Z. CONTREFAÇONS ET FAUX MÉDICAMENTS

* Le constat de l'OMS

Le rappel de la définition que donne l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) du médicament contrefait permet, avant même de préciser l'ampleur du problème, de pointer toutes les facettes de ce phénomène criminel qui a déjà une extension considérable et qui se développe dans des zones géographiques jusque là indemnes :

« Définition de l'OMS du médicament contrefait

Produit présenté de façon délibérément frauduleuse quant à sa source et/ou son identité. Les contrefaçons peuvent concerner aussi bien les médicaments de marque que les génériques. Ils concernent :

- des produits contenant des composant corrects

- ceux contenant des composants incorrects

- ceux sans principes actifs

- ceux contenant des quantités incorrectes de principes actifs

- ceux présentant un conditionnement imité ».

L'OMS recense depuis 1982 les contrefaçons de médicaments mais souligne elle-même l'extrême difficulté de valider et de classer les différents produits et filières d'une manière homogène. Il n'en reste pas moins que certains ordres de grandeur peuvent être retenus. 70 % des cas rapportés concernaient les pays en développement ; moins de 30 % de ces produits provenaient des pays développés ; les pays ayant rapporté des cas représentaient moins de 15 % des membres de l'OMS. Dans le domaine des contrefaçons, mais en fait principalement des faux médicaments, l'Afrique est la plus exposée avec par exemple un taux de 70 % pour les anti-paludéens dans sept pays d'Afrique subsaharienne dont le Cameroun, par exemple. Des pourcentages de l'ordre de 12 % sont couramment avancés pour la Russie, la Chine, 16 % au Vietnam et 8,5 % en Thaïlande.

Sur le plan économique mondial, le préjudice est évalué à 35 milliards de dollars américains, en progression de 50 % depuis 1998. 40 ( * ) Les quelques statistiques qui peuvent être mises en perspective montrent une forte accélération du phénomène au cours des dernières années.

* La situation dans plusieurs pays :

En Afrique

Dans le cas des anti-paludéens contrefaits relevé plus haut (six pays d'Afrique subsaharienne), des analyses de comprimés de chloroquine ont montré que seuls 58 %, de ces produits avaient une teneur acceptable en principe actif et que moins de 25 % donnait des résultats acceptables lors des tests de dissolution. D'après les scientifiques qui ont réalisé ces analyses, la mauvaise qualité de ces comprimés pourrait être l'une des causes des taux élevés de résistance à la chloroquine dans ces pays (cité par M. Philippe Duneton lors du colloque du 3 novembre 2004).

La FDA a confirmé récemment en février 2004 un pourcentage de 50 % de contrefaçons pour les anti-paludéens en Afrique. En Guinée, le président de l'Ordre des pharmaciens (M. Fodé Fofana), réunissant des résultats de thèses de doctorat sur les médicaments proposés sur les marchés de Conakry a relevé un taux de non-conformité de 60 % (soit 83 médicaments) ; 23 % ne comportaient aucune substance active. De nombreuses classes thérapeutiques étaient concernées : antibiotiques, anti-inflammatoires, antiseptiques, antihistaminiques, antitussifs, antiparasitaires et diurétiques.

Le cas du Liban

La situation du Liban relève du cas d'école. Dans un pays où la distribution et la dispensation du médicament étaient organisées sur des bases convenables et efficaces, un changement brutal de législation en mai 2002 autorise la pratique d'escomptes (de ristournes) sur le prix des médicaments ; selon le président de l'Ordre des pharmaciens libanais (M. Ziad Nassour), le but déclaré était de faire baisser le prix des médicaments, mais surtout de créer une diversion au moment de l'entrée en vigueur de la loi relative à la TVA.

Selon M. Nassour, « l'incitation à la consommation a finalement fait exploser la contrebande et l'irruption des contrefaçons » 41 ( * ) ; avec un médicament authentique acheté 80 livres contre un faux ou une contrefaçon achetée 15 livres, les pharmaciens honnêtes ont été rapidement mis dans une situation intenable et des faillites s'en sont suivies. Quant à l'objectif de baisse des prix, l'augmentation de la consommation et les effets désastreux en terme de santé publique permettent de le remettre en perspective, notamment pour ceux qui, en Europe, semblent décidés à orienter les décisions dans ce domaine exclusivement en fonction de cet objectif.

Les États-Unis

-- A partir d'une situation déjà différente de celle que l'on connaît dans la plupart des pays d'Europe occidentale, les Etats-Unis ont enregistré depuis quelques années une dégradation sensible de la sécurité des médicaments dispensés au public. M. Yves Juillet (Les entreprises du médicament) a fait part des informations suivantes lors du colloque précité :

« Les Etats-Unis ont vu doubler les déclarations de cas de fraude entre 2003 et 2004. Il s'agit de produits chers à forte valeur ajoutée (hormones, EPO, anticancéreux), le phénomène est aggravé par la couverture médicale incomplète. 40 millions d'Américains n'ont pas de protection sociale. Et contrairement à la France, le circuit de distribution des médicaments est perméable, les pharmaciens peuvent acheter à qui se prétend distributeur sans vérification ».

De son côté, la FDA dans son rapport publié en 2004 (« Combattre la contrefaçon des médicaments ») signale l'augmentation depuis 2001 des enquêtes sur des médicaments contrefaits ».

-- La distribution par Internet n'est pas la seule en cause dans cette évolution inquiétante, mais elle joue un rôle considérable d'après les Américains.

L'indication qu'en donne M. Eric Fouassier dans son article précité (Bulletin de l'Ordre des pharmaciens n° 382 mars 2004 page 112) mérite d'être citée par « l'ambiance » qu'elle évoque sur la base de réalités avérées :

« Cette prise de conscience d'un danger potentiel pour la santé publique s'est fait sentir même aux Etats-Unis. Dans un contexte de liberté créatrice proche de l'anarchie, des garde-fous se sont mis peu à peu en place pour canaliser des initiatives parfois fort éloignées de l'éthique médicale. La Food and Drug Administration (FDA) s'est attachée à traquer les sites sauvages qui présentaient des allégations mensongères concernant la présence de personnel médical et le contrôle des ordonnances par un pharmacien, ou bien qui livraient des produits prohibés. Des dizaines de pharmacies en ligne ont fait l'objet d'enquêtes pour vente de médicaments de prescription sans ordonnance et vente de produits non autorisés ou illégaux 42 ( * ) . Au début de l'été 2000, ces investigations avaient conduit à la condamnation de 22  personnes et à l'arrestation de 43 autres. L'Etat du Michigan avait purement et simplement interdit la vente de médicaments sur Internet et menacé de poursuites judiciaires les pharmacies en ligne ne respectant pas cette interdiction. L'attorney general de cet Etat avait également assorti sa décision de commentaires peu amènes sur les sociétés de vente de médicaments par e-mail : « C'est un énorme problème. Si maintenant on peut donner des médicaments à n'importe qui et sans ordonnance, autant mettre ces médicaments sur les étagères d'une épicerie 43 ( * ) ».

-- Le rapport du GAO de juin 2004 (n° 04-820)

En juin 2004, le General Accouting Office des Etats-Unis (équivalent de la Cour des Comptes) a rendu un rapport (au Président de la sous-commission permanente des enquêtes de la commission des affaires gouvernementales du Sénat) sur les « pharmacies sur internet ». La synthèse de ce rapport, publiée dans le bulletin « GAO Highlights » est tout à fait conforme à la forte inquiétude que tous les observateurs ont précédemment ressentie.

En voici quelques extraits :

« Les constatations du GAO

Le GAO a pu se procurer, sans aucune prescription, la plupart des médicaments délivrés sur ordonnance qu'il recherchait, auprès de divers sites de pharmacies en ligne. Le GAO a ainsi obtenu 68 échantillons de onze médicaments différents -chacun auprès d'une pharmacie en ligne différente aux États-Unis, au Canada et dans d'autres pays étrangers parmi lesquels l'Argentine, le Costa Rica, les Fidji, l'Inde, le Mexique, le Pakistan, les Philippines, l'Espagne, la Thaïlande et la Turquie. Cinq des pharmacies américaines et la totalité des 18 pharmacies canadiennes, dont le GAO a reçu des échantillons, ont réclamé que le patient présente une ordonnance, tandis que les 24 pharmacies américaines restantes et la totalité des 21 pharmacies étrangères hors Canada ont délivré une ordonnance sur la base de leur propre questionnaire médical, voire n'en ont exigé aucune. Parmi les médicaments que le GAO a obtenus sans prescription figuraient des substances soumises à des restrictions spéciales et des antalgiques à effet narcotique, entraînant une forte accoutumance.

Le GAO a répertorié divers problèmes concernant la manutention, l'autorisation de mise sur le marché de la FDA et l'authenticité des 21 échantillons adressés par les cyberpharmacies étrangères hors Canada. Des problèmes, moins nombreux, ont été constatés parmi les pharmacies du Canada et des États-Unis. Aucune des pharmacies étrangères hors Canada n'exige un étiquetage pharmaceutique fournissant des instructions d'utilisation, peu formulent des mises en garde, et 13 posent des problèmes concernant la manutention des substances. Ainsi, trois échantillons de médicament, qui auraient dû être expédiés en atmosphère thermocontrôlée, sont parvenus dans une simple enveloppe non isolée. Des tests de fabricants ont révélé que la plupart de ces échantillons ne bénéficiaient pas d'autorisation pour le marché des États-Unis ; toutefois, les fabricants ont constaté que la composition chimique de tous ces produits était comparable à celle du produit commandé par le GAO, sauf pour quatre d'entre eux. Quatre échantillons, en effet, se sont révélés être des produits de contrefaçon ou d'une composition ne pouvant être comparée au produit commandé. Comme pour les échantillons reçus des autres pharmacies étrangères, les fabricants ont établi que les échantillons provenant des officines canadiennes étaient, pour la plupart, non autorisés sur le marché des États-Unis, mais qu'en revanche, la composition chimique de tous les échantillons de cette provenance était à chaque fois comparable au produit commandé par le GAO.

(...)

De même, nous avons constaté que certains échantillons avaient été expédiés à partir d'adresses sujettes à caution, notamment à partir de domiciles privés. Nous avons également constaté que certaines cyberpharmacies dissimulent l'information sur le médicament vendu, notamment des pharmacies étrangères hors Canada auprès desquelles nous avions commandé un médicament de marque, mais dont nous avons reçu tantôt le générique, tantôt la version locale. Enfin, il est apparu que 21 pour cent des pharmacies nous ayant fait parvenir des échantillons étaient sous le coup d'une enquête de la DEA ou de la FDA. Ces enquêtes ont été déclenchées parce que les pharmacies concernées étaient soupçonnées de vendre des médicaments frelatés, d'utiliser des désignations commerciales frauduleuses, de pratiquer la contrefaçon, ou encore de vendre des médicaments, normalement délivrés sur prescription, en l'absence de toute relation patient-médecin valable. Neuf de ces pharmacies étaient originaires des États-Unis, une du Canada et cinq d'autres pays étrangers.

Nous avons soumis un projet du présent rapport à la FDA, laquelle s'est montrée en général d'accord avec nos résultats et nos conclusions. Nous avons également soumis un projet du présent rapport à la DEA aux fins d'un examen technique, et celle-ci nous a informés qu'elle n'avait aucun commentaire à formuler.

(...)

Remarques de conclusion

Les consommateurs peuvent obtenir directement par Internet des médicaments, normalement délivrés sur prescription, sans présenter d'ordonnance - en particulier en passant par certaines cyberpharmacies aux États-Unis et des pharmacies étrangères hors Canada. Les médicaments ainsi proposés incluent des substances qui imposent au patient une surveillance en raison de leurs effets secondaires, ou bien qui l'expose à un risque de toxicomanie. S'agissant des médicaments de ce type en particulier, la prescription et la surveillance médicale peuvent contribuer à garantir la sécurité du patient. Outre l'absence de prescription obligatoire, certaines cyberpharmacies peuvent exposer les consommateurs à d'autres risques. Ainsi, notre étude a montré que de nombreuses pharmacies étrangères hors Canada délivrent des médicaments sans fournir d'instructions pour leur utilisation au patient, que les mises en garde sont peu fréquentes et que quatre d'entre elles ont expédié des médicaments, qui n'étaient pas les produits authentiques que nous avions commandés.

On remarquera que nous avons identifié des problèmes somme toute nombreux, en dépit du nombre limité de substances achetées, des problèmes qui correspondent à ceux signalés récemment par les autorités de régulation fédérales et locales ».

En Grande-Bretagne

Depuis 1994, la Grande-Bretagne n'avait pas été confrontée à l'irruption de médicaments contrefaits dans la chaîne pharmaceutique (deux occurrences relevées cette année-là). En août et septembre 2004, deux cas ont été signalés sur deux médicaments différents, l'un d'entre eux ayant été remarqué par le grossiste de lui-même à partir du repérage d'un numéro de lot inhabituel.

Au sujet de ces événements, l'Ordre des pharmaciens français a fait le commentaire suivant (26 novembre 2004) :

« La majeure partie des médicaments contrefaits se retrouvent sur les sites Internet de vente de médicaments. En effet, la chaîne pharmaceutique britannique est très contrôlée et l'apparition de médicaments contrefaits dans la chaîne pharmaceutique britannique est relativement rare (il s'agit du deuxième cas en dix ans). Le potentiel de risque de survenue de contrefaçon dans la chaîne est faible ; la seule faille connue, d'après les experts, est l'importation parallèle de médicaments en provenance d'autres Etats membres de l'Union européenne. Toutefois, les médicaments provenant d'importations parallèles doivent avoir une licence et être clairement identifiés.

Par ailleurs, la majeure partie des Britanniques continue d'acheter ses médicaments à l'officine, suite à la prescription d'un médecin. Les médicaments peuvent ensuite être remboursés par l'assurance maladie (le NHS).

Pour ce qui est des médicaments de « société », les patients ont beaucoup plus tendance à s'auto-médiquer et à rechercher des prix plus intéressants (y compris sur Internet). Or, le Cialis R comme le Réductil R sont tous les deux des médicaments dits de société (ou « life style drugs » en anglais). Ce type de médicaments est donc sujet à de plus nombreuses contrefaçons.

En conclusion, ces deux cas mettent en avant un développement inquiétant de la contrefaçon en Europe ».

On peut rappeler que la distinction que l'arrêt DocMorris de la CJCE s'est crue autorisée à faire entre les médicaments soumis à prescription et ceux qui ne le sont pas montre clairement les risques immédiats que la distribution par internet fait courir.

En France

En France, quelques affaires de contrefaçons de médicaments ou de produits proches ont été trouvées en dehors du circuit pharmaceutique. Les principales affaires de contrefaçons de médicaments ont été signalées par les douanes (Viagra en transit) ou par l'AFSSAPS et la DGCCRF (lentilles optiques). Cela ne veut pas dire que de nombreux sites Internet basés à l'étranger et souvent non identifiables quant à leur localisation et leur nature réelle ne proposent pas ouvertement en France des médicaments. Les assurances que l'on pense avoir avec le remboursement par l'assurance-maladie sont réelles et sans doute pérennes ; en ce qui concerne les produits non remboursables, c'est autre chose. Dans son article précité, M. Eric Fouassier (page 117) indique ainsi (mars 2004) :

« Il existe déjà sur Internet des centaines de sites où l'on peut se procurer des substances de toutes sortes : de l'ecstasy, des psychotropes, des hormones de croissance ou d'autres produits classés sur la liste I des substances vénéneuses. A Montpellier, le 23 mars 1999, huit cents médecins et pharmaciens ont été entendus à titre de témoins dans le cadre d'une information judiciaire sur la vente, via Internet, de médicaments interdits. Selon la plainte du Conseil de l'Ordre des médecins des Pyrénées orientales, ces médicaments censés favoriser l'amaigrissement auraient été vendus par une société installée à Barcelone à des praticiens, dont au moins trois cents exerçaient dans les Pyrénées orientales, l'Aveyron et l'Hérault. La société espagnole approvisionnait les médecins et les pharmaciens grâce à une entreprise installée à Montpellier ».

Pour ceux qui en auraient douté, il y a donc en France, comme ailleurs, et malgré les dispositions légales organisant la dispensation du médicament, des médecins et pharmaciens qui n'hésitent pas à se lancer dans des pratiques frauduleuses et vraisemblablement dangereuses. Il n'y a aucune raison objective à remettre en cause l'organisation actuelle. Les responsables de tous ordres doivent être au contraire vigilants pour ne donner aucune chance à de douteuses entreprises cybernétiques où la sécurité sanitaire et la santé publique ont tout à perdre ; il s'agit là de grands risques humains et financiers pour la collectivité comme pour les personnes.

RESUME DE LA TROISIEME PARTIE

* Une structure aux missions étendues

Succédant à l'Agence du médicament, l'AFSSAPS a recueilli, par la loi de 1998, un ensemble de compétences beaucoup plus large que cette dernière (extension aux dispositifs médicaux, cosmétiques notamment). Des moyens importants ont été consacrés à la mise en place de la nouvelle structure. Il est à noter qu'au financement budgétaire s'ajoute celui des redevances acquittées par les industriels ; cette dernière ressource ne saurait se substituer à la première car l'Etat a le devoir d'assumer ses responsabilités, en particulier à hauteur de toutes les fonctions de contrôle et d'inspection.

* Une montée en puissance difficile

Malgré les moyens importants dont elle a bénéficié, l'Agence a connu un démarrage lent et laborieux, tout en continuant à assurer d'une manière satisfaisante, le fonctionnement des procédures d'AMM (autorisation de mise sur le marché) tant nationales qu'européennes qui constituent son « coeur de métier ».

Les insuffisances s'expliquent par l'héritage souvent désordonné de l'Agence du médicament avec de sérieuses conséquences sur l'informatique, donc sur les bases de données, essentielles dans ce domaine (information du corps médical, fichier d'experts) avec une gestion interne insuffisante qui a perduré ; l'absence de COM (contrat d'objectifs et de moyens) illustre bien ces faiblesses. Au-delà des responsabilités de l'Agence elle-même, des éléments extérieurs ont été à l'origine d'autres difficultés : retards importants dans l'élaboration des textes d'application de la loi de 1998, exercice de la tutelle du ministère de la santé (DGS notamment) mal détaché de l'ancienne architecture administrative.

* Une stabilisation sujette à des remises en cause

Maintenant que la stabilisation paraît enfin acquise, plusieurs facteurs peuvent être identifiés qui risquent de la remettre en cause.

? La croissance des activités due aux circonstances fournit toute une série de facteurs en ce sens :

-- veille sanitaire pour les médicaments avec des signalements multipliés par 3,5 entre 1999 et 2003 et on imagine l'effet des tempêtes des dernières semaines dans ce domaine !

-- veille face aux risques terroristes (plans Biotox et Piratox) ;

-- croissance des besoins dans le domaine des vaccins (libération de lots, contrôle, coopération) ;

-- entrée en vigueur du nouveau régime des essais cliniques.

En outre, dans tous les secteurs la mobilisation due à la dimension européenne est très forte.

? Les modifications institutionnelles touchant le périmètre des compétences constituent la deuxième série de facteurs : création du FOPIM (Fonds de promotion et d'information médicale et médico-économique) en 2001, suivie de la réforme de la commission de la transparence en septembre 2003, et enfin transfert de l'ensemble de cette dernière au sein de la nouvelle HAS (Haute Autorité de Santé) créée par la loi du 13 août 2004, avec suppression corrélative du FOPIM et intégration de l'ANAES (Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé).

Une actualité lourde d'interrogations

Au-delà de l'adéquation des mécanismes de la loi de 1998 se pose la question fondamentale que la crise du Vioxx vient d'éclairer d'une manière encore plus crue que les précédentes.

-- La iatrogénie médicamenteuse avait déjà été repérée depuis quelque temps, notamment aux Etats-Unis et dans d'autres pays dont la France.

-- Quelques crises récentes ont soulevé de lourdes interrogations finissant par mettre en cause, au-delà d'un médicament ou d'une classe thérapeutique donnée, les modalités d'expertise et les procédures d'AMM elles-mêmes.

La cérivastatine retirée du marché mondial par Bayer en août 2001 a été la première de ces crises. La mise en cause des THS (traitement hormonal substitutif) a constitué un autre type de crise où le facteur de la demande sociale joue un rôle important, les produits étant toujours sur le marché alors que les suspicions de danger substantiel se confirment encore tout récemment.

Le retrait du Vioxx du 30 septembre 2004 dans des conditions qui rappellent celles de la cérivastatine, constitue un véritable séisme dans le secteur de l'industrie pharmaceutique et même de l'ensemble du monde médical y compris les experts et les agences du médicament.

Des doutes sérieux sur les bénéfices additionnels (moindres effets indésirables) par rapport aux anti-inflammatoires préexistants étaient déjà largement répandus. La révélation de risques accrus d'accidents cardiovasculaires notamment, a entraîné le producteur, Merck, à retirer brutalement le Vioxx du marché. Les doutes se sont rapidement répandus sur la date à laquelle ces certitudes avaient été acquises et sur une éventuelle dissimulation par l'industriel. Plusieurs études, dont l'une réalisée en Suisse et publiée début novembre 2004, ont confirmé la disponibilité ancienne de ces informations. L'AFSSAPS avait demandé à l'Agence européenne (EAMA) une réévaluation de cette classe thérapeutique (les coxibs) qui n'a pas été réalisée, semble-t-il, dans les conditions souhaitées. Cependant, tout en renforçant ses réserves, elle avait elle-même maintenu le Vioxx et les autres coxibs sur le marché, comme toutes les agences, y compris la FDA.

Les conditions de marketing dans lesquelles le Vioxx a été lancé (prix d'appel très bas en milieu hospitalier et demande de prix public remboursable excessivement élevé) ont contribué à ternir l'image des industriels.

Devant les mises en cause pour le moins justifiées que cette crise entraîne, les firmes pharmaceutiques au niveau mondial viennent de s'engager (6 janvier 1995) enfin à faire connaître les résultats de tous les essais cliniques qu'elles réalisent. Il revient aux agences (AFSSAPS et EAMA notamment) et à l'Etat de s'assurer de la pérennité de ces engagements.

Ces événements appellent le renforcement substantiel des mécanismes de sécurité, notamment en matière de pharmacovigilance. Ils exigent aussi que l'expertise soit radicalement revisitée, même si une partie des réponses se trouve au niveau mondial, d'autant que certains problèmes rencontrés avec le médicament apparaissent, avec d'autres spécificités, dans d'autres domaines : alimentaire (toxicologie), produits chimiques ...

Pour que le « vivier » d'experts soit partout suffisant en quantité et en qualité, des efforts en terme de moyens et de rémunérations s'imposent ; ils sont la condition de leur indépendance, évidemment essentielle à leur mission.

Le statut de l'expertise au sens professionnel, intellectuel et social doit lui aussi être substantiellement réévalué, notamment dans le milieu universitaire.

Au total, les incertitudes du fonctionnement actuel de l'expertise scientifique justifient l'ouverture d'une large réflexion en vue de la création d'une Haute Autorité de l'Expertise Scientifique pour assurer une indépendance réelle de l'expertise.

Les risques émergents

-- Dans le cadre européen, un risque nouveau doit être envisagé ; c'est celui de la concurrence entre agences des Etats-membres : les critères de souplesse et de rapidité paraissent pour le moins antinomiques avec la sécurité et la validité dans une procédure d'AMM. Par le jeu de la procédure de reconnaissance mutuelle, il y a là des risques non négligeables d'affaiblissement de la sécurité, en particulier dans une Europe à 25.

L'homogénéité de la qualité des mécanismes d'inspection entre Etats-membres soulève des inquiétudes qui ont déjà été relevées à différents niveaux. La « nouvelle approche » de certification européenne pour les dispositifs médicaux peut susciter elle aussi des interrogations justifiées.

-- La banalisation du médicament constitue un risque particulièrement grave qui s'inscrit à contre-courant du mouvement de renforcement de la sécurité sanitaire. La France bénéficie d'un système de distribution et de dispensation du médicament qui est un des meilleurs du monde, mais différentes initiatives en Europe et dans le monde fournissent des exemples particulièrement inquiétants avec la vente de médicaments par internet.

Le cas des Etats-Unis, où les conditions de distribution du médicament n'étaient déjà pas satisfaisantes, ce qui explique sans doute la iatrogénie qu'on y relève, a amené les autorités américaines à s'inquiéter officiellement des conséquences de la vente par internet : une investigation du GAO (General Accountant Office, équivalent de la Cour des Comptes) réalisée en juin 2004 les précise clairement..

Le cas de l'Allemagne se révèle encore plus inquiétant du fait bien sûr du voisinage et de l'appartenance à l'Union européenne. Jusqu'à la fin de l'année 2003, le système de dispensation du médicament y était proche du système français et ne posait guère de problème de sécurité. Souhaitant sans doute anticiper une décision de la CJCE (Cour de justice des Communautés européennes, Doc Morris - 11 décembre 2003), mais surtout « faire des économies » sur le médicament pour réduire le déficit de l'assurance-maladie, le gouvernement allemand a fait adopter un mois plus tôt dans une loi, la possibilité d'acheter par internet tous les médicaments, y compris ceux soumis à prescription obligatoire. Il allait ainsi très au-delà de ce que la CJCE a autorisé. Les conséquences néfastes d'une déréglementation qui permet la vente par correspondance, et même y incite (par le biais des caisses d'assurance maladie) commencent à se faire sentir. L'encouragement fatal de la contrefaçon et des faux médicaments se vérifie.

Toutes les mesures de précaution élaborées par la loi pour éviter débordements de consommation, non respect des contre-indications, effets croisées de différents médicaments, substitution de personnes sont ainsi balayées. On peut se demander si la recherche d'une sécurité sanitaire des produits de santé a encore un sens dans un tel paysage.

QUATRIÈME PARTIE :
UNE CLARIFICATION NÉCESSAIRE

I. UNE COMPLEXITÉ CROISSANTE

La loi du 1 er juillet 1998 a eu pour objectif de renforcer la sécurité sanitaire en créant un ensemble efficace et cohérent. L'architecture administrative n'est pas une fin en soi, mais l'éparpillement, les conflits de compétences, la complexité sans justification restent à éviter. Les bases essentielles d'un nouveau dispositif d'ensemble ont donc été posées et celui-ci a commencé à fonctionner dans des conditions indiscutablement satisfaisantes, notamment par rapport au passé. Il reste que la simplification est insuffisante et que des ajouts ultérieurs ont très rapidement apporté des éléments de complication supplémentaires.

* 40 Données communiquées par M. Pierre Delval, cabinet du ministre de l'économie et des finances au colloque sur les contrefaçons du médicament organisé le 3 novembre 2004 par l'Ordre national des pharmaciens ; la plupart des éléments chiffrés dont il est fait état ici ont été communiquées par les divers intervenants lors de ce colloque.

* 41 Cité par le Figaro le 5 novembre 2004.

* 42 F. Klein, « @-Santé aux Etats-Unis : le cyber Far West », ACIP Magazine, n° 205-206, p. 12.

* 43 L. Silbert, « L'Etat du Michigan donne un coup d'arrêt à la vente de médicaments sur Internet », Le Quotidien du pharmacien, n° 1856, 24 janvier 2000, page 12.

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