IV. UNE LOI « SARBANES-OXLEY » À LA FRANÇAISE ?

A. DES PÉRIMÈTRES DISJOINTS

La LSF a immanquablement été comparée à la loi Sarbanes-Oxley, adoptée en juillet 2002 dans un délai très court (mais dont nombre de mesures d'application sont tributaires de la SEC) et considérée à certains égards comme illustrative de l'approche américaine : une riposte rapide, contraignante, ciblée, fondée sur des règles précises. Cette comparaison ne vaut cependant que pour une partie minoritaire de la LSF , dont le périmètre est nettement plus large que celui de la loi Sarbanes-Oxley, centrée sur la fiabilité de l'information financière et la responsabilité des gestionnaires.

Les deux textes traitent ainsi les thèmes de l'audit et du gouvernement d'entreprise : la LSF se montre à certains égards plus contraignante 12 ( * ) , mais la loi Sarbanes-Oxley prévoit en outre :

- la certification personnelle des comptes par le directeur général ( Chief executive officer - CEO) et le directeur financier ( Chief financial officer - CFO). Il s'agit d'une mesure emblématique, compte tenu de l'implication des dirigeants d'Enron et de Worldcom dans les fraudes mises à jour ;

- une clôture plus rapide des comptes (section 409), en deux jours au lieu de quinze ;

- la mise en place d'une majorité d'administrateurs indépendants au sein des conseils d'administration ;

- la fourniture d'informations complémentaires à la SEC (principes comptables guidant la présentation des comptes, transactions hors bilan, changements dans la propriété des actifs détenus par les dirigeants, codes d'éthique de l'entreprise...) ;

- un alourdissement des sanctions pénales (jusqu'à 25 ans d'emprisonnement pour fraude) ;

- la mise en place au sein des entreprises de comités de vérification indépendants, notamment habilités à recevoir et traiter des plaintes venant des actionnaires ou encore des employés concernant la comptabilité de l'entreprise et les procédures de vérification (procédure dite du « whistleblowing »).

B. TEMPÉRER LES MÉFAITS DE L'EXTRATERRITORIALITÉ

La portée extraterritoriale de la loi Sarbanes-Oxley, dont un certain nombre de dispositions s'appliquent aux sociétés étrangères cotées aux Etats-Unis comme aux cabinets d'audit non américains 13 ( * ) , a également constitué une des raisons majeures de sa médiatisation et de l'émoi qu'elle a suscité au sein des sociétés européennes, canadiennes ou japonaises. Les critiques que cette caractéristique majeure de la loi américaine a suscitées sont compréhensibles, ne serait-ce que parce que l'extraterritorialité contrevient à un principe fondamental du droit, mais on ne peut s'en contenter. Il est même possible, dans une certaine mesure, de mieux comprendre la nature de cette extraterritorialité ou d'en atténuer la portée par trois arguments .

1. La vocation internationale du marché et de la réglementation des Etats-Unis

L'internationalisation des marchés financiers et la prééminence de la place américaine incitent nombre de sociétés à vocation internationale à se faire coter à New York. Le caractère territorial de bourses désormais interconnectées et parties prenantes de la mondialisation (que l'on considère la nationalité des émetteurs ou des investisseurs) paraît dès lors plus incident ou accessoire. Il semble donc logique que la volonté manifestée par les Etats-Unis de préserver la crédibilité de leur marché financier s'apprécie au regard du lieu de cotation, vecteur déterminant de la stabilité financière d'un pays et, s'agissant des Etats-Unis, de l'ensemble du monde, et non pas en considération de la nationalité des émetteurs. Le renforcement des contraintes, pour des émetteurs étrangers, constitue en quelque sorte une contrepartie du bénéfice qu'ils peuvent tirer de leur cotation aux Etats-Unis .

2. La portée extraterritoriale de la LSF

La LSF a elle-même un impact extraterritorial puisque, selon la même logique de primauté des règles de fonctionnement du marché boursier, les sociétés étrangères faisant appel public à l'épargne en France (et non pas uniquement leurs éventuelles filiales de droit français, qui parallèlement ne sont pas dispensées de leurs obligations) sont soumises à un certain nombre de règles françaises de marché, sans distinction de forme sociale ou de nationalité, parmi lesquelles les obligations d'information portant sur les procédures de contrôle interne et les conditions de préparation et d'organisation des travaux du conseil.

Si les sociétés étrangères n'ont pas l'obligation juridique d'établir les rapports y afférents, dans la mesure où elles ne sont pas soumises aux dispositions du code de commerce visées par l'article 122 de la LSF 14 ( * ) , elles doivent néanmoins, dès lors qu'elles font appel public à l'épargne en France, rendre publiques les informations relatives aux matières visées par le rapport. De même, si un émetteur étranger est soumis à une obligation de communication portant sur les mêmes matières, mais en application du droit de l'Etat de son ressort ou d'un marché sur lequel ses titres sont également cotés, il devra donner simultanément les informations correspondantes en France.

3. La vertu incitative de l'extraterritorialité

Les dispositions relatives à l'enregistrement d'auditeurs étrangers auprès du PCAOB ont été critiquées en Europe, mais n'en ont pas moins eu la vertu d'inciter la Commission européenne à intensifier sa réflexion sur la réforme du contrôle légal des comptes, notamment aux fins de promouvoir la reconnaissance mutuelle, des deux côtés de l'Atlantique, des procédures d'enregistrement et de surveillance des auditeurs. Cette réflexion a abouti à la récente proposition de réforme de la « huitième directive comptable » 15 ( * ) , dont le chapitre XII traite plus spécifiquement des aspects internationaux 16 ( * ) . La pression extraterritoriale devrait donc constituer dans les années à venir un facteur d'accélération du décloisonnement et du dialogue transatlantiques. Au total, l'interconnexion des opérations de marché imprime sa marque aux influences réciproques qu'exercent les régimes juridiques nationaux.

* 12 Les dispositions de l'article 117 de la LSF, relatives au rapport sur les conditions de préparation et d'organisation des travaux du conseil et sur les procédures de contrôle interne de la société, concernent toutes les sociétés anonymes, les comptes consolidés et les comptes sociaux, l'ensemble du contrôle interne, et sont d'application immédiate, alors que les dispositions équivalentes de la loi Sarbanes-Oxley (en particulier dans la section 404 intitulée « Management assessment of internal controls », qui impose aux sociétés de prouver la performance de leurs systèmes de contrôle comptable) ne s'appliquent qu'aux sociétés cotées et aux comptes consolidés, portent sur le contrôle interne relatif à l'établissement des comptes financiers, et s'appliquent à compter de l'exercice 2004-2005 (cf. troisième partie).

* 13 Ces derniers sont soumis à la surveillance du nouveau Public Company Accounting Oversight Board (PCAOB), dès lors qu'ils certifient les comptes de filiales ou de sociétés américaines opérant à l'étranger.

* 14 L'article L. 621-18-3 du code monétaire et financier, introduit par l'article 122 de la LSF, dispose que « les personnes morales faisant appel public à l'épargne rendent publiques les informations relevant des matières mentionnées au dernier alinéa des articles L. 225-37 et L. 225-68 du code de commerce dans des conditions fixées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers. Celle-ci établit chaque année un rapport sur la base de ces informations ».

* 15 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant le contrôle légal des comptes annuels et des comptes consolidés et modifiant les directives du Conseil 78/660/CEE et 83/349/CEE, reçue à la présidence du Sénat le 5 avril 2004, n° 2554.

* 16 L'article 46 de la proposition de directive prévoit en particulier la possibilité d'une réciprocité bilatérale, s'agissant de l'enregistrement des auditeurs et cabinets d'audit des pays tiers, lorsque les systèmes de supervision des Etats concernés sont considérés comme équivalents.

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