II. LES MUTATIONS DES MARCHÉS FINANCIERS, DÉFIS POUR LES RÉGULATEURS

A. LES MULTIPLES AVATARS DES INSTRUMENTS FINANCIERS

1. La multiplication des produits hybrides et des sources alternatives de crédit

Au cours de la période récente, la raréfaction des introductions en bourse et la rigueur des exigences des banques dans les prêts qu'elles octroient (multiplication des covenants dans les conventions de crédit) ont incité les entreprises à recourir davantage à des formes alternatives de financement sans appel public à l'épargne , telles que l'affacturage ou le crédit-bail, ou à continuer de faire appel public à l'épargne, mais en utilisant des instruments de marché de plus en plus diversifiés ou en modifiant les clauses de contrats d'émissions déjà réalisées 163 ( * ) .

Nombre de ces instruments constituent la famille des titres « hybrides » : equity lines et programmes d'augmentation de capital par exercice d'options, obligations à bons de souscription d'actions remboursables (OBSAR, dont le volume d'émissions est toutefois plus réduit que ce que leur médiatisation laisse entendre), obligations convertibles en actions nouvelles (Oceanes), obligations échangeables en actions, options de crédit (inaugurées par Casino en mai 2004)... Ces canaux alternatifs d'accès au financement bancaire ou de marché supposent toutefois une certaine surface financière pour couvrir les coûts de structuration ou commissions y afférents, et ne permettent donc pas pour autant aux plus petites entreprises de recourir à des moyens autres que le crédit bancaire « classique ».

Issus de la LSF, les nouveaux titres super-subordonnés, déjà évoqués dans la quatrième partie du présent rapport d'information, participent de ce mouvement, bien qu'ils ne constituent pas à proprement parler une nouvelle catégorie de titres, mais permettent d'introduire de nouvelles clauses de subordination dans des instruments déjà disponibles. Leur introduction constitue une avancée importante dans l'enrichissement des outils de financement des entreprises. Votre rapporteur général souhaite toutefois appeler l'attention de l'AMF sur la nécessaire vigilance que la sophistication croissante du continuum entre capital et dette suppose . Tout comme les titres hybrides de la famille des obligations convertibles ou remboursables en actions, les TSS témoignent de l'atténuation progressive de la frontière entre haut et bas de bilan.

2. La nécessité de préserver les droits des actionnaires

Les dispositions de la récente ordonnance portant réforme des valeurs mobilières 164 ( * ) confirment la tendance au rapprochement du traitement des assemblées d'obligataires et d'actionnaires. Si certains compartiments de la dette sont considérés comme des placements dynamiques, il convient cependant de rappeler que la prise de risque inhérente à la position d'actionnaire doit être justement rétribuée. Alors que le capital social n'est plus guère perçu comme le gage commun des créanciers, l'investissement en fonds propres demeure le garant de la préservation de la continuité de l'exploitation de l'entreprise.

L'inventivité de l'ingénierie financière permet également de proposer de nouvelles parades à des offres publiques d'achat : les bons de souscription d'actions (BSA) « Plavix » qui avaient été envisagés par Aventis dans le cadre de l'offre de Sanofi-Synthélabo, constituaient une assurance contre les défaillances supposées de l'acquéreur 165 ( * ) et permettaient, s'ils étaient exercés après que l'offre fut réalisée, de diluer Sanofi de 16 % dans le nouveau groupe, et ce faisant de l'inciter à relever son offre pour garder le contrôle.

Confrontée à cette multiplicité de situations, l'AMF doit faire preuve de vigilance, de réactivité et de capacité d'adaptation de sa doctrine pour que soient respectés les principes fondamentaux de droit des sociétés et du droit boursier. L'autorité de régulation rappelle ainsi, dans son récent rapport annuel, les principes applicables aux opérations de recapitalisation et de restructuration de dette des sociétés, au premier rang desquels l'égalité entre porteurs obligataires ou actionnaires d'une même masse, et la clarté de l'information délivrée par l'émetteur.

Le traitement par l'AMF de la nouvelle mesure de défense anti-OPA offerte par les « BSA Plavix » est à cet égard révélateur du conflit potentiel entre droit boursier et droit des sociétés , et en l'espèce entre le libre jeu des offres et surenchères et la souveraineté des actionnaires 166 ( * ) . Votre rapporteur général estime que l'invalidation finalement opposée par l'AMF constitue une solution raisonnable ; à défaut, on aurait pu en effet craindre que l'exercice des bons ne donne lieu à une complexe escalade de « BSA anti-BSA ».

* 163 En application, s'agissant des obligataires, des principes posés par les articles L. 228-65 et L. 228-68 du code de commerce.

* 164 Ordonnance n° 2004-604, publiée au JO du 26 juin 2004.

* 165 En l'espèce, la menace de commercialisation d'une version générique du Plavix, principal médicament de la gamme de Sanofi.

* 166 Les BSA revenaient à imposer unilatéralement à Sanofi un relèvement de son offre de 25 %. Une telle modification nécessitait soit l'accord de Sanofi, soit l'autorisation pour Sanofi de retirer son offre, alors que les hypothèses de retrait avaient été limitativement énumérées et visées par l'AMF. Il s'agissait donc en particulier de déterminer si les BSA d'Aventis emportaient modification de la consistance de la cible. Le retrait de l'offre aurait également privé les actionnaires de Sanofi d'une offre déclarée recevable par l'AMF.

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