3. Des interrogations
a) Sur le droit de saisine
La question du droit de saisine de l'AFSSA par les industriels (producteurs, distributeurs) est régulièrement soulevée par tous les acteurs : les intéressés bien sûr, mais aussi les administrations, les experts et les autres parties prenantes. L'ANIA (Association Nationale des Industries Alimentaires) avait demandé que cette faculté leur soit reconnue et en janvier 2003, le CNA (Conseil National de l'Alimentation) a émis un voeu en ce sens.
Dans la mesure où les organisations de consommateurs en bénéficient, on voit mal comment ce droit pourrait par principe être refusé à bien des acteurs essentiels du domaine, sauf à se fonder sur une idéologie d'exclusion des intérêts privés alors qu'il s'agit d'un droit de saisine et non d'une quelconque participation à la décision ou à la gestion.
Parmi les arguments invoqués, et en dehors des industriels eux-mêmes, on a souvent évoqué le fait que la nouvelle architecture de la sécurité sanitaire des aliments avait marginalisé les industriels et les experts du secteur privé. Au-delà des questions purement scientifiques, les applications technologiques semblent, de ce fait, avoir été moins prises en compte. Cette évolution pourrait avoir des conséquences sur la valeur de l'expertise sur l'ensemble des process et de ce fait dans l'appréciation des risques eux-mêmes. Le droit de saisine, logique au demeurant, serait donc un moyen de limiter les effets de cette séparation dommageable. Dans ses propositions, le CNA prend en compte lui-même les impératifs et les précautions qu'implique cette réforme :
Sur le champ du droit de saisine
La possibilité de saisine de l'AFSSA devrait porter sur l'évaluation des risques suspectables compte tenu des éléments dont disposent une ou plusieurs entreprises d'un même secteur. Les exploitants du secteur alimentaire devraient, dans ce cadre, pouvoir obtenir de l'AFSSA un avis sur les risques nutritionnels ou sanitaires qu'ils suspecteraient concernant les aliments destinés à l'homme ou aux animaux, les procédés et conditions de production, transformation, conservation, transport, stockage et distribution des denrées alimentaires, en informant simultanément les autorités sanitaires compétentes.
Cette saisine devrait dans tous les cas s'inscrire dans une perspective d'intérêt général de santé publique et non d'intérêt particulier.
Ce droit de saisine ne devrait pas pouvoir s'exercer dans les domaines où les textes en vigueur prévoient une procédure de dépôt de dossier ou de demande d'autorisation auprès d'une administration.
Sur l'exercice du droit de saisine
Pour éviter tout risque de saturation de l'Agence ou des saisines qui tendraient à détourner l'Agence de son rôle institutionnel et à lui faire jouer un rôle de conseil, le CNA recommande que cette possibilité soit ouverte aux seules organisations professionnelles ou interprofessionnelles.
S'agissant d'une simple faculté, il serait loisible à une organisation professionnelle ou interprofessionnelle, si elle estime que de telles saisines ne relèvent pas de son rôle ou qu'elle n'est pas en mesure de les prendre en charge, d'informer ses mandants de cette position de principe.
Ce n'est qu'au terme d'une période expérimentale, par exemple de deux ans, que la possibilité d'ouvrir le droit de saisine aux exploitants eux-mêmes pourrait être examinée, tout en tenant compte des mêmes préoccupations.
Ce texte prévoit la possibilité pour l'Agence de juger de la recevabilité de la saisine et, de ce fait, de la rejeter :
« Si la demande n'entrait pas dans le domaine de compétences de l'Agence, si elle ne relevait pas de l'évaluation du risque, si elle était insuffisamment motivée et/ou renseignée ou si elle ne relevait pas de l'intérêt général de santé publique, mais d'un intérêt strictement privé, il informerait le demandeur que sa demande n'est pas susceptible d'être examinée ».
L'ouverture d'un tel droit pose, en effet, quelques questions difficiles que le CNA a bien identifiées, notamment le risque d'instrumentalisation ou de saturation de l'Agence. Les précautions envisagées paraissent de nature à y répondre. Il reste que le fait de faire filtrer le droit de saisine par le canal des organisations professionnelles peut soulever des difficultés en terme de rapports de force d'une part, et au regard du secret industriel de l'autre. Ces réserves ne constituent pas une raison suffisante pour ne pas réaliser une réforme dont la quasi totalité des acteurs s'accordent à noter le bien fondé.