B. LA COOPÉRATION ENTRE ÉVALUATEURS ET GESTIONNAIRES : DES PROGRÈS À RÉALISER
La fonction régalienne d'assurance de la sécurité des aliments dont l'Etat a la charge implique que les différents acteurs qui y participent oeuvrent d'une manière concertée, d'autant que la distinction qui a été établie entre agence chargée de l'évaluation du risque et services ministériels chargés de la gestion du risque et du contrôle (l'autorité ministérielle gardant le pouvoir de décision) est fonctionnelle et vise précisément à atteindre la meilleure efficacité. Les textes fondateurs ne laissent d'ailleurs aucun doute à ce sujet :
« Pour l'accomplissement de ses missions, les laboratoires des services de l'Etat chargés du contrôle de la sécurité sanitaire des aliments et ceux qui leur sont rattachés sont mis à disposition de l'Agence en tant que de besoin » (art. 1323-1, 4 ème alinéa du code de la santé publique) - L'art. R 794-2 de ce même code précise ce rôle et cette situation, notamment dans le domaine vétérinaire - L'appui scientifique et technique que l'Agence doit de son côté assurer au ministère de l'agriculture et aux autres ministères est également précisé.
Les différents avis et opinions recueillis conduisent à constater que cette coopération ne se vérifie pas dans le fonctionnement quotidien avec, sans doute, des variations selon les administrations de tutelle.
Une première remarque permet de relier cette observation à celles faites (cf. supra) sur la séparation entre l'évaluation et la gestion du risque. L'administration la plus réticente à la création de l'AFSSA, à savoir le ministère de l'agriculture, considère que cette séparation devrait être renforcée. Cette attitude est révélatrice d'une réticence, sinon d'un refus, de tirer toutes les conséquences de la création de l'Agence : associer le moins possible cette dernière au suivi des décisions, à la méthodologie des contrôles, aux plans de surveillance, aux questions technologiques qui apparaissent en aval. La D.G.A.L. transmet maintenant - enfin - les plans de surveillance, mais cela ne représente qu'une faible partie des éléments de l'ensemble de l'action de contrôle. La tentation pour l'Agence est alors réelle, devant ce qui peut se caractériser comme un mauvais vouloir, de tenter de s'approprier ce qu'elle appelle « l'évaluation de la gestion du risque ». La sémantique administrative est aussi un outil pour décrypter ces conflits de frontière qui sont d'abord des conflits de pouvoir.
Le ministère de l'agriculture n'est pas le seul à manifester ces réticences, mais c'est lui qui le fait le plus nettement. La position de la direction générale de la santé est par nature différente de celle des deux autres tutelles ; celle de la D.G.C.C.R.F. illustre au mieux la difficulté, mais aussi la possibilité réelle, d'établir un équilibre dans ces relations de coopération mutuelle entre l'Agence et les services des trois ministères de tutelle.
La D.G.C.C.R.F. envoie systématiquement les programmes, les plans de contrôle et la méthodologie utilisée à l'AFSSA. Ses remarques sont prises en compte et si à ses yeux le fonctionnement de ce système peut faire l'objet de retouches, il n'y a pas lieu de le modifier actuellement.
Par ailleurs, le système d'échange d'informations au niveau européen par le réseau Rapex, dont la direction générale « Santé des consommateurs » assure la régulation depuis Bruxelles, constitue un élément essentiel et des améliorations pourraient même être obtenues. Certains Etats-membres communiquent des données excessivement abondantes, d'autres à l'inverse des données lacunaires ou équivoques (cas de la dioxine dans les élevages de poulets en Belgique). La Direction générale de l'alimentation, comme la D.G.C.C.R.F. participent à ce réseau.
Les moyens de coopération pour une meilleure efficacité existent, mais là aussi plus qu'une science, la coopération dans la gestion du risque est un art dont la valeur réside essentiellement dans l'application ; si l'AFSSA a rendu immédiatement publique une appréciation en forme d'avis sur les premiers plans de contrôle de la viande bovine sans attendre la réponse des tutelles, il n'est pas étonnant qu'ensuite des réticences regrettables se fassent jour. Dans l'autre sens, il est à noter que deux ans avaient été nécessaires pour que l'AFSSA obtienne communication des modes opératoires d'enlèvement des produits dangereux dans les carcasses de bovins. S'il apparaît assez nettement que tous les torts ne sont pas du même côté, il est à craindre que la tentation du recours à l'argutie soit également bien répartie.
Le genre de blocages que l'on vient d'évoquer appelle des remises en cause de la séparation évaluation/gestion du risque du côté de l'AFSSA. On pointe alors l'argument selon lequel le format des données collationnées diffère selon la perspective d'utilisation : la logique du contrôle n'est pas forcément celle de l'évaluation du risque. La portée de cet argument ne paraît importante que si l'on se place dans une logique de conflit entre unités administratives. Des mécanismes d'échange de données fondés sur des moyens de traitement dans une perspective de coopération mutuelle ne constituent pas un objectif inaccessible ...
Par ailleurs, le contrôle et la répression ne peuvent être séparés et s'inscrivent nécessairement dans le suivi de la gestion du risque. Sauf à placer l'ensemble des unités administratives, laboratoires compris, dans le périmètre de l'AFSSA et à faire disparaître en conséquence la Direction générale de l'alimentation et la D.G.C.C.R.F., il n'apparaît pas aujourd'hui nécessaire de revenir sur l'équilibre établi par la loi de 1998. En revanche, les déviations ou les non-applications doivent être redressées. Des propositions seront faites en ce sens. Une synergie peut se réaliser entre les deux catégories d'acteurs : l'AFSSA d'un côté, les trois administrations chargées de la gestion, de l'autre. Une coopération structurée oblige chacun à préciser ses intentions, sa méthodologie et aussi les limites de sa capacité d'appréciation. A cet égard, un des éléments de la clarification à opérer peut être fourni par le contrat d'objectifs et de moyens (COM) dont l'AFSSA a demandé avec insistance la réalisation depuis longtemps et dont la conclusion a été reportée à plusieurs reprises pour des raisons obscures qui sont plutôt des prétextes. Un outil administratif de ce type n'est sans doute pas la panacée, mais en permettant de préciser les moyens, les exigences et les obligations de chacun, il contribue nécessairement à l'efficacité de l'ensemble des actions dans le cadre général de l'objectif commun qu'est la sécurité sanitaire alimentaire.