EE. LA DISTINCTION FONDAMENTALE : VEILLE SANITAIRE/ÉPIDÉMIOLOGIE
La crise de la canicule a illustré de manière dramatique (cf. supra) les conséquences de l'oubli de cette règle de base. Au-delà des responsabilités des différents acteurs quant à l'inadéquation de certains mécanismes et le cloisonnement étonnant des structures administratives (au sein du ministère de la santé, avec l'administration préfectorale, notamment à Paris etc ...), c'est l'insuffisance de cette distinction qui doit être mise en cause. Un exemple particulièrement éclairant, a été fourni par la transmission des certifications de décès. Conçue dans une perspective d'analyse épidémiologique, la procédure de transmission avec les délais quelle comportait pour une formalisation complète (plus d'un an) ne pouvait évidemment en rien contribuer à quelque alerte ou même veille que ce soit. C'est encore un problème qui n'avait pas été signalé par les nombreux experts consultés dans le cadre de l'élaboration du plan national de sécurité sanitaire. Cette lacune est d'autant plus étonnante que la canicule avec l'hyperthermie maligne n'est pas le seul fléau pour lequel des données opérationnelles de décès en temps réel sont nécessaires. La mission d'évaluation des quatre inspections (op. cit. page 57) a fait de son côté la même observation dans les termes suivants :
« La mission a pu constater à maintes reprises, à l'occasion de ses investigations et des nombreuses auditions auxquelles elle a procédées, combien l'absence de cadre conceptuel partagé était source de malentendus et de désaccords entre les acteurs. Des notions aussi fondamentales que celles de surveillance, d'alerte, de mesure et d'évaluation du risque, sont susceptibles de recevoir une acception ou une portée différentes selon les interlocuteurs en présence, les textes en vigueur, la spécificité des domaines concernés, ou la traduction que l'on retient des concepts utilisés au niveau international ».
Le prix bien lourd de la crise de 2003 a été nécessaire pour découvrir cette exigence. On a tardivement retenu la leçon dès septembre 2003 puis dans la loi de santé publique elle-même. L'InVS lui-même semble avoir tiré des conclusions en ce sens ; cela apparaît clairement à travers son rapport annuel 2003 paru en octobre 2004, tout d'abord dans l'introduction du chapitre « Evolution des fonctions de veille et d'alerte de l'InVS à la suite des événements de l'année 2003 » (page 43) :
« L'année 2003 a connu beaucoup d'alertes sanitaires qui ont mis en tension les capacités de réponse de l'InVS. Le déroulement des événements et la manière dont ils ont été traités par la structure ont permis la réalisation d'analyses scientifiques et la rédaction de propositions utilisables pour la mise en oeuvre de politiques de santé.
La démarche suivie a conduit l'InVS aux conclusions suivantes :
-- premièrement, de nombreux événements qui se déroulent dans le monde peuvent avoir un retentissement sur la santé des habitants de la France (cette remarque paraît évidente pour les maladies infectieuses - Sras, grippe - mais elle concerne également d'autres phénomènes, notamment environnementaux). Il est donc indispensable de développer une veille internationale.
Parallèlement, les échanges rapides réalisés sur la planète, l'évolution climatique, l'augmentation de la pollution, les changements d'alimentation, le vieillissement de la population amènent à une évolution sensible de la santé humaine. Il nous faut anticiper la survenue de ces phénomènes que nous appelons « émergents ». Pour la prévision de phénomènes sanitaires à plus long terme, un regard large et multi-disciplinaire mettant en lien les sciences médicales avec les sciences sociales et de nombreuses autres disciplines permettrait d'appréhender l'évolution de notre environnement et son implication sur la santé humaine.
La « veille prospective » ainsi définie pourrait être mise en oeuvre dans les années à venir. Veille internationale, veille sur les phénomènes émergents et veille prospective aboutiront à la définition des priorités de travail de l'InVS à moyen et long terme.
-- deuxièmement, et de façon plus rapidement opérationnelle, l'InVS doit améliorer sa réponse à la mission d'alerte et de participation à la gestion des situations d'urgence. Il l'a fait dès l'année 2003 en mettant en place un système de surveillance spécifique à partir des services d'urgences et des données de mortalité, et il assure une organisation régionale de cette fonction d'alerte au travers d'un renforcement des CIRE qui se poursuivra dans les années à venir ».
Sans entrer ici dans le détail des mécanismes nouveaux mis en oeuvre ou en état d'être finalisés 45 ( * ) par l'InVS, celui-ci présente « l'intérêt d'une veille scientifique sur les phénomènes émergents prévisibles et d'une réelle prospective pluridisciplinaire sur les risques non identifiés ».
L'articulation nécessaire, mais aussi la distinction stricte entre la veille sanitaire et l'épidémiologie apparaissent ainsi clairement. Cela est d'autant plus important que l'acteur essentiel du système de sécurité sanitaire qu'est l'inVS a naturellement en charge à travers des unités différentes, des fonctions d'épidémiologiste (directes ou indirectes) et des fonctions de veille et d'alerte ; il n'est d'ailleurs pas seul dans ce cas.
C'est là une problématique que l'on est amené à retrouver par exemple dans la sphère de la santé du travail. En outre, la distinction doit s'imposer dans le cadre de l'affectation des moyens budgétaires car si le domaine de la veille sanitaire peut faire l'objet d'une délimitation relativement aisée une fois établi un système efficace, il n'en va pas de même avec l'épidémiologie pour laquelle des choix devront toujours faire l'objet d'arbitrages forcément difficiles.
* 45 Il Il s'agit là notamment de ce que l'InVS appelle « la mise en chantier de la surveillance d'événements non spécifiques à partir des services d'urgence et de veille sur les données de mortalité émises par l'INSEE » (ibidem page 49)