l'administration électronique à l'horizon 2007 » , ce qui implique de former tous les Français à l'usage des TIC, de veiller à l'aménagement numérique du territoire, et d'inciter les foyers et les entreprises à s'équiper.
Concernant ces dernières, le MEDEF a remis en janvier 2004 un livre blanc intitulé « Propositions et recommandations du MEDEF en matière d'administration électronique ». Il part du constat que les entreprises seraient moins bien traitées que les particuliers, vers lesquels le développement de l'administration électronique tendrait à s'orienter, alors même que le traitement des entreprises présente a priori moins de difficultés que celui des particuliers au regard des libertés.
Toutefois, compte tenu du développement actuel des téléprocédures en matières de déclarations sociales et fiscales ( infra ), votre président estime qu'il reste surtout à effectuer un important travail de promotion des téléservices à destination des entreprises, principalement auprès des PME.
L'essor des téléprocédures
Les téléprocédures, pierre angulaire de l'administration électronique
Après un premier stade de l'administration électronique, consistant en la mise à disposition d' informations statiques , et un deuxième stade consistant en la mise à disposition de formulaires téléchargeables , il est généralement observé que les téléprocédures (formalités administratives en ligne) constituent un troisième stade de l'administration électronique.
Le plan stratégique de l'administration électronique (PSAE) 36 ( * ) prévoit que la totalité des procédures existantes pourront faire l'objet d'une téléprocédure en 2007.
Naturellement, ces différents stades se chevauchent selon les administrations et les formalités considérées ; par exemple, s'il est prévu que la totalité des formulaires administratifs devra être téléchargeables en 2005, de nombreuses téléprocédures ont déjà été développées.
Par ailleurs, l'Europe n'est plus indifférente à l'administration électronique, et elle entend favoriser l'accès dématérialisé aux services publics de base et aux marchés publics. Lors du Conseil européen de Lisbonne des 23 et 24 mars 2000, le Conseil a invité les Etats membres à organiser cet accès pour 2003. La Commission européenne, avec le programme « e-Europe », a établi une batterie d'indicateurs d'« administration en ligne » visant à mesurer les progrès accomplis dans la fourniture des services en ligne.
Pour les administrés, les avantages des téléprocédures , qui permettent d' échanger à distance des informations avec une administration afin d'accomplir une démarche, sont sensibles : affranchissement des contraintes spatiales et temporelles, rapidité, et simplification 37 ( * ) .
Outre certaines économies directes (papier, photocopies, affranchissement et déplacements), les administrations, quant à elles, trouvent également l'opportunité de rationaliser leurs structures et de réaliser d'importants gains de productivité, susceptibles de se traduire par un avantage financier immédiat pour l'administré (ou, indirectement, pour le contribuable), ou encore par une amélioration du service.
Le bilan honorable de la France en matière de téléprocédures
Comme votre président l'a précédemment exposé ( cf. partie I - B), le rang de la France, pour le nombre de procédures en ligne, est honorable : 12 ème mondial, et 7 ème européen (notamment derrière les petits pays nordiques « avancés », ou certains pays, tels que l'Estonie, ayant abordé directement le « troisième stade »). Le 4 mai dernier, le cabinet « Accenture » a publié les résultats de sa cinquième étude 38 ( * ) annuelle des performances de 22 pays 39 ( * ) du monde entier en matière de gouvernement électronique . La France s'y classe en huitième position, après avoir été classée 12 ème en 2003 et en 2002.
Les enquêteurs d' « Accenture » se sont mis à la place des citoyens et des entreprises utilisant Internet pour examiner 206 services administratifs-types . Afin de mesurer la performance des différents pays, leur évaluation des sites Internet des organismes publics a porté sur la « maturité » des services , qui pèse pour 70 % dans l'évaluation, et sur la « gestion de la relation client », qui y pèse pour 30 %.
Il est à noter que la France a fait partie des rares pays dont la maturité des services a connu une plus forte progression en 2003-2004 qu'en 2002-2003.
Par ailleurs, l'analyse de la pratique des Français fait ressortir un fort taux d'utilisation de l'administration électronique (85 %) . Cependant, le contraste avec la faiblesse du taux de pénétration d'Internet (30 %) fait de la France le pays le plus caractéristique d'une situation qualifiée de « niche » par le cabinet « Accenture ».
Quelques chiffres concernant l'administration électronique en France (mars 2004)
•
Plus de 200 téléservices
publics
et 5.500 sites Internet publics, soit une hausse de 17 %
depuis 2002 ;
•
plus de 90 % des formulaires
administratifs sont disponibles « en ligne »
,
contre
74 % en avril 2002 ; le programme
« ADELE » vise 100 % de formulaires disponibles
« en ligne » en 2005 ;
• près de 2 millions de visiteurs par mois
consultent le site « service-public.fr », ce qui
représente une augmentation de 54 % en un an ;
• plus de 600.000 Français ont
déclaré leurs impôts « en
ligne »
en 2003 (5 fois plus qu'en 2002), et
plus de
1.250.000 Français en 2004
, soit deux fois plus qu'en 2003.
Bercy résume : «
L'objectif du million de
déclarations en ligne a donc été largement
dépassé
». Au total, ces
télédéclarations ont concerné
18 %
des Français disposant d'Internet (soit
6,9 millions de foyers), et finalement
seulement 3,7 % des
déclarations
(qui sont au nombre de 33,9 millions). Aux
Etats-Unis, 53 millions de déclarations d'impôt sur 130
millions sont transmises en ligne, soit 40,8 %. Le Brésil affiche
le taux spectaculaire de 92 % de déclarations d'impôts faites en
ligne.
• 50 millions de cartes
« SESAM-Vitale » ont été
distribuées ;
• plus de 50 % des feuilles de soins sont
traitées au travers de « SESAM-Vitale » (soit plus
de 600 millions de feuilles maladie par an) ;
• la moitié des demandes de certificat de
non-gage (plus de 2 millions de demandes par an) s'effectue désormais
par Internet
via
le service téléc@rtegrise.
Pour mesurer le développement des téléprocédures, l'ADAE a suscité la mise en place, au sein des différents ministères, d'un indicateur nommé « taux de dématérialisation ».
Pour en apprécier la portée, il importera de distinguer, pour chacune des téléprocédures, entre les « primo entrants » (par exemple, les contribuables souscrivant leur première déclaration d'impôt par télédéclaration), et les autres usagers de la téléprocédure. En effet, il est primordial que l'objectif de taux d'utilisation par les « primo entrants » - parce qu'elle conditionne le développement durable d'une téléprocédure - soit particulièrement ambitieux (par exemple, de l'ordre de 80 % pour la télédéclaration d'impôt sur le revenu).
* 33 Programme gouvernemental « ADministration ELEctronique 2004 / 2007 ». Les 140 mesures du projet ADELE sont numérotées de « ADELE 1» à « ADELE 140 ».
* 34 Rapport entre le nombre d'utilisateurs réguliers d'Internet (c'est à dire se connectant au moins une fois par semaine à Internet) et la population totale.
* 35 « Pour une République numérique dans la Société de l'information », programme présenté le 12 novembre 2002 par le Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin.
* 36 L'ADAE, en concertation avec les ministères, a préparé un plan stratégique de l'administration électronique (PSAE) et un plan d'action de l'administration électronique pour la période 2004-2007, qui s'inscrit dans le prolongement du programme RE/SO 2007 (supra). « ADELE » constitue une présentation du plan d'action.
* 37 Ainsi, dans le rapport « L'Hyper-République - Bâtir l'administration en réseau autour du citoyen » (2003), Pierre de La Coste précise qu'un des objectifs de l'e-administration doit être de « réduire la charge cognitive » nécessaire au citoyen pour trouver ses interlocuteurs et la procédure qui le concerne.
* 38 Etude intitulée « Administration électronique : à la recherche de l'efficience ».
* 39 Dans l'ordre du classement : Canada, Singapour, États-unis, Australie, Danemark, Finlande, Suède, France, Pays-Bas, Royaume-Uni, Belgique, Irlande, Japon, Allemagne, Norvège, Espagne, Malaisie, Italie, Mexique, Portugal, Brésil, Afrique du Sud.