EXAMEN EN DÉLÉGATION

M. Robert Badinter :

Vous avez bien fait de susciter ce débat suffisamment tôt, car nous sommes face à des problèmes inédits, d'une grande complexité juridique.

Quel va être le parcours du traité constitutionnel ? La signature aura lieu le 29 octobre, à Rome, ce qui remplira d'aise M. Berlusconi. Ensuite, le Conseil constitutionnel sera saisi, sans doute par le président de la République. Un mois plus tard, le Conseil donnera sa réponse : sans préjuger de sa décision, il paraît évident qu'il conclura à la nécessité d'une révision. A ce moment-là commencera la phase parlementaire, qui concernera la révision constitutionnelle préalable à la ratification éventuelle du traité.

Quelle sera la nature de cette révision ? Je vois mal comment on pourrait se contenter d'une clause du type de celle qui a été retenu pour les traités de Maastricht et d'Amsterdam, car nous sommes devant des questions touchant à l'équilibre des pouvoirs, au rôle des parlements.

Nous avons un des pouvoirs parlementaires les plus faibles, sinon le plus faible, des vingt-cinq États membres. Cette révision va-t-elle conduire à redresser la barre ? Il me paraît clair que le pouvoir présidentiel ne voudra pas se laisser contrebalancer, et qu'on risque de voir une tension apparaître entre le Parlement et l'Exécutif. Un autre problème inévitable est la place respective de chaque Assemblée dans le futur dispositif. L'Assemblée nationale acceptera-t-elle un partage des prérogatives pour la saisine de la Cour de justice ?

La révision sera débattue dans chaque Assemblée, puis il faudra réunir le Congrès. Compte tenu du calendrier prévisible, il me semble que, pour être utile, notre intervention devra se situer avant la fin de l'année. Car le point de départ du débat parlementaire sera un projet de loi constitutionnelle présenté par le gouvernement. Ce projet prendra-t-il en compte le rôle nouveau des parlements nationaux ? Je n'en suis pas sûr. Il nous faudra peut-être l'introduire nous-mêmes dans les débats. Et lorsque le Congrès se réunira, il faudra obtenir une majorité des trois cinquièmes. Or, au sein du Congrès, il y aura des partisans du « non » au traité constitutionnel.

Bref, le processus sera loin d'être simple. Compte tenu de tous ces éléments, pourra-t-on avoir un référendum au mois de mai ? Cela me paraît difficile. Cette révision, je le répète, posera des problèmes inédits, notamment quant à la saisine de la Cour de justice. Que se passera-t-il si les deux chambres n'ont pas la même position ?

M. Pierre Fauchon :

En tout cas, les problèmes à traiter sont passionnants. Ne faudrait-il pas envisager de nous rapprocher de l'Assemblée Nationale, par exemple sous la forme d'un groupe de travail mixte ? Dans le parlement indien - je reviens de ce pays - on a souvent recours à des commissions mixtes thématiques pour préparer les discussions, et cette formule fonctionne bien.

M. Robert Badinter :

Je partage cette idée d'un groupe de travail mixte. Des conclusions communes auraient un grand poids vis-à-vis du gouvernement.

M. Christian Cointat :

Nous devons d'abord avoir pour objectif de tirer le meilleur parti de ce traité constitutionnel lorsqu'il sera en vigueur. Pour cela, il faut une grande cohérence entre Parlement et gouvernement. Il ne me paraît pas bon de trop se concentrer sur la place des parlements nationaux. Comme gaulliste, je ne souhaite pas que les parlements puissent faire tout et n'importe quoi ! La question de la saisine de la Cour de justice me paraît symptomatique : veut-on que la Cour de justice arbitre entre l'Assemblée et le Sénat ? Et, comme Européen, je regrette que les pouvoirs parlementaires soient vus sous un angle négatif, comme un pouvoir de bloquer, alors qu'il serait plus utile de chercher à avoir un rôle constructif.

M. Jean Bizet :

Les questions à traiter sont effectivement complexes. Il serait utile d'avoir les différents textes de référence en annexe au rapport, pour que chacun dispose de tous les éléments d'appréciation et puisse prendre la mesure des novations apportées par la Constitution en ce domaine.

M. Robert Badinter :

De toute façon, nous devrons reprendre ce débat à la lumière de la décision du Conseil constitutionnel.

M. Hubert Haenel :

L'objet essentiel de notre débat d'aujourd'hui, c'est de contribuer à ce que tous les aspects du problème posé par le traité constitutionnel à notre Constitution soient bien pris en compte, notamment ceux concernant les parlements nationaux, d'autant qu'il y aura inévitablement des interférences avec la ratification du traité lui-même.

M. Robert Badinter :

Je souhaite que chacun mesure bien que la précipitation serait dangereuse. Le pouvoir premier dans le processus appartient au Parlement : tout serait bloqué s'il n'y avait pas la majorité requise au Congrès. Il serait inacceptable de remettre à plus tard, à une éventuelle seconde révision, la question du rôle des parlements nationaux.

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