II. AU-DELÀ DE LA REUSSITE GLOBALE, DES AJUSTEMENTS NECESSAIRES
La mise en oeuvre de la loi du 1 er juillet 1998 dans le domaine de la sécurité des aliments a nécessairement été une réalisation dans la durée car contrairement à l'AFSSAPS qui succédait à l'Agence du médicament où à l'InVs qui prenait la suite du réseau national de santé, l'AFSSA constituait un élément nouveau, même si l'intégration du CNEVA avec ses laboratoires et le pôle du médicament vétérinaire de Fougères lui donnaient au départ des éléments fonctionnels nécessaires comme le législateur l'avait d'ailleurs voulu.
Cette notion de durée va de pair avec le pragmatisme qu'exigeait l'ajustement des nouveaux mécanismes d'une sécurité sanitaire faisant intervenir d'autres acteurs que l'AFSSA. Cette observation justifie la nécessité de vérifier tout d'abord le principe de base sur lequel la sécurité sanitaire des aliments est fondé : la séparation de l'évaluation du risque et de la gestion du risque. Cette dernière notion pourrait être mieux exprimée par le terme de « décision » car c'est là l'élément fondamental de cette phase du processus. Tout en gardant cette nuance à l'esprit, on en restera à la distinction classique.
Cette vérification débouchera sur une confirmation du rôle de la plupart des autres acteurs, c'est-à-dire essentiellement les trois tutelles que l'on pourrait peut être maintenant qualifier plus exactement de « partenaires ministériels ». La DGCCRF (Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie), la DGAL (Ministère de l'Agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales), la DGS (Ministère de la santé et de la protection sociale).
S'agissant des relations entre ces différents acteurs, la confirmation des principes retenus et des compétences n'excluent pas, bien au contraire, des ajustements pour deux séries de raisons au moins. D'une part, les mécanismes d'information et de coopération prévus par les nouvelles dispositions ne fonctionnent pas toujours comme ils le devraient. D'autre part, des évolutions exigent que l'action publique soit sans cesse adaptée pour faire face à des exigences ou des risques nouveaux.
Des ajustements sont aussi nécessaires dans l'organisation interne dans l'activité fondamentale de l'AFSSA elle-même : l'évaluation du risque à travers les saisines qu'elle a à traiter.
Des lacunes de l'architecture générale de la sécurité de la sphère alimentaire exigent qu'il soit procédé à des ajouts et des précisions à la construction de 1998, dans des domaines qui n'ont sans doute pas à l'époque été perçus comme centraux, mais qui posent de réels problèmes : il s'agit notamment du domaine végétal avec les produits phytosanitaires.
Des mises au point ou d'autres clarifications sont nécessaires dans deux aspects très différents de l'action de l'Etat. Il s'agit d'une part du rôle des laboratoires qui appelle une réflexion d'ensemble, quel que soit leur ancrage administratif et, d'autre part, du « process européen » de la sécurité des aliments ; si la clarification à réaliser ne fait pas de doute, les moyens d'y procéder ne dépendent évidemment pas de la seule agence française, ni même du seul Etat-membre qu'est la France.
A. LA SÉPARATION ENTRE L'ÉVALUATION ET LA GESTION : UN PRINCIPE VÉRIFIÉ
La vérification de ce principe est d'autant plus nécessaire qu'il a été récemment remis en cause alors qu'un consensus semblait s'être peu à peu établi, puis renforcé.
1. Un principe non universel
Indépendamment de toute nouvelle approche, on peut considérer que cette séparation ne se retrouve pas dans d'autres Etats, ou en tout cas pas organisée d'une manière aussi nette.
Ainsi en Grande-Bretagne, la création de la Food Standards Agency instaurée par la réforme de 1999 (Food Standards Act) a eu pour objet de restructurer complètement l'organisation de la sécurité sanitaire des aliments face à une « nécessité de reconquête de l'opinion » selon les termes du directeur exécutif de la FSA lui-même ; la confiance du public avait en effet été très atteinte à la suite de la crise de l'ESB et des épidémies de salmonellose. Pour reprendre les termes de Sir John Krebs, président de la FSA, la loi de 1999 a créé un « département gouvernemental, (c'est-à-dire un ministère sans ministre (...), la fonction de protection des consommateurs étant ainsi séparée de l'influence directe des ministres ». La FSA a repris les fonctions du ministère de l'agriculture et de la santé dans ces domaines et acquis de nouveaux pouvoirs qui relevaient précédemment directement du gouvernement ; en outre, elle participe concrètement à l'élaboration des actes normatifs, y compris les textes européens et internationaux et a le pouvoir de proposer au Parlement l'adoption de mesures susceptibles d'améliorer la sécurité dans ce domaine.
Enfin, et c'est évidemment essentiel, les avis rendus par la FSA en matière de sécurité des aliments suite à une saisine doivent être suivis par le Gouvernement sauf à en donner la motivation publiquement. Le président de la FSA résume ainsi le positionnement de l'Agence : « l'objectif de notre institution est de protéger la santé du public et les intérêts des consommateurs en matière alimentaire. Notre mandat va donc bien au-delà de la sécurité alimentaire ».
Le dispositif retenu en Grande-Bretagne doit donc être remis dans le contexte de la crise de confiance majeure des années 90. On est ainsi passé d'un fonctionnement confidentiel des instances administratives en charge de l'évaluation et de la gestion à une exposition publique des principales phases d'action de la nouvelle FSA. En outre, les spécificités permanentes de l'organisation du pays doivent être présentes à l'esprit ; ce sont les autorités locales qui sont chargées de l'application des lois et règlements sur le terrain ; par ailleurs, les analyses nécessaires aux contrôles sont presque toutes externalisées : il n'y a pas en Grande-Bretagne l'équivalent des laboratoires dont on dispose en France à l'AFSSA.
Sans aller plus avant dans l'analyse comparative entre la France et la Grande-Bretagne, il apparaît clairement, comme c'est souvent le cas, que la structuration des mécanismes décisionnels est très liée à une situation institutionnelle et historique spécifique, elle-même marquée par les conséquences d'une crise majeure. En conséquence la transposition n'aurait guère de sens.
D'autres pays d'Europe connaissent d'ailleurs une absence de séparation dans le domaine alimentaire entre l'évaluation et la gestion du risque. C'est ainsi le cas de la Belgique et du Danemark.