CONCLUSION

Le groupe de travail, dans sa majorité, a fondé sa réflexion et élaboré ses propositions sur les considérations suivantes.

Il estime qu'il est absolument nécessaire de réussir l'objectif de Lisbonne, à savoir développer la compétitivité de l'Union européenne . La réalisation d'un marché intérieur des services doit faire partie des priorités. Cependant, le principe du pays d'origine, en créant une concurrence entre États membres et une incitation aux délocalisations, n'est pas la solution. Il est préférable de faciliter l'établissement des prestataires dans chaque État membre que de développer les prestations transfrontalières, avec les insécurités juridiques qui en découlent.

Il considère qu'il est temps de réaliser l'Europe des citoyens. Alors même que les citoyens doivent prochainement se prononcer sur le Traité instituant une Constitution pour l'Europe, le choix d'une directive-cadre sur les services imposant une concurrence juridique entre chaque État membre tempérée par de multiples dérogations sectorielles ne donne pas une image positive de la construction européenne. Celle-ci doit reposer sur le choix de l'harmonisation et de l'intégration toujours plus poussée.

Loin d'être un facteur d'abaissement du modèle social de l'Union, l'élargissement est une chance de développement économique et social et d'enrichissement. L'Europe de demain doit être une Europe plus intégrée, qui poursuive un haut niveau d'exigence, y compris dans le domaine des services.

Enfin, une vraie réflexion doit incontestablement s'engager sur les services publics en Europe. Souvent réduite aux débats sur les services publics économiques, cette réflexion touche également les domaines régaliens, comme le domaine de la justice. La coexistence de modèles différents, de type latin ou anglo-saxon, doit être réaffirmée et l'on ne saurait résoudre la question de la coexistence de ces modèles dans le cadre d'une directive sur les services dans le marché intérieur.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

La délégation s'est réunie le jeudi 17 février 2005 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la communication du groupe de travail présidé par Denis Badré et composé de Robert Bret, Marie-Thérèse Hermange et Serge Lagauche, le débat suivant s'est engagé :

Mme Catherine Tasca :

Je retiens de ce rapport plusieurs éléments positifs. Tout d'abord, il fait une critique assez sévère de l'état actuel de la proposition de directive, et il me semble que c'était nécessaire. Ensuite, il mentionne à plusieurs reprises les services d'intérêt général. On voit bien qu'il n'est pas possible de distinguer ce sujet de celui de la proposition de directive sur les services. Il me semble donc que le rapport gagnerait à suggérer que les propositions de la Commission sur les services d'intérêt général progressent parallèlement, et même plus vite que ses travaux sur la libéralisation du marché des services. Ce thème a d'autant plus d'importance que les divergences d'appréciations nationales sont fortes.

M. Pierre Fauchon :

Je regrette que l'on traite d'une question aussi complexe dans une réunion tardive, alors même que j'ai des objections à faire valoir sur les conclusions du groupe de travail quant au rejet du principe du pays d'origine. J'ai dirigé pendant plusieurs années l'Institut national de la Consommation, et je connais bien ces sujets. L'arrêt « Cassis de Dijon » de la Cour de Justice a permis de créer le marché intérieur des biens, en jugeant que, quel que soit le lieu de production d'un bien, il est supposé remplir les critères exigés pour sa commercialisation dans toute l'Union. Je reconnais que, pour les services, le sujet est beaucoup plus compliqué, et que la proposition de directive fait peut-être une application brutale du principe du pays d'origine, mais c'est un débat que l'on ne peut évacuer trop rapidement.

M. Yann Gaillard :

La proposition de directive est effectivement complexe, et je trouve le rapport du groupe de travail intéressant, mais j'aimerais qu'il se traduise par des recommandations précises, par exemple sous la forme d'une proposition de résolution.

M. Jacques Blanc :

Je félicite nos collègues pour leurs travaux, qu'ils ont débuté bien avant que l'opinion publique s'empare de ce sujet. Je ferai simplement quelques observations. Vous dites que le principe du pays d'origine n'est pas la solution, mais il me semble qu'il faudrait mettre l'accent sur la question de la formation des prestataires, qui est un élément majeur ; la santé, par exemple, exige des professionnels qualifiés. La question de la rémunération est également très importante ; à cet égard, le principe du pays d'origine n'est pas acceptable en l'état, en raison des distorsions de concurrence. Le rapport de notre délégation suscitera des réactions, mais le débat sur ce thème sera sans aucun doute très long. Enfin, ce travail doit nous inciter à dialoguer avec les autres parlements de l'Union sur ce sujet et, pour les domaines qui le concerne, avec le Comité des régions.

M. Jean Bizet :

Je salue l'excellent travail effectué par nos collègues, et je l'utiliserai évidemment pour le rapport que je préparerai au nom de la commission des Affaires économiques, sur les propositions de résolution qui ont été déjà déposées sur ce texte. Dès lors que le marché des services représente 70 % des emplois dans l'Union, il n'est pas possible de traiter des délocalisations sans aborder ce dossier. Dans le cadre du suivi de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), j'ai pu me rendre compte combien l'agriculture, qui ne représente que 10 % des échanges internationaux, mobilise les discussions, au point de faire disparaître des champs entiers de négociation, notamment dans le domaine des services. Ce sujet est également lié à la stratégie de Lisbonne, et il est incontestable que la France a un savoir-faire en matière de services. En première analyse, les propositions du groupe de travail me conviennent parfaitement : il faut une approche sectorielle, avec plusieurs directives, et une vraie réflexion sur les services publics en Europe. Enfin, je pense que nos travaux doivent permettre d'informer plus largement les citoyens.

Mme Alima Boumediene-Thiery :

La vraie question soulevée par cette proposition est de savoir si la méthode de l'harmonisation reste pertinente au niveau européen. Pour ma part, je considère que l'harmonisation est indispensable et qu'elle doit s'appliquer en priorité dans le domaine social et en matière de fiscalité. En effet, il existe encore de profondes divergences entre les différentes législations nationales en matière de droits sociaux, notamment entre les pays du Nord et du Sud de l'Europe, ce qui ne peut que favoriser le « dumping social ». De la même manière, l'absence de véritable harmonisation en matière de fiscalité crée une situation de concurrence fiscale entre les États. Une véritable harmonisation en matière sociale et fiscale est donc indispensable à mes yeux. Ce n'est que de cette manière que l'on pourra réellement réconcilier l'Europe et les citoyens.

M. Denis Badré :

Je suis entièrement d'accord avec vous sur la nécessité d'une harmonisation sociale et fiscale en Europe. Je plaide d'ailleurs depuis de nombreuses années en faveur d'une véritable harmonisation de la fiscalité.

En ce qui concerne le poids des services dans l'économie, il est incontestable que cette part augmente au fil des années. Il faut toutefois prendre garde à bien interpréter ce phénomène. En effet, une part non négligeable de l'augmentation de la part des services dans le PIB découle de la tendance actuelle à externaliser les services de l'activité de production.

En réponse à notre collègue Pierre Fauchon, je voudrais dire qu'il existe une différence majeure entre le principe de la reconnaissance mutuelle et le principe du pays d'origine. Le premier s'applique aux marchandises qui sont produites dans un autre État membre, alors que le second a vocation à s'appliquer aux services qui sont fournis - ou produits - dans l'État de destination. On ne peut donc pas mettre sur le même plan les deux principes. En outre, il ne me paraît pas excessif de dire que le principe du pays d'origine est inacceptable. Face à une question aussi fondamentale que celle du principe du pays d'origine je crois qu'il est de notre responsabilité d'hommes politiques de faire un choix clair qui soit lisible par nos concitoyens.

M. Hubert Haenel :

En conclusion, je tiens à préciser que deux propositions de résolutions ont d'ores et déjà été déposées, l'une par Jean-Pierre Bel et les membres du groupe socialiste, et l'autre par Jean Bizet. Ces deux propositions de résolution ont été renvoyées à la commission des Affaires économiques. Le rapport d'information de la délégation pour l'Union européenne arrive donc à point nommé pour fournir à tous les sénateurs les éléments de réflexion leur permettant de porter un jugement sur la proposition de directive. Je ne suis pas certain en revanche qu'il serait utile aujourd'hui que la délégation conclue au dépôt d'une proposition de résolution. Cette dernière ne ferait que s'ajouter aux deux propositions existantes.

Avec ce rapport d'information, nous avons agi avant que la commission des Affaires économiques ne se saisisse du dossier. Il me semble judicieux aujourd'hui que nous la laissions examiner la question et arrêter ses conclusions. C'est à ce moment-là qu'il pourra être utile que notre délégation intervienne de nouveau. À cet effet, il suffira que notre délégation exerce les compétences d'une Commission pour avis. Le règlement du Sénat prévoit en effet que, dès lors que le Sénat inscrit à son ordre du jour l'examen d'une proposition de résolution, la délégation pour l'Union européenne peut exercer les compétences attribuées aux Commissions pour avis.

Je vous propose donc que, dès que la Conférence des Présidents aura décidé d'inscrire cette proposition de résolution à l'ordre du jour du Sénat, la délégation exerce les compétences d'une Commission pour avis. Je pense ainsi pouvoir rassurer nos collègues Robert Bret et Yann Gaillard sur les suites qui seront données à nos travaux.

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À l'issue de ce débat, la délégation a autorisé la publication du rapport d'information.

QUE PENSER DE LA DIRECTIVE « BOLKESTEIN » ?

La proposition de directive sur les services dans le marché intérieur dite « directive Bolkestein », du nom du commissaire européen qui l'a proposée, a été adoptée par la Commission européenne le 13 janvier 2004. Elle est actuellement en discussion au Parlement européen et au Conseil des ministres.

Dès novembre 2004, la délégation du Sénat pour l'Union européenne a mis en place un groupe de travail pour évaluer cette proposition. Le présent rapport d'information livre ses conclusions desquelles il ressort que le principe du pays d'origine, qui est le coeur de la proposition, doit être retiré, car il est source de complexité juridique, incite aux délocalisations, et traduit une rupture dans la construction européenne.

Le groupe de travail invite donc la Commission européenne à modifier sa démarche et à présenter un état des lieux par secteur de services et, sur cette base, des propositions d'harmonisation ou de reconnaissance mutuelle. Il considère enfin comme indispensable l'adoption rapide d'une proposition de directive sur les services d'intérêt général, y compris économiques.

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